LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 juin 2021
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 494 F-D
Pourvoi n° B 19-10.565
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 JUIN 2021
La société Crédit immobilier de France développement (CIFD), venant aux droits de la société Banque patrimoine et immobilier (BPI), dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 19-10.565 contre l'arrêt rendu le 20 novembre 2018 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [O] [J], veuve [Q], prise tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son fils [Z] [Q],
2°/ à Mme [F] [Q],
3°/ à M. [W] [Q],
4°/ à Mme [Y] [Q],
tous domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société Crédit immobilier de France développement, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [J], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son fils [Z] [Q], de Mmes [F] et [Y] [Q] et de M. [Q], après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société Crédit immobilier de France développement, de sa reprise d'instance.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 20 novembre 2018), suivant acte authentique du 3 avril 2008, la société Banque patrimoine et immobilier (la banque) aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement, a consenti à [J] [Q] et à son épouse Mme [O] [J] (les emprunteurs) un prêt destiné à financer l'acquisition, en l'état futur d'achèvement, d'un bien immobilier d'un montant de 484 131 euros à usage de résidence locative meublée. [J] [Q] est décédé le [Date décès 1] 2011.
3. Après avoir prononcé la déchéance du terme le 16 novembre 2011, la banque a, le 13 février 2012, assigné Mme [O] [J] en paiement. Sont intervenus volontairement à la procédure en qualité d'héritiers de leur père, [Z] [Q], représenté par sa mère, Mme [Y] [Q], Mme [F] [Q] et M. [W] [Q]. Mme [O] [J] et ses enfants ont notamment demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts conventionnels.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et de limiter à 240 971,12 euros, outre intérêts au taux légal, le montant de la condamnation, alors « que les dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier ne sont pas applicables aux prêts destinés à financer une activité professionnelle, notamment celle des personnes physiques ou morales qui, à titre habituel, même accessoire à une autre activité, ou en vertu de leur objet social, acquièrent et mettent un bien immobilier en location sous le statut de loueur en meublé professionnel ; que pour retenir que l'emprunt souscrit par les consorts [Q] auprès du CIFD n'était pas destiné à financer une acquisition professionnelle et faire application des dispositions du code de la consommation, l'arrêt se borne à relever que l'immatriculation de M. [Q] au registre du commerce et des sociétés est postérieure à l'acceptation de l'offre de prêt, laquelle mentionne une qualité de loueur en meublé non professionnel ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs inopérants insuffisants à caractériser que les emprunteurs avaient agi à des fins étrangères à leur activité professionnelle, cependant que les appelants faisaient eux-mêmes valoir que M. et Mme [Q] avaient souscrit en 2008 12 emprunts auprès de divers établissements de crédit en vue d'acquérir plusieurs biens immobiliers destinés à être exploités sous le statut de loueur en meublé professionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 312-3, 2° du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 312-3, 2°, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
5. Pour retenir que l'emprunt n'était pas destiné à financer une acquisition professionnelle et faire application des dispositions du code de la consommation, l'arrêt relève que l'offre de prêt mentionne en première page la qualité de loueur en meublé non professionnel et que l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés est postérieure à l'acceptation de l'offre de prêt.
6. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser que les emprunteurs avaient agi à des fins étrangères à leur activité professionnelle, fût-elle accessoire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mme [J], agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de [Z] [Q], Mmes [F] et [Y] [Q], M. [Q] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la société Crédit immobilier de France développement
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement, prononcé la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et limité à 240 971,12 euros, outre intérêts au taux légal, le montant de la condamnation portée contre les consorts [Q],
AUX MOTIFS QUE (p. 6) l'immatriculation de M. [Q] au registre du commerce et des sociétés a été faite le 5 mai 2008 soit postérieurement à l'acceptation de l'offre de prêt le 11 février 2008, étant précisé que l'offre mentionne sur la première page le statut de loueur en meublé non professionnel ; que le CIFD n'est dès lors pas fondé à soutenir que le prêt immobilier échappe aux dispositions du code de la consommation, puisqu'il n'était pas lors de sa conclusion, destiné à financer une activité professionnelle (...) ; que (p. 7) les consorts [Q] soutiennent qu'ils n'ont pas pu bénéficier du délai de réflexion de 10 jours prescrit par l'article L. 312-10 du code de la consommation ; qu'en l'espèce, si l'offre de prêt est datée du 22 janvier 2008, aucun élément ne permet de déterminer la date à laquelle elle a été expédiée et reçue par les consorts [Q], la mention de l'acceptation de l'offre indiquant uniquement qu'elle a été reçue par voie postale ; que l'acceptation de l'offre étant datée du 11 février 2008, la cour n'est pas en mesure de vérifier que l'acceptation de les emprunteurs ont effectivement disposé d'un délai de 10 jours entre la réception de l'offre et son acceptation ; que dès lors, la sanction prévue par l'article L.312-33 du code de la consommation dans sa rédaction alors en vigueur lors de la conclusion du prêt est encourue ; que pour ce seul motif, il convient de prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'argumentation des consorts [Q] sur le taux effectif global ;
1°- ALORS QUE les dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier ne sont pas applicables aux prêts destinés à financer une activité professionnelle, notamment celle des personnes physiques ou morales qui, à titre habituel, même accessoire à une autre activité, ou en vertu de leur objet social, acquièrent et mettent un bien immobilier en location sous le statut de loueur en meublé professionnel ; que pour retenir que l'emprunt souscrit par les consorts [Q] auprès du CIFD n'était pas destiné à financer une acquisition professionnelle et faire application des disposition du code de la consommation, l'arrêt se borne à relever que l'immatriculation de M. [Q] au registre du commerce et des sociétés est postérieure à l'acceptation de l'offre de prêt, laquelle mentionne une qualité de loueur en meublé non professionnel ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs inopérants insuffisants à caractériser que les emprunteurs avaient agi à des fins étrangères à leur activité professionnelles, cependant que les appelants faisaient eux-mêmes valoir que les époux [Q] avaient souscrit en 2008 à 12 emprunts auprès de de divers établissements de crédit en vue d'acquérir plusieurs biens immobiliers destinés à être exploités sous le statut de loueur en meublé professionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 312-3, 2° du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause ;
2°- ALORS, subsidiairement, QUE la méconnaissance du délai d'acceptation de dix jours est sanctionnée, non par la déchéance du droit aux intérêts, mais par la nullité relative du contrat de prêt, qui doit être demandée dans le délai de prescription de cinq ans ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'offre de prêt est datée du 22 janvier 2008, qu'elle a été acceptée par les époux [Q] le 11 février 2008 et que l'unique irrégularité dénoncée tient à la date de réception de l'offre par les époux [Q], qui est incertaine, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier que les emprunteurs ont effectivement disposé d'un délai de dix jours entre la réception de l'offre et son acceptation ; qu'en prononçant la déchéance du droit aux intérêts en raison de la seule méconnaissance de ce délai, la cour d'appel a violé les articles L. 312-10 et L. 312-33 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et applicable à la cause.