LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 novembre 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1024 F-D
Pourvoi n° C 20-11.030
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 NOVEMBRE 2021
M. [U] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-11.030 contre l'arrêt rendu le 20 novembre 2019 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Colmar, domicilié en son parquet général, [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [F], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 20 novembre 2019) et les productions, par requête enregistrée le 7 mai 2018, M. [F], de nationalité allemande, a sollicité l'ouverture d'une procédure de faillite civile de droit local auprès d'un tribunal de grande instance qui s'est déclaré territorialement incompétent et l'a invité à mieux se pourvoir.
Examen du moyen
Sur le moyen relevé d'office
2. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 3, § 1, 91 et 92 du règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité :
3. Selon le deuxième de ces textes, le règlement (CE) n° 1346/2000 est abrogé. Aux termes du troisième, le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l'Union européenne. Il est applicable à partir du 26 juin 2017, à l'exception de : a) l'article 86, qui est applicable à partir du 26 juin 2016 ; b) l'article 24, paragraphe 1, qui est applicable à partir du 26 juin 2018 ; et c) l'article 25, qui est applicable à partir du 26 juin 2019. Le présent règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre conformément aux traités.
4. Selon le premier, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité (ci-après dénommée « procédure d'insolvabilité principale »). Le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers. Pour une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d'indépendant, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve du contraire, être le lieu d'activité principal de l'intéressé. Cette présomption ne s'applique que si le lieu d'activité principal de la personne physique n'a pas été transféré dans un autre État membre au cours des trois mois précédant la demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité. Pour toute autre personne physique, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve du contraire, être la résidence habituelle de l'intéressé. Cette présomption ne s'applique que si la résidence habituelle n'a pas été transférée dans un autre État membre au cours des six mois précédant la demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité.
5. Pour confirmer le jugement, l'arrêt se fonde, par motifs propres et adoptés, sur le règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité.
6. En statuant ainsi, alors que la requête tendant à l'ouverture d'une procédure de faillite civile avait été enregistrée le 7 mai 2018, de sorte que les dispositions du règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 étaient applicables au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. [F]
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris par lequel le tribunal s'est déclaré territorialement incompétent pour statuer sur la demande de M. [F] tendant à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de droit local applicable en [Localité 3]-[Localité 3] ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le premier juge a fait une juste analyse des faits de la cause, appliqué à l'espèce les règles de droit qui s'imposaient et pertinemment répondu aux moyens des parties pour la plupart repris en appel ; qu'à ces justes et propres motifs que la Cour adopte, il convient seulement d'ajouter, que le bien immobilier acquis le 22 Mai 2019, par Madame [Y] épouse de Monsieur [F] constitue un bien propre de Madame [Y] épouse de Monsieur [F] et que ce bien n'a pas été acheté en commun par les deux époux ; que, dans ces conditions, l'acquisition par Madame [F] de ce bien, en propre, ne permet pas de dire que Monsieur [F] a fixé en France, le centre de ses intérêts principaux en France ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE le Ministère Public s'est opposé à l'ouverture de la procédure "s'agissant d'un ressortissant allemand et de créances allemandes, les dettes étant nées en Allemagne. La bonne foi fait défaut il s'agit d'une tentative de fraude à la domiciliation destinée à profiter des dispositions du droit local" ; que les personnes éligibles à la procédure de faillite civile doivent disposer d'un domicile, au sens des articles 102 et suivants du code civil, dans l'un des départements du [Localité 4], du [Localité 6] ou de la [Localité 3] ; que la preuve de cette domiciliation leur incombe en application de l'article 9 du code de procédure civile et s'établit par tous moyens s'agissant un fait juridique ; qu'en présence d'un débiteur, relevant du droit communautaire, la compétence territoriale du tribunal de grande instance, ainsi que la loi applicable doivent être déterminées au regard des articles L. 670-1 et R. 600-1 du code de commerce, ainsi que 3 du règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mars 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité qui visent respectivement la domiciliation en [Localité 3]-[Localité 3], le siège de l'entreprise ou, à défaut de siège sur le territoire français, le centre principal de ses intérêts dans un État membre ; que le tribunal compétent pour statuer sur une demande d'ouverture de la faillite civile du droit local et appliquer la législation locale, au visa de l'article L. 670-1 du code précité, est celui dans le ressort duquel le débiteur dispose du centre de ses principaux intérêts (Cass. 2e civ., 9 oct. 2008, Meindl, n° 07-18.804. – Cass. com., 28 oct. 2008, X c/ Y, n° 06-16.168. – CA Colmar, 1re ch. civ., 11 avr. 2006, [T] : RJE 2006, n° 2, p. 66 s. – CA Colmar, 1re ch. civ., 31 janv. 2006, X. c/ Procureur de la République, n° IA05/04431 : JurisData n° 2006-293873), c'est-à-dire son domicile au sens de l'article 102 du code civil ; que M. [F] est un ressortissant allemand, relevant du droit communautaire, et il lui appartient d'apporter la preuve de la réalité de la domiciliation en [Localité 3] puisqu'il mentionne comme domicile [Adresse 1] ; que le seul choix de fixer sa résidence personnelle en un lieu déterminé ne peut suffire à caractériser le domicile et le seul argument de M. [F] concernant le fait que son épouse française ne veut pas vivre en Allemagne est insuffisant ; que le centre des intérêts principaux doit correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers ; qu'étant un fait juridique, la détermination de ce centre s'établit par tous moyens ; qu'en l'espèce, M. [F] produit à la procédure le justificatif de son inscription au fichier domiciliaire [Localité 3] depuis le 13/5/2017 ; qu'il produit également un contrat de bail du 25/04/2017 ; que cependant il convient de constater qu'alors qu'il est marié et perçoit des revenus de 2738€5 (après une période de chômage indemnisée) qu'il a loué un appartement meublé, de 2 pièces, de 56 m2 ,pour lui et son épouse, et ce un an avant de saisir le tribunal d'une demande tendant à bénéficier de la faillite civile ; que le loyer est prélevé sur le compte bancaire de l'épouse qui est sans emploi, ainsi que la majorité des dépenses de la vie courante ; que M. [F] est architecte et qu'il travaille en Allemagne, actuellement à [Localité 7], situé à une centaine de kilomètres de [Localité 8] ; que la liste du passif, qu'il a évalué à 92 294.05€, énumère exclusivement des créanciers allemands ; que les indices matériels produits à la procédure ne sont pas convaincants et que M. [F] ne justifie pas de la réalité de sa domiciliation en [Localité 3] c'est-à-dire une installation permanente et effective, faite avec l'intention d'y fixer durablement, ce que le Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité appelle le centre de ses intérêts ; qu'il y a manipulation artificielle des intérêts de rattachement et il y a lieu de se déclarer territorialement incompétent ;
1. ALORS QUE le juge doit respecter et faire respecter le principe du contradictoire ; qu'en visant les réquisitions écrites du ministère public, sans qu'il ne ressorte de l'arrêt attaqué ni du dossier de la procédure, que M. [F] a effectivement reçu communication des réquisitions écrites du ministère public, et avait pu y répondre utilement, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article 16 du code de procédure civile ;
2. ALORS QUE le centre des intérêts principaux du débiteur, personne physique, sollicitant l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité, est le lieu de son domicile, sauf à ce que des éléments de fait objectifs et vérifiables par les tiers permettent d'établir l'existence d'une situation réelle différente de celle que sa résidence en France est censée refléter ; qu'il est indifférent que le débiteur ne soit pas propriétaire de son domicile appartenant en propre à son conjoint ; qu'en affirmant, pour décider que M. [F] n'avait pas établi le centre de ses intérêts dans une maison à Wissembourg où il vivait avec son épouse, que cet immeuble était un bien propre de son conjoint, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article L. 670-1 du code de commerce et de l'article 3 du Règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 ;
3. ALORS QUE M. [F] a rappelé qu'il est marié à une femme de nationalité française, vit en France, paye ses impôts, vote en France, règle ses factures d'électricité et apprend le français de manière assidue, notamment grâce à l'aide de son épouse française, de sorte qu'il a établi son domicile en France, quand bien même il travaille en Allemagne, comme tout frontalier vit et travaille de part et d'autre du Rhin ; qu'en affirmant, par des motifs adoptés du jugement entrepris, qu'il existe une manipulation des intérêts de rattachement, la cour d'appel qui n'a pas réfuté les conclusions de M. [F], ni expliquer en quoi il n'était pas domicilié en [Localité 3], s'est déterminée par un suspicion de fraude non étayée ; qu'ainsi, elle a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.