LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 septembre 2021
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 946 F-D
Pourvoi n° H 20-16.830
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 mars 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
M. [V] [W], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 20-16.830 contre l'arrêt rendu le 13 février 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à l'association Organisme de gestion des établissements catholiques de Sainte Elisabeth, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lecaplain-Morel, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [W], de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de l'association Organisme de gestion des établissements catholiques de Sainte Elisabeth, après débats en l'audience publique du 2 juin 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lecaplain-Morel, conseiller rapporteur, M. Flores, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 février 2019), à compter du 18 janvier 2014, M. [W] a été engagé par l'association Organisme de gestion des établissements catholiques de Sainte Elisabeth en qualité de surveillant.
2. Le 1er juin 2016, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, en résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et en paiement d'un rappel de salaire.
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de travail le liant à l'employeur en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel et de condamner ce dernier à ne lui verser que la somme de 101,62 euros à titre de rappel de salaires, outre 10,16 euros au titre des congés payés afférents, alors « que l'absence d'écrit mentionnant la durée hebdomadaire, ou le cas échéant mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, fait présumer que l'emploi est à temps complet, et que l'employeur qui conteste cette présomption peut rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, de ce que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ; que pour débouter le salarié de sa demande en requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, la cour d'appel a retenu qu'au regard de la régularité de la répartition du temps de travail du salarié et du caractère minime des variations qui ont pu survenir, il était démontré qu'il était informé de la répartition des horaires à la semaine ou au mois ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si l'employeur justifiait de la durée exacte du travail convenue, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 3123-14 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3123-14 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :
5. Selon ce texte, le contrat écrit du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Il en résulte que l'absence d'écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et qu'il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.
6. Pour débouter le salarié de sa demande en requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, l'arrêt retient, à l'examen des tableaux de surveillance renseignés et signés par le salarié et de ses bulletins de paie, qu'au regard de la régularité de la répartition du temps de travail du salarié et du caractère minime des variations qui ont pu survenir, il est démontré que ce dernier était informé de la répartition des horaires à la semaine ou au mois, et qu'il n'était ni placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler, ni tenu de se tenir constamment à la disposition de son employeur et que ce dernier rapporte donc la preuve d'une relation de travail à temps partiel.
7. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le contrat de travail n'avait pas été établi par écrit, la cour d'appel, qui ne pouvait écarter la présomption de travail à temps complet qui en résultait sans rechercher si l'employeur justifiait de la durée de travail exacte convenue, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le deuxième moyen
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de fixer au 21 octobre 2015 la date à laquelle la résiliation judiciaire aura les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur ; qu'en fixant la date de la prise d'effet de la résiliation judiciaire au 21 octobre 2015, au seul motif qu'à cette date le salarié n'avait mis son employeur qu'en demeure de lui transmettre une copie de son contrat de travail, sans justifier qu'à cette date le contrat de travail avait été rompu et que le salarié n'était plus au service de son employeur, la cour d'appel n'a pas conféré de base légale à sa décision au regard de l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
9. Il résulte de ce texte, qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur.
10. Pour fixer au 21 octobre 2015 la date de prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, après avoir énoncé, d'une part, que ce dernier concluait à tort, pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité, que le salarié n'avait pas sollicité de travail, d'autre part, que le défaut de fourniture de travail par l'employeur constituait un manquement suffisamment grave permettant de déclarer fondée la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, l'arrêt retient que la seule lettre envoyée par le salarié, en date du 21 octobre 2015, ne mentionnait que la mise en demeure de transmettre une copie de son contrat de travail, en sorte que ce dernier ne pouvait pas se prévaloir d'être resté à la disposition de l'employeur jusqu'à la date de l'arrêt.
11. En se déterminant ainsi, par un motif impropre à caractériser que le salarié n'était plus au service de l'employeur au-delà du 21 octobre 2015, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation des dispositions de l'arrêt requalifiant le contrat en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel et fixant au 21 octobre 2015 la date à laquelle la résiliation judiciaire aura les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse entraîne, par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait de la rupture qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, en ce qu'il fixe au 21 octobre 2015 la date à laquelle la résiliation judiciaire aura les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il condamne l'association Organisme de gestion des établissements catholiques de Sainte Elisabeth à payer à M. [W] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait de la rupture, l'arrêt rendu le 13 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne l'association Organisme de gestion des établissements catholiques de Sainte Elisabeth aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'association Organisme de gestion des établissements catholiques de Sainte Elisabeth à payer à la SCP Gadiou et Chevallier la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. [W]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Monsieur [V] [W] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR requalifié le contrat le liant à l'Association Organisme de Gestion des Etablissements Catholiques de Sainte Elisabeth en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel et d'AVOIR condamné l'employeur à ne lui verser que la somme de 101,62 € à titre de rappel de salaires, outre 10,16 € au titre des congés payés y afférents ;
1/ ALORS QUE l'absence d'écrit mentionnant la durée hebdomadaire, ou le cas échéant mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, fait présumer que l'emploi est à temps complet, et que l'employeur qui conteste cette présomption peut rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, de ce que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ; que pour débouter le salarié de sa demande de requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, la Cour d'appel a retenu qu'au regard de la régularité de la répartition du temps de travail du salarié et du caractère minime des variations qui ont pu survenir, il était démontré que le salarié était informé de la répartition des horaires à la semaine ou au mois ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si l'employeur justifiait de la durée exacte du travail convenue, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 3123-14 du Code du travail ;
2/ ALORS QUE l'absence d'écrit mentionnant la durée hebdomadaire, ou le cas échéant mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, fait présumer que l'emploi est à temps complet, et que l'employeur qui conteste cette présomption peut rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, de ce que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ; que la Cour d'appel a constaté qu'il n'y avait correspondance des heures effectuées sur les bulletins de paie et les tableaux de surveillance versés aux débats par l'employeur que pour 10 mois sur 15 et qu'en trois occurrences, le salarié a effectué une surveillance autre que pour celles mentionnées sur les tableaux ; qu'en s'abstenant de tirer les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait que ce dernier n'était pas régulièrement informé des horaires à la semaine ou au mois, la Cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 3123-14 du Code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASASTION
Monsieur [V] [W] reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR fixé au 21 octobre 2015 la date à laquelle la résiliation judiciaire aura les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QU'en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur ; qu'en fixant la date de la prise d'effet de la résiliation judiciaire au 21 octobre 2015, au seul motif qu'à cette date le salarié n'avait mis son employeur qu'en demeure de lui transmettre une copie de son contrat de travail, sans justifier qu'à cette date le contrat de travail avait été rompu et que le salarié n'était plus au service de son employeur, la Cour d'appel n'a pas conféré de base légale à sa décision au regard de l'article 1184 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASASTION
Monsieur [V] [W] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'employeur à payer à ce dernier la seule somme de 101,62 € à titre de rappel de salaire et celle de 10,16 € au titre des congés payés y afférents ;
ALORS QUE l'article 12-VIII de la loi du 14 juin 2013 prévoit que pour les contrats de travail en cours à l'entrée en application de l'article L. 3123 du Code du travail, issue de cette même loi, et jusqu'au 1er janvier 2016, sauf convention ou accord de branche conclu au titre de l'article L. 3123-14-3 du même code, la durée minimale prévue audit article L. 3123-14-1 est applicable au salarié qui en fait la demande, sauf refus de l'employeur justifié par l'impossibilité d'y faire droit compte tenu de l'activité économique de l'entreprise ; que la Cour d'appel a constaté que la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 ne prévoit l'application de l'article L. 3123-14-1 qu'à compter du 1er juillet 2014 et que le contrat de travail litigieux a été conclu le 18 janvier 2014 ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations d'où il résultait que l'article L. 3123-14-1, entrée en application le 1er juillet 2014, était applicable au contrat de travail litigieux, conclu le 18 janvier 2014, soit antérieurement au 1er juillet 2014, la Cour d'appel a violé les dispositions susvisées.