LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 octobre 2021
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 645 F-D
Pourvoi n° Z 20-14.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2021
L'association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 20-14.316 contre l'arrêt n° RG : 17/03194 rendu le 15 janvier 2020 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [Q],
2°/ à Mme [F] [C], épouse [Q],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de l'association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme [Q], après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 15 janvier 2020), suivant acte notarié du 31 janvier 2012, l'association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine (la banque) a consenti à la SCI 2A un prêt immobilier d'un montant de 256 000 euros, garanti par M. et Mme [Q] (les cautions) dans la limite de 307 200 euros.
2. La SCI 2A ayant cessé les remboursements à compter du mois de juin 2015, la banque a prononcé, le 1er mars 2016, la déchéance du terme et assigné en paiement, le 20 mai 2016, les cautions. Celles-ci lui ont opposé la disproportion de leur engagement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexées
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement à l'égard des cautions, alors « qu'il incombe à la caution, qui invoque le caractère disproportionné de son engagement à ses biens et revenus lors de sa souscription, d'en rapporter la preuve ; que pour débouter la banque de sa demande en paiement et à supposer qu'elle ait entendu juger que les cautionnements étaient manifestement disproportionnés aux biens et revenus des cautions lors de leur conclusion, la cour d'appel s'est bornée à
analyser la fiche patrimoniale et son annexe, toutes deux versées aux débats par la banque ; qu'en statuant ainsi, au seul vu de pièces produites par la partie sur laquelle ne reposait pas le fardeau de la preuve, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article L. 341-4 du code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'espèce, ensemble l'article 1315, devenu 1353, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. Aux termes du premier de ces textes, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. Aux termes du second, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
6. Il s'en déduit qu'il incombe à la caution qui entend opposer au créancier la disproportion de son engagement par rapport à ses biens et revenus, à la date de sa souscription, d'en rapporter la preuve.
7. Pour rejeter la demande en paiement de la banque, l'arrêt constate que les engagements de cautions s'élèvent à la somme de 307 200 euros et qu'une fiche patrimoniale du 20 décembre 2011, versée aux débats par la banque, mentionne un revenu annuel du ménage de 43 860 euros et des charges annuelles de 1 800 euros au titre d'un prêt personnel, que l'annexe relative au patrimoine immobilier, manifestement établie par celle-ci postérieurement, le 19 janvier 2012, fait état d'un patrimoine immobilier d'une valeur nette de 329 000 euros, qui se trouve être, en tout ou partie, la propriété de sociétés civiles immobilières et non des cautions. Il en déduit que la banque ne s'est pas assurée, au vu des éléments dont elle disposait, que la situation financière et patrimoniale des cautions leur permettait de faire face à leur engagement, de sorte que celui-ci ne peut leur être valablement opposé.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
9. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en relevant que l'annexe immobilière produite par la banque faisait état pour l'essentiel de biens qui seraient en tout ou partie la propriété de sociétés civiles immobilières, et non des cautions elles-mêmes, sans vérifier si ces dernières ne détenaient pas des parts sociales correspondantes faisant partie intégrante de leur patrimoine – ce que les cautions ne contestaient pas, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre, violant ainsi l'article L. 341-4 du code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
10. Il résulte de ce texte que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution s'apprécie au regard de l'ensemble de ses biens et revenus, à la date de la souscription.
11. Pour rejeter la demande en paiement de la banque, l'arrêt constate que les engagements de cautions s'élèvent à la somme de 307 200 euros et qu'une fiche patrimoniale du 20 décembre 2011, versée aux débats par la banque, mentionne un revenu annuel du ménage de 43 860 euros et des charges annuelles de 1 800 euros au titre d'un prêt personnel, que l'annexe relative au patrimoine immobilier, manifestement établie par celle-ci postérieurement, le 19 janvier 2012, fait état d'un patrimoine immobilier d'une valeur nette de 329 000 euros, qui se trouve être, en tout ou partie, la propriété de sociétés civiles immobilières et non des cautions.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les cautions ne détenaient pas les parts des sociétés civiles immobilières faisant partie de leur patrimoine, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne M. et Mme [Q] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [Q] et les condamne à payer à l'association Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour l'association coopérative Caisse de crédit mutuel Saint-Antoine
Il est fait grief à la décision infirmative attaquée d'avoir débouté la banque de sa demande principale en condamnation des cautions ;
aux motifs propres que « Aux termes de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-4, du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. En l'espèce, la cour observe, tout d'abord, qu'au vu des éléments versés aux débats par la banque elle-même, l'ampleur de l'engagement de caution des époux [Q] s'élève bien à 307 200 euros comme le soutient la banque, et non à 42 000 euros comme l'a retenu le premier juge et comme le font valoir les cautions. Par ailleurs, s'il appartient aux cautions de justifier, qu'au jour de sa conclusion, leur engagement était manifestement disproportionné à leurs biens et revenus, et s'il ne peut être exigé de la banque, en l'absence d'anomalie apparente dans les déclarations des cautions, qu'elle s'assure de la réalité de leurs revenus ou de leur patrimoine au moment de leur engagement, celle-ci est néanmoins tenue de vérifier, fût-ce sur une base déclarative, si la situation financière et patrimoniale des cautions au jour de leur engagement n'est pas manifestement disproportionnée au regard de ce dernier. Or en l'espèce, s'il est versé aux débats une fiche patrimoniale en date du 20 décembre 2011, mentionnant un revenu annuel du ménage de 43 860 euros, avec des charges annuelles de 1 800 euros au titre d'un prêt personnel, il est, par ailleurs, renvoyé, s'agissant des éléments de patrimoine immobilier, à une annexe dont la cour n'est pas en mesure de relever si elle est réellement produite, dans la mesure où est joint un document manifestement établi par la banque et non paraphé, portant une date ultérieure, à savoir le 19 janvier 2012. Au demeurant, ce document mentionne un patrimoine immobilier d'une valeur nette évaluée à 329 000 euros, mais qui se trouve être, en tout ou partie, la propriété de sociétés civiles immobilières, et non des époux [Q] personnellement. Au vu de ces éléments, la cour considère que, faute pour la banque de s'être assurée, au vu des éléments dont elle démontre disposer, que la situation financière et patrimoniale des cautions leur permettait, en l'absence de disproportion manifeste, de faire face à leur engagement, l'acte de cautionnement ne peut être valablement opposé par celle-ci aux époux [Q]. Et la banque, qui verse aux débats des éléments quant à la mesure d'exécution forcée qu'elle a intentée envers la SCI 2A et sa déclaration de créance au passif de cette société, n'apporte aucun élément quant à la situation financière des époux [Q] lors de l'appel de leur engagement, de sorte qu'elle ne démontre pas, qu'à ce moment, leur patrimoine lui permettait de faire face à leur obligation. En conséquence, et sans qu'il n'y ait lieu d'examiner le surplus des griefs formulés par les consorts [Q] envers la banque, il convient d'infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau, de débouter l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel SaintAntoine de ses demandes » ;
alors 1/ qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; qu'après avoir retenu que la banque devait vérifier si la situation financière et patrimoniale des cautions au jour de leur engagement n'était pas manifestement disproportionnée au regard de ce dernier, la cour d'appel a jugé que la banque ne s'était pas assurée que la situation des cautions leur permettait, en l'absence de disproportion manifeste, de faire face à leur engagement et en a déduit que l'acte de cautionnement ne pouvait être opposé aux époux [Q] ; qu'en statuant ainsi, par des motifs ne permettant pas de déterminer si elle a retenu ou non l'existence d'une disproportion manifeste des cautionnements des époux [Q] au moment de leur souscription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'espèce ;
alors 2/ que les juges du fond ne doivent rechercher si le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son engagement au moment où elle a été appelée que s'ils ont retenu que le cautionnement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus lors de sa souscription ; que pour débouter la banque de sa demande en paiement, la cour d'appel a relevé qu'il n'était pas établi que le patrimoine des époux [Q] leur permît de faire face à leur engagement une fois appelés ; qu'à supposer qu'elle n'ait pas entendu caractériser préalablement l'existence d'une disproportion manifeste des cautionnements lors de la leur souscription, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'espèce ;
alors 3/ qu'il incombe à la caution, qui invoque le caractère disproportionné de son engagement à ses biens et revenus lors de sa souscription, d'en rapporter la preuve ; que pour débouter la banque de sa demande en paiement et à supposer qu'elle ait entendu juger que les cautionnements étaient manifestement disproportionnés aux biens et revenus des cautions lors de leur conclusion, la cour d'appel s'est bornée à analyser la fiche patrimoniale et son annexe, toutes deux versées aux débats par la banque ; qu'en statuant ainsi, au seul vu de pièces produites par la partie sur laquelle ne reposait pas le fardeau de la preuve, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article L. 341-4 du code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'espèce, ensemble l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
alors 4/ qu'en toute hypothèse, la preuve de la consistance des biens et revenus de la caution lors de son engagement peut être rapportée par tous moyens, y compris par des documents émanant du demandeur à la preuve ; que le créancier n'est donc nullement tenu de verser aux débats un document établi et signé ou paraphé par la caution ; que pour débouter la banque de sa demande en paiement, les juges d'appel ont relevé que l'annexe à la fiche patrimoniale, faisant état du patrimoine immobilier des époux [Q], ne comportait aucun paraphe et avait été manifestement établie par la banque ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'espèce ;
alors 5/ qu'en relevant que l'annexe immobilière produite par la banque faisait état pour l'essentiel de biens qui seraient en tout ou partie la propriété de sociétés civiles immobilières, et non des cautions elles-mêmes, sans vérifier si ces dernières ne détenaient pas des parts sociales correspondantes faisant partie intégrante de leur patrimoine – ce que les cautions en contestaient pas, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre, violant ainsi l'article L. 341-4 du code de la consommation, en sa rédaction applicable à l'espèce.