LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 juin 2021
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 568 F-B
Pourvoi n° T 20-15.690
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 JUIN 2021
La société Ateliers Chollet frères, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 20-15.690 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 - chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [N] [O], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à la société Smj, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Ateliers Chollet frères,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Ateliers Chollet frères, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 octobre 2019), la société Atelier Chollet frères (la société Chollet) a été condamnée par un jugement d'un conseil de prud'hommes du 16 janvier 2015 à payer à Mme [O], une ancienne salariée qui avait été licenciée, des dommages-intérêts. Pendant la procédure d'appel, une procédure de sauvegarde a été ouverte le 8 avril 2015 au profit de la société Chollet, la société SMJ étant désignée en qualité de mandataire judiciaire. Celle-ci est intervenue à l'instance. Par un arrêt du 21 janvier 2016, la cour d'appel a condamné la société Chollet à payer certaines sommes à Mme [O]. Celle-ci, pendant l'exécution du plan arrêté le 6 avril 2016, a fait délivrer un itératif commandement de payer aux fins de saisie-vente, en exécution de la condamnation. La société Chollet a demandé la mainlevée des mesures d'exécution. Mme [O] a assigné le commissaire à l'exécution du plan en exécution forcée.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
2. La société Chollet fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que le juge de l'exécution doit appliquer lui-même, le cas échéant, les règles de la procédure collective interdisant les mesures d'exécution ; qu'en disant qu'une condamnation prononcée contre un débiteur bénéficiant d'une procédure de sauvegarde pouvait faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée, sans rechercher si la condamnation portait sur une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-21, L. 622-22 et R. 622-20 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-21, II, L. 622-24 , alinéa 1er et L. 625-1 du code de commerce :
3. Il résulte de la combinaison de ces textes que, si les créances salariales ne doivent pas être déclarées au passif de la procédure collective, elles sont toutefois soumises à l'arrêt des poursuites individuelles et des procédures civiles d'exécution.
4. Pour rejeter la demande de mainlevée de la société Cholet, l'arrêt retient qu'il n'appartient pas au juge de l'exécution de modifier le dispositif de l'arrêt du 21 janvier 2016 qui n'a pas fixé la créance de Mme [O] au passif de la société Chollet, mais a condamné celle-ci à payer certaines sommes à la salariée.
5. En statuant ainsi alors, qu'ayant relevé que l'arrêt dont Mme [O] avait poursuivi l'exécution avait condamné la société Chollet à payer une créance antérieure, elle devait, au besoin d'office, constater que le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde avait interdit la mise en oeuvre de procédures d'exécution forcée, de sorte qu'elle devait ordonner la mainlevée de celles qui avaient été pratiquées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Ateliers Chollet frères.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Ateliers Chollet Frères de toutes ses demandes,
AUX MOTIFS QUE la cour a mis dans le débat le moyen tiré de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, concernant l'étendue de ses pouvoirs en présence de l'arrêt de la cour d'appel servant de fondement aux poursuites de Mme [O] et a invité les parties à présenter leurs observations dans un délai de sept jours ; QUE la société Chollet soutient, dans sa note en délibéré que l'interprétation qu'elle donne à l'arrêt ne modifie pas les droits que Mme [O] tient de celui-ci et le replace dans le cadre juridique de la loi de sauvegarde des entreprises ;
ALORS QUE le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'il ne peut, en cours de délibéré, relever d'office un moyen de droit sans avoir au préalable rouvert les débats pour permettre aux parties de s'expliquer contradictoirement ; que la cour d'appel en l'espèce, après avoir relevé d'office en cours de délibéré le moyen tiré de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, concernant l'étendue de ses pouvoirs, s'est bornée à inviter les parties à présenter dans les sept jours une note en délibéré ; qu'elle a ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Ateliers Chollet Frères de toutes ses demandes,
AUX MOTIFS QUE la cour a mis dans le débat le moyen tiré de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, concernant l'étendue de ses pouvoirs en présence de l'arrêt de la cour d'appel servant de fondement aux poursuites de Mme [O] et a invité les parties à présenter leurs observations dans un délai de sept jours ; QUE la société Chollet soutient, dans sa note en délibéré, que l'interprétation qu'elle donne à l'arrêt ne modifie pas les droits que Mme [O] tient de celui-ci et le replace dans le cadre juridique de la loi de sauvegarde des entreprises ; QUE s'il appartient au juge de l'exécution d'interpréter le titre lorsqu'une telle question se pose de façon incidente à l'occasion d'une difficulté d'exécution, l'interprétation ne doit pas viser à modifier ce qui a été décidé mais à chercher la portée de ce qui est ambigu et ne pas porter atteinte à l'autorité de chose jugée ; QU'en l'espèce, les prétentions de l'appelante tendent à modifier le dispositif de l'arrêt du 21 janvier 2016 lequel n'a pas fixé la créance de Mme [O] au passif de la société Ateliers Chollet mais a condamné celle-ci à payer certaines sommes à la salariée ; QU'elles excèdent donc les pouvoirs de la cour statuant sur appel d'une décision du juge de l'exécution et sont, à ce titre, irrecevables ; QU'il convient donc de confirmer, par substitution de motifs, le jugement attaqué, étant ajouté qu'il n'appartient pas à la cour d'interdire à Mme [O] de poursuivre le recouvrement forcé de sa créance ;
1- ALORS QUE le juge de l'exécution doit interpréter les dispositions des décisions de justice qui servent de fondement aux mesures d'exécution dont il est saisi ; que cette interprétation doit, le cas échéant, restituer aux décisions le sens qu'elles doivent avoir pour être conformes aux dispositions d'ordre public ; que les instances prud'homales en cours sont interrompues après le jugement d'ouverture d'une procédure collective et ne peuvent, après avoir été reprises, tendre qu'à la fixation de la créance du salarié au passif de l'employeur ; que dès lors, la décision prononcée par la cour d'appel de Paris le 21 janvier 2016, après l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Atelier Chollet Frères et l'intervention de la société SMJ, son mandataire judiciaire, ne pouvant tendre qu'à la fixation au passif de la société Atelier Chollet Frères de la créance de Mme [O], cet arrêt devait s'interpréter en ce sens qu'il n'avait pas prononcé une condamnation, mais seulement une fixation au passif ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel, a violé les articles R. 121-1, alinéa 2, du code des procédure civiles d'exécution, L. 622-21, L. 622-22 et R. 622-20 du code de commerce ;
2- ALORS QUE les instances prud'homales en cours sont interrompues après le jugement d'ouverture d'une procédure collective et ne peuvent, après avoir été reprises, tendre qu'à la fixation de la créance du salarié au passif de l'employeur ; que les décisions, même passées en force de chose jugée, rendues après l'ouverture de la procédure collective sans que l'instance ait été régulièrement interrompue ou qui ont prononcé la condamnation au paiement d'une somme d'argent, sont réputées non avenues, à moins qu'elles ne soient expressément ou tacitement confirmées par la partie au profit de laquelle l'interruption est prévue ; que dès lors, le juge de l'exécution devait juger non avenu l'arrêt rendu le 21 janvier 2016 qui, rendu après l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, avait prononcé la condamnation de la société Ateliers Chollet Frères ; qu'en jugeant au contraire que cet arrêt pouvait faire l'objet de mesures d?exécution forcée à l'encontre de la société Chollet Frères, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21, L. 622-22 et R. 622-20 du code de commerce ;
3- ALORS QU'en tout état de cause, le juge de l'exécution doit appliquer lui-même, le cas échéant, les règles de la procédure collective interdisant les mesures d'exécution ; qu'en disant qu'une condamnation prononcée contre un débiteur bénéficiant d'une procédure de sauvegarde pouvait faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée, sans rechercher si la condamnation portait sur une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-21, L. 622-22 et R. 622-20 du code de commerce.