LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 septembre 2021
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 840 F-D
Pourvoi n° H 20-10.712
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 SEPTEMBRE 2021
Mme [X] [Y], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 20-10.712 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la cour d'appel d'Agen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [D], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Hérault, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [Y], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [D] et de la société MAAF assurances, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 14 novembre 2019), dans la nuit du 4 au 5 août 2011, Mme [Y] a été victime d'un accident de la circulation alors qu'elle était passagère d'un véhicule conduit par M. [D], assuré auprès de la société MAAF assurances (la MAAF).
2. Les 29 janvier, 5 et 13 février 2015, Mme [Y] a assigné la MAAF et M. [D], en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault, en réparation de son préjudice corporel.
Examen du moyen
3. Mme [Y] fait grief à l'arrêt de condamner in solidum M. [D] et la MAAF à lui payer une rente viagère annuelle indexée selon la loi du 5 juillet 1985 d'un montant initial de 17 280 euros payable par trimestre au montant actuel de 4 320 euros à compter du 1er juin 2016 au titre des pertes de gains professionnels futurs, alors « qu'en l'absence de revenus professionnels antérieurs à l'accident d'une jeune victime, il y a lieu d'indemniser au titre de la perte de gains professionnels futurs, la perte des revenus qu'une activité professionnelle lui aurait procurés et de la pension de retraite consécutive en procédant à l'évaluation de ces revenus compte tenu de la profession qui aurait pu être exercée eu égard aux études qui ont été interrompues par le fait dommageable ; qu'en retenant que le préjudice subi par la victime ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels était constitué par la perte d'une chance impliquant la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable, mais non un caractère certain, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
4. La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
5. S'il est certain que Mme [Y] se trouve, en raison de l'accident, privée de toute possibilité d'exercer une activité professionnelle, ce préjudice, en ce qu'il repose sur une analyse probabiliste de ce qu'aurait pu être la vie professionnelle de la victime et son évolution en l'absence du fait dommageable, consiste en la perte d'une chance dont l'appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.
6. C'est ainsi, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, ayant relevé qu'à la date du dommage Mme [Y], qui était étudiante, ne percevait aucun revenu, a pu estimer, au titre du préjudice de perte de gains professionnels futurs, qu'il résultait du niveau scolaire de la victime, entrant à l'âge de 20 ans en deuxième année d'études supérieures, un préjudice indemnisable à hauteur de 60 % de chances d'accéder à un emploi rémunéré au niveau du salaire revendiqué dans la profession de psychologue clinicienne, à laquelle ses études la préparaient.
7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [Y] et la condamne à payer à M. [D] et à la société MAAF assurances la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme [Y]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum [R] [D] et la société Maaf Assurances à payer à [X] [Y] une rente viagère annuelle indexée selon la loi du 5 juillet 1985 d'un montant initial de 17 280 euros payable par trimestre au montant actuel de 4 320 euros à compter du 1er juin 2016 au titre des pertes de gains professionnels futurs ;
AUX MOTIFS QUE, sur les pertes de gains professionnels futurs, les appelants offrent une indemnisation sur le fondement d'une perte de chance de 40 % et un risque d'instabilité de carrière de 10 % et offrent une rente annuelle indexée de 17 280 euros à compter du 1er juin 2016, date de l'entrée théorique sur le marché du travail ; que l'intimée demande une indemnisation sur la base d'un revenu mensuel de 2 400 euros nets s'agissant d'un préjudice certain et non hypothétique, ne relevant pas de la perte de chance, et demande également la capitalisation ; qu'il est possible d'allouer des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice qui, bien que futur comme étant la prolongation certaine et directe d'un état de choses actuel, est susceptible d'estimation immédiate ; que, concernant la victime ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels, il convient de prendre en compte pour l'avenir la privation de ressources professionnelles engendrée par le dommage en se référant à une indemnisation par estimation ; qu'il s'agit alors de la perte d'une chance impliquant la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable, mais non un caractère certain ; que le niveau scolaire de la victime, entrant à l'âge de 20 ans en deuxième année d'études supérieures, démontre une possibilité de succès dans la carrière professionnelle indemnisable à hauteur de 60 % de chances d'accéder à un emploi rémunéré au niveau du salaire revendiqué dans la profession de psychologue clinicienne, soit une indemnisation de 17 280 euros annuels à compter du mois de juin de l'année 2016 date théorique de la fin des études ; que l'indemnisation en capital est demandée dans l'intérêt de pouvoir contracter des crédits à la consommation ou faire d'autres dépenses sans avoir à justifier d'un revenu régulier et pour garantir la victime contre la trop faible revalorisation des rentes par rapport à celle du salaire minimum ; que ces motivations sont inopérantes s'agissant des arrérages qui joueront le rôle d'un revenu encore plus sûr que celui d'un salaire comme s'agissant des placements qui ne rapportent actuellement qu'un intérêt inférieur à celui de l'inflation sauf les investissements dits « à risque » qui ne conviennent pas à la situation d'une victime aussi dépendante des suites de son accident ; que la demande de capitalisation sera rejetée au bénéfice d'une rente de 4 320 euros par trimestre ; que le jugement sera infirmé sur ce poste ;
ALORS QU'en l'absence de revenus professionnels antérieurs à l'accident d'une jeune victime, il y a lieu d'indemniser au titre de la perte de gains professionnels futurs, la perte des revenus qu'une activité professionnelle lui aurait procurés et de la pension de retraite consécutive en procédant à l'évaluation de ces revenus compte tenu de la profession qui aurait pu être exercée eu égard aux études qui ont été interrompues par le fait dommageable ; qu'en retenant que le préjudice subi par la victime ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels était constitué par la perte d'une chance impliquant la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable, mais non un caractère certain, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.