LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 novembre 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1012 F-D
Pourvoi n° M 20-16.052
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 NOVEMBRE 2021
1°/ M. [A] [D], domicilié [Adresse 4],
2°/ M. [R] [D], domicilié [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° M 20-16.052 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2019 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [C] [M],
2°/ à Mme [S] [Y], épouse [M],
domiciliés tous deux lotissement [Adresse 10],
3°/ à Mme [P] [D], épouse [K], domiciliée [Adresse 10],
4°/ à Mme [G] [D], épouse [X], domiciliée [Adresse 2], tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière d'[N] [D],
5°/ à M. [E] [D], domicilié [Adresse 10],
6°/ à Mme [V] [D], domiciliée [Adresse 1],
7°/ à M. [J] [D], domicilié [Adresse 7],
8°/ à l'association syndicale libre du lotissement des Jardins de Gabrielle, dont le siège est chez [J] [D], [Adresse 7],
9°/ à Mme [L] [D], domiciliée [Adresse 3],
10°/ à Mme [B] [D], domiciliée [Adresse 5],
11°/ à M. [I] [D], domicilié [Adresse 8],
ces trois derniers pris en qualité d'héritiers d'[N] [D],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de MM. [A] et [R] [D], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. et Mme [M], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 20 mai 2019), M. et Mme [M] sont propriétaires d'une parcelle de terrain située en aval du lotissement « [Adresse 10]. Estimant subir un préjudice du fait de l'écoulement sur leur terrain des eaux de pluie venant du lotissement, ils ont assigné les propriétaires de lots ainsi que l'association syndicale libre du lotissement devant un tribunal afin d'obtenir leur condamnation à réaliser des travaux et à leur payer des dommages-intérêts.
2. Par jugement du 2 décembre 2011, ils ont été déboutés de l'intégralité de leurs demandes. Ils ont interjeté appel de cette décision.
3. La cour d'appel, par arrêt du 15 juin 2015, a, avant dire droit, ordonné une expertise. Par un arrêt du 23 octobre 2017 rendu après dépôt du rapport d'expertise, elle a infirmé le jugement et condamné in solidum les consorts [D] et l'association syndicale libre du lotissement à réaliser des travaux sous astreinte et à payer des dommages-intérêts à M. et Mme [M].
4. MM. [A] et [R] [D], intervenants forcés en cause d'appel en leur qualité d'ayants droit de [F] [Z] [D], décédé, et défaillants devant la cour d'appel, ont formé opposition contre les arrêts des 15 juin 2015 et 23 octobre 2017.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
5. MM. [A] et [R] [D] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur opposition aux arrêts prononcés par la cour d'appel les 15 juin 2015 et 23 octobre 2017, alors :
« 1°/ que le juge ne peut pas méconnaître l'objet du litige, qui est déterminé par les conclusions des parties ; que dans leurs conclusions récapitulatives, [R] et [A] [D] avaient, au visa de l'article 571 du code de procédure civile, formé opposition aux arrêts rendus par la cour d'appel de Basse-Terre 15 juin 2015 et 23 octobre 2017 pour avoir été rendus par défaut à leur égard ; qu'en faisant néanmoins application au recours ainsi formé du régime de la tierce opposition prévu par les articles 582 et 583 du même code, pour en déduire que MM. [R] et [A] [D] devaient être considérés comme ayant été valablement représentés devant la cour d'appel et déclarer irrecevable « leur tierce opposition », la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge ne peut méconnaître les termes du litige, qui est déterminé par les conclusions des parties ; qu'il était acquis aux débats qu'[R] et [A] [D] étaient les héritiers d'[F] [D], ce dont les appelants, M. et Mme [M], avaient été avertis au cours de l'instance d'appel, de sorte qu'il y avait lieu pour les appelants de les citer à comparaître pour requérir une décision à leur encontre ; qu'en affirmant pourtant qu'[R] et [A] [D] sont les héritiers de [E] [D], propriétaire d'un lot du lotissement « Les Jardins de Gabrielle » et partie en première instance, pour en déduire que leurs intérêts sont strictement identiques à ceux des autres propriétaires de lots et l'association syndicale libre qui ont été en mesure de défendre leurs intérêts en cause d'appel de sorte qu'ils doivent être considérés comme ayant été valablement représentés devant la cour d'appel, celle-ci a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
7. Pour déclarer l'opposition formée par MM. [A] et [R] [D] irrecevable, l'arrêt, après avoir visé les articles 582 et 583 du code de procédure civile relatifs à la tierce opposition, retient que la notion de représentation en matière de tierce opposition, outre les cas de représentation de droit commun, englobe tous les cas où les intérêts d'une personne ont eu, en fait, un défenseur à l'instance.
8. Il constate que MM. [A] et [R] [D] sont les héritiers de [E] [D], propriétaire d'un lot du lotissement « Les Jardins de Gabrielle » et partie en première instance et qu'en l'espèce, leurs intérêts dans la présente instance sont strictement identiques à ceux des autres propriétaires de lots et de l'association syndicale libre, qui ont été en mesure de défendre leurs intérêts en cause d'appel.
9. Il en déduit que, dès lors, MM. [A] et [R] [D] doivent être considérés comme ayant été valablement représentés devant la cour d'appel et qu'en conséquence, leur tierce opposition doit être déclarée irrecevable.
10. En statuant ainsi, alors que, d'une part, il résultait de l'arrêt du 15 juin 2015, qualifié par défaut, contre lequel MM. [A] et [R] [D] avaient formé opposition, qu'ils avaient été assignés en intervention forcée à raison de leur qualité d'ayants droit d'[F] [D], décédé, partie en première instance, et non de [E] [D], décédé aussi, et d'autre part, que les conclusions de MM. [A] et [R] [D] visaient expressément les dispositions de l'article 571 du code de procédure civile, rappelant que l'assignation en intervention forcée leur avait été délivrée, selon procès-verbal de recherches infructueuses dressé en application de l'article 659 du code de procédure civile civile, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;
Condamne M. et Mme [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour MM. [A] et [R] [D]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'opposition formée par M. [A] [D] et M. [R] [D] aux arrêts prononcés par la cour d'appel de Basse-Terre les 15 juin 2015 et 23 octobre 2017 ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 582 du code de procédure civile, la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque ; qu'elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que selon l'article 583 du même code, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; que les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres ; que la notion de représentation en matière de tierce opposition, outre les cas de représentation de droit commun, englobe tous les cas où les intérêts d'une personne ont eu en fait un défenseur à l'instance ; que M. [A] [D] et M. [R] [D] sont les héritiers de [E] [D], propriétaire d'un lot du lotissement « Les jardins de Gabrielle », et partie en première instance ; qu'en l'espèce, leurs intérêts dans la présente instance sont strictement identiques à ceux des autres propriétaires de lots et de l'association syndicale libre qui ont été en mesure de défendre leurs intérêts en cause d'appel ; que dès lors M. [A] [D] et M. [R] [D] doivent être considérés comme ayant été valablement représentés devant la cour d'appel ; qu'en conséquence leur tierce opposition sera déclarée irrecevable ;
1) ALORS QUE le juge ne peut pas méconnaître l'objet du litige, qui est déterminé par les conclusions des parties ; que dans leurs conclusions récapitulatives (p. 3 à 5 et p. 12), [R] et [A] [D] avaient, au visa de l'article 571 du code de procédure civile, formé opposition aux arrêts rendus par la cour d'appel de Basse-Terre 15 juin 2015 et 23 octobre 2017 pour avoir été rendus par défaut à leur égard ; qu'en faisant néanmoins application au recours ainsi formé du régime de la tierce opposition prévu par les articles 582 et 583 du même code, pour en déduire que MM. [R] et [A] [D] devaient être considérés comme ayant été valablement représentés devant la cour d'appel et déclarer irrecevable « leur tierce opposition », la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE le juge ne peut méconnaître les termes du litige, qui est déterminé par les conclusions des parties ; qu'il était acquis aux débats qu'[R] et [A] [D] étaient les héritiers d'[F] [D], ce dont les appelants, M. et Mme [M], avaient été avertis au cours de l'instance d'appel (cf. leurs conclusions récapitulatives, p. 3, avant-dernier § ; conclusions récapitulatives de M. et Mme [M], p. 2), de sorte qu'il y avait lieu pour les appelants de les citer à comparaître pour requérir une décision à leur encontre ; qu'en affirmant pourtant qu'[R] et [A] [D] sont les héritiers de [E] [D], propriétaire d'un lot du lotissement « Les Jardins de Gabrielle » et partie en première instance, pour en déduire que leurs intérêts sont strictement identiques à ceux des autres propriétaires de lots et l'association syndicale libre qui ont été en mesure de défendre leurs intérêts en cause d'appel de sorte qu'ils doivent être considérés comme ayant été valablement représentés devant la cour d'appel, celle-ci a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE l'opposition est ouverte à tout défendeur à un jugement rendu par défaut, quand bien même d'autres parties au litige auraient des intérêts identiques aux leurs et auraient été en mesure de défendre leurs intérêts en cause d'appel ; que, dans leurs conclusions récapitulatives, [R] et [A] avaient formé opposition aux arrêts de la cour d'appel de Basse-Terre 15 juin 2015 et 23 octobre 2017 pour avoir été rendus par défaut à leur égard, ce qui était acquis aux débats (cf. concl. de M. et Mme [M], p. 4, in fine) ; que, dès lors, en déclarant leur recours irrecevable, au motif inopérant que leurs intérêts dans la présence instance sont strictement identiques à ceux des autres propriétaires de lots et de l'association syndicale libre qui ont été en mesure de défendre leurs intérêts en cause d'appel, de sorte qu'ils doivent être considérés comme ayant été valablement représentés devant la cour d'appel, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 473, 474, 571, 582 et 583 du code de procédure civile.