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07/07/2021 | FRANCE | N°19-25586;19-25602

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 07 juillet 2021, 19-25586 et suivant


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 7 juillet 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 644 FS-B

Pourvois n°
19-25.586
19-25.602 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 JUILLET 2021

I - La présidente de

l'Autorité de la concurrence, domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 19-25.586 contre un arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la cour d'appel ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 7 juillet 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 644 FS-B

Pourvois n°
19-25.586
19-25.602 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 JUILLET 2021

I - La présidente de l'Autorité de la concurrence, domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 19-25.586 contre un arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 7), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Sanicorse, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Groupe [J], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ au ministre chargé de l'économie, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

II - Le ministre chargé de l'économie, a formé le pourvoi n° 19-25.602 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Sanicorse,

2°/ à la société Groupe [J],

3°/ à la présidente de l'Autorité de la concurrence,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° 19-25.586 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi n° 19-25.602 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la présidente de l'Autorité de la concurrence, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat du ministre chargé de l'économie, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Sanicorse et Groupe [J], et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, Mmes Champalaune, Daubigney, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Lion, Comte, Lefeuvre, Tostain, Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-25.602 et 19-25.586 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 novembre 2019), le ministre chargé de l'économie a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) de pratiques d'abus de position dominante mises en oeuvre par les sociétés Sanicorse et Groupe [J] prohibées par les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce, dans le secteur des déchets d'activité de soins à risques infectieux (les DASRI) en Corse.

3. Par décision n° 18-D-17 du 20 septembre 2018, l'Autorité, après avoir constaté que la société Sanicorse jouissait d'un monopole de fait sur le marché de l'élimination des DASRI sur le territoire de la Corse, défini comme le marché pertinent, a dit établi qu'entre le 8 février 2011 et le 31 août 2015 la société Sanicorse, en qualité d'auteure, et la société Groupe [J], en qualité de société mère, avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce en appliquant à leurs clients établissements professionnels de santé une augmentation brutale, significative, persistante et injustifiée du prix des prestations de traitement et d'élimination des déchets et leur a infligé des sanctions pécuniaires.

4. Les sociétés Sanicorse et Groupe [J] ont formé un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 19-25.586, pris en ses première et deuxième branches, et sur le moyen du pourvoi n° 19-25.602, pris en sa première branche, réunis

Enoncé des moyens

5. Par les deux premières branches de son moyen, l'Autorité fait grief à l'arrêt de réformer les articles 1er, 3, 4 et 5 de sa décision n° 18-D-17 du 20 septembre 2018, dire qu'il n'est pas établi que la société Sanicorse, en qualité d'auteure, et la société Groupe [J], en qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce, et rappeler que les sommes versées en exécution de cette décision devront être remboursées à ces sociétés, alors :

« 1°/ que constitue un abus de position dominante le fait d'appliquer un prix "non équitable" au sens de l'article 102 TFUE, ce qui peut être établi soit dans l'absolu, en démontrant que le prix était sans rapport avec la valeur économique de la prestation fournie, soit par comparaison avec un prix de référence, dès lors que l'écart entre le prix litigieux et le prix de référence est sensible, c'est-à-dire significatif et persistant, et qu'il n'est pas justifié par cette entreprise ; qu'en l'absence de prix de référence extérieurs, c'est-à-dire de prix pratiqués par des concurrents se trouvant dans une situation comparable, ou de prix pratiqués par la même entreprise sur d'autres marchés, le caractère inéquitable des prix litigieux peut être établi par une comparaison dans le temps, c'est-à-dire par référence aux prix antérieurement pratiqués avec les mêmes clients, en constatant un écart de prix sensible et non justifié par l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'Autorité de la concurrence avait démontré l'abus de position dominante par comparaison dans le temps des prix pratiqués par la société Sanicorse ; que la cour d'appel a constaté que cette société avait imposé des "augmentations très importantes (?) à plusieurs cliniques entre 2011 et 2015 (+ 135 % en 2012 pour la Polyclinique du Sud de la Corse, + 137 % pour la période 2011/2012 pour la clinique de [1], + 98 % pour la clinique de [2] en 2013)" et à des établissements publics de santé ("+ 194 % en 2011 pour le centre hospitalier de [Localité 3] ; + 131 % pour le centre hospitalier intercommunal [Localité 4] entre 2012 et 2013 ; + 123 % pour le centre hospitalier de [Localité 6] entre 2011 et 2012") ; qu'en jugeant que "le caractère non équitable de ces augmentations n'est pas établi", qu' " en effet, l'Autorité ne soutient pas, et n'a d'ailleurs pas cherché à démontrer, que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d'excessifs", la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif inopérant, tiré de ce que l'Autorité n'avait pas employé l'une des deux méthodes alternatives envisageables, en l'occurrence l'analyse du prix dans l'absolu, sans rechercher si l'abus était établi par l'autre méthode utilisée par l'Autorité, en l'occurrence la comparaison dans le temps, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce ;

2°/ qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Sanicorse a imposé aux établissements de santé de Corse des "hausses importantes sur une période relativement courte" de ses tarifs, et donc qu'il y a eu une augmentation significative et persistante des tarifs litigieux ; qu'en s'abstenant de rechercher si la société Sanicorse justifiait ces augmentations, ce qui n'était pas le cas comme l'Autorité l'avait démontré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce. »

6. Par la première branche de son moyen, le ministre chargé de l'économie fait le même grief à l'arrêt, alors « que constitue un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d'utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace ; qu'en écartant tout abus de position dominante, sans rechercher, comme l'y invitait le ministre de l'économie, si la société Sanicorse, qui était en situation de monopole, avait imposé des conditions de transaction inéquitables en pratiquant notamment des augmentations tarifaires brutales, significatives et non transitoires, qu'elle n'aurait pas obtenues dans un contexte concurrentiel normal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, l'Autorité ayant, devant les juges du fond, fait valoir qu'une augmentation de tarif pouvait, en elle-même, caractériser un abus, sans soutenir que la comparaison des prix pratiqués dans le temps par une entreprise en position dominante était nécessaire à la caractérisation d'un abus, son moyen, pris en sa première branche, mélangé de fait et de droit, est nouveau et, comme tel, irrecevable.

En second lieu, après avoir énoncé que, dès lors que l'application d'une augmentation tarifaire n'est rien d‘autre que la fixation d'un prix et que l'appréciation du caractère équitable ou non équitable d'une telle augmentation se confond avec celle du caractère équitable ou non équitable du prix en résultant, l'arrêt relève que l'Autorité ne soutient pas que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d'excessifs, de sorte que, eu égard à la charge de la preuve pesant sur l'Autorité, il y a lieu de présumer que les prix résultant des augmentations pratiquées étaient équitables. En cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer les recherches invoquées, a exactement retenu que l'abus allégué n'était pas établi.

8. Les moyens ne peuvent donc être accueillis.

Et sur le moyen du pourvoi n° 19-25.586, pris en sa troisième branche, ainsi que sur le pourvoi n° 19-25.602, pris en sa seconde branche

Enoncé des moyens

9. Par la troisième branche de son moyen, l'Autorité fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'après avoir énoncé à tort que l'application d'une augmentation tarifaire n'était rien d'autre que la fixation d'un prix, et qu'une telle augmentation est inéquitable si le prix est en lui-même inéquitable, la cour d'appel a jugé qu' "il en irait certes autrement si l'entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l'heure. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce (...), et il n'est pas soutenu que la société Sanicorse avait manqué à ses engagements contractuels" ; que le respect ou le non-respect de stipulations contractuelles ne constitue cependant pas une condition d'appréciation du caractère abusif d'une augmentation des prix imposée à une clientèle captive, soumise à des contrats d'adhésion pratiqués par une entreprise détenant un monopole de fait ; qu'en tout état de cause, la décision a relevé que les pratiques d'augmentations tarifaires s'étaient accompagnées de comportements contractuels, que la société Sanicorse n'aurait pu adopter dans une situation de marché concurrentielle, de menace de résiliation de contrats ou d'abstention de soumissions à d'appels d'offres, sans craindre en l'occurrence de perdre des marchés en l'absence de tout opérateur alternatif en Corse et à l'égard de producteurs de DASRI tenus de faire appel à la société Sanicorse pour respecter la règlementation de traitement de leurs déchets ; qu'ainsi, en se fondant sur des motifs impropres à écarter l'existence d'un prix inéquitable, la cour d'appel a violé l'artice L. 420-2 du code de commerce. »

10. Par la seconde branche de son moyen, le ministre chargé de l'économie fait le même grief à l'arrêt, alors « que constitue un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d'utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace ; que, pour écarter l'abus d'exploitation reproché à la société Sanicorse, la cour d'appel énonce que celle-ci aurait agi dans le respect des stipulations contractuelles ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à exclure un abus de position dominante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

11. La décision étant justifiée par les motifs vainement critiqués par les moyens précédemment écartés, les moyens, qui attaquent des motifs surabondants, sont inopérants et ne peuvent donc être accueillis.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la présidente de l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'économie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la présidente de l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'économie et les condamne, chacun, à payer aux sociétés Sanicorse et Groupe [J] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit au pourvoi n° 19-25.586 par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la présidente de l'Autorité de la concurrence.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir réformé les articles 1er, 3, 4 et 5 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-17 du 20 septembre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l'élimination des déchets d'activités de soins à risques infectieux en Corse, d'avoir dit qu'il n'était pas établi que la société Sanicorse, en tant qu'auteure, et la société Groupe [J], en tant que société-mère, aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce, et d'avoir rappelé que les sommes versées en exécution de cette décision devraient être remboursées à ces sociétés ;

AUX MOTIFS QUE, « Sur la qualification d'abus indépendamment du constat de prix excessifs (?)

87. Ainsi qu'il a été souligné au paragraphe 36 du présent arrêt, la preuve n'est pas rapportée que l'augmentation des tarifs avait pour objet ou pouvait avoir pour effet, réel ou potentiel, de dissuader des concurrents éventuels d'entrer sur le marché pertinent. La cour se bornera donc, ci-après, à rechercher si la pratique incriminée est constitutive d'un abus d'exploitation.

88. La cour a rappelé, au paragraphe 33 du présent arrêt, qu'est susceptible de constituer un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d'utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages de transactions qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace.

89. Si, dans la décision attaquée, l'Autorité s'est bornée à citer des arrêts de la Cour de justice dans lesquels l'abus consistait dans la pratique d'un prix de vente excessif, c'est-à-dire sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie (CJUE, arrêts du 13 novembre 1975, General Motors Continentaal/Commission, 26/75, point 12, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, précité, point 250 ; Kanal 5 et TV 4, précité, point 28 ; du 27 février 2014, OSA, C-351/12, point 88, et du 14 septembre 2017, Autortiesïbu un komunicéganàs konsultâciju aàentûra ? Latvij as Autoru apvienïba, C-177/16, point 35), c'est à tort que les requérantes en déduisent que, par principe, il ne peut exister d'autres abus d'exploitation que les prix de vente excessif.

90. En effet, outre que tant l'article 102 du TFUE que l'article L. 420-2 du code de commerce ne fournissent pas une liste exhaustive des abus de position dominante, il résulte du libellé même de l'article 102 du TFUE qu'un abus d'exploitation peut consister non seulement à « imposer de façon directe ou indirecte des prix [...] de vente [...] non équitables » mais également à imposer « des prix d'achat [...] non équitables » ou « d'autres conditions de transaction non équitables ».
Appliquant cet article, la Cour de justice a rappelé que peuvent constituer des abus d'exploitation l'imposition de prix d'achat excessivement bas (CJUE, arrêt du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298/83) ou l'imposition d'autres conditions de transaction non équitables (CJUE, arrêts du 5 octobre 1988, Alsatel, 247/86).

91. En l'espèce, l'Autorité considère qu'en imposant aux producteurs de DASRI en Corse des augmentations tarifaires brutales, significatives, non transitoires et injustifiée, la société Sanicorse leur a imposé des conditions de transaction non équitables.

92. Deux conditions sont nécessaires pour qualifier des conditions de transaction d'abus d'exploitation. D'une part, il faut que ce soit la position dominante de l'entreprise en cause qui lui ait permis d'obtenir les avantages de transactions examinés ; d'autre part, ces avantages doivent être non équitables. S'agissant de la seconde condition, il n'appartient en effet pas à l'Autorité de se substituer aux organes de direction de l'entreprise en position dominante pour déterminer quelle doit être sa politique, notamment tarifaire, sur le marché pertinent, et ce n'est que si, et seulement si, les conditions de transactions passées entre cette entreprise et ses partenaires économiques peuvent, au vu de l'ensemble des circonstances de la cause, être objectivement qualifiées de non équitables, que l'Autorité est en droit d'intervenir.

93. Il y a lieu de relever que les hausses importantes appliquées sur une période relativement courte par la société Sanicorse ont été rendues possibles par le monopole de fait dont elle jouissait pour l'élimination des DASRI par inertage, dont il a résulté qu'elle n'avait pas à craindre que ses clients se tournent vers d'autres prestataires.

94. En revanche, le caractère non équitable de ces augmentations n'est pas établi.

95. En effet, l'Autorité ne soutient pas, et n'a d'ailleurs pas cherché à démontrer, que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d'excessifs. Dans la mesure où la charge de la preuve d'une pratique anticoncurrentielle pèse sur l'Autorité, il y a lieu pour la cour de présumer que ces prix sont équitables.

96. Or la cour considère que, dès lors que l'application d'une augmentation tarifaire n'est rien d'autre que la fixation d'un prix, l'appréciation du caractère équitable ou non équitable d'une telle augmentation se confond avec celle du caractère équitable ou non équitable du prix en résultant. Si le prix atteint apparaît équitable, l'augmentation ayant conduit à ce prix ne peut pas être jugée inéquitable, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'en rechercher les éventuelles justifications.

97. Il en irait certes autrement si l'entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l'heure. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce : dans les deux cas où, selon l'Autorité, la société Sanicorse a résilié le contrat la liant à un producteur de DASRI afin de lui imposer de nouveaux tarifs (décision attaquée, § 42 à 56), celle-ci a agi dans le respect des stipulations contractuelles en se bornant à refuser la prorogation ou le renouvellement du contrat à son échéance (voir, s'agissant du centre hospitalier de [Localité 3], cotes 84 et 85, et, s'agissant de la polyclinique du Sud de la Corse, cotes 1691 et 1692). Plus généralement, il n'est pas soutenu que la société Sanicorse aurait manqué à ses engagements contractuels.

98. Aucune des circonstances entourant les augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 n'est de nature à remettre en cause le constat qui précède que, faute d'avoir abouti à des prix inéquitables, ces augmentations ne sont pas constitutives d'un abus de position dominante.

99. Il y a donc lieu de réformer la décision attaquée et de dire qu'il n'est pas établi que la société Sanicorse, en tant qu'auteure, et la société SAS Groupe [J], en qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce » ;

1°) ALORS QUE constitue un abus de position dominante le fait d'appliquer un prix « non équitable » au sens de l'article 102 TFUE, ce qui peut être établi soit dans l'absolu, en démontrant que le prix était sans rapport avec la valeur économique de la prestation fournie, soit par comparaison avec un prix de référence, dès lors que l'écart entre le prix litigieux et le prix de référence est sensible, c'est-à-dire significatif et persistant, et qu'il n'est pas justifié par cette entreprise ; qu'en l'absence de prix de référence extérieurs, c'est-à-dire de prix pratiqués par des concurrents se trouvant dans une situation comparable, ou de prix pratiqués par la même entreprise sur d'autres marchés, le caractère inéquitable des prix litigieux peut être établi par une comparaison dans le temps, c'est-à-dire par référence aux prix antérieurement pratiqués avec les mêmes clients, en constatant un écart de prix sensible et non justifié par l'entreprise ; qu'en l'espèce, l'Autorité de la concurrence avait démontré l'abus de position dominante par comparaison dans le temps des prix pratiqués par la société Sanicorse ; que la cour d'appel a constaté que cette société avait imposé des « augmentations très importantes (?) à plusieurs cliniques entre 2011 et 2015 (+ 135 % en 2012 pour la Polyclinique du Sud de la Corse, + 137 % pour la période 2011/2012 pour la clinique de [1], + 98 % pour la clinique de [2] en 2013) » (arrêt, § 64) et à des établissements publics de santé (« + 194 % en 2011 pour le centre hospitalier de [Localité 3] ; + 131 % pour le centre hospitalier intercommunal [Localité 4] entre 2012 et 2013 ; + 123 % pour le centre hospitalier de [Localité 6] entre 2011 et 2012 ») (arrêt, § 73) ; qu'en jugeant que « le caractère non équitable de ces augmentations n'est pas établi », qu'« en effet, l'Autorité ne soutient pas, et n'a d'ailleurs pas cherché à démontrer, que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d'excessifs» (arrêt, § 94 et 95), la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif inopérant, tiré de ce que l'Autorité n'avait pas employé l'une des deux méthodes alternatives envisageables, en l'occurrence l'analyse du prix dans l'absolu, sans rechercher si l'abus était établi par l'autre méthode utilisée par l'Autorité, en l'occurrence la comparaison dans le temps, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce ;

2°) ALORS QU' il résulte de l'arrêt attaqué que la société Sanicorse a imposé aux établissements de santé de Corse des « hausses importantes sur une période relativement courte » de ses tarifs (arrêt, § 64, 73 et 94), et donc qu'il y a eu une augmentation significative et persistante des tarifs litigieux ; qu'en s'abstenant de rechercher si la société Sanicorse justifiait ces augmentations, ce qui n'était pas le cas comme l'Autorité l'avait démontré (décision, §161-193 ; observations, § 84-313), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce ;

3°) ALORS QU' après avoir énoncé à tort que l'application d'une augmentation tarifaire n'était rien d'autre que la fixation d'un prix, et qu'une telle augmentation est inéquitable si le prix est en lui-même inéquitable, la cour d'appel a jugé qu'« il en irait certes autrement si l'entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l'heure. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce (?), et il n'est pas soutenu que la société Sanicorse avait manqué à ses engagements contractuels » (arrêt, § 97) ; que le respect ou le non-respect de stipulations contractuelles ne constitue cependant pas une condition d'appréciation du caractère abusif d'une augmentation des prix imposée à une clientèle captive, soumise à des contrats d'adhésion pratiqués par une entreprise détenant un monopole de fait ; qu'en tout état de cause, la décision a relevé que les pratiques d'augmentations tarifaires s'étaient accompagnées de comportements contractuels, que la société Sanicorse n'aurait pu adopter dans une situation de marché concurrentielle, de menace de résiliation de contrats ou d'abstention de soumissions à d'appels d'offres, sans craindre en l'occurrence de perdre des marchés en l'absence de tout opérateur alternatif en Corse et à l'égard de producteurs de DASRI tenus de faire appel à la société Sanicorse pour respecter la règlementation de traitement de leurs déchets ; qu'ainsi, en se fondant sur des motifs impropres à écarter l'existence d'un prix inéquitable, la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du code de commerce. Moyen produit au pourvoi n° 19-25.602 par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour le ministre chargé de l'économie.

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR réformé les articles 1er, 3, 4 et 5 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-17 du 20 septembre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l'élimination des déchets d'activités de soins à risque infectieux en CORSE, d'AVOIR dit qu'il n'était pas établi que la société SANICORSE, en tant qu'auteure, et la société Groupe [J], en tant que société mère, avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce, et d'AVOIR rappelé que les sommes versées au titre de l'exécution de la décision n° 18-D-17, ainsi réformée, devraient être remboursées aux sociétés SANICORSE et Groupe [J], outre les intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt et, s'il y avait lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du code civil ;

AUX MOTIFS QUE « 1.La cour est saisie du recours des sociétés SANICORSE et SAS Groupe [J] contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-17 du 20 septembre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l'élimination des déchets d'activités de soins à risque infectieux en CORSE ; la réglementation de l'élimination des déchets d'activités de soins à risque infectieux ; 2. L'élimination des déchets d'activités de soins à risques infectieux (ci-après les « DASRI ») fait l'objet d'une réglementation spécifique figurant dans la section 1 du chapitre V du titre III du livre III de code de la santé publique, qui réunit les articles R. 1335-1 à R. 1335-8-11 ; 3. La définition des DASRI est donnée à l'article R. 1335-1 du code de la santé publique ; dans sa version antérieure au décret n° 2016-1590 du 24 novembre 2016 modifiant le code de la santé publique et relatif aux déchets assimilés à des déchets d'activités de soins à risques infectieux et aux appareils de prétraitement par désinfection, cet article dispose : « Les déchets d'activités de soins sont les déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitement préventif, curatif ou palliatif, dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire. Parmi ces déchets, sont soumis aux dispositions de la présente section ceux qui : 1° Soit présentent un risque infectieux, du fait qu'ils contiennent des micro-organismes viables ou leurs toxines, dont on sait ou dont on a de bonnes raisons de croire qu'en raison de leur nature, de leur quantité ou de leur métabolisme, ils causent la maladie chez l'homme ou chez d'autres organismes vivants ; 2° Soit, même en l'absence de risque infectieux, relèvent de l'une des catégories suivantes : a) Matériels et matériaux piquants ou coupants destinés à l'abandon, qu'ils aient été ou non en contact avec un produit biologique ; b) Produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption ; c) Déchets anatomiques humains, correspondant à des fragments humains non aisément identifiables. Sont assimilés aux déchets d'activités de soins, pour l'application des dispositions de la présente section, les déchets issus des activités d'enseignement, de recherche et de production industrielle dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire, ainsi que ceux issus des activités de thanatopraxie, lorsqu'ils présentent les caractéristiques mentionnées aux 1° ou 2° ci-dessus » ; 4. La cour précise que, dans le cadre de la présente procédure, l'Autorité a considéré que les déchets produits par les traitements anticancéreux (cytostatiques) et les pièces anatomiques d'origine humaine doivent être assimilés à des DASRI et que les requérantes
ne contestent pas cette interprétation ; 5. Les DASRI peuvent être produits par trois catégories d'acteurs : – les établissements de santé, dont la production correspond généralement à des quantités de déchets importantes et concentrées en un même lieu ; – les professionnels en exercice libéral et les laboratoires de biologie médicale ; les quantités de déchets qu'ils produisent sont faibles et très dispersées géographiquement ; – les patients en auto-traitement, en dehors de l'intervention d'un professionnel de santé. Les DASRI produits proviennent par exemple des tests à domicile des diabétiques, des insuffisants rénaux ou encore des insuffisants respiratoires ; les quantités de déchets produites sont très faibles et extrêmement dispersées géographiquement ; 6. Aux termes de l'article R. 1335-2 du code de la santé publique, toutes les personnes qui produisent des DASRI sont tenues de les éliminer ; l'article R. 1335-3 du même code prévoit toutefois qu'elles « peuvent, par une convention qui doit être écrite, confier l'élimination de leurs déchets d'activités de soins et assimilés à une autre personne qui est en mesure d'effectuer ces opérations » ; 7. L'article R. 1335-8 du code de la santé publique, dans sa version antérieure au décret du 24 novembre 2016, précise que les DASRI « doivent être soit incinérés, soit pré-traités par des appareils de désinfection de telle manière qu'ils puissent ensuite être collectés et traités par les communes et les groupements de communes dans les conditions définies à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales » ; 8. On dénombre quatre étapes dans la filière d'élimination : le tri, qui permet de séparer les DASRI des déchets banals ; le stockage, dont les conditions et délais sont fonction de la quantité produite ; la collecte et le transport, qui peuvent être réalisés soit via un prestataire soumis à la réglementation relative aux matières dangereuses, soit par apport volontaire sous emballages conformes ; enfin la destruction, seule concernée par le présent litige ; 9. La destruction ou élimination peut être réalisée suivant deux méthodes : – en une seule étape par l'incinération ou la co-incinération dans une usine d'incinération des ordures ménagères ; – en deux étapes par un prétraitement de désinfection (également appelé inertage ou banalisation) suivi d'une mise en décharge d'ordures ménagères ; 10. Ce dernier procédé ne permet pas de traiter tous les DASRI, notamment ceux produits par les traitements anticancéreux (cytostatiques) et les pièces anatomiques d'origine humaine ; en effet, d'une part, aux termes de la circulaire interministérielle DHOS/E4/DGS/SD7B/DPPR/2006/58 du 13 février 2006 relative à l'élimination des déchets générés par les traitements anticancéreux, les déchets souillés de médicaments anticancéreux « sont conditionnés et collectés en mélange avec les DASRI avant d'être éliminés par la filière des DASRI du producteur de déchets (établissement de santé ou professionnel de santé en libéral), à condition que celle-ci aboutisse à une incinération » ; ces déchets « ne peuvent en aucun cas être dirigés vers une filière des DASRI par prétraitement par des appareils de désinfection » ; quant aux médicaments anticancéreux concentrés, ils « sont impérativement éliminés par une filière spécifique aux déchets dangereux garantissant l'incinération à 1200° C » ; d'autre part, conformément à l'article R. 1335-11 du code de la santé publique les pièces anatomiques d'origine humaine doivent être incinérées « dans un crématorium autorisé conformément à l'article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales et dont le gestionnaire est titulaire de l'habilitation prévue à l'article L. 2223-41 de ce code » ; le marché de l'élimination des déchets d'activités de soins à risque infectieux en CORSE : 11. En CORSE, la gestion des DASRI est organisée par le plan régional d'élimination des déchets industriels spéciaux (ci-après le « PREDIS ») de la région CORSE, approuvé par arrêté préfectoral n° 04-0638 du 21 septembre 2004 (cotes 1364 à 1379) ; ce document prévoit, en son point 7.1.1.2, que tous les déchets d'activités de soins doivent être traités par l'inerteur du centre hospitalier d'[Localité 1]. Par exception à cette règle, les déchets médicaux ne pouvant pas être traités par inertage, tels les produits cytostatiques, doivent être dirigés vers les incinérateurs spécialisés du continent (région Provence-Alpes-Côte d'Azur) (cotes 1377 et 1379) ; 12. A sa demande, la société SANICORSE a été autorisée, par arrêté préfectoral n° 08-0511 du 23 mai 2008, à exploiter une installation de désinfection des DASRI à [Localité 5] (cotes 1380 et suivantes) ; depuis cette date, le centre hospitalier d'[Localité 1] ne dispose plus sur son site d'installation d'élimination des DASRI ; 13. L'Agence régionale de santé (ci-après l' « ARS ») de CORSE a indiqué qu'en CORSE, il n'y a pas d'incinérateur susceptible d'accueillir des DASRI, mais qu'il existe trois prestataires exploitant des inerteurs (cotes 1636 et 1637) : – les laboratoires d'analyses médicales Vigilab et Vialle, tous deux situés à [Localité 2] en Haute-CORSE, qui disposent d'une autorisation préfectorale au titre du règlement sanitaire départemental, pour l'élimination de leurs DASRI propres ; – la société SANICORSE, située à [Localité 5] en CORSE-du-Sud, qui dispose d'une autorisation préfectorale au titre de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (« ICPE »), pour l'élimination des DASRI des établissements et professionnels de santé ; 14. Il est donc constant que, hormis les laboratoires Vigilab et Vialle, qui sont uniquement autorisés à traiter les DARSI qu'ils produisent, la société SANICORSE est la seule en CORSE à pouvoir accueillir des DARSI aux fins de leur inertage ; [?] Observations liminaires : 24. Avant d'examiner les moyens des requérantes, la cour juge opportun de préciser l'objet du recours ainsi que le contenu de la pratique sanctionnée ; Sur l'objet du recours : 25. Aux termes de l'article R. 464-25-1, dernier alinéa, du code de commerce, les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs observations écrites antérieures ; à défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour d'appel ne statue que sur les dernières écritures déposées ; 26. Les alinéas 3 et 4 du même article précisent que les observations écrites des parties comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions, et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ; 27. Les dernières écritures des sociétés SANICORSE et SAS Groupe [J], intitulées « mémoire en réplique » et déposées le 13 juin 2019, ne comportent pas, contrairement à l'usage, un titre « Par ces motifs » distinguant le dispositif de la discussion des prétentions et des moyens ; toutefois, les deux derniers paragraphes sont séparés des paragraphes antérieurs par une ligne d'étoiles et sont ainsi libellés : « Il découle de ce qui précède que pris séparément, les éléments de renchérissement des coûts de l'entreprise sont avérés et démontrés. Chacun concourt nécessairement à la détermination des résultats de l'entreprise et peut justifier une répercussion dans les prix. Envisagés en combinaison, les 4 séries d'éléments de coûts rappelés par les sociétés requérantes étayent sérieusement la nécessité d'une augmentation significative et durable des prix de l'inertage. La menace que faisaient peser les projets de traitement interne étudiés par un, puis plusieurs, établissements de santé corses, a joué le rôle de catalyseur d'une démarche économique fondée objectivement, quelqu'aient été les propos tenus sous
l'empire d'une certaine appréhension légitime, de feu M. [J]. La décision de l'Autorité appelle en conséquence une réformation en tant qu'elle a délimité un marché géographique limité à la CORSE, qu'elle a identifié un abus indépendamment de toute qualification des prix ayant résulté des augmentations dénoncées, et, surtout, qu'elle a identifié un abus de position dominante pour absence totale de justification des majorations de tarifs en cause » ; 28. Eu égard à la séparation existant entre ces paragraphes et les paragraphes antérieurs ainsi qu'à leur contenu, il y a lieu de considérer qu'ils constituent le dispositif distinct exigé par l'article R. 464-25-1 du code de commerce ; 29. Lesdits paragraphes se limitant à solliciter la réformation de la décision attaquée, la cour est uniquement saisie de cette demande ; Sur la pratique sanctionnée : 30. La cour rappelle d'emblée que, bien que l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le « TFUE ») n'ait pas été visé au stade de la notification des griefs, la référence à cet article et à l'interprétation qu'en donne la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la « Cour de justice » ou la « CJUE ») est pertinente aux fins d'interpréter l'article L. 420-2 du code de commerce, dans la mesure où la notion d'abus de position dominante est la même au plan national et au plan de l'Union ; 31. Ainsi que le rappelle l'Autorité au paragraphe 119 de la décision attaquée, la jurisprudence, nationale comme de l'Union, distingue les abus dits « d'exploitation » des abus dits « d'exclusion » ; 32. S'agissant des abus d'exclusion, cette notion vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (CJUE, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, point 91 ; du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, point 69, et du 11 décembre 2008, Kanal 5 et TV 4, C-52/07, point 25) ; 33. S'agissant des abus d'exploitation, cette notion vise l'hypothèse dans laquelle une entreprise en position dominante utilise les possibilités qui découlent de cette position pour obtenir des avantages de transactions qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace (CJUE, arrêts du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, point 249, et Kanal 5 et TV 4, précité, point 27). Ainsi que le souligne l'Autorité au paragraphe 120 de la décision attaquée, sont notamment constitutives d'un abus d'exploitation les pratiques visées à l'article 102, sous a), du TFUE, consistant à « imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables » ; 34. Il ne peut être exclu qu'une même pratique soit constitutive à la fois d'un abus d'exclusion et d'un abus d'exploitation (en ce sens, Tribunal de l'Union européenne, arrêt du 24 mai 2007, Duales System Deutschland/Commission, T-151/01, point 119) ; 35. En l'espèce, aux paragraphes 130 à 132 et 243 de la décision attaquée, l'Autorité a souligné que l'infraction sanctionnée consiste en un « abus d'exploitation ». Mais, examinant les justifications des augmentations tarifaires invoquées par la société SANICORSE, l'Autorité a ajouté, au paragraphe 163 de la décision attaquée, que la pratique incriminée « visa[it] l'exclusion des concurrents potentiels et présenta[it] ainsi à l'évidence un caractère anticoncurrentiel » ; or une pratique d'une entreprise en position dominante ayant pour objet ou pour effet d'empêcher l'émergence d'une concurrence constitue sans conteste un abus d'exclusion ; 36. Il n'est toutefois pas nécessaire de déterminer si l'Autorité à retenu à l'encontre des requérantes un abus qui soit uniquement d'exploitation ou à la fois d'exploitation et d'exclusion ; en effet, la cour constate que la preuve n'est pas rapportée à suffisance de droit que l'augmentation des tarifs avait pour objet ou pouvait avoir pour effet, réel ou potentiel, de dissuader ou évincer d'éventuels concurrents ; d'une part, contrairement à la lecture que l'Autorité a faite des déclarations de M. [J] au paragraphe 162 de la décision attaquée, la société SANICORSE n'a jamais reconnu, ni a fortiori revendiqué, avoir utilisé le levier tarifaire pour dissuader les établissements de soins de développer ou de rechercher une alternative, expliquant seulement que la crainte de voir émerger un concurrent avant qu'elle ait amorti les investissements consacrés au traitement des DASRI l'avait conduite à augmenter ses prix pour accélérer l'amortissement desdits investissements ; d'autre part, aucun des établissements de soins corses, et pas davantage l'ARS, n'a indiqué avoir renoncé à un projet alternatif d'élimination des déchets afin d'obtenir de la société SANICORSE qu'elle abandonne sa politique de hausses tarifaires, de sorte qu'aucun effet d'exclusion réel n'est établi ; par ailleurs, l'augmentation importante des tarifs de la société SANICORSE était intrinsèquement de nature à persuader les établissements de soins corses et l'ARS de la nécessité de susciter une concurrence, plutôt que de les faire renoncer à d'éventuels projets en ce sens, de sorte qu'un effet potentiel d'exclusion n'est pas davantage démontré ; Sur la définition du marché géographique : 37. Les sociétés SANICORSE et SAS Groupe [J] font valoir que la limitation à la CORSE du marché géographique de référence est affectée d'une erreur manifeste d'appréciation, qui justifie la réformation de la décision attaquée ; 38. Elles réfutent les arguments de l'Autorité selon lesquels le PREDIS de CORSE constituait un obstacle réglementaire et les coûts de transport un obstacle économique à l'élimination sur le continent des DASRI produits en CORSE, justifiant que le marché géographique de référence soit limité à la CORSE ; 39. S'agissant de l'obstacle réglementaire, elles rappellent qu'un PREDIS n'est obligatoire que pour les établissements publics de soins et ne s'impose pas aux cliniques privées ; or la moitié des douze établissements de CORSE sont des cliniques privées. 40.Elles soulignent que les déchets devant être incinérés représentent à peu près 10 % des tonnages de DASRI collectés en CORSE, et qu'ils sont expédiés sur le continent, un tel envoi étant au demeurant parfaitement compatible avec les plans régissant le traitement des déchets des autres régions ; 41. Selon les requérantes, à partir du moment où l'incinération est l'une des deux méthodes admises pour le traitement des DASRI, la CORSE ne peut être considérée comme le marché géographique de référence à elle toute seule, ce marché étant nécessairement étendu aux régions limitrophes dont des installations accueillent des DASRI devant être incinérés ; 42. De plus, aucune disposition réglementaire n'interdirait aux établissements publics de santé corses, s'ils préfèrent recourir à l'incinération, y compris pour leurs DASRI pouvant être inertés, d'envoyer ces DASRI sur le continent ; 43. S'agissant de l'obstacle économique, les requérantes font valoir que les coûts de transport ne sont aucunement un obstacle à l'expédition sur le continent des DASRI devant être incinérés, et qu'ils le seraient d'autant moins si les tonnages étaient plus importants ; 44. Elles concluent que l'absence d'obstacle réglementaire et économique aurait pleinement permis aux établissements de soins corses jugeant les prix d'intervalle excessifs de se tourner vers l'alternative de l'incinération et l'expédition sur le continent ; 45. L'Autorité conclut au rejet de la contestation de la définition géographique du marché pertinent ; 46. Elle fait valoir, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 541-15 du code de l'environnement, les décisions prises par les personnes morales de droit public, tels les établissements publics de santé, dans le domaine de l'élimination des déchets doivent être compatibles avec le PREDIS ; 47. Or le PREDIS de CORSE prévoit que « [t]ous les déchets d'activités de soins doivent être traités sur l'inerteur de l'hôpital d'[Localité 1] », lequel a depuis été remplacé par celui de Sarrola-Carcopino, exploité, comme son prédécesseur, par la société SANICORSE, un tel déménagement ne remettant pas en cause le principe énoncé au PREDIS de CORSE que tous les DASRI produits en CORSE doivent être traités par l'unique inerteur présent sur le territoire corse ; 48. Selon l'Autorité, la
circonstance que les DASRI cytostatiques et les pièces anatomiques, qui sont obligatoirement éliminés par incinération, doivent être envoyés vers le continent, compte tenu de l'absence d'installation d'incinération agréée en CORSE, n'est pas de nature à infirmer le constat que le PREDIS de CORSE constitue un obstacle réglementaire à l'envoi sur le continent des DASRI pour lesquels l'élimination par inertage est possible ; 49. L'Autorité souligne, d'autre part, que les coûts, notamment de transport, que représenterait l'envoi de tous les DASRI sur le continent constitue un obstacle économique à la mise en oeuvre d'une telle solution ; elle juge que la comparaison effectuée avec les déchets ménagers, dont l'envoi sur le continent serait au demeurant très coûteux, n'est pas pertinente, dans la mesure où les DASRI seraient soumis aux contraintes de transport de matières dangereuses ; 50. Elle fait également valoir que, nonobstant le quintuplement du prix de la prestation d'enfouissement payé par la société SANICORSE à la Communauté de l'agglomération ajaccienne, celle-ci n'a jamais entrepris d'envoyer sur le continent les DASRI inertés, preuve du caractère dirimant des coûts de transport vers le continent des DASRI produits en CORSE ; 51. Le ministre chargé de l'économie objecte que, si certains DASRI produits en CORSE sont traités dans des départements du sud de la France, ils ne représentent au maximum que 10 % du volume total ; l'intervention des opérateurs concurrents serait ainsi trop occasionnelle pour permettre une remise en cause du marché géographique pertinent retenu par la décision attaquée ; 52. Le ministère public conclut également au rejet de la contestation du marché pertinent ; Sur ce, la cour, 53. Il convient de relever d'emblée que les requérantes ne contestent pas la définition du marché pertinent dans sa dimension matérielle, à savoir le marché de l'élimination des DASRI, comprenant tant les prestations d'incinération que les prestations d'inertage (décision attaquée, § 103) ; elles remettent exclusivement en cause la dimension géographique de ce marché, telle que retenue par l'Autorité dans la décision attaquée ; 54. La cour rappelle, à titre liminaire, que le « marché géographique en cause », au sens du droit de la concurrence, « comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable » (communication de la Commission de l'Union européenne n° 97/C 372/03 du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, point 8) ; 55. Tel est bien le cas du territoire corse pour des raisons à la fois économiques et juridiques ; 56. En premier lieu, s'agissant de l'ensemble des DASRI, c'est à juste titre que l'Autorité a constaté qu'un obstacle économique, tenant au coût du transport par voie maritime entre la CORSE et le continent, s'oppose à la solution consistant, pour les producteurs de DASRI établis en CORSE, à les transporter sur le continent en vue de leur élimination ; même si elle n'examinera ci-après que cette seule hypothèse, la cour souligne que ce même coût s'oppose pareillement à ce que des producteurs de DASRI établis sur le continent les envoient en CORSE en vue de leur élimination ; 57. D'abord, il est constant que, eu égard à l'insularité du territoire corse, le coût du transport de marchandises vers le continent est élevé, étant « presque du triple pour une distance commune de 500 km » (SANICORSE, pièce n° 1) ; 58. Or les DASRI ne sont pas des marchandises banales, mais des produits dont la dangerosité intrinsèque nécessite des précautions particulières pour leur transport ; aux termes de l'article R. 1335-6 du code de la santé publique, le transport des déchets d'activités de soins et assimilés est soumis « aux dispositions réglementaires prises pour l'application de la loi n° 42-263 du 5 février 1942 relative au transport des matières dangereuses et de l'article L. 543-8 du code de l'environnement, auxquelles peuvent s'ajouter des prescriptions complémentaires définies par arrêté des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé, et après avis du Haut Conseil de la santé publique » ; 59.Ainsi que l'a indiqué l'ARS de CORSE, les DASRI seraient, lors de leur transport par voie maritime vers le continent, « soumis aux contraintes de transport de matières dangereuses » (cote 1636), ce qui représenterait un surcoût important ; la seule façon d'échapper à ces contraintes serait de les inerter, ce qui supposerait de les transporter d'abord par voie terrestre jusqu'à l'installation de la société SANICORSE à Sarrola-Carcopino où ils seraient traités, puis de les récupérer et de les convoyer, de nouveau par voie terrestre, jusqu'à un port, où ils seraient chargés sur un navire à destination du continent en vue de leur enfouissement ou de leur incinération. Outre son aspect logistique complexe, une telle opération générerait elle-même des coûts importants et, surtout, ne permettrait pas aux producteurs de DARSI corses de se passer des services de la société SANICORSE ; 60. Il convient d'ajouter que, ainsi qu'il a été souligné dans l'avis de l'Autorité n° 10-A-21 du 19 novembre 2010 relatif à la gestion des déchets d'activités de soins à risques infectieux perforants produits par les patients en auto traitement, « les DASRI représentent beaucoup de volume et peu de poids : la tonne transportée coûte donc très cher », ce constat n'étant pas contesté par les requérantes ; 61. Il doit encore être souligné que les producteurs de DASRI sont disséminés sur l'ensemble du territoire de la CORSE, de sorte que, s'ils parvenaient à se mettre d'accord pour affréter en commun un navire unique, les DASRI qu'ils produisent devraient être transportés par voie terrestre jusqu'au port de chargement, la seule alternative étant d'affréter plusieurs navires, chacun au départ d'un port différent, ce qui renchérirait encore le coût du transport à la tonne ; 62. Ensuite, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 7 septembre 1999 relatif aux modalités d'entreposage des déchets d'activités de soins à risques infectieux et assimilés et des pièces anatomiques, la durée entre la production effective des DASRI et leur incinération ou prétraitement par désinfection ne doit pas excéder soixante-douze heures lorsque la quantité de DASRI produite sur un même site est supérieure à cent kilogrammes par semaine ; 63. Le respect de ce délai maximal de soixante-douze heures s'impose à tous les hôpitaux publics, cliniques privées et laboratoires de biologie médicale établis en CORSE ; en effet, en 2013, les premiers ont produit en moyenne 88 010 par établissement et par an, les secondes, 25 232 kg par établissement par an et les troisièmes, 6 019 kg par établissement et par an (cote 2130), soit, respectivement, 1 692 kg, 485 kg et 115 kg par semaine ; à supposer même qu'il soit techniquement possible de respecter ce délai, dans l'hypothèse d'une expédition vers le continent pour élimination des DASRI produits par ces établissements, cette contrainte réglementaire aurait considérablement renchéri le coût du transport, en obligeant à multiplier les navettes entre la CORSE et le continent, à raison de dix par mois ; 64. Enfin et surtout, force
est de constater que, nonobstant les augmentations très importantes imposées par la société SANICORSE à plusieurs cliniques entre 2011 et 2015 (+ 135 % en 2012 pour la Polyclinique du Sud de la CORSE, + 137 % pour la période 2011/2012 pour la clinique de [1], + 98 % pour la clinique de [2] en 2013), aucune n'a recouru à la solution de l'expédition des DASRI vers le continent, ce qu'elles n'auraient pas manqué de faire si cette solution leur était apparue économiquement plus avantageuse ; ces circonstances démontrent, mieux encore que ne l'aurait fait la mise en oeuvre du test du monopoleur hypothétique, le caractère irréaliste de la solution du transport vers le continent des DASRI produits par les établissements de soins privés corses et partant, le bien-fondé de l'analyse géographique du marché pertinent par l'Autorité ; 65. Va également dans le même sens le fait que, bien que le prix de la prestation d'enfouissement facturée par la Communauté de l'agglomération ajaccienne ait quintuplé, la société SANICORSE n'a jamais envisagé d'expédier sur le continent les DASRI inertés, alors même qu'ils sont alors assimilés à des déchets ménagers et échappent aux contraintes du transport de matières dangereuses ; 66. C'est en vain que serait invoqué le fait que les DASRI qui doivent obligatoirement être éliminés par incinération, sont envoyés sur le continent ; en effet, cette circonstance s'explique par le fait qu'il n'y a pas en CORSE d'incinérateur susceptible d'accueillir des DASRI ; 67. En second lieu, s'agissant des seuls DASRI qui peuvent être traités par inertage et enfouissement, la cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 541-13 du code de l'environnement, dans sa version initiale, « [c]haque région est couverte par un plan régional ou interrégional d'élimination des déchets industriels spéciaux » ; l'intitulé de ce plan a été modifié en « plan régional ou interrégional de prévention et de gestion des déchets dangereux » par l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets ; 68. L'article L. 541-15 alinéa 1er du code de l'environnement, dans sa version résultant de l'ordonnance du 17 décembre 2010, précitée, applicable ratione temporis, dispose : « Dans les zones où les plans visés aux articles [...] L. 541-13, [...] sont applicables, les décisions prises par les personnes morales de droit public et leurs concessionnaires dans le domaine de la prévention et de la gestion des déchets et, notamment, les décisions prises en application du titre Ier du présent livre doivent être compatibles avec ces plans » ; 69. La gestion des DASRI produits en CORSE est organisée par le PREDIS de CORSE ; ainsi qu'il a été relevé au paragraphe 11 du présent arrêt, ce document prévoit que tous les déchets d'activités de soins doivent être traités par l'inerteur de l'hôpital d'[Localité 1], à l'exception de ceux ne pouvant pas être traités par inertage, tels les produits cytostatiques, qui doivent être dirigés vers les incinérateurs spécialisés du continent (région Provence-Alpes-Côte d'Azur) (cotes 1377 et 1379), 70. Il est constant que l'inerteur de l'hôpital d'[Localité 1], qui était exploité par la société SANICORSE, a été désaffecté et remplacé par une nouvelle installation de désinfection des DASRI, établie par cette même société à Sarrola-Carcopino, et dont l'exploitation a été autorisée par arrêté préfectoral n° 08-0511 du 23 mai 2008 (cotes 1380 à 1385) ; c'est donc à juste titre que l'Autorité souligne que le point 7.1.1.2. du PREDIS de CORSE doit désormais être interprété comme imposant de traiter l'ensemble des DASRI produits en CORSE, autres que ceux ne pouvant pas être traités par inertage, dans l'installation de désinfection de Sarrola-Carcopino, seule installation agréée sur le territoire de la CORSE ; 71. Tenues, conformément à l'article L. 541-15 alinéa 1er du code de l'environnement, de prendre des décisions dans le domaine de la gestion des déchets qui soient compatibles avec le PREDIS de CORSE, les huit hôpitaux publics et l'établissement français du sang établis en CORSE (cote 2130) n'ont pas d'autre possibilité que de faire traiter leurs DASRI dans ladite installation, seule y échappant ceux de ces déchets dont la réglementation impose l'élimination par incinération ; 72. Le PREDIS de CORSE représentait donc, pour ces établissements publics, un obstacle réglementaire leur interdisant tout envoi sur le continent de DASRI pouvant faire l'objet d'un traitement par inertage ; c'est donc à tort que les requérantes prétendent que lesdits établissements publics étaient libres d'envoyer la totalité de leurs DASRI sur le continent en vue de leur incinération ; 73. La cour ajoute, surabondamment, que, à supposer qu'aucun obstacle légal ou réglementaire ne s'oppose à ce que les établissements publics de santé corse envoient sur le continent ceux de leur DARSI qui peuvent être éliminés par inertage et enfouissement, le même constat que celui déjà effectué au paragraphe 64 du présent arrêt au sujet des établissements de santé privés, doit être fait, à savoir qu'aucun établissement public n'a recouru à cette solution, notamment ceux ayant eux-mêmes subi des augmentations tarifaires importantes de la part de la société SANICORSE (+ 194 % en 2011 pour le centre hospitalier de [Localité 3] ; + 131 % pour le centre hospitalier intercommunal [Localité 4] entre 2012 et 2013 ; + 123 % pour le centre hospitalier de [Localité 6] entre 2011 et 2012) ; il peut donc en être tiré la même conclusion quant au caractère irréaliste de ladite solution ; 74. Quant aux huit cliniques privées, aux huit laboratoires de biologie médicale et aux trois centres de dialyse indépendants établis en CORSE (cote 2130), les requérantes sont fondées à rappeler que, n'étant pas des personnes morales de droit public, leurs décisions dans le domaine de la gestion des déchets n'avaient pas à être compatibles avec le PREDIS de CORSE ; 75. Toutefois, pour les raisons exposées aux paragraphes 56 à 66 du présent arrêt, c'est à juste titre que l'Autorité a constaté qu'un obstacle économique, tenant au coût du transport par voie maritime de la CORSE vers le continent, s'opposait à la solution consistant, pour ces établissements de soins privés, à transporter sur le continent en vue de leur élimination les DASRI qu'ils produisent ; 76. Les conditions de concurrence en CORSE différant donc de manière appréciable des conditions de concurrence sur le continent, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que le marché pertinent était celui de l'élimination des DASRI sur le territoire de la CORSE ; 77. Une telle analyse ne revient pas à méconnaître la délimitation matérielle du marché pertinent retenue au paragraphe 103 de la décision attaquée, rappelée au paragraphe 53 du présent arrêt ; en effet, l'élimination des DASRI qui doivent obligatoirement être incinérés n'est de facto écartée du marché pertinent que pour une raison conjoncturelle, tenant à l'absence d'incinérateur agréé sur le territoire corse. Si, demain, un tel incinérateur était implanté en CORSE, la définition du marché pertinent n'en serait pas affectée, alors même que des déchets devant obligatoirement être incinérés pourraient de nouveau être éliminés sur le territoire de la CORSE ; 78. Le marché pertinent ayant été ainsi défini, l'Autorité a exactement constaté, aux paragraphes 112 à 116 de la décision attaquée, que la société SANICORSE disposait, à l'époque des faits, d'un monopole de fait sur ce marché ; Sur la qualification d'abus indépendamment du constat de prix excessifs : 79. Les sociétés SANICORSE et SAS Groupe [J] soulignent que les observations de l'Autorité confirment que seule l'augmentation des tarifs pratiquée est qualifiée d'abusive, faute pour l'Autorité de constater que les prix résultant de cette augmentation étaient excessifs ; 80. Elles considèrent que, ce faisant, l'Autorité a violé le principe de liberté de fixation des prix consacré par l'ordre public économique français, en particulier par l'article L. 410-2 du code de commerce ; selon les requérantes, en effet, le corollaire de cette liberté est le droit de toute entreprise, même en position dominante, voire en position de monopole, de répercuter ses coûts sur ses prix, augmentés d'une marge légitime ; 81. Elles font valoir qu'en matière de prix, le chemin emprunté par l'entreprise ne saurait être critiqué, si la destination à laquelle parvient la société (niveau des prix) ne l'est pas ; la thèse contraire, soutenue par l'Autorité, et qui ne serait étayée par aucune jurisprudence, serait, selon elle, d'autant plus critiquable qu'elle se fonde sur un raisonnement déniant à l'entreprise le pouvoir de répercuter sur ses prix l'impact d'événements d'entreprises exceptionnels ou courants, au motif, notamment, qu'elle disposait antérieurement d'une capacité de financement suffisante ; 82. L'Autorité répond que la liste des abus de position dominante fournie dans l'article 102 TFUE ou dans l'article L. 420-2 du code de commerce n'est pas limitative et qu'aux termes d'une jurisprudence constante, toute pratique d'une entreprise en position dominante qui a pour objet ou peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence est susceptible de constituer un abus ; 83. Elle ajoute que les décisions tarifaires d'une entreprise en position dominante sont susceptibles d'entrer dans le champ de l'article 102 du TFUE ou de l'article L. 420-2 du code de commerce ; à cet égard, elle souligne qu'aux termes du premier de ces articles, le fait d'imposer des conditions de transaction non équitables constitue une pratique abusive ; or, selon elle, la notion de « conditions de transaction » comprend non seulement les prix excessifs, mais également les différentes modalités d'une transaction, dont le prix et ses conditions d'évolution ; 84. Elle fait valoir que la pratique sanctionnée, consistant en une augmentation brutale, significative, persistante et injustifiée du prix de l'élimination des DASRI a eu des effets anticoncurrentiels de deux ordres, d'une part, l'imposition d'un surcoût illégitime aux établissements de soins corse, d'autre part, une atteinte à la structure du marché puisque ces derniers ont été dissuadés d'envisager des alternatives aux services proposés par la société SANICORSE ; 85. Selon le ministre chargé de l'économie, il ne peut être soutenu que seule la démonstration d'un prix excessif serait de nature à caractériser une infraction aux dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ; il considère que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que les résiliations de conventions par la société SANICORSE, suivies de majorations des tarifs acceptées sous contrainte par les établissements de santé traduisaient une stratégie de cette société, qui abusait ainsi de son pouvoir de marché ; 86. Le ministère public souligne que l'article L. 420-2 du code de commerce réprime tous les abus de position dominante, peu important que ce soit la première fois qu'une pratique donnée soit poursuivie ; il considère également que les hausses tarifaires pratiquées par la société SANICORSE constituent un abus de position dominante ; Sur ce, la cour : 87. Ainsi qu'il a été souligné au paragraphe 36 du présent arrêt, la preuve n'est pas rapportée que l'augmentation des tarifs avait pour objet ou pouvait avoir pour effet, réel ou potentiel, de dissuader des concurrents éventuels d'entrer sur le marché pertinent ; la cour se bornera donc, ci-après, à rechercher si la pratique incriminée est constitutive d'un abus d'exploitation ; 88. La cour a rappelé, au paragraphe 33 du présent arrêt, qu'est susceptible de constituer un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d'utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages de transactions qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace ; 89. Si, dans la décision attaquée, l'Autorité s'est bornée à citer des arrêts de la Cour de justice dans lesquels l'abus consistait dans la pratique d'un prix de vente excessif, c'est-à-dire sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie (CJUE, arrêts du 13 novembre 1975, General Motors Continental/Commission, 26/75, point 12, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, précité, point 250 ; Kanal 5 et TV 4, précité, point 28 ; du 27 février 2014, OSA, C-351/12, point 88, et du 14 septembre 2017, Autortiesîbu un komunicç?anâs konsultâciju aìentûra – Latvijas Autoru apvienîba, C-177/16, point 35), c'est à tort que les requérantes en déduisent que, par principe, il ne peut exister d'autres abus d'exploitation que les prix de vente excessif ; 90. En effet, outre que tant l'article 102 du TFUE que l'article L. 420-2 du code de commerce ne fournissent pas une liste exhaustive des abus de position dominante, il résulte du libellé même de l'article 102 du TFUE qu'un abus d'exploitation peut consister non seulement à « imposer de façon directe ou indirecte des prix [?] de vente [?] non équitables » mais également à imposer « des prix d'achat [?] non équitables » ou « d'autres conditions de transaction non équitables » ; appliquant cet article, la Cour de justice a rappelé que peuvent constituer des abus d'exploitation l'imposition de prix d'achat excessivement bas (CJUE, arrêt du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298/83) ou l'imposition d'autres conditions de
transaction non équitables (CJUE, arrêts du 5 octobre 1988, Alsatel, 247/86) ; 91. En l'espèce, l'Autorité considère qu'en imposant aux producteurs de DASRI en CORSE des augmentations tarifaires brutales, significatives, non transitoires et injustifiée, la société SANICORSE leur a imposé des conditions de transaction non équitables ; 92. Deux conditions sont nécessaires pour qualifier des conditions de transaction d'abus d'exploitation ; d'une part, il faut que ce soit la position dominante de l'entreprise en cause qui lui ait permis d'obtenir les avantages de transactions examinés ; d'autre part, ces avantages doivent être non équitables ; s'agissant de la seconde condition, il n'appartient en effet pas à l'Autorité de se substituer aux organes de direction de l'entreprise en position dominante pour déterminer quelle doit être sa politique, notamment tarifaire, sur le marché pertinent, et ce n'est que si, et seulement si, les conditions de transactions passées entre cette entreprise et ses partenaires économiques peuvent, au vu de l'ensemble des circonstances de la cause, être objectivement qualifiées de non équitables, que l'Autorité est en droit d'intervenir ; 93. Il y a lieu de relever que les hausses importantes appliquées sur une période relativement courte par la société SANICORSE ont été rendues possibles par le monopole de fait dont elle jouissait pour l'élimination des DASRI par inertage, dont il a résulté qu'elle n'avait pas à craindre que ses clients se tournent vers d'autres prestataires ; 94. En revanche, le caractère non équitable de ces augmentations n'est pas établi ; 95. En effet, l'Autorité ne soutient pas, et n'a d'ailleurs pas cherché à démontrer, que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société SANICORSE entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d'excessifs ; dans la mesure où la charge de la preuve d'une pratique anticoncurrentielle pèse sur l'Autorité, il y a lieu pour la cour de présumer que ces prix sont équitables ; 96. Or la cour considère que, dès lors que l'application d'une augmentation tarifaire n'est rien d'autre que la fixation d'un prix, l'appréciation du caractère équitable ou non équitable d'une telle augmentation se confond avec celle du caractère équitable ou non équitable du prix en résultant ; si le prix atteint apparaît équitable, l'augmentation ayant conduit à ce prix ne peut pas être jugée inéquitable, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'en rechercher les éventuelles justifications ; 97. Il en irait certes autrement si l'entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l'heure ; mais tel n'est pas le cas en l'espèce : dans les deux cas où, selon l'Autorité, la société SANICORSE a résilié le contrat la liant à un producteur de DASRI afin de lui imposer de nouveaux tarifs (décision attaquée, § 42 à 56), celle-ci a agi dans le respect des stipulations contractuelles en se bornant à refuser la prorogation ou le renouvellement du contrat à son échéance (voir, s'agissant du centre hospitalier de [Localité 3], cotes 84 et 85, et, s'agissant de la polyclinique du Sud de la CORSE, cotes 1691 et 1692) ; plus généralement, il n'est pas soutenu que la société SANICORSE aurait manqué à ses engagements contractuels ; 98. Aucune des circonstances entourant les augmentations tarifaires pratiquées par la société SANICORSE entre 2011 et 2015 n'est de nature à remettre en cause le constat qui précède que, faute d'avoir abouti à des prix inéquitables, ces augmentations ne sont pas constitutives d'un abus de position dominante ; 99. Il y a donc lieu de réformer la décision attaquée et de dire qu'il n'est pas établi que la société SANICORSE, en tant qu'auteure, et la société SAS Groupe [J], en qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ; 100. La cour rappelle que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l'exécution de la décision attaquée, partiellement réformée, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de cet arrêt avec, s'il y a lieu, capitalisation dans les termes de l'article 1154 du code civil » (arrêt pp. 7 à 15) ;

ALORS QUE 1°), constitue un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d'utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace ; qu'en écartant tout abus de position dominante, sans rechercher, comme l'y invitait le Ministre de l'Economie (observations, pp. 3 et 4), si la société SANICORSE, qui était en situation de monopole, avait imposé des conditions de transaction inéquitables en pratiquant notamment des augmentations tarifaires brutales, significatives et non transitoires, qu'elle n'aurait pas obtenues dans un contexte concurrentiel normal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce ;

ALORS QUE 2°), constitue un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d'utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages qu'elle n'aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace ; que, pour écarter l'abus d'exploitation reproché à la société SANICORSE, la cour d'appel énonce que celle-ci aurait agi dans le respect des stipulations contractuelles ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à exclure un abus de position dominante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du code de commerce.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 19-25586;19-25602
Date de la décision : 07/07/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

CONCURRENCE - Abus de position dominante - Conditions - Conditions de transaction non équitables - Augmentation du prix de prestations - Prix excessifs - Preuve - Nécessité

Si constitue un abus de position dominante le fait, pour une entreprise en situation dominante, d'imposer des prix excessifs ou d'autres conditions de transaction non équitables, ne constituent pas des conditions de transaction non équitables des augmentations du prix de prestations, seraient-elles significatives, injustifiées et imposées brutalement et de façon persistante, dès lors qu'il n'est pas prétendu qu'elles auraient abouti à des prix excessifs, c'est-à-dire sans rapport raisonnable avec la valeur économique des prestations fournies


Références :

Article L. 420-2 du code de commerce.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 novembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 07 jui. 2021, pourvoi n°19-25586;19-25602, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard
Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Marlange et de La Burgade, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.25586
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