LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 novembre 2021
Rejet
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1201 F-D
Pourvoi n° N 20-12.350
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2021
Mme [Z] [O], épouse [E], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 20-12.350 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [I], dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi d'[Localité 4], dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La société [I] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pion, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [O], de Me Le Prado, avocat de la société [I], après débats en l'audience publique du 14 septembre 2021 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pion, conseiller rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 14 novembre 2019), Mme [O] a été engagée en qualité de collaboratrice d'agence à compter du 6 juin 2000 par un agent d'assurance AGF, aux droits duquel se trouve la société [I].
2. La salariée, déclarée inapte à son poste le 10 mai 2016, a été licenciée le 21 juin 2016 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le second moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident éventuel, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter l'ensemble de ses demandes indemnitaires, alors :
« 3°/ qu'il appartient à l'employeur de justifier de l'impossibilité de reclassement, le cas échéant au sein d'entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en retenant que Mme [E] "n'apporte aucun élément permettant de retenir qu'il existerait un groupe de reclassement entre des agences Allianz qui constituent toutes des sociétés différentes" pour considérer que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était régulier, la cour qui, a inversé la charge de la preuve, a violé l'article L. 1226-2 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil (devenu l'article 1353) ;
4°/ qu'en opposant que les différentes agences Allianz constituent des sociétés différentes pour exclure l'obligation pour l'employeur de procéder à des recherches de reclassement au sein d'autres agences Allianz, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une circonstance inopérante, a violé de l'article 1226-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Ayant relevé que la salariée se bornait à soutenir que le reclassement aurait dû être recherché « au sein des autres agences Allianz », la cour d'appel, appréciant les éléments qui lui étaient soumis tant par l'employeur que par la salariée, a constaté que n'était pas établie l'existence d'une permutabilité du personnel.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour Mme [O], demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par Mme [E] au titre du harcèlement moral, ainsi que la demande au titre de la perte de revenu pendant le mois de carence ;
AUX MOTIFS D'ABORD QUE « Mme [E] expose que son arrêt de travail et la perte de revenus subie pendant le mois de carence entre l'avis d'inaptitude et son licenciement sont dus au comportement fautif de la SPEC [I] à son égard qui a provoqué son arrêt de travail. Cette demande sera examinée le cas échéant si un manquement de l'employeur est retenu, soit pour harcèlement moral, soit pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail » ;
AUX MOTIFS ENSUITE QUE « Mme [E] fait valoir que ; la SPEC [I] n'a pas respecté ses obligations conventionnelles en matière de maintien du salaire, a omis de lui verser une prime de 650 € à laquelle elle avait droit, l'a surchargée de travail, lui a imposé des objectifs commerciaux en méconnaissance de son statut, l'a contactée sur son portable personnel hors des heures de travail, lui a fait des reproches sur son manque d'investissement, lui a demandé, en janvier 2016, de régulariser un contrat de travail comportant, malgré son ancienneté, une période d'essai et l'a signé à sa place. Elle fait également valoir que son état de santé s'est dégradé. Il appartient à Mme [E] d'établir la matérialité d'éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral. En même temps que les éléments apportés à ce titre par Mme [E], seront examinés ceux contraires apportés par la SPEC [I] quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, il appartiendra à la SPEC [I] de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il n'est pas établi comme évoqué ci-dessus que la SPEC [I] aurait omis de lui verser une prime de 650 € et Mme [E] n'apporte aucun élément relatif à des reproches qui lui auraient été faits. Il ressort des développements précédents que l'équivalent net de 936,75 € bruts dus au titre du maintien de salaire n'ont pas été versés. Pour évoquer une surcharge de travail, Mme [E] fait valoir qu'après le départ de M. [S], ancien associé de la société, elle s'est retrouvée seule à l'agence de [Localité 7] qui compte maintenant deux salariés, que, 4 jours par semaine, les appels téléphoniques d'autres agences étaient basculés sur son agence, qu'un listing commercial à traiter chaque jour lui a été imposé et qu'elle devait régulièrement participer à des réunions le midi pendant son temps de pause. Mme [W], collègue de Mme [E] qui a attesté pour la SPEC [I] indique seulement que M. [S] "était plus présent sur l'agence de [Localité 7]. Cette seule notation ne permet pas d'en conclure que cette présence plus fréquente d'un des associés aurait allégé (plutôt qu'alourdi) le travail de Mme [E]. En outre, si deux salariés travaillent maintenant dans cette agence, il ressort des documents produits que cette agence a connu une augmentation du chiffre d'affaires à raison de la reprise d'un portefeuille de clientèle. Mme [E] ne justifie pas du basculement des appels téléphoniques 4 jours par semaine à son seul détriment, contesté par la SPEC [I]. Il ressort en outre des attestations produites que ce basculement d'une agence à l'autre se faisait fréquemment et également au bénéficie de Mme [E]. Il est établi que des réunions entre les agences étaient régulièrement organisées autour d'un repas à une fréquence d'environ une fois par semaine. Plusieurs salariées ont indiqué que ces réunions n'étaient pas obligatoires mais l'une d'entre elles les a néanmoins jugées indispensables "afin de maintenir la cohésion et le travail d'équipe", D'après les attestations produites, ces réunions étaient certes à visée conviviale mais elles avaient également pour but d'échanger sur "les dossiers en cours, les méthodes de travail, les résultats de la structure" (Mme [W]). Il ressort des courriels envoyés que ces réunions se tenaient pendant le temps de pause et devaient être terminées pour permettre aux salariés d'être de retour à temps pour ouvrir leur agence. Les courriels produits par Mme [E] établissent que la direction demandait à chaque salariée l'envoi hebdomadaire (et non quotidien au vu de ces documents) d'une "liste ACE". Il semble ressortir de la pièce 4 (déjà évoquée précédemment) qu'un objectif hebdomadaire aurait été fixé. Toutefois, ce seul document non daté dont l'émetteur est inconnu, à supposer qu'il soit considéré comme suffisant pour justifier de la réalité de cet objectif, ne permet pas d'en conclure à une pression exercée pour atteindre cet objectif. De surcroît, le contrat de travail initial de Mme [E] prévoit, parmi ses tâches, notamment, des "tâches administratives et commerciales diverses". Elle a en outre été promue en avril 2013 collaboratrice d'agence généraliste ce qui implique des "contributions diverses à l'activité commerciale de l'agence" selon la convention collective nationale. Elle ne saurait donc reprocher à son employeur de lui avoir confié des tâches commerciales, partie intégrante de son poste, spécialement dans une agence où elle était la seule salariée. Mme [E] justifie, par l'attestation de son mari, avoir, une fois, été appelée sur son portable par son employeur à 18H15. Il n'est pas établi l'existence d'autres appels. Son mari n'en fait d'ailleurs pas état dans son attestation. La SPEC [I] a soumis à sa signature un nouveau contrat de travail daté du 1er janvier 2016 qui comportait la mention d'une période d'essai. Au lieu de signer tous les deux sous la mention l7es agents généraux d'assurance", l'un d'eux a apposé sa signature sous la mention "la collaboratrice" ; cette erreur ne saurait toutefois conduire à penser que l'employeur entendait signer ce contrat à la place de Mme [E]. Il est constant que ce contrat n'a pas été signé par Mme [E]. Mme [E] produit les attestations de son mari et de sa fille qui indiquent tous deux que depuis le départ de M. [S] et l'arrivée de M. [I], elle revenait "chaque jour" (M. [E]) ou "souvent* (Mme [E]) en pleurs chez elle. Son médecin traitant a attesté le 5 juin 2018 avoir constaté le 2 février 2016 un état de bum out professionnel. Le médecin du travail a indiqué lors d'une visite, le 22 février 2016, l'existence de troubles névrotiques liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes : état dépressif-souffrance au travail depuis juillet 2015 avec l'arrivée d'un nouvel associé Mme [E] faisant état de pressions de la part de son employeur (augmentation des tâches commerciales avec objectifs inatteignables, nombreux mails et appels téléphoniques, réunions fréquentes pendant la pause de midi...). Il ressort de ces différents éléments l'existence d'une réelle souffrance au travail. Toutefois, les faits matériellement établis (non maintien intégral du salaire pendant l'absence maladie, réunion hebdomadaire pendant la pause de midi, appel une fois hors de horaires de travail sur son portable personnel, contrat proposé comportant à tort une période d'essai), réunis, ne laissent pas présumer un harcèlement moral, Mme [E] sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ».
ALORS QU'il appartient aux juges du fond de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis, y compris les certificats médicaux, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en retenant que « les éléments matériellement établis (non maintien intégral du salaire pendant l'absence maladie, réunion hebdomadaire pendant la pause déjeuner, appel une fois hors des horaires de travail sur son portable personnel, contrat proposé à tort sur une période d'essai) réunis, ne laissent pas présumer un harcèlement moral » sans prendre en compte à ce stade de l'analyse ni les documents médicaux produits par Mme [E], ni les attestations de son mari et de sa fille, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a jugé que le licenciement de Mme [E] présentait une cause réelle et sérieuse et rejeté l'ensemble de ces demandes indemnitaires ;
AUX MOTIFS QUE « Mme [E] soutient, au principal, que son licenciement serait nul à raison du harcèlement dont elle indique avoir été victime, subsidiairement, qu'il serait sans cause réelle et sérieuse, faute pour la SPEC [I] d'avoir recherché son reclassement au sein des autres agences Allianz. L'existence d'un harcèlement n'étant pas retenu, Mme [E] sera déboutée de sa demande de nullité du licenciement. Mme [E] n'apporte aucun élément permettant de retenir qu'il existerait un groupe de reclassement entre des agences Allianz qui constituent toutes des sociétés différentes. Elle n'établit pas, notamment, l'existence d'une permutabilité des personnels. En conséquence, Mme [E] sera déboutée de sa demande tendant à voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le licenciement n'étant ni nul ni dépourvu de cause réelle et sérieuse. Mme [E] sera déboutée de ses demandes tendant au versement d'une indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts. » ;
ALORS QUE, premièrement, et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure qui sera prononcée sur le premier moyen entrainera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il a décidé que le licenciement de Mme [E] n'était ni nul ni dépourvue de cause réelle est sérieuse ;
ALORS QUE, deuxièmement, que Mme [E] a soutenu que, si même les juges du fond devaient par impossible écarter l'existence d'un harcèlement, son licenciement pour inaptitude étaient en tout état de cause irrégulier pour être la conséquence de la dégradation de ses conditions de travail du fait de son employeur ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur cet élément susceptible de priver le licenciement de Mme [E] de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, troisièmement, il appartient à l'employeur de justifier de l'impossibilité de reclassement, le cas échéant au sein d'entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en retenant que Mme [E] « n'apporte aucun élément permettant de retenir qu'il existerait un groupe de reclassement entre des agences Allianz qui constituent toues des sociétés différentes » pour considérer que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était régulier, la cour qui, a inversé la charge de la preuve, a violé l'article L. 1226-2 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil (devenu l'article 1353) ;
ALORS QUE, quatrièmement, qu'en opposant que les différentes agences ALLIANZ constituent des sociétés différentes pour exclure l'obligation pour l'employeur de procéder à des recherches de reclassement au sein d'autres agences ALLIANZ, la cour d'appel qui s'est fondée sur une circonstance inopérante a violé de l'article 1226-2 du code du travail. Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la société [I], demanderesse au pourvoi incident éventuel
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué ;
D'AVOIR condamné la société [I] à verser à Mme [E] la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt ;
AUX MOTIFS QUE « par lettre datée du vendredi 10 juin 2016, la SPEC [I] a convoqué Mme [E] à un entretien préalable au licenciement le jeudi 16 juin 2016. La date de remise de cette lettre n'est pas établie. En toute hypothèse, elle n'a pas pu être remise avant le samedi 11 juin, si bien qu'à la date de l'entretien, Mme [E] n'avait disposé, au mieux, que de trois jours ouvrables, au lieu de 5. Bien qu'elle ait pu être assistée pour cet entretien – en devant néanmoins solliciter qu'il soit retardé l'après-midi, elle a néanmoins subi un préjudice moral ayant disposé d'un délai plus restreint pour préparer sa défense qui l'a obligée à agir dans la précipitation. En réparation, la SPEC [I] sera condamnée à lui verser 800 euros ».
ALORS QUE l'indemnité prévue en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ne se cumule pas avec celle sanctionnant l'inobservation des règles de forme dès lors que le salarié a plus de deux ans d'ancienneté ou que l'entreprise emploie habituellement plus de onze salariés; qu'en allouant à la salariée une indemnité pour licenciement irrégulier alors qu'elle constatait que la salarié bénéficiait de plus de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et sans préciser si l'entreprise employait habituellement plus ou moins de onze salariés, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.