La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/06/2021 | FRANCE | N°18-24576;19-25620

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 16 juin 2021, 18-24576 et suivant


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 juin 2021

Cassation partielle

Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 724 F-D

Pourvois n°
K 18-24.576
R 19-25.620 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 JUIN 2021
>1°/ M. [R] [S],

2°/ Mme [B] [H], épouse [S],

domiciliés tous deux [Adresse 1],

ont formé respectivement les pourvois n° K 18-24.576 et R 19-25.6...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 juin 2021

Cassation partielle

Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 724 F-D

Pourvois n°
K 18-24.576
R 19-25.620 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 JUIN 2021

1°/ M. [R] [S],

2°/ Mme [B] [H], épouse [S],

domiciliés tous deux [Adresse 1],

ont formé respectivement les pourvois n° K 18-24.576 et R 19-25.620 contre deux arrêts rendus le 1er août 2018 et 6 décembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (9e chambre B et chambre 4-2), dans les litiges les opposant à la société Distribution Casino France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de chacun de leurs pourvois, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Ricour, conseiller, les observations de la SAS Cabinet Colin-Stoclet, avocat de M. et Mme [S], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Distribution Casino France, après débats en l'audience publique du 4 mai 2021 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ricour, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseillers, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° K 18-24.576 et R 19-25.620 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués ([Localité 1], 1er août 2018 et 6 décembre 2019), les époux [S] ont conclu, le 21 février 2006, un contrat de cogérance en vue de la gestion de différentes succursales avec la société Distribution Casino France (la société).

3. Le 11 février 2011, la société a notifié la résiliation du contrat de cogérance. Contestant la rupture de ce contrat, les cogérants ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de la relation contractuelle.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° K 18-24.576, pris en sa sixième branche, et le second moyen du pourvoi n° R 19-25.620

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi n° K 18-24.576

Enoncé du moyen

5. Les cogérants font grief à l'arrêt de limiter à un montant les dommages-intérêts dus par la société en réparation du préjudice causé par la clause de non-rétablissement, alors « que la cour d'appel a relevé qu'aucune clause du contrat de cogérance n'autorisait une partie à renoncer à la clause de non-concurrence et que c'était donc en vain que la société avait cru pouvoir y renoncer ; qu'en se fondant, pour limiter le montant du préjudice subi à raison du respect, par les gérants, de la clause de non-concurrence illicite, sur la circonstance que la société avait renoncé à cette clause, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, dont il résultait que cette société n'avait pu valablement renoncer à la clause de non-concurrence et que la prétendue renonciation ne pouvait avoir aucune incidence sur le montant du préjudice subi par les gérants, violant ainsi l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Ayant retenu que la clause de non-rétablissement prévue par le contrat de cogérance était illicite faute de contrepartie financière, la cour d'appel a souverainement apprécié le préjudice en résultant.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen des pourvois n° K 18-24.576 et R 19-25.620, pris en leur deuxième branche, rédigés en termes identiques réunis

Enoncé du moyen

8. Les cogérants font grief à l'arrêt de dire que la rupture du contrat de cogérance est fondée sur une faute grave et de rejeter leur demande en paiement d'une indemnité de préavis, d'une indemnité de résiliation et de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, alors « que la société reprochait aux gérants, non pas d'avoir omis de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits, mais d'avoir intentionnellement abusé de la procédure de changement de prix, en la détournant pour obtenir des crédits sur leur compte général de dépôt ; qu'après avoir considéré que la fraude dénoncée ne pouvait être imputée aux gérants, la cour d'appel a relevé, pour justifier le licenciement sans préavis, que ceux-ci étaient toutefois tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes, qu'il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits et que la répétition de leur négligence rendait impossible le maintien des cogérants à leurs poste, même pendant le préavis ; qu'en se fondant ainsi sur un grief non invoqué par la société, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

9. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

10. Pour dire la rupture fondée sur une faute grave, l'arrêt retient que la manipulation qui est reprochée aux cogérants pouvait être effectuée par un tiers, qu'en conséquence, la fraude dénoncée par l'employeur ne peut leur être imputée, faute de certitude sur l'identité de l'auteur des opérations informatiques, que par contre, les cogérants sont tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes et qu'ainsi il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits, dit RDDC, qui se sont trouvés significativement affectés par des opérations frauduleuses, et que la répétition de la négligence ainsi que les montants en cause rendaient impossible le maintien des cogérants à leur poste, durant même le préavis.

11. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la société Distribution Casino France reprochait aux cogérants d'avoir détourné la procédure de changement de prix pour faire créditer de façon indue leur compte général de dépôt, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent que la rupture du contrat de cogérance est fondée sur une faute grave et rejettent leur demande en paiement d'une indemnité de préavis, d'une indemnité de résiliation et de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse, les arrêts rendus par la cour d'appel d'Aix en Provence les 1er août 2018 et 6 décembre 2019.

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Distribution Casino France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Distribution Casino France et la condamne à payer à M. et Mme [S] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SAS Cabinet Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [S], demandeurs au pourvoi n° K 18-24.576

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la rupture du contrat de cogérance était fondée sur une faute grave et d'avoir limité la condamnation de la société Distribution Casino France au remboursement des retenues illégales sur commission et à la réparation du préjudice causé par la clause nulle de non-rétablissement, rejetant le surplus des demandes des époux [S] ;

AUX MOTIFS QUE, sur la rupture du contrat de cogérance, les cogérants soutiennent que les faits des 26 mars, 24 septembre, 1er octobre et 29 octobre sont prescrits ; qu'ils ont toutefois effectué la déclaration incriminée le 3 décembre 2010 alors que la procédure de rupture a été engagée dans un court délai, l'entretien préalable ayant été tenu le 14 janvier 2011 ; que l'appelante n'avait préalablement au 3 décembre 2010 aucune raison de douter des comptes qui lui étaient adressés ; que ce ne sont que les vérifications qu'elle a entreprises après la déclaration du 3 décembre 2010 qui ont révélé les anomalies reprochées ; qu'en conséquence, ces anomalies ne sont pas prescrites et leur invocation n'est pas tardive ; que l'article 16 du contrat de cogérance stipule que toute infraction à la convention constitue, de convention expresse, une faute lourde puis liste une série de motifs de rupture de contrat ; que les cogérants déduisent de cet article que le contrat ne peut être rompu qu'en cas de faute lourde au sens du droit du travail, c'est-à-dire comportant une intention de nuire alors que l'appelante y lit une qualification contractuelle de la faute ; que la cour retient que l'article précité n'a pas une telle portée et qu'il se contente de détailler des exemples de cause de rupture du contrat de cogérance, laquelle rupture se trouve soumise au droit commun du licenciement ; qu'en l'espèce, il convient donc de retenir que l'employeur reproche aux cogérants une faute grave au sens du droit du travail dès lors qu'il les a privés de leur préavis ; que les cogérants ne contestent pas les changements de prix concernant chaque fois mille articles qui n'existaient pas, ni que cette manoeuvre leur ait bénéficié, mais ils soutiennent ne pas en être les auteurs expliquant qu'il s'agit de simples transmissions informatiques qui pouvaient être réalisées par un grand nombre de personnes possédant un certain code, dit géocode, qui était donné à tous les cogérants intérimaires et au service commercial ; que la cour retient que les cogérants établissent par constat d'huissier du 1er septembre 2011 ainsi que par la production de la liste des « géocodes » que la manipulation qui leur est reprochée pouvait être effectuée par un tiers ; qu'en conséquence, la fraude dénoncée par l'employeur ne peut leur être imputée, faute de certitude sur l'identité de l'auteur des opérations informatiques ; que, par contre, les cogérants sont tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes ; qu'ainsi, il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits, dit RDDC, qui se sont trouvés significativement affectés par les opérations frauduleuses suivantes : 1 258,01 ? le 26 mars 2010 ; 300,00 ? le 24 septembre 2010 ; 1 010,00 ? le 1er octobre 2010 ; 2 371,25 ? le 29 octobre 2010 ; 1 600,00 ? le 22 décembre 2010 ; 630,00 euros le 8 janvier 2011 ; que la répétition de la négligence ainsi que les montants en cause rendaient impossible le maintien des cogérants à leur poste, durant même le préavis ; qu'en conséquence, la rupture du contrat de cogérance repose bien sur une faute grave et les cogérants seront dès lors déboutés de leurs demandes concernant l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de résiliation ainsi que des dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse ; que, sur l'exécution déloyale du contrat de cogérance, les cogérants reprochent à l'appelante de les avoir soumis contre leur statut et leur contrat à une véritable relation salariale subordonnée les privant de leur liberté ainsi que leur indépendance, dès lors qu'ils n'effectuaient que des remplacements de courte durée ce qui les contraignait à respecter les pratiques des cogérants qu'ils remplaçaient notamment en termes d'horaires d'ouverture et de recrutement ; que, toutefois, la cour retient que les intimés ne sollicitent pas la requalification de leur contrat de cogérants en contrat de travail mais revendiquent au contraire l'application du statut de mandataire non salarié ; que les limitations à leur liberté et à leur indépendance qu'ils invoquent apparaissent bien réelles et, si elles sont de nature à nourrir un débat de requalification, lequel n'est pas conduit en l'espèce, elles n'apparaissent nullement fautive de la part de l'appelante dès lors que ces limitations sont consubstantielles aux fonctions de cogérant intérimaire dont les intimés n'ignoraient rien, ayant déjà une expérience de cogérant au temps de la conclusion de leur contrat de cogérants intérimaires ; qu'ainsi, il n'apparaît pas que l'appelante ait exécuté de façon déloyale le contrat de cogérance et les cogérants seront déboutés de ce chef ;

1°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action disciplinaire commence à courir à compter du jour où l'employeur a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer cette action ; que les époux [S] faisaient valoir que la société Distribution Casino France, qui connaissait à tout moment le stock détenu par les cogérants et les commandes passées par eux, disposait, dès la transmission de chaque inventaire de produits faisant l'objet d'un changement de prix, de tous les éléments permettant de constater les anomalies comptables affectant cet inventaire (conclusions, p. 18-19) ; qu'en se bornant à relever, pour écarter la prescription des faits en date des 26 mars, 24 septembre, 1er octobre et 29 octobre 2010, correspondant à des transmissions d'inventaire de produits faisant l'objet d'un changement de prix, que la société Distribution Casino France n'avait aucune raison de douter des comptes qui lui étaient adressés et que les anomalies reprochées aux époux [S] avaient été révélées par les vérifications entreprises après la déclaration du 3 décembre 2010, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date de chaque transmission, cette société n'était pas en mesure de constater ces anomalies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

2° ALORS QUE la société Distribution Casino France reprochait aux époux [S], non pas d'avoir omis de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits, mais d'avoir intentionnellement abusé de la procédure de changement de prix, en la détournant pour obtenir des crédits sur leur compte général de dépôt (conclusions p. 16-17) ; qu'après avoir considéré que la fraude dénoncée ne pouvait être imputée aux époux [S], la cour d'appel a relevé, pour justifier le licenciement sans préavis, que ceux-ci étaient toutefois tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes, qu'il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits et que la répétition de leur négligence rendait impossible le maintien des cogérants à leurs poste, même pendant le préavis (arrêt, p. 9 § 4) ; qu'en se fondant ainsi sur un grief non invoqué par la société, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 5 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE la lettre de résiliation du contrat de cogérance fixe les limites du litige ; qu'il n'était pas contesté que le seul motif de résiliation visé par la société Distribution Casino France dans sa lettre de résiliation du 11 février 2011, citée par la cour d'appel (p. 2-3), était tiré de ce que les époux [S] avaient, selon cette société, intentionnellement abusé de la procédure de changement de prix ; qu'après avoir considéré que la fraude dénoncée ne pouvait être imputée aux époux [S], la cour d'appel a relevé, pour justifier le licenciement sans préavis, que ceux-ci étaient toutefois tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes, qu'il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits et que la répétition de leur négligence rendait impossible le maintien des cogérants à leurs poste, même pendant le préavis ; qu'en se fondant ainsi sur un motif de résiliation non énoncé dans la lettre du 11 février 2011, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;

4°) ALORS QU'en tout état de cause, le cogérant n'est tenu que des obligations prévues au contrat de cogérance ; qu'en relevant, pour considérer que les époux [S] avaient commis une faute grave, qu'ils étaient tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes, sans préciser le fondement contractuel d'une telle obligation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

5°) ALORS QU'en toute hypothèse, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que le seul fait, même répété, de ne pas vérifier les soldes des relevés des débits et crédits ne constitue pas une faute grave ; qu'en considérant que la répétition de la négligence reprochée aux époux [S], ainsi que les montants en cause (7 169,26 euros) rendaient impossible le maintien des cogérants à leur poste, durant même le préavis, et qu'en conséquence la rupture du contrat reposait sur une faute grave, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du code du travail.

6°) ALORS QUE, dans le cadre de l'exécution d'un contrat de cogérance, la société mandante est soumise à l'obligation contractuelle de respecter l'indépendance octroyée aux gérants mandataires, mêmes intérimaires ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter l'action en responsabilité contractuelle pour exécution déloyale du contrat, que les limitations subies par les époux [S] étaient consubstantielles aux fonctions de cogérant intérimaire, sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions, p. 34-36), si la société Distribution Casino France n'était pas tenue, en vertu du contrat du 21 février 2006 et de l'accord du 18 juillet 1963, de respecter l'indépendance des cogérants et si, en méconnaissant cette obligation, elle n'avait pas engagé sa responsabilité contractuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7322-2 du code du travail, de l'accord du 18 juillet 1963 et de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir limité à 5 118,80 euros et 6 370,34 euros le montant des sommes dues par la société Distribution Casino France aux époux [S] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la clause de non-rétablissement ;

AUX MOTIFS QU'en application du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et des dispositions de l'article L. 7322-1 du code de travail, une clause de non-concurrence introduite dans le contrat d'un cogérant non salarié de succursale de maison d'alimentation de détail n'est licite que si elle comporte l'obligation pour la société de distribution de verser au gérant une contrepartie financière ; que l'article 18 du contrat de cogérance dispose que : « en cas de résiliation pour une cause quelconque, les cogérants s'interdisent de s'établir, soit ensemble, soit séparément, durant une période de trois années et dans le rayon ci-dessous précisé de l'établissement qu'ils quittent : 1 km pour les villes de 10 000 habitants et plus, 2 km pour les villes de moins de 10 000 habitants, 3 km pour les « Petit Casino » avec tournées à domicile ; qu'ils s'interdisent de même toute concurrence directe ou indirecte à Distribution Casino France durant la même période et dans le même rayon que ci-dessus : soit en participant d'une manière quelconque à l'exploitation d'un commerce analogue, soit en sollicitant ou faisant solliciter la clientèle, soit sous toute autre forme que ce soit, même en prêtant leur concours à une société non commerciale qui répartirait des produits analogues à ceux vendus, soit, d'une manière générale, sur la vente ou la distribution au détail des articles faisant l'objet du commerce de l'entreprise, à l'exclusion toutefois du cas où le gérant occuperait les fonctions de simple vendeurs chez un spécialiste » ; que l'article 19 du même acte prévoit une sanction pécuniaire au bénéfice de la société Distribution Casino France si le cogérant ne respecte pas la clause de non-concurrence mais aucune contrepartie au bénéfice du cogérant qui la respecte ; que les cogérants demandent à la cour de constater que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de cogérance ne comporte pas de contrepartie financière, qu'en conséquence elle est nulle, de constater aussi qu'ils l'ont respectée, que l'appelant ne pouvait renoncer à son application sans leur accord et en conséquence d'allouer à M. [R] [S] la somme de 16 892,05 euros et à Mme [B] [H] épouse [S] celle de 21 022,20 euros à titre de dommages et intérêts, soit 33 % de la moyenne des commissions brutes perçues sur 12 mois pendant 3 ans ; que la cour retient que la clause de non-rétablissement est nulle faute de contrepartie financière, qu'aucune clause du contrat n'autorisait une partie à y renoncer et que c'est donc en vain que la société Distribution Casino France a cru pouvoir renoncer à la clause de non-concurrence ; que, compte tenu de la renonciation à la clause, le préjudice des cogérants se trouve limité et il ne consiste plus qu'en la limitation de leur liberté de rompre leur contrat durant tout le temps de son exécution par crainte d'avoir à supporter l'interdiction de rétablissement ; que, dès lors, compte tenu de la portée de cette interdiction et de la durée d'exécution du contrat, le préjudice sera entièrement réparé par l'allocation de sommes équivalentes à 1/10ème des commissions sur la période de 3 ans, soit pour M. [R] [S], la somme de 1 421,89 x 1/10 x 36 mois = 5 118,80 euros et pour Mme [B] [H] épouse [S] celle de 1 769,54 euros x 1/10 x 36 mois = 6 370,34 euros à titre de dommages et intérêts ;

ALORS QUE la cour d'appel a relevé qu'aucune clause du contrat de cogérance n'autorisait une partie à renoncer à la clause de non-concurrence et que c'était donc en vain que la société Distribution Casino France avait cru pouvoir y renoncer (arrêt, p. 10 § 2) ; qu'en se fondant, pour limiter le montant du préjudice subi à raison du respect, par les époux [S], de la clause de non-concurrence illicite, sur la circonstance que la société Distribution Casino France avait renoncé à cette clause, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, dont il résultait que cette société n'avait pu valablement renoncer à la clause de non-concurrence et que la prétendue renonciation ne pouvait avoir aucune incidence sur le montant du préjudice subi par les époux [S], violant ainsi l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. Moyens produits par la SAS Cabinet Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [S], demandeurs au pourvoi n° R 19-25.620

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les époux [S] de leurs demandes tendant à la condamnation de la société Distribution Casino France à leur payer une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de résiliation du contrat, et des dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QUE (arrêt du 1er août 2018), sur la rupture du contrat de cogérance, les cogérants soutiennent que les faits des 26 mars, 24 septembre, 1er octobre et 29 octobre sont prescrits ; qu'ils ont toutefois effectué la déclaration incriminée le 3 décembre 2010 alors que la procédure de rupture a été engagée dans un court délai, l'entretien préalable ayant été tenu le 14 janvier 2011 ; que l'appelante n'avait préalablement au 3 décembre 2010 aucune raison de douter des comptes qui lui étaient adressés ; que ce ne sont que les vérifications qu'elle a entreprises après la déclaration du 3 décembre 2010 qui ont révélé les anomalies reprochées ; qu'en conséquence, ces anomalies ne sont pas prescrites et leur invocation n'est pas tardive ; que l'article 16 du contrat de cogérance stipule que toute infraction à la convention constitue, de convention expresse, une faute lourde puis liste une série de motifs de rupture de contrat ; que les cogérants déduisent de cet article que le contrat ne peut être rompu qu'en cas de faute lourde au sens du droit du travail, c'est-à-dire comportant une intention de nuire alors que l'appelante y lit une qualification contractuelle de la faute ; que la cour retient que l'article précité n'a pas une telle portée et qu'il se contente de détailler des exemples de cause de rupture du contrat de cogérance, laquelle rupture se trouve soumise au droit commun du licenciement ; qu'en l'espèce, il convient donc de retenir que l'employeur reproche aux cogérants une faute grave au sens du droit du travail dès lors qu'il les a privés de leur préavis ; que les cogérants ne contestent pas les changements de prix concernant chaque fois mille articles qui n'existaient pas, ni que cette manoeuvre leur ait bénéficié, mais ils soutiennent ne pas en être les auteurs expliquant qu'il s'agit de simples transmissions informatiques qui pouvaient être réalisées par un grand nombre de personnes possédant un certain code, dit géocode, qui était donné à tous les cogérants intérimaires et au service commercial ; que la cour retient que les cogérants établissent par constat d'huissier du 1er septembre 2011 ainsi que par la production de la liste des « géocodes » que la manipulation qui leur est reprochée pouvait être effectuée par un tiers ; qu'en conséquence, la fraude dénoncée par l'employeur ne peut leur être imputée, faute de certitude sur l'identité de l'auteur des opérations informatiques ; que, par contre, les cogérants sont tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes ; qu'ainsi, il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits, dit RDDC, qui se sont trouvés significativement affectés par les opérations frauduleuses suivantes : 1 258,01 ? le 26 mars 2010 ; 300,00 ? le 24 septembre 2010 ; 1 010,00 ? le 1er octobre 2010 ; 2 371,25 ? le 29 octobre 2010 ; 1 600,00 ? le 22 décembre 2010 ; 630,00 euros le 8 janvier 2011 ; que la répétition de la négligence ainsi que les montants en cause rendaient impossible le maintien des cogérants à leur poste, durant même le préavis ; qu'en conséquence, la rupture du contrat de cogérance repose bien sur une faute grave et les cogérants seront dès lors déboutés de leurs demandes concernant l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de résiliation ainsi que des dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse ;

1°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action disciplinaire commence à courir à compter du jour où l'employeur a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer cette action ; que les époux [S] faisaient valoir que la société Distribution Casino France, qui connaissait à tout moment le stock détenu par les cogérants et les commandes passées par eux, disposait, dès la transmission de chaque inventaire de produits faisant l'objet d'un changement de prix, de tous les éléments permettant de constater les anomalies comptables affectant cet inventaire (conclusions, p. 18-19) ; qu'en se bornant à relever, pour écarter la prescription des faits en date des 26 mars, 24 septembre, 1er octobre et 29 octobre 2010, correspondant à des transmissions d'inventaire de produits faisant l'objet d'un changement de prix, que la société Distribution Casino France n'avait aucune raison de douter des comptes qui lui étaient adressés et que les anomalies reprochées aux époux [S] avaient été révélées par les vérifications entreprises après la déclaration du 3 décembre 2010, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date de chaque transmission, cette société n'était pas en mesure de constater ces anomalies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

2° ALORS QUE la société Distribution Casino France reprochait aux époux [S], non pas d'avoir omis de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits, mais d'avoir intentionnellement abusé de la procédure de changement de prix, en la détournant pour obtenir des crédits sur leur compte général de dépôt (conclusions p. 16-17) ; qu'après avoir considéré que la fraude dénoncée ne pouvait être imputée aux époux [S], la cour d'appel a relevé, pour justifier le licenciement sans préavis, que ceux-ci étaient toutefois tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes, qu'il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits et que la répétition de leur négligence rendait impossible le maintien des cogérants à leurs poste, même pendant le préavis (arrêt, p. 9 § 4) ; qu'en se fondant ainsi sur un grief non invoqué par la société, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 5 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE la lettre de résiliation du contrat de cogérance fixe les limites du litige ; qu'il n'était pas contesté que le seul motif de résiliation visé par la société Distribution Casino France dans sa lettre de résiliation du 11 février 2011, citée par la cour d'appel (p. 2-3), était tiré de ce que les époux [S] avaient, selon cette société, intentionnellement abusé de la procédure de changement de prix ; qu'après avoir considéré que la fraude dénoncée ne pouvait être imputée aux époux [S], la cour d'appel a relevé, pour justifier le licenciement sans préavis, que ceux-ci étaient toutefois tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes, qu'il leur appartenait de vérifier les soldes des relevés des débits et crédits et que la répétition de leur négligence rendait impossible le maintien des cogérants à leurs poste, même pendant le préavis ; qu'en se fondant ainsi sur un motif de résiliation non énoncé dans la lettre du 11 février 2011, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;

4°) ALORS QU'en tout état de cause, le cogérant n'est tenu que des obligations prévues au contrat de cogérance ; qu'en relevant, pour considérer que les époux [S] avaient commis une faute grave, qu'ils étaient tenus d'une obligation de vérification de leurs comptes, sans préciser le fondement contractuel d'une telle obligation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

5°) ALORS QU'en toute hypothèse, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que le seul fait, même répété, de ne pas vérifier les soldes des relevés des débits et crédits ne constitue pas une faute grave ; qu'en considérant que la répétition de la négligence reprochée aux époux [S], ainsi que les montants en cause (7 169,26 euros) rendaient impossible le maintien des cogérants à leur poste, durant même le préavis, et qu'en conséquence la rupture du contrat reposait sur une faute grave, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les époux [S] de leur demande tendant à la condamnation de la société Distribution Casino France à leur payer des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de cogérance ;

AUX MOTIFS QUE (arrêt du 1er août 2018), sur l'exécution déloyale du contrat de cogérance, les cogérants reprochent à l'appelante de les avoir soumis contre leur statut et leur contrat à une véritable relation salariale subordonnée les privant de leur liberté ainsi que leur indépendance, dès lors qu'ils n'effectuaient que des remplacements de courte durée ce qui les contraignait à respecter les pratiques des cogérants qu'ils remplaçaient notamment en termes d'horaires d'ouverture et de recrutement ; que, toutefois, la cour retient que les intimés ne sollicitent pas la requalification de leur contrat de cogérants en contrat de travail mais revendiquent au contraire l'application du statut de mandataire non salarié ; que les limitations à leur liberté et à leur indépendance qu'ils invoquent apparaissent bien réelles et, si elles sont de nature à nourrir un débat de requalification, lequel n'est pas conduit en l'espèce, elles n'apparaissent nullement fautive de la part de l'appelante dès lors que ces limitations sont consubstantielles aux fonctions de cogérant intérimaire dont les intimés n'ignoraient rien, ayant déjà une expérience de cogérant au temps de la conclusion de leur contrat de cogérants intérimaires ; qu'ainsi, il n'apparaît pas que l'appelante ait exécuté de façon déloyale le contrat de cogérance et les cogérants seront déboutés de ce chef ;

ALORS QUE, dans le cadre de l'exécution d'un contrat de cogérance, la société mandante est soumise à l'obligation contractuelle de respecter l'indépendance octroyée aux gérants mandataires, mêmes intérimaires ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter l'action en responsabilité contractuelle pour exécution déloyale du contrat, que les limitations subies par les époux [S] étaient consubstantielles aux fonctions de cogérant intérimaire, sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions, p. 34-36), si la société Distribution Casino France n'était pas tenue, en vertu du contrat du 21 février 2006 et de l'accord du 18 juillet 1963, de respecter l'indépendance des cogérants et si, en méconnaissant cette obligation, elle n'avait pas engagé sa responsabilité contractuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7322-2 du code du travail, de l'accord du 18 juillet 1963 et de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-24576;19-25620
Date de la décision : 16/06/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 06 décembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 16 jui. 2021, pourvoi n°18-24576;19-25620


Composition du Tribunal
Président : Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SAS Cabinet Colin - Stoclet, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 29/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:18.24576
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award