LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 septembre 2021
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 981 FS-B
Pourvoi n° G 19-25.613
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 SEPTEMBRE 2021
La société [G], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de son liquidateur amiable M. [B] [G], a formé le pourvoi n° G 19-25.613 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2019 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [C] [F], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la société [G], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [F], et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 juin 2021 où étaient présents M. Cathala, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 15 octobre 2019), M. [F], engagé le 5 septembre 1994 par la société [G] (la société), a été victime d'un accident du travail le 10 décembre 2015 puis placé en arrêt de travail.
2. Le 3 mars 2017, il a été décidé de la liquidation amiable de la société à la suite de la cessation d'activité de celle-ci compte tenu du départ en retraite de son dirigeant et de l'absence de repreneur. M. [G] a été désigné en qualité de liquidateur amiable.
3. A l'issue d'une visite de reprise du 24 mars 2017, le salarié a été déclaré inapte à son poste ; il a été licencié pour motif économique le 25 mars 2017.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse et une somme au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, alors « que l'employeur peut licencier, pour motif économique, le salarié déclaré inapte à reprendre son précédent emploi par le médecin du travail, en cas de cessation définitive d'activité et d'impossibilité de reclassement ; qu'en l'espèce, M. [F] a été licencié pour motif économique, pour cessation définitive d'activité entraînant la suppression de son emploi et l'impossibilité de le reclasser ; qu'en considérant pourtant "qu'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude de M. [C] [F] le 24 mars 2017, la Sas [G] ne pouvait plus le licencier le 25 mars 2017 pour motif économique et se devait d'appliquer la législation d'ordre public relative au licenciement pour inaptitude prévu aux articles L. 1226-10 et suivants du code du travail", pour en déduire que le licenciement du salarié, en tant qu'il est fondé sur un motif économique, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1226-12 du code du travail ».
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la critique est irrecevable, comme étant incompatible avec la thèse que l'employeur avait soutenue devant la cour d'appel.
6. Cependant, le moyen n'est pas incompatible avec la thèse soutenue par l'employeur devant la cour d'appel lequel avait fait valoir que lorsque l'entreprise cesse totalement son activité et n'appartient à aucun groupe, le liquidateur peut poursuivre la procédure de licenciement pour motif économique.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 1233-3 et L. 1226-10, alinéa 1er, du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause :
8. Aux termes du premier de ces textes, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à la cessation d'activité de l'entreprise.
9. Selon le second de ces textes, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
10. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et allouer au salarié des sommes au titre de la rupture, l'arrêt, après avoir constaté que la cessation de l'activité de l'entreprise du fait du départ à la retraite de son dirigeant et de l'absence de repreneur était réelle, retient qu'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude le 24 mars 2017, l'employeur ne pouvait plus licencier le salarié le 25 mars 2017 pour motif économique et devait appliquer la législation d'ordre public relative au licenciement pour inaptitude prévue aux articles L. 1226-10 et suivants du code du travail. L'arrêt en déduit que le licenciement du salarié en tant qu'il est fondé sur un motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le motif économique du licenciement, non remis en cause par le salarié, ressortissait à la cessation définitive de l'activité de la société et qu'il n'était pas prétendu que la société appartenait à un groupe, ce dont se déduisait l'impossibilité de reclassement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée emporte la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt relatif à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamne la société [G], prise en la personne de son liquidateur amiable, M. [G], à payer à M. [F] les sommes de 22 536 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 26 633,22 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, condamne la société [G], prise en la personne de son liquidateur amiable, M. [G], aux dépens d'appel et à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre, l'arrêt rendu le 15 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne M. [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Farthouat-Danon conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour la société [G]
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société [G], prise en la personne de son liquidateur amiable, M. [B] [G], à payer à M. [C] [F] les sommes de 22 536 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse et 26 633,22 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;
AUX MOTIFS QU' il résulte des éléments versés aux débats que M. [B] [G], président de la SAS [G] a décidé de faire valoir ses droits à la retraite à effet du 31 mars 2017 ; qu'à défaut de trouver un repreneur pour son activité, il a procédé le 3 mars 2017 à la liquidation amiable de la SAS et a initié à l'égard des salariés de l'entreprise, dont M. [C] [F] une procédure de licenciement pour motif économique ; qu'il est constant que M. [C] [F], salarié de la SAS [G] depuis le 5 septembre 1994, a été victime d'un accident du travail le 10 décembre 2015, admis le 23 décembre 2015 par la CPAM au titre de la législation professionnelle ; qu'il est établi que depuis cette date, il était en arrêt de travail, le dernier arrêt étant prescrit jusqu'au 2 avril 2017 ; qu'au cours de la suspension du contrat de travail, M. [C] [F] a été convoqué par courrier du 7 mars 2017, remis en main propre le 9 mars 2017, à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique ; Attendu que (selon) l'article L. 1226-9 du code du travail, « au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie" ; que la cessation d'activité de l'entreprise, dès lors qu'elle est réelle, rend impossible la poursuite du contrat de travail du salarié dont le contrat est suspendu à la suite d'un accident du travail (Cass. Soc. 15 mars 2005 n° de pourvoi 03-43038) ; qu'il échet de constater que tel est le cas en l'espèce ; Attendu que par courrier du 22 mars 2017 M. [C] [F] a fait savoir qu'il envisageait de reprendre son travail le vendredi 24 mars 2017 à 8 heures sous réserve de la visite de reprise organisée le même jour à 16 heures ; qu'il a produit à l'appui de sa correspondance un certificat de son médecin traitant en date 22 mars 2017 prescrivant une reprise du travail à temps complet le 24 mars 2017 ; Attendu que conscient de la difficulté résultant d'une reprise du travail avant la visite de reprise, l'employeur a sollicité, par courriel du 23 mars 2017, l'avis de la fédération du BTP du Doubs, laquelle lui a répondu que si "rien ne semble interdire de faire travailler le salarié dans l'attente de visite de reprise, cela peut présenter un risque" ; Attendu qu'il est avéré que préalablement à la visite de reprise le médecin du travail s'est déplacé le 24 mars 2017 dans l'entreprise pour connaître des conditions de travail du salarié ; que la SAS [G] est bien fondée à soutenir que cette étude de poste ayant eu lieu avant la visite médicale, elle ne pouvait pas être informée de l'inaptitude du salarié ; Attendu que la visite de reprise a été réalisée le 24 mars à 16 heures ; qu'aux termes de cette visite le médecin du travail a conclu en ces termes : " Inapte au poste, apte à un autre poste ne nécessitant pas d'élévation du bras gauche ni de manutention lourde. Aucune proposition de reclassement au sein de l'entreprise ne sera faite compte tenu de l'étude des conditions de travail de ce jour" ; Attendu que le lendemain, le 25 mars 2017 la SAS [G] a notifié au salarié son licenciement pour motif économique; que celui-ci conteste le caractère réel et sérieux de son licenciement, soutenant que son ancien employeur ne pouvait plus le licencier pour motif économique dès lors qu'il avait eu connaissance de l'avis d'inaptitude ; que la SAS [G] conteste pour sa part avoir été informée de l'avis d'inaptitude avant le 28 mars 2017, date à laquelle elle l'a reçu du courrier ; Attendu que M. [C] [F] verse à son dossier l'attestation établie par l'ancienne secrétaire de l'entreprise laquelle confirme la venue dans l'entreprise du médecin du travail le 24 mars 2017 à 14 heures et laquelle précise en outre : "M. [F] est venu après son rendez-vous à la médecine du travail, le jour même, pour rendre compte de son inaptitude à M. [G]" ; Attendu que la SAS [G] remet en cause la valeur probante de cette attestation au motif que sa rédactrice aurait antérieurement fourni à M. [C] [F] des documents dont elle avait eu connaissance de par son activité professionnelle, et ce, alors qu'ils étaient confidentiels ; que si ce comportement peut apparaître critiquable et trahit de la part de l'attestante un parti pris dans le litige opposant M. [F] à son employeur, il ne doit pas pour autant conduire à considérer que son témoignage écrit comporte nécessairement des allégations mensongères ; Attendu que la SAS [G] soutient également que M. [F], ayant envoyé par courrier l'avis d'inaptitude, il n'avait aucune raison de se déplacer pour en informer de vive voix son employeur ; que cet argument ne saurait être jugé pertinent au regard de la chronologie des faits; qu'il est en effet manifeste que pour faire échec à son licenciement économique le salarié a devancé la date de reprise - le dernier arrêt de travail courrait jusqu'au 2 avril 2017- et s'est ensuite empressé dès le 24 mars 2017 d'informer la SAS [G] de la déclaration d'inaptitude; qu'il s'ensuit qu'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude de M. [C] [F] le 24 mars 2017, la SAS [G] ne pouvait plus le licencier le 25 mars 2017 pour motif économique et se devait d'appliquer la législation d'ordre public relative au licenciement pour inaptitude prévu aux articles L.1226-10 et suivants du code du travail; qu'il échet d'en conclure que le licenciement de M. [F] en tant qu'il est fondé sur un motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; Attendu qu'il y a lieu d'ajouter que la signature par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle puis sa décision de rétractation n'ont aucune incidence sur la solution du litige dès lors que l'adhésion au CSP n'interdit pas audit salarié de contester le caractère réel et sérieux de son licenciement ; qu'il est également totalement indifférent pour l'issue du présent contentieux que M. [F] se soit livré à des travaux de bricolage durant ses arrêts de travail (arrêt p. 3 et 4) ;
ALORS QUE l'employeur peut licencier, pour motif économique, le salarié déclaré inapte à reprendre son précédent emploi par le médecin du travail, en cas de cessation définitive d'activité et d'impossibilité de reclassement ; qu'en l'espèce, M. [C] [F] a été licencié pour motif économique, pour cessation définitive d'activité entraînant la suppression de son emploi et l'impossibilité de le reclasser ; qu'en considérant pourtant « qu'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude de M. [C] [F] le 24 mars 2017, la Sas [G] ne pouvait plus le licencier le 25 mars 2017 pour motif économique et se devait d'appliquer la législation d'ordre public relative au licenciement pour inaptitude prévu aux articles L.1226-10 et suivants du code du travail », pour en déduire que le licenciement du salarié, en tant qu'il est fondé sur un motif économique, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1226-12 du code du travail.