LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 juin 2021
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 582 F-D
Pourvoi n° F 19-15.123
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 JUIN 2021
1°/ la société MMA IARD, société anonyme,
2°/ la société MMA IARD assurances mutuelles, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège est [Adresse 1] et venant aux droits de la société Covea Risks,
ont formé le pourvoi n° F 19-15.123 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2019 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Feeleo patrimoine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [D] [B], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La société Feeleo patrimoine a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses aux pourvoi principal et incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique identique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat des sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles et Feeleo patrimoine, de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de M. [B], après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 janvier 2019), les 10 novembre 2008 et 15 décembre 2009, M. [B] a apporté à des sociétés en participation, dans le cadre d'un programme de défiscalisation conçu par la société DOM-TOM défiscalisation qui lui avait été présenté par la société Feeleo patrimoine, des fonds destinés à l'acquisition de centrales photovoltaïques, leur installation et leur location à des sociétés d'exploitation, puis a imputé sur le montant de son impôt sur le revenu, sur le fondement des dispositions de l'article 199, undecies B, du code général des impôts, des réductions d'impôt du fait de ces investissements.
2. L'administration fiscale ayant remis en cause ces réductions d'impôt, M. [B], estimant que la société Feeleo patrimoine avait manqué à ses obligations d'information et de conseil, l'a assignée, ainsi que son assureur, la société Covea Risks, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), en réparation de préjudices correspondant aux suppléments d'impôt sur le revenu et aux intérêts de retard et majorations mis à sa charge.
Examen des moyens
Sur les moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, pris en leurs premières branches, rédigés en termes identiques
Enoncé du moyen
3. Les sociétés MMA et la société Feeleo patrimoine font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à M. [B] la somme de 38 338 euros en réparation de son préjudice d'investissement, alors « que le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ne constitue pas un dommage indemnisable sauf lorsqu'il est établi que, dûment informé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre ; que, pour condamner les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et leur assurée à indemniser M. [B] à hauteur du montant de la rectification fiscale dont il a fait l'objet, la cour d'appel a retenu l'existence d'un lien direct entre les manquements de la société Feeleo patrimoine à son obligation d'information et de conseil et la rectification fiscale, pour énoncer qu'en application du principe de la réparation intégrale il est bien fondé à réclamer la somme de 38 338 euros correspondant aux sommes redressées par l'administration fiscale ; qu'en statuant ainsi, quand le paiement de l'impôt mis à la charge du contribuable ne constituait pas à lui seul un préjudice indemnisable, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
4. Il résulte de ce texte que le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ne constitue pas un dommage indemnisable sauf s'il est établi que, dûment informé ou dûment conseillé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.
5. Pour condamner la société Feeleo patrimoine et les sociétés MMA à payer à M. [B] des sommes correspondant aux suppléments d'impôt sur le revenu et aux intérêts et majorations de retard mis à sa charge, après avoir retenu que la société Feeleo patrimoine avait manqué à ses obligations d'information et de conseil, l'arrêt retient qu'il se déduit de ces manquements que, dès l'origine du contrat, M. [B] ne pouvait espérer aucune exécution de celui-ci, ce dont il résulte un lien direct entre ces manquements et la rectification fiscale qui en est résultée, et qu'en application du principe de la réparation intégrale, il est bien fondé à réclamer des dommages-intérêts correspondant aux sommes redressées par l'administration fiscale.
6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. [B] disposait d'une solution alternative lui permettant d'échapper au paiement de l'impôt supplémentaire mis à sa charge à la suite de la rectification fiscale et pour laquelle, dûment informé ou dûment conseillé, il aurait nécessairement opté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement la société Feeleo patrimoine et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à M. [B] la somme de 38 338 euros en réparation du préjudice d'investissement et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 15 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] et le condamne à payer à la société Feeleo patrimoine la somme de 1 500 euros et aux sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles la somme globale de 1 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen identique produit AUX POURVOIS PRINCIPAL ET INCIDENT par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour les sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles et la société Feeleo patrimoine.
LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné solidairement la société Feeleo patrimoine et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à M. [D] [B] 38 338 euros en réparation du préjudice d'investissement,
AUX MOTIFS QUE « la demande de M. [D] [B] a pour objet la réduction de l'impôt correspondant aux investissements dont il a été privé en raison des manquements de la société Feeleo patrimoine, et non la base de ses revenus soumis à l'impôt ; que, d'autre part, que la reconnaissance de la responsabilité de société Feeleo patrimoine ainsi que sa garantie par ses assureurs est indépendante de celle, personnelle, du monteur de l'instrument de défiscalisation, de sorte qu'aucun obstacle de droit ne s'oppose pour M. [D] [B] à voir les deux condamnés, à charge pour lui de dénoncer loyalement à chacune des parties les sommes qu'il a pu recevoir d'elles, tout litige sur ce point relevant de la compétence du juge de l'exécution ; qu'enfin, il se déduit des manquements à l'information et au conseil retenus dans les motifs adoptés ci-dessus que, dès l'origine du contrat, M. [D] [B] ne pouvait espérer aucune exécution de celui-ci, ce dont il résulte un lien direct et de la perte certaine entre les manquements et la rectification fiscale qui en est résultée, et qu'en application du principe de la réparation intégrale, il est bien fondé à réclamer la somme de 38 338 euros correspondant aux sommes redressées par l'administration fiscale (21 euros + de 17 041 euros) » ;
1°/ALORS QUE le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ne constitue pas un dommage indemnisable sauf lorsqu'il est établi que, dûment informé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre ; que, pour condamner les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et leur assurée à indemniser M. [B] à hauteur du montant de la rectification fiscale dont il a fait l'objet, la cour d'appel a retenu l'existence d'un lien direct entre les manquements de la société Feeleo patrimoine à son obligation d'information et de conseil et la rectification fiscale, pour énoncer qu'en application du principe de la réparation intégrale il est bien fondé à réclamer la somme de 38 338 euros correspondant aux sommes redressées par l'administration fiscale ; qu'en statuant ainsi, quand le paiement de l'impôt mis à la charge du contribuable ne constituait pas à lui seul un préjudice indemnisable, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ALORS, en toute hypothèse, QUE le préjudice né du manquement du conseiller en investissement à son obligation d'information et de conseil, ainsi qu'à son obligation de mise en garde, s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter ; qu'en condamnant les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et leur assuré à indemniser M. [B] à hauteur des sommes redressées par l'administration fiscale, après avoir imputé à la société Feeleo patrimoine un manquement à son obligation d'information et de conseil, lequel était seulement à l'origine d'une perte de chance de ne pas souscrire l'investissement, dont la réparation devait être mesurée à l'aune de la chance perdue et ne pouvait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, la cour d'appel a encore violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.