LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 20-85.632 F-D
N° 01336
GM
9 NOVEMBRE 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 NOVEMBRE 2021
Mme [C] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 10 septembre 2020, qui, pour harcèlement moral, l'a condamnée à trois mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [C] [Z], les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [S] [P], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance en date du 6 juin 2016, le juge d'instruction a ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel de Mme [Z], supérieur hiérarchique de Mme [S] [P] au sein d'un service départemental du ministère de l'intérieur, pour avoir, courant 2010 et 2011, harcelé moralement cette dernière.
3. Par jugement en date du 23 février 2018, le tribunal correctionnel a relaxé la prévenue et débouté la partie civile de ses demandes.
4. Le procureur de la République a interjeté appel principal et Mme [P] appel incident sur les dispositions civiles.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [I] coupable de harcèlement moral au préjudice de Mme [P], alors :
« 1°/ que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits dont ils sont saisis ; que saisie par l'ordonnance de renvoi de faits « commis courant 2010 et 2011 », la cour d'appel a néanmoins retenu, pour déclarer la prévenue coupable de harcèlement moral, des faits non compris dans la période de prévention datant de 2008 et 2009, relatifs à une baisse notable des notes des évaluations de Mme [P], réévaluées après recours gracieux et à des examens médicaux datant de cette période, ainsi que des faits de décembre 2012, résultant d'un procès-verbal du comité d'hygiène et de sécurité du 13 décembre 2012 et d'une pétition du 11 décembre 2012 signée par 12 agents ; qu'en prononçant ainsi, par des motifs intégrant des faits non compris dans la prévention, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine, en violation de l'article 388 du code de procédure pénale ;
2°/ que le harcèlement moral est caractérisé par des agissements commis à l'encontre du même salarié ; qu'en se fondant sur des auditions de salariés faisant état soit des relations qu'ils avaient personnellement entretenues avec Mme [I], soit d'incidents intervenus entre Mme [I] et d'autres salariés, en soutenant qu'elles permettaient de « confirmer le modus operandi de jet d'objets en cas de conflit et dans le déni des événements litigieux », la cour d'appel n'a pas caractérisé des agissements répétés de la prévenue envers Mme [P] ayant eu pour effet une dégradation des conditions de travail de cette dernière, en violation des articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ enfin que le délit de harcèlement moral est un délit intentionnel qui suppose que soit établie à la charge de son auteur une intention de nuire, d'humilier ou de dégrader les conditions de travail de la victime ; qu'en se bornant à affirmer que la culpabilité de la prévenue est démontrée par son « attitude de déni alors qu'elle admet a minima des propos déplacés », et par sa contestation de la véracité des quelques témoignages en faveur de la partie civile, sans pour autant mettre en évidence une quelconque intention de cette dernière de nuire à la partie civile ni de dégrader ses conditions de travail, la cour d'appel n'a pas légalement caractérisé l'intention délictueuse de la prévenue au sens des articles 121-3 et 222-33-2 du code pénal et méconnu le droit de ne pas s'auto-incriminer, garanti par l'article 6, § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Vu l'article 388 du code de procédure pénale :
6. Il résulte de ce texte que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits dont ils sont saisis.
7. Pour déclarer Mme [Z] coupable de harcèlement moral, l'arrêt relève notamment, au titre des éléments matériels du délit, parmi les comportements retenus à l'encontre de la prévenue, une baisse injustifiée des notations de Mme [P] en 2008 et 2009.
8. Les juges énoncent que cette baisse a été justifiée par Mme [Z] par le changement du système d'évaluation et a donné lieu à un recours gracieux de la plaignante aboutissant à la révision de la notation litigieuse.
9. Ils ajoutent que la secrétaire générale d'une section syndicale a indiqué avoir connaissance des difficultés de Mme [P] depuis les années 2008-2009 induites par un comportement agressif et méprisant de la hiérarchie et un regard subjectif sur ses compétences, notamment dans le cadre des évaluations effectuées par Mme [Z].
10. En prononçant ainsi, par des motifs intégrant des faits commis en 2008 et 2009, antérieurs à ceux visés à la prévention, courant 2010 et 2011, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine.
11. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 10 septembre 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf novembre deux mille vingt et un.