LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 septembre 2021
Cassation
M. CHAUVIN, président,
Arrêt n° 619 F-D
Pourvoi n° U 20-12.310
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 SEPTEMBRE 2021
La société Est Var immobilier (EVIM), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 20-12.310 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-2), dans le litige l'opposant à la société Marseillaise de crédit, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Est Var immobilier, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Marseillaise de crédit, après débats en l'audience publique du 15 juin 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 décembre 2019), à l'occasion de la construction d'un ensemble immobilier, la société Est Var Immobilier (ci-après Evim), dont le dirigeant est M. [N], a conclu une convention de gestion avec la société civile immobilière Mangin III, maître d'ouvrage, dont il est également le dirigeant.
2. Des pourparlers se sont engagés entre M. [N] et la société Marseillaise de crédit, intéressée par la prise à bail commercial d'un local au rez-de-chaussée de cet ensemble immobilier.
3. La société Marseillaise de crédit a assigné la société Evim devant le tribunal de commerce en responsabilité pour rupture abusive des pourparlers et en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La société Evim fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité à l'égard de la société Marseillaise de crédit pour rupture abusive de pourparlers et de la condamner au paiement de dommages-intérêts, alors « qu'en s'abstenant de répondre au moyen par lequel la société Evim a rappelé qu'elle était nécessairement étrangère aux négociations afférentes à la conclusion d'un bail commercial auquel elle ne pouvait consentir, à défaut d'être propriétaire des locaux que la société Marseillaise de crédit entendait louer, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Vu l'article 455 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
7. Pour retenir la responsabilité de la société Evim, l'arrêt énonce, par motifs propres, que M. [N], qui est le dirigeant à la fois des sociétés la SCI Mangin III, propriétaire des locaux, et de la société Evim, bénéficiaire de la convention de gestion consentie par la SCI Mangin III lors de la construction de l'ensemble immobilier, a été le seul interlocuteur de la SMC, en qualité de président de la société Evim, comme cela résulte de ses courriels, et, par motifs adoptés, que, lorsque la société Marseillaise de crédit a adressé sa lettre d'intention à M. [N], à l'adresse mail dont il disposait chez la société Evim, soit [Courriel 1], celui-ci n'a pas fait état d'un problème de destinataire et a répondu depuis la même adresse pour donner son accord de principe, qu'il en résulte que M. [N] s'est positionné de fait comme l'interlocuteur légitime de la société Marseillaise de crédit lors des négociations et qu'il a maintenu cette position et celle de la société Evim,de façon constante, dans toutes ses correspondances.
8. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Evim qui soutenait qu'elle était nécessairement étrangère aux négociations afférentes à la conclusion d'un bail commercial auquel elle ne pouvait consentir, à défaut d'être propriétaire des locaux que la société Marseillaise de crédit entendait louer, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 05 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Marseillaise de crédit aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Marseillaise de crédit et la condamne à payer à la société Est Var immobilier la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Est Var immobilier
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le premier moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait retenu la responsabilité de la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M à l'égard de la société MARSEILLAISE DE CREDIT, D'AVOIR écarté la demande de la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. tendant à sa mise hors de cause, et D'AVOIR condamné la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. à payer à la société MARSEILLAISE DE CREDIT, des dommages et intérêts d'un montant de 17.800 € pour rupture abusive des pourparlers ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'en l'espèce, il ne peut être contesté que les pourparlers ont débuté début 2015 entre M. [N] et la SMC et se sont interrompues le 17 décembre 2015 par le courrier de M. [N], que M. [N] qui est le dirigeant à la fois des sociétés la SCI MANGIN III propriétaire des locaux devenue la SCI COEUR DE VILLE BANQUE devenue propriétaire d'une partie des locaux le 18 mars 2016 après la fin des pourparlers, et de la société EVIM, bénéficiaire de la convention de gestion consentie par la SCI MANGIN III dans le cadre de la construction de l'ensemble immobilier, a été le seul interlocuteur de la SMC, es qualité de président de la société EVIM comme cela résulte de ses courriels ; que la mise hors de cause de la société EVIM sera donc rejetée et le jugement entrepris confirmé de ce chef ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE la société EVIM indique qu'elle est simplement intervenue en qualité d'Assistant à Maîtrise d'Ouvrage, en qualité de conseil donc et non en qualité de Maître d'ouvrage; qu'elle fait valoir que c'est la SCI COEUR DE VILLE BANQUE qui est la propriétaire d'une partie des locaux que la SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT voulait louer et qu'elle ne peut être tenue pour responsable de l'absence de signature de ce bail ; qu'il ressort de l'examen des pièces versées aux débats que Monsieur [G] [N], dirigeant de la société EVIM, est resté l'interlocuteur de la SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT, tout au long des négociations ; qu'en outre, lorsque la SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT, le 6 Février 2015, transmet sa lettre d'intention à Monsieur [N] sur son adresse email chez la société EVIM, à savoir : [Courriel 1], celui-ci ne fait pas état d'un problème de destinataire ; qu'il répond par ailleurs depuis la même adresse "EVIM", dès le 12 février 2015 pour donner son accord de principe ; qu'il apparaît des extraits d'immatriculation des trois sociétés concernées que Monsieur [G] [N] est le gérant des SCI MANGIN III et COEUR DE VILLE BANQUE, propriétaires des locaux et donc maîtres d'ouvrages et qu'il est président de la société EVIM ; que ses statuts de gérant et de Président lui garantissent par ailleurs, l'autorité et la légitimité pour engager ces sociétés ; qu'en tout état de cause, il résulte de ce qui précède que Monsieur [G] [N] s'est positionné de fait comme l'interlocuteur légitime de la SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT lors des négociations et qu'il a entretenu cette position et celle de la société EVIM, sans corriger auprès de son interlocuteur, la qualité du destinataire et son pouvoir éventuel et ce de façon constante, dans toutes ses correspondances ; qu'il n'y a donc pas lieu de mettre hors de cause la société EVIM, celle-ci ayant mené les pourparlers avec la société SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT par l'intermédiaire de son président, Monsieur [G] [N] ;
1. ALORS QU'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause ; qu'aucun des courriels échangés entre la société MARSEILLAISE DE CREDIT et M. [G] [N], les 6 février, 12 février, 13 février, 10 septembre et 30 septembre 2015, sur l'adresse [Courriel 1], en vue de la conclusion d'un bail commercial ne mentionne que ce dernier agissait au nom de la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. dont il était le représentant légal plutôt que de la SCI COEUR DE VILLE BANQUE ou de la SCI MANGIN III dont il est également le représentant légal ; qu'en affirmant que M. [G] [N] « a été le seul interlocuteur de la SMC, ès qualité de président de la société EVIM comme cela résulte de ses courriels », la cour d'appel a dénaturé les courriels précités, en violation du principe précité ;
2. ALORS QU'une société répond des fautes de ses représentants légaux à la condition qu'elles aient été commises dans l'exercice de leurs fonctions ;
qu'en affirmant que M. [G] [N] « est resté l'interlocuteur de la SOCIETE MARSEILLAISE DE CREDIT, tout au long des négociations », que la société MARSEILLAISE DE CREDIT lui a adressé sa lettre d'intention sur son adresse email chez la société EVIM, soit [Courriel 1], sans qu'il mentionne un problème de destinataire, et qu'il a entretenu cette position et celle de la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M., sans corriger auprès de son interlocuteur, la qualité du destinataire et son pouvoir éventuel et ce de façon constante, dans toutes ses correspondances, sans expliquer en quoi M. [G] [N] avait agi au nom de la société EVIM dans l'exercice de ses fonctions de représentant légal plutôt que de la SCI COEUR DE VILLE BANQUE ou de la SCI MANGIN III dont il est également le représentant légal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
3. ALORS QU'en s'abstenant de répondre au moyen par lequel la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. a rappelé qu'elle était nécessairement étrangère aux négociations afférentes à la conclusion d'un bail commercial auquel elle ne pouvait consentir, à défaut d'être propriétaire des locaux que la société MARSEILLAISE DE CREDIT entendait louer (conclusions, p. 5 et 6), la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le second moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait retenu la responsabilité de la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. à l'égard de la société MARSEILLAISE DE CREDIT, D'AVOIR écarté la demande de la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. tendant à sa mise hors de cause, et D'AVOIR condamné la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. à payer à la société MARSEILLAISE DE CREDIT, des dommages et intérêts d'un montant de 17.800 € pour rupture abusive des pourparlers ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il ne peut être contesté que des pourparlers ont eu lieu entre M. [N] représentant de la société EVIM et la banque SMC représentée par Mme [R], ces pourparlers ayant débuté le 6 février 2015 par le courriel de la SMC faisant part à M. [N] de son intérêt pour le local ; que M. [N] a donné son accord de principe pour la signature du bail sous réserve de la réception d'une offre formelle (courriel du 12 février 2015), qu'une lettre d'intention était envoyée par la SMC le 13 février 2015 et un projet de contrat de bail le même jour, que M. [N] n'a plus répondu aux demandes de la SMC par la suite malgré les relances de cette dernière en septembre, en novembre et en décembre par courriers d'avocat ; que par courrier recommandé avec AR en date du 17 décembre 2015, M. [N] répondait "(?) Il doit y avoir un malentendu car dans ma situation je suis actuellement dans l'impossibilité de vous louer des locaux sur la zone.(...) Dans l'attente vous voudrez bien arrêter de me harceler.", que la société EVIM ne justifie pas de l'impossibilité de signer le bail qui serait la conséquence du refus de Mme [V] de louer la partie des locaux qui lui appartient d'autant plus qu'un bail a été signé avec une autre banque ( la CIC) peu après et ne démontre pas avoir informé la SMC de cette difficulté éventuelle ; que ce motif n'est donc pas légitime ; qu'en outre, ce défaut d'information constitue un manquement à son obligation de loyauté et de bonne foi de la part de la société EVIM ;qu'après des mois de pourparlers et l'accord de principe de M. [N], la SMC a pu légitimement croire que le contrat serait formalisé ; qu'en conséquence, la société EVIM a rompu de manière abusive les pourparlers et a commis une faute qui a causé un préjudice à la société SMC ; que cette réparation ne peut se traduire que par l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; que le préjudice peut consister dans les pertes effectivement subies par la victime de la rupture, soit les frais engagés inutilement au cours de la négociation ; qu'il peut être retenu en l'espèce, les honoraires d'architecte engagés par la SMC afin de formaliser le bail, soit le montant de 7 800 euros TTC réglée le 24/11/2015 ( facture produite) ; que le montant de 20 000 euros au titre du temps passé par les collaborateurs de la SMC ne peut être retenu en tant que tel, ces collaborateurs étant des employés de la banque mais qu'il sera réduit au montant de 10 000 euros représentant le temps que les employés n'ont pas passé à d'autre tâches ; que le préjudice moral sera rejeté faute de caractérisation par la banque de ce préjudice ou des perturbations qu'elle invoque ou de justificatifs d'une atteinte à l'image ou à la réputation de la banque en raison de la rupture, qu'en conséquence, le jugement entrepris confirmé sur le principe de la responsabilité de la société EVIM dans la rupture des pourparlers sera réformé sur le montant des préjudices qui sera réduit au montant de 17 800 euros auquel la société EVIM est condamnée à payer à la SMC ;
1. ALORS QU'engage sa responsabilité celui qui rompt sans raison légitime, brutalement et unilatéralement, les pourparlers avancés qu'il entretenait avec son partenaire ; que la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. a soutenu que les négociations afférentes à la conclusion d'un bail commercial ont achoppé sur cette difficulté que son assiette était constituée pour partie de locaux appartenant à M. [V] qui n'entendait pas consentir à cette opération, que par un courriel du 30 septembre 2015, la société MARSEILLAISE DE CREDIT a alors reconnu que M. [G] [N] l'avait informée qu'il était en conflit avec M. [V] et qu'il rencontrait donc des difficultés pour mettre à sa disposition le local qu'elle souhaitait occuper, et que la société MARSEILLAISE DE CREDIT avait donc proposé de prendre à bail un local d'une superficie inférieure et d'augmenter le montant du droit d'entrée à la somme de 190.000 € ; qu'en considérant que la société EST VAR IMMOBILIER E.V.I.M. ne justifierait pas de l'impossibilité de signer le bail qui serait la conséquence du refus de M. [V] de louer la partie des locaux lui appartenant, sans s'expliquer sur les termes du courriel du 30 septembre 2015 par lequel la société MARSEILLAISE DE CREDIT avait formulé une contre-proposition, en conséquence du refus de M. [V] de louer la partie du local lui appartenant, et avait ainsi proposé de renoncer à l'extension du local et d'augmenter le montant du droit d'entrée à 190.000 €, ni rechercher si de telles difficultés n'excluaient pas que la société MARSEILLAISE DE CREDIT ait pu croire légitimement en la conclusion du bail commercial après quelques mois de pourparlers seulement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
2. ALORS QU'il appartient à celui qui se prévaut d'une faute dans la rupture des pourparlers, de rapporter la preuve que son partenaire a rompu sans raison légitime, brutalement et unilatéralement, les pourparlers avancés qu'il entretenait ; qu'en imposant à la société EVIM, la charge de rapporter la preuve que la rupture des pourparlers était justifiée par un motif légitime, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles 1315 et 1382 du code civil dans leur rédaction applicable en l'espèce.