LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 juin 2021
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 670 F-B
Pourvoi n° C 20-12.387
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 JUIN 2021
La société Malteurop, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-12.387 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1er section), dans le litige l'opposant à la société Areas dommages, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vigneras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Malteurop, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Areas dommages, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vigneras, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 22 octobre 2019), [L] [K] (la victime), salarié de la société Ami Champagne (l'employeur) en qualité de technicien de maintenance industrielle, a été victime d'un accident mortel du travail, le 10 janvier 2006, sur le site de la société Malteurop (le tiers) sur lequel il effectuait des travaux de maintenance.
2. Par un arrêt du 15 décembre 2010 de la cour d'appel de Reims, l'employeur et le tiers ont été déclarés coupables d'homicide involontaire.
3. Par un arrêt de la cour d'appel de Reims du 2 mars 2016, et un jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Reims du 25 novembre 2016, déclarés opposables au tiers, la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de l'accident a été reconnue et les parents de la victime d'une part, la compagne et la fille mineure de la victime d'autre part, ont été indemnisés de leurs préjudices.
4. La société Areas dommages, assureur de l'employeur (l'assureur), a saisi une juridiction civile d'une action en partage de responsabilité dirigée à l'encontre du tiers.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Malteurop fait grief à l'arrêt de dire qu'elle doit garantir l'assureur à hauteur de 70% des condamnations prononcées à son encontre, et de la condamner en conséquence à lui payer une certaine somme, alors « que d'une part, si le délai de prescription biennale de l'action en reconnaissance d'une faute inexcusable est interrompu par l'exercice de l'action pénale et la saisine de l'organisme social aux fins de conciliation, l'effet interruptif n'est acquis qu'à la condition que l'action soit engagée avant l'expiration du délai de deux ans ; que l'exposante objectait que le délai de prescription ayant couru à compter du 10 janvier 2006, jour de l'accident, expirait le 10 janvier 2008 et que ni l'action pénale, exercée le 17 novembre 2009, ni la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable ayant donné lieu à un procès-verbal de non conciliation du 28 janvier 2010 n'avaient été introduites dans le délai de deux ans ; qu'en se bornant, pour écarter la prescription, à retenir que la décision pénale définitive était intervenue avec l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 novembre 2011 et que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable avait également été interrompue par la saisine de l'organisme social aux fins de conciliation, qui avait eu lieu le 7 mars 2011 dans l'instance introduite par la mère de la victime, sans vérifier, ainsi qu'il lui était demandé, si l'action pénale et la procédure en reconnaissance de faute inexcusable avaient été mises en oeuvre avant l'expiration du délai de deux ans à compter de la date l'accident, soit avant le 10 janvier 2008, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
7. L'article L. 452-4 du code de la sécurité sociale ne fait pas obstacle à ce qu'un tiers, s'il y a intérêt, intervienne à l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou y soit attrait, aux conditions prévues par les articles 330 et 331 du code de procédure civile. Dès lors, le tiers dont la faute a concouru à la réalisation du dommage subi par un salarié, victime d'un accident du travail dû à une faute inexcusable de son employeur au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, est irrecevable, à l'occasion du recours en garantie exercé à son encontre devant la juridiction de droit commun par l'employeur ou l'assureur de ce dernier, à invoquer la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable établie à l'issue d'une instance à laquelle il était partie.
8. L'arrêt constate que le litige oppose l'assureur de l'employeur, dont la faute inexcusable a été reconnue par deux décisions juridictionnelles, au tiers co-responsable de l'accident, pour la détermination de la part de responsabilité de chacun.
9. Il en résulte que ce tiers est irrecevable à invoquer, à l'occasion de l'instance en garantie, la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.
10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Malteurop aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Malteurop et la condamne à payer à la société Areas dommages la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société Malteurop
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le cocontractant d'un employeur (la société Malteurop, l'exposante) devait garantir l'assureur de ce dernier (la mutuelle Areas Dommages) à hauteur de 70 % des condamnations prononcées par un arrêt du 2 mars 2016 et un jugement du 25 novembre 2016, ensuite de l'accident de travail mortel dont avait été victime un salarié, et de l'avoir condamné en conséquence à lui payer la somme de 319 888,25 ? ;
AUX MOTIFS QUE la SA Malteurop soutenait, d'un côté, que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formée par les ayants droit de M. [K] devant les juridictions de sécurité sociale était prescrite et que cela n'avait été développé ni par la société AMI Champagne, ni par son assureur, la société Areas dommages, et de l'autre, qu'il existait une faute imputable à la victime et que cela n'avait pas été plaidé non plus ; que, s'agissant de la prescription, il y avait lieu de rappeler qu'en application de l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale, la prescription de deux ans était notamment interrompue par l'exercice de l'action pénale, étant précisé que cet effet interruptif subsistait jusqu'à la date à laquelle la décision ayant statué sur cette action était devenue irrévocable ; que cette action était également interrompue par la saisine de la CPAM aux fins de conciliation ; que, au cas présent, la décision pénale définitive était intervenue avec l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 novembre 2011 ; que, dans le cadre des instances engagées devant les juridictions de sécurité sociale, la même action en reconnaissance de la faute inexcusable était également interrompue par la saisine de la CPAM aux fins de conciliation, laquelle avait eu lieu le 7 mars 2011 dans l'instance introduite par la mère de M. [K] ; que, ainsi, force était de constater que les actions exercées par la mère de M. [K] et ses ayants droit (concubine et enfant) n'étaient pas prescrites ; que, s'agissant de la faute de la victime, elle devait être d'une exceptionnelle gravité exposant son auteur sans raison valable à un danger dont elle aurait dû avoir conscience ; qu'en l'espèce, contrairement à l'argumentaire développé par la SA Malteurop consistant à soutenir que la vis sans fin était un équipement dangereux de grande taille et que le salarié ne pouvait ne pas ne pas avoir connaissance du danger auquel il s'exposait en escaladant les carters de protection, il ressortait des pièces versées aux débats que l'accident était dû exclusivement à la faute inexcusable de l'employeur ; qu'en effet, il ressortait des éléments rappelés par le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Marne ainsi que la chambre sociale de la cour de Reims que M. [K] avait accompagné l'implantation de la malterie M3 et suivi une formation avec les salariés de la société qui avait conçu le retourneur à vis ; qu'il assurait le graissage de la vis sans fin ; que, le jour de l'accident, il était entré dans le silo avec son graisseur à la main ; que son collègue, M. [G], était resté au pupitre de commandes et avait mis en marche la vis sans fin ; que M. [K] ne disposait d'aucune procédure de maintenance pour cette vis et était livré à lui-même avec ses collègues et qu'aucun plan de prévention des risques n'avait été établi antérieurement à l'accident ; que, dans ces conditions, la cour, comme les premiers juges, constatait que, dès lors que les règles précises à respecter pour sa protection ne lui avaient pas été données et que seule une analyse des risques par la société Ami Champagne et la SA Malteurop aurait permis d'éviter le décès de M. [K], l'existence d'une faute de la victime d'une exceptionnelle gravité n'était pas établie ;
ALORS QUE, d'une part, si le délai de prescription biennale de l'action en reconnaissance d'une faute inexcusable est interrompu par l'exercice de l'action pénale et la saisine de l'organisme social aux fins de conciliation, l'effet interruptif n'est acquis qu'à la condition que l'action soit engagée avant l'expiration du délai de deux ans ; que l'exposante objectait (v. ses concl. n° 2, pp. 7 et 8) que le délai de prescription ayant couru à compter du 10 janvier 2006, jour de l'accident, expirait le 10 janvier 2008 et que ni l'action pénale, exercée le 17 novembre 2009, ni la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable ayant donné lieu à un procès-verbal de non conciliation du 28 janvier 2010 n'avaient été introduites dans le délai de deux ans ; qu'en se bornant, pour écarter la prescription, à retenir que la décision pénale définitive était intervenue avec l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 novembre 2011 et que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable avait également été interrompue par la saisine de l'organisme social aux fins de conciliation, qui avait eu lieu le 7 mars 2011 dans l'instance introduite par la mère de la victime, sans vérifier, ainsi qu'il lui était demandé, si l'action pénale et la procédure en reconnaissance de faute inexcusable avaient été mises en oeuvre avant l'expiration du délai de deux ans à compter de la date l'accident, soit avant le 10 janvier 2008, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 431-2 du code de la sécurité sociale ;
ALORS QUE, d'autre part, la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour écarter la faute inexcusable de la victime, que les règles précises à respecter pour sa protection ne lui avaient pas été données, tout en relevant qu'elle avait suivi une formation avec les salariés de la société ayant conçu le retourneur de vis, ce dont il se déduisait qu'elle avait connaissance du fonctionnement et des précautions à prendre pour la maintenance de la machine, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, enfin, la faute inexcusable de la victime est la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ; que l'exposante faisait valoir (v. ses concl. n° 2, p. 10) que le salarié avait délibérément escaladé les carters de protection, qui constituaient une mesure de protection, sans qu'aucune raison valable n'eût expliqué ce comportement ; qu'en excluant l'existence d'une faute inexcusable de la victime pour la raison que les règles précises à respecter pour sa protection ne lui avaient pas été données et que seule une analyse des risques par l'employeur aurait permis d'éviter le décès sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la violation délibérée par le salarié des règles de protection d'ores et déjà mise en place démontrait que ni la fourniture de règles précises à respecter pour sa protection ni une analyse des risques n'auraient été de nature à éviter le geste inconsidéré du salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 453-1 du code de la sécurité sociale.