LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 septembre 2021
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 947 F-D
Pourvoi n° P 20-13.363
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
M. [D] [U], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° P 20-13.363 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (5e chambre, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Entreprise peinture revêtement industriel (EPRI), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société CBF associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société EPRI,
3°/ à la société Laurent Mayon, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société EPRI,
4°/ à l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Bordeaux, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [U], de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société EPRI et de la société CBF associés, ès qualités, après débats en l'audience publique du 2 juin 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, M. Flores, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 18 décembre 2019), M. [U] a été engagé, par la société de travail temporaire Cinter, du 17 juin 2013 au 14 novembre 2014 et mis à disposition de la société EPRI pour exercer diverses missions au cours de cette période. A compter du 24 avril 2015, il a été engagé par la société EPRI, suivant contrat de travail à durée déterminée d'une durée de trois mois, en qualité de sableur. La relation de travail s'est poursuivie après le terme de ce contrat.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée et d'obtenir le paiement de diverses sommes.
3. Le 3 avril 2019, un tribunal de commerce a prononcé le redressement judiciaire de la société EPRI et a désigné la société CBF associés en qualité d'administrateur judiciaire de la société et la société Laurent Mayon en qualité de mandataire judiciaire de la société. Les organes de la procédure collective sont intervenues à la procédure en cause d'appel, ainsi que l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Bordeaux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à la requalification des contrats de mission d'intérim en contrat à durée indéterminée à compter du 17 juin 2013 et de ses demandes subséquentes, alors « que le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ; qu'un utilisateur ne peut faire appel à des salariés intérimaires que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée mission, et seulement dans les cas strictement énumérés à l'article L. 1251-6 du code du travail, notamment en cas d'accroissement temporaire d'activité ; qu'il en résulte d'une part, que l'entreprise utilisatrice ne peut employer des salariés intérimaires pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre, d'autre part, que le recours à des salariés intérimaires ne peut être autorisé que pour les besoins d'une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ; qu'il appartient à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de l'accroissement d'activité justifiant le recours au contrat de mission ; que les juges du fond sont tenus de vérifier que l'employeur justifie d'éléments établissant une corrélation entre le surcroît d'activité allégué et l'embauche et si ce surcroît est inhabituel ; qu'en jugeant que l'employeur rapportait la preuve que le recours à l'exposant dans le cadre de missions d'intérim n'avait pas pour but de pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, sans effectuer cette recherche à laquelle elle était pourtant invitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail dans leur version applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :
5. Il résulte de ces textes que la possibilité donnée à l'entreprise utilisatrice de recourir à des contrats de missions successifs avec le même salarié intérimaire pour répondre à un accroissement temporaire d'activité, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente.
6. Pour débouter le salarié de sa demande de requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à compter du 17 juin 2013, l'arrêt constate que les contrats de mise à disposition mentionnent tous comme motif de recours un accroissement temporaire d'activité lié à une variation cyclique d'activité et comme justification du recours, soit la nécessité d'un renfort de personnel, soit des tâches urgentes à réaliser dans des délais courts.
7. Il retient qu'au vu de la discontinuité des missions, de la durée des périodes non travaillées pour le compte de la société EPRI entre les missions (deux mois en juillet-août 2013, un mois en octobre 2013, un mois en décembre 2013, trois semaines en février 2014, quatre mois et demi entre février et juillet 2014, un mois et demi entre août et octobre 2014), de la nature de l'activité de la société (travaux de revêtement des murs et des sols), dépendante de l'attribution de chantiers plus ou moins importants, avec des délais plus ou moins contraints, l'employeur rapporte la preuve que le recours à l'intéressé dans le cadre de missions d'intérim n'avait pas pour but de pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
8. En se déterminant ainsi, par des motifs ne suffisant pas à établir que, par comparaison avec l'activité normale et permanente de la société, l'attribution de chantiers correspondait à une augmentation inhabituelle de son activité à laquelle celle-ci ne pouvait faire face avec son effectif permanent, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [U] de sa demande de requalification des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à compter du 17 juin 2013 et de ses demandes subséquentes en fixation de ses créances au redressement judiciaire de la société EPRI au titre de l'indemnité de requalification, de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés sur préavis, de l'indemnité de licenciement, des dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière, des dommages-intérêts pour licenciement abusif, l'arrêt rendu le 18 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société EPRI aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société EPRI à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [U]
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande tendant à la requalification des contrats de mission d'intérim en contrat à durée indéterminée à compter du 17 juin 2013 et de ses demandes subséquentes.
AUX MOTIFS QU'il résulte des pièces du dossier produites par la seule société Epri, M. [U] ne produisant pour sa part aucun contrat de mise à disposition, que ce dernier a réalisé des missions pour le compte de la société Epri :- du 17 au 21 juin 2013, - du 22 au 5 juillet 2013, - du 9 septembre au 20 septembre 2013, - du 28 octobre au 8 novembre 2013, - du 9 novembre au 22 novembre 2013, - du 25 novembre au 22 novembre 2013, - du 6 janvier au 17 janvier 2014, - du 18 janvier au 31 janvier 2014, - le 18 février 2014, - du 5 juillet au 18 juillet 2014, - du 21 juillet au 1er août 2014, - du 2 août au 14 août 2014, - du 6 octobre au 17 octobre 2014, - du 18 octobre au 31 octobre 2014, - du 3 novembre au 14 novembre 2014 ; que les contrats de mise à disposition mentionnent tous comme motif de recours un accroissement temporaire d'activité lié à une variation cyclique d'activité et comme justification du recours, soit la nécessité d'un renfort de personnel, soit des tâches urgentes à réaliser dans des délais courts ; qu'au vu de la discontinuité des missions, de la durée des périodes non travaillées pour le compte de la société Epri entre les missions (deux mois en juillet-août 2013, un mois en octobre 2013, un mois en décembre 2013, trois semaines en février 2014, quatre mois et demi entre février et juillet 2014, un mois et demi entre août et octobre 2014), de la nature de l'activité de la société (travaux de revêtement des murs et des sols), dépendante de l'attribution de chantiers plus ou moins importants, avec des délais plus ou moins contraints, l'employeur rapporte la preuve que le recours à M. [U] dans le cadre de missions d'intérim n'avait pas pour but de pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; qu'il n'y a donc pas lieu à requalification des missions d'intérim en contrat à durée indéterminée ni de juger que l'interruption de la relation de travail le 14 novembre 2014 au terme de la dernière mission doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 24 février 2017 sera confirmé sur ce point et en ce qu'il a débouté M. [U] de ses demandes en indemnité compensatrice de préavis et congés payés sur préavis.
1° ALORS QU'à l'expiration d'un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de mission, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements ; qu'il s'en déduit que l'interruption des missions pendant une certaine période n'exclut pas en elle-même que les contrats y afférents n'avaient pas pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ; qu'en jugeant, au vu de la discontinuité des missions et de la durée des périodes non travaillées entre les missions, que l'employeur rapportait la preuve que le recours à l'exposant dans le cadre de missions d'intérim n'avait pas pour but de pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel a statué par des motifs tout aussi erronés qu'inopérants, en violation des articles L. 1221-1, L. 1251-5, L. 1251-6, L. 1251-36, L. 1251-36-1 et L. 1251-40 du code du travail dans leur version applicable en la cause.
2° ALORS QUE le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ; qu'un utilisateur ne peut faire appel à des salariés intérimaires que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée mission, et seulement dans les cas strictement énumérés à énumérés à l'article L. 1251-6 du code du travail, notamment en cas d'accroissement temporaire d'activité ; qu'il en résulte d'une part, que l'entreprise utilisatrice ne peut employer des salariés intérimaires pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre, d'autre part, que le recours à des salariés intérimaires ne peut être autorisé que pour les besoins d'une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l'activité ; qu'en jugeant au vu de la nature de l'activité -travaux de revêtement des murs et des sols- dépendante de l'attribution de chantiers plus ou moins importants, que l'employeur rapportait la preuve que le recours à l'exposant dans le cadre de missions d'intérim n'avait pas pour but de pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel a statué par des motifs tout aussi généraux qu'inopérants, en violation des articles L. 1221-1, L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail dans leur version applicable en la cause.
3° ALORS QUE le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ; qu'un utilisateur ne peut faire appel à des salariés intérimaires que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée mission, et seulement dans les cas strictement énumérés à énumérés à l'article L. 1251-6 du code du travail, notamment en cas d'accroissement temporaire d'activité ; qu'il en résulte d'une part, que l'entreprise utilisatrice ne peut employer des salariés intérimaires pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre, d'autre part, que le recours à des salariés intérimaires ne peut être autorisé que pour les besoins d'une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ; qu'il appartient à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de l'accroissement d'activité justifiant le recours au contrat de mission ; que les juges du fond sont tenus de vérifier que l'employeur justifie d'éléments établissant une corrélation entre le surcroît d'activité allégué et l'embauche et si ce surcroît est inhabituel ; qu'en jugeant que l'employeur rapportait la preuve que le recours à l'exposant dans le cadre de missions d'intérim n'avait pas pour but de pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, sans effectuer cette recherche à laquelle elle était pourtant invitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail dans leur version applicable en la cause