LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 juin 2021
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 575 F-D
Pourvoi n° R 18-22.051
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021
M. [U] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 18-22.051 contre l'arrêt rendu le 17 mai 2018 par la cour d'appel de Papeete (chambre des terres), dans le litige l'opposant à M. [J] [G], domicilié [Adresse 2]a, défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. [J], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. [G], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 17 mai 2018), M. et Mme [S] ont cédé à M. [J] le lot n° [Cadastre 1] d'un lotissement, lot acquis de M. [G], demeuré propriétaire du lot n° [Cadastre 2].
2. Par jugement du 3 décembre 1986, un tribunal de grande instance a débouté M. [J] de sa demande en démolition et, après avoir constaté la réalité de l'empiétement résultant des constructions réalisées par M. [G] sur la parcelle correspondant au lot n° [Cadastre 1], a condamné M. [G] ainsi que M. et Mme [S] à verser à M. [J] une certaine somme au titre de la garantie due par le vendeur.
3. Par jugement en date du 10 avril 2013, la chambre des terres du tribunal de première instance de Papeete a rejeté les demandes de M. [J] tendant à faire condamner M. [G] à retirer les constructions faites en violation du cahier des charges du lotissement, pour ce qui concerne l'empiétement résultant de la construction d'une maison et d'un garage sur les lots n° [Cadastre 1] et n° [Cadastre 2].
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [J] fait grief à l'arrêt de dire qu'il est irrecevable en sa demande de démolition de la maison d'habitation et du garage implantés sur la limite du lot [Cadastre 1] et du lot [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1], sis à [Localité 2], pour se heurter à l'autorité de la chose jugée par jugement n° 2417-1280 du tribunal civil de première instance de Papeete en date du 3 décembre 1986, de confirmer, par substitution de motifs, le jugement avant dire-droit n° de minute 80/ADD en date du 10 avril 2013 du tribunal civil de première instance de Papeete chambre des terres en ce qu'il a rejeté ses demande concernant l'empiétement résultant de la construction d'une maison et d'un garage, avant le 2 septembre 1985, sur les lots [Cadastre 1] et [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1] et de dire que les violations du cahier des charges qui pourraient avoir été commises par M. [G] avant le 3 décembre 1986 ne pourront pas avoir pour sanction la démolition de la maison d'habitation et du garage implantés sur la limite du lot [Cadastre 1] et du lot [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1] pour se heurter à l'autorité de la chose jugée du jugement n° 2417-1280 du tribunal de première instance de Papeete en date du 3 décembre 1986, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du jugement et qu'il faut que la chose demandée soit la même et que la demande soit entre les mêmes parties et formées par elle et contre elles en la même qualité ; que dès lors en retenant, pour opposer à M. [J] l'autorité de la chose jugée par le tribunal civil de première instance le 3 décembre 1986, qu'il avait la même qualité dans la présente instance, où il agissait afin de faire respecter les droits résultant du cahier des charges du lotissement et donc en qualité de coloti, et dans la précédente instance qui avait pourtant rejeté sa demande tendant à faire cesser un empiétement et était donc formée en qualité de propriétaire, peu important que son fonds fasse partie d'un lotissement, ce dont il résultait qu'il n'agissait pas en la même qualité, quand bien même les deux actions pouvaient conduire à la démolition des constructions érigées par M. [G], la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 480 du code de procédure civile et l'article 1355 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article 1355 du code civil, applicable en Polynésie française, que l'autorité de la chose jugée n'a lieu que s'il y a identité de cause et d'objet et que si la demande est entre les mêmes parties et formée par elles ou contre elles en la même qualité. En outre, il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci.
6. Ayant constaté, d'une part, qu'en 1985, M. [J] avait agi en qualité de propriétaire pour obtenir la démolition des constructions édifiées sur le lot n° [Cadastre 1] du lotissement [Localité 1] en violation de son droit de propriété, et qu'en 2008, il avait agi en qualité de co-loti afin d'obtenir la démolition des mêmes constructions au motif qu'elles auraient été édifiées en contradiction avec les dispositions du cahier des charges du lotissement, et retenu, d'autre part, que sa demande au principal était identique à la demande formulée en 1985 et que, s'agissant de sa demande subsidiaire, il avait eu la possibilité, dès l'instance intentée en 1985, d'invoquer le moyen tiré de la violation des règles du cahier des charges du lotissement Vaitereia, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel, après avoir rappelé que si M. [J] était co-loti du lotissement [Localité 1], c'était pour être propriétaire du lot n° [Cadastre 1] de ce même lotissement, a décidé que la demande formée par M. [J] en démolition de la maison d'habitation et du garage implantés sur la limite du lot n° [Cadastre 1] et du lot n° [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1], sis à [Localité 3], était irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le tribunal civil de première instance de Papeete le 3 décembre 1986.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [J] et le condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour M. [J]
M. [J] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'il était irrecevable en sa demande de démolition de la maison d'habitation et du garage implantés sur la limite du lot [Cadastre 1] et du lot [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1], sis à [Localité 2], pour se heurter à l'autorité de la chose jugée par jugement n° 2417-1280 du tribunal civil de première instance de Papeete en date du 3 décembre 1986, d'avoir confirmé, par substitution de motifs, le jugement avant dire-droit n° de minute 80/ADD en date du 10 avril 2013 du tribunal civil de première instance de Papeete chambre des terres en ce qu'il a rejeté ses demande concernant l'empiétement résultant de la construction d'une maison et d'un garage, avant le 2 septembre 1985, sur les lots [Cadastre 1] et [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1] et d'avoir dit que les violations du cahier des charges qui pourraient avoir été commises par M. [G] avant le 3 décembre 1986 ne pourront pas avoir pour sanction la démolition de la maison d'habitation et du garage implantés sur la limite du lot [Cadastre 1] et du lot [Cadastre 3] du lotissement [Localité 1] pour se heurter à l'autorité de la chose jugée du jugement n° 2417-1280 du Tribunal de première instance de Papeete en date du 3 décembre 1986 ;
AUX MOTIFS QUE l'article 1355 du code civil, anciennement 1351, dispose que « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles, en la même qualité » ; qu'ainsi, lorsque la même question litigieuse oppose les mêmes parties prises en la même qualité et procède de la même cause que la précédente sans que soit invoquée des faits nouveaux ayant modifié la situation des parties, il y a autorité de la chose jugée ; qu'aux termes de l'article 45 du code de procédure civile de Polynésie française la chose jugée constitue une fin de non-recevoir ; que le principe de concentration des moyens a été consacré et la définition de la «cause» au sens de l'article 1351 ancien du Code civil, est entendue comme l'ensemble des faits sur lesquels est fondée la demande, sans considération pour la qualification juridique que leur a assignée le demandeur ; qu'il y a donc identité de cause dès que les faits invoqués au soutien de la demande sont identiques dans les deux demandes ; qu'ainsi, la nouvelle demande qui invoque un fondement juridique que le demandeur s'était abstenu de soulever en temps utile se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation, le demandeur devant présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que les moyens doivent être « concentrés » ; qu'en l'espèce, le litige opposant les parties est ancien ; que par requête enregistrée le 2 septembre 1985, Monsieur [U] [J] a fait comparaître devant le Tribunal Monsieur [M] [G], dont il n'est pas contesté que, dans la présente instance et devant le premier juge, il soit dénommé [J] [G], et Monsieur et Madame [S], aux fins de voir condamner Monsieur [M] [G] à supprimer l'empiètement réalisé sur le lot n°[Cadastre 1] du lotissement [Localité 1] appartenant au requérant, du fait de la présence de deux constructions par lui édifiées et ce sous astreinte et subsidiairement, aux fins de voir condamner in solidum Monsieur [M] [G] et Monsieur et Madame [S] à lui payer une indemnité de 1.000.000 francs pacifiques au titre de la dépréciation de son lot résultant de l'éviction subie ; que par jugement en date du 3 décembre 1986, le Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, au visa de l'article 555 du code civil et compte tenu de la bonne foi de Monsieur [J] [G], a débouté Monsieur [J] de sa demande en démolition des constructions édifiées par Monsieur [J] [G] sur les lots [Cadastre 1] et [Cadastre 2] avant de procéder à la vente du lot [Cadastre 1] aux époux [S] en 1979. Monsieur [U] [J] ayant fait le choix de renoncer à la possibilité, ouverte par l'article 555 du code civil, de se prétendre propriétaire par accession des empiètements de Monsieur [G] et ayant sollicité subsidiairement la condamnation de Monsieur [G] et des époux [S] à lui payer la somme de 1.000.000 francs pacifiques au titre de l'éviction de propriété subie, le Tribunal a condamné in solidum Monsieur [M] [G] et Monsieur et Madame [T] [S] à payer à Monsieur [U] [J] la somme de 1.000.000 francs pacifiques au titre de la garantie due par le vendeur, et dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent jugement ; qu'il n'est pas soutenu devant la Cour que ce jugement ne soit pas définitif ni que l'indemnité d'éviction n'ait pas été payée. Il n'est pas contesté que, comme en 1985, les parties soient Monsieur [U] [J] et Monsieur [J] [G], alors dit [M] [G] ; que si Monsieur [U] [J] est co-lotis du lotissement [Localité 1], c'est pour être propriétaire du lot [Cadastre 1] de ce lotissement ; qu'en 1985, il agit en qualité de propriétaire du lot [Cadastre 1] du lotissement [Localité 1] ; que lorsqu'il agit en violation des règles du cahier des charges du lotissement le 20 mai 2009, il agit également en qualité de propriétaire du lot [Cadastre 1] du lotissement [Localité 1] ; qu'il ne peut pas jouer sur les mots en indiquant agir en 1985 en qualité de propriétaire du lot [Cadastre 1] et en 2009 en qualité de coloti ; que la Cour dit qu'il s'agit s'une seule et même qualité, propriétaire du lot [Cadastre 1] du lotissement [Localité 1] ; qu'au principal, dans sa requête du 20 mai 2009 et devant la Cour, la demande principale de Monsieur [U] [J] est de voir ordonné à Monsieur [J] [G] de retirer les constructions, dont la démolition des constructions antérieures à son acquisition du lot [Cadastre 1], faites en violation du cahier des charges sous astreinte ; qu'il ne demande pas d'autre sanction aux violations du cahier des charges qu'il dénonce que la démolition, qu'outre que Monsieur [U] [J] n'a qualité à agir en responsabilité contractuelle pour violation du cahier des charges du lotissement [Localité 1] que depuis le 27 décembre 1982, date à laquelle il a acquis le lot [Cadastre 1], et que les violations qu'il reproche à Monsieur [J] [G], telles que la modification de la surface du lot [Cadastre 1] lors de sa vente aux époux [S] et la construction de la maison du lot [Cadastre 2] en limite du lot [Cadastre 1], ont été commises à une date où- il n'avait pas qualité à agir, son action, qu'il dit être une action contractuelle en respect des règles du cahier des charges se résume en réalité à demander la démolition ; que sa demande au principal est donc identique à la demande qu'il formulait en 1985, à savoir la démolition de la maison d'habitation de Monsieur [J] [G], et de sa famille, qu'il occupe depuis plus de trente-cinq ans, maison dont Monsieur [U] [J] ne pouvait pas ignorer l'existence lorsqu'il a acheté le lot [Cadastre 1] ; que la preuve en est que sa demande subsidiaire à la Cour est également qu'il lui soit donné acte de ce qu'il se réserve d'articuler tous arguments et de formuler toutes demandes ampliatives sur lecture du rapport d'expertise, notamment la démolition comme sanction de la non conformité aux dispositions du cahier des charges, pour le cas où la Cour envisagerait une expertise avec pour mission, pour faire le clair de la situation des lots, de vérifier les implantations des ouvrages par rapport aux règles d'urbanismes et aux dispositions du cahier des charges ; de décrire et chiffrer les travaux à réaliser pour parvenir à la conformité des lieux et de rétablir la conformité des lots au regard des dispositions du cahier des charges, en particulier sur le nombre de constructions et leur importance ; or, Monsieur [U] [J] avait la possibilité, dès l'instance intentée en 1985, d'invoquer le moyen de la violation des règles du cahier des charges du lotissement [Localité 1] ; que la Cour dit que sa nouvelle demande qui invoque un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile se heurte à l'autorité de la chose jugée ; qu'ainsi, si Monsieur [U] [J] est recevable en qualité de coloti à agir en responsabilité contractuelle pour le respect des règles du cahier des charges du lotissement depuis le 27 décembre 1982, il ne peut pas demander que la sanction du non-respect de ses règles conduisent à le considérer propriétaire d'une surface plus grande que celle dont il s'est porté acquéreur, comme il ne peut pas demander comme sanction du non-respect des règles la démolition de la maison de Monsieur [J] [G] pour avoir été débouté de cette demande par jugement en date du 3 décembre 1986, d'autant que, ayant fait le choix de renoncer à la possibilité ouverte par l'article 555 du code civil de se prétendre propriétaire par accession des empiètements de Monsieur [G] et avoir sollicité une indemnité d'éviction, le Tribunal a condamné in solidum Monsieur [M] [G] et Monsieur et Madame [T] [S] à payer à Monsieur [U] [J] la somme de 1.000.000 francs pacifiques au titre de la garantie due par le vendeur ; qu'en conséquence, la Cour confirme, par substitutions de motifs, le jugement avant dire droit n° de minute 80/ADD en date du 10 avril 2013 du Tribunal civil de Première Instance de Papeete, chambre des terres, en ce qu'il a rejeté les demandes de Monsieur [U] [J] concernant l'empiétement résultant de la construction d'une maison et d'un garage avant le 2 septembre 1985 sur les lots [Cadastre 1] et [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1]. La Cour précise que Monsieur [U] [J] est irrecevable en sa demande de démolition de la maison d'habitation et du garage implantés sur la limite du lot [Cadastre 1] et du lot [Cadastre 2] du lotissement [Localité 1] pour se heurter à l'autorité de la chose jugée par jugement n°2417-1280 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete en date du 3 décembre 1986.
ALORS QUE l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du jugement et qu'il faut que la chose demandée soit la même et que la demande soit entre les mêmes parties et formées par elle et contre elles en la même qualité ; que dès lors en retenant, pour opposer à M. [J] l'autorité de la chose jugée par le tribunal civil de première instance le 3 décembre 1986, qu'il avait la même qualité dans la présente instance, où il agissait afin de faire respecter les droits résultant du cahier des charges du lotissement et donc en qualité de coloti, et dans la précédente instance qui avait pourtant rejeté sa demande tendant à faire cesser un empiétement et était donc formée en qualité de propriétaire, peu important que son fonds fasse partie d'un lotissement, ce dont il résultait qu'il n'agissait pas en la même qualité, quand bien même les deux actions pouvaient conduire à la démolition des constructions érigées par M. [G], la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 480 du code de procédure civile et l'article 1355 du code civil.