LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 septembre 2021
Annulation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 924 F-D
Pourvoi n° A 20-15.674
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2021
Mme [B] [H], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-15.674 contre l'arrêt rendu le 6 mars 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 1), dans le litige l'opposant à la société Materne, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de Mme [H], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Materne, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 mars 2020), le 11 février 2019, Mme [H] a interjeté appel du jugement d'un conseil des prud'hommes rendu le 25 janvier 2019 l'opposant à la société Materne.
2. Cette dernière ayant constitué avocat le 1er mars 2019, l'appelante a adressé ses conclusions au greffe et à l'avocat de l'intimée, le 9 mai 2019.
3. Par ordonnance du 24 septembre 2019, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de l'appel de Mme [H] qui a déféré l'ordonnance à la cour d'appel. Par arrêt du 6 mars 2020, cette juridiction a confirmé la décision entreprise.
Sur le moyen relevé d'office
4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
5. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour
d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue à l'article 914 du code de procédure civile de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant, la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions sont réunies.
6. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626 publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d' appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
7. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel de Mme [H], l'arrêt retient, d'une part, que l'article 542 du code de procédure civile précise que l'appel tend, par la critique du jugement rendu, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel, d'autre part, que le fait que la déclaration d‘appel soit conforme aux prescriptions formelles, imposées à peine de nullité par l'article 901 du code de procédure civile, ne dispense pas l'appelant de remettre des conclusions qui déterminent l'objet du litige.
8. L'arrêt constate, ensuite, que le dispositif qui, aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, récapitule les prétentions ne comporte aucune demande d'annulation, de réformation, d'infirmation totale ou partielle ou de confirmation partielle du jugement rendu en premier ressort et ajoute, enfin, que les mentions portées dans la discussion des prétentions et des moyens ne sauraient suppléer l'absence d'une partie des prétentions dans le dispositif devant les récapituler.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 11 février 2019, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure, instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l'instance en cours, aboutissant à priver Mme [H] d'un procès équitable au sens de l'article 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Materne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour Mme [H]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du juge de la mise en état constatant la caducité de l'appel de Mme [H] ;
AUX MOTIFS QU'au vu des pièces de la procédure, la déclaration d'appel de Mme [H] énonce, conformément aux dispositions de l'article 901 du code de procédure civile, les chefs du jugement critiqués ; que, cependant, pour que des écritures puissent être considérées comme des conclusions valablement adressées à la cour d'appel au sens de l'article 908 du code de procédure civile, encore faut-il qu'elles contiennent certains éléments essentiels qui déterminent l'objet du litige porté devant la cour d'appel ; que le fait que la déclaration d'appel soit conforme aux prescriptions formelles imposées à peine de nullité de l'article 901 du code de procédure civile ne dispense pas l'appelant de remettre des conclusions qui déterminent l'objet du litige ; que conformément à l'alinéa 1er de l'article 4 du code de procédure civile, "l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties" ; qu'au stade de l'appel, ces prétentions ne sont pas fixées par la déclaration d'appel mais précisément par les conclusions de l'appelant conformes à l'article 908 du code de procédure civile ; qu'en application de l'article 913 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état peut enjoindre aux avocats de mettre leurs conclusions en conformité avec les dispositions des articles 954 et 961 du code de procédure civile ; qu'il s'agit dans ce cas de faire respecter la présentation formelle des conclusions telle qu'elle est prescrite par ces articles ; qu'il ne s'agit pas pour le conseiller de la mise en état de se substituer aux avocats des parties en ce qui concerne la détermination des éléments essentiels de fond et, en particulier, de l'objet du litige ;qu'à cet égard, l'article 542 du code de procédure civile précise que l'appel tend, par la critique du jugement rendu, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel ; que par ailleurs l'article 910-1 1er alinéa du code de procédure civile dispose que "les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l'objet du litige" ; qu'enfin, aux termes de l'article 910-4 alinéa 1er du code de procédure civile : "A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. " ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que des écritures ont bien été remises par RPVA le 9 mai 2019 au greffe de la cour et notifiées aux conseils de la partie intimée par le conseil de la partie appelante, dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel ; que cependant, le "dispositif", qui, aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, récapitule les prétentions, ne comporte aucune demande d'annulation, de réformation, d'infirmation totale ou partielle ou de confirmation partielle du jugement rendu en première instance ; qu'il est en effet rédigé comme suit : "Il est respectueusement demandé à la cour de: / - dire et juger le licenciement de Mme [B] [H] dépourvu de cause réelle et sérieuse, / - dire et juger fondées les demandes formulées par Mme [H], / Y faisant droit / - condamner la société Materne au paiement à son profit des sommes suivantes : / - dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 638,33 euros nets / - dommages et intérêts pour licenciement irrégulier : 10 638,33 euros nets / - rappel d'heures supplémentaires : 32 279,52 euros bruts / - congés payés afférents : 3 227,95 euros bruts / - repos compensateur obligatoire : 8 421,58 euros bruts / - préjudice de carrière et perte de revenus : 60 000 euros nets / - article 700 du code de procédure civile : 5 000 euros" ; qu'ainsi, au-delà de la simple omission de la mention d'une infirmation totale ou partielle ou annulation du jugement, le dispositif des conclusions n'indique pas en quoi il critique le jugement ; qu'en particulier, il est demandé à la cour de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société Materne au paiement à son profit de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 10 638,33 euros nets ; que le conseil de prud'hommes a précisément déjà condamné la société Materne au paiement de cette somme en première instance ; que la requérante fait valoir encore que dans le corps de ses écritures elle demande à plusieurs reprises que la cour infirme le jugement et fasse droit à ses demandes indemnitaires ; que toutefois les mentions portées dans la discussion des prétentions et des moyens ne sauraient suppléer l'absence d'une partie de ces prétentions dans le dispositif devant les récapituler ; qu'au demeurant la discussion comprise dans les conclusions d'appelant du 9 mai 2019 renferme la même incertitude quant à l'objet du litige en cause d'appel dès lors qu'en page 21 l'appelant demande à la cour de juger dépourvu de toute cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé à son encontre le 6 novembre 2017 et de condamner la société Materne au paiement d'une somme de 10 638,33 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, prétention auxquelles il a déjà été faire droit en première instance ; qu'il s'ensuit que ces écritures ne déterminent pas l'objet porté devant la cour d'appel ; qu'il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de la déclaration d'appel ;
1°- ALORS QUE l'appel défère à la cour la connaissance des chefs du jugement de première instance expressément critiqués dans la déclaration d'appel, dans le cadre des moyens et prétentions exposés dans les conclusions des parties ; qu'en se fondant, pour confirmer la caducité de l'appel de Mme [H], sur la circonstance que le dispositif des conclusions déposées au soutien de sa déclaration d'appel n'indiquait pas en quoi celle-ci critiquait le jugement après avoir constaté elle-même que, d'une part, la déclaration d'appel indiquait expressément les chefs du jugement frappés d'appel et, d'autre part, les conclusions exposaient les moyens et prétentions de l'exposante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles 4, 901, 908 et 954 du code de procédure civile ;
2°- ALORS QUE Mme [H] réclamait des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 10 638,33 euros quand le jugement lui avait alloué 10 416 euros à ce titre ; qu'elle réclamait encore les sommes de somme de 10 638,33 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure irrégulière 60 000 euros pour préjudice de carrière et de perte de revenus et 30 279,52 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, toutes prétentions dont elle avait été déboutée en première instance ; qu'en affirmant que de telles conclusions ne tendaient pas à l'infirmation du jugement, la cour d'appel les a dénaturées en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
3°- ALORS QU'en toute hypothèse, les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en retenant que la caducité de la déclaration d'appel, elle-même régulière dès lors qu'elle visait explicitement les chefs du jugement critiqués, découlait de la seule absence de reprise expresse de cette demande d'infirmation partielle dans le dispositif des conclusions déposées pour compléter la déclaration, la cour d'appel, procédant à une application excessivement formaliste des articles 908 et 954 du code de procédure civile, a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, au point de l'atteindre dans sa substance même, et a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.