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02/06/2021 | FRANCE | N°19-20588

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 02 juin 2021, 19-20588


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 juin 2021

Rejet

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 671 F-D

Pourvoi n° W 19-20.588

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 JUIN 2021

La société Le Nouvel Observateur du monde, sociét

é anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 19-20.588 contre l'arrêt rendu le 3 juillet 2019 par la cour d'appel de Paris (p...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 juin 2021

Rejet

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 671 F-D

Pourvoi n° W 19-20.588

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 JUIN 2021

La société Le Nouvel Observateur du monde, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 19-20.588 contre l'arrêt rendu le 3 juillet 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à Mme [F] [W] [I], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Le Nouvel Observateur du monde, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [W] [I], après débats en l'audience publique du 8 avril 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juillet 2019), Mme [I] a été engagée avec reprise d'ancienneté en qualité de journaliste par la société Le Nouvel Observateur du monde.

2. Soutenant pouvoir bénéficier des dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail se rapportant à la clause dite de cession, elle a, le 26 février 2016, saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement d'une indemnité de licenciement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la rupture du contrat de travail devait produire les effets prévus par l'article L. 7112-3 du code du travail et de le condamner en conséquence à verser à la salariée certaines sommes à titre d'indemnité et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail ne sont applicables que si la rupture à l'initiative du journaliste est motivée par la cession effective du journal ou du périodique qui l'emploie de sorte que le journaliste ne peut se prévaloir de ce texte dans l'hypothèse d'un simple projet de cession ; qu'en retenant, pour accorder à la salariée la somme de 57 555 euros à titre d'indemnité de licenciement, qu'elle aurait, par sa lettre du 9 octobre 2015, entendu faire application de la clause de cession au motif que M. [Q], fondateur du Nouvel Observateur, qui détenait une minorité de blocage, aurait cédé en septembre 2015 tous ses titres au Monde, ce qui aurait abouti à concentrer l'ensemble du capital entre les mains des mêmes actionnaires, sans rechercher si la cession alléguée était effective au jour où la journaliste avait notifié sa décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;

2°/ que la société Nouvel Observateur avait souligné qu'au 9 octobre 2015, date à laquelle la salariée lui avait notifié son intention de mettre fin à son contrat de travail, la cession par M. [Q] de ses parts n'était qu'un projet qui avait de surcroît été abandonné dès le mois suivant, le bureau de la société des rédacteurs du journal ayant informé le personnel le 19 novembre de ce qu'il souhaitait en réalité demeurer actionnaire ; qu'elle en concluait que, la cession ne s'étant pas réalisée, ni au jour de la notification de la salariée, ni au terme prévu de son préavis, il ne pouvait être conclu à l'application des dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail pour une cession qui n'était alors que simplement envisagée ; qu'en ne répondant pas à ce moyen des écritures de l'employeur, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs et les juges d'appel sont dès lors tenus de s'expliquer sur les motifs du jugement entrepris ; qu'en l'espèce, le conseil de prud'hommes avait constaté que si la salariée justifiait sa décision de faire jouer sa clause de cession par la cession de 36,6 % des parts sociales détenus par le fondateur du journal le Nouvel Observateur au profit du Monde, cette cession n'avait en réalité pas eu lieu, de sorte que, le motif allégué n'étant pas réalisé, la journaliste ne pouvait se prévaloir des dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-5 du code du travail ; qu'en se contentant de retenir que la salariée avait sans ambiguïté entendu faire application de la clause de cession, de sorte que la rupture du contrat de travail lui ouvrait droit à l'indemnité réclamée, sans s'expliquer sur ce qui lui permettait de réfuter les motifs déterminants des premiers juges ayant constaté l'absence de réunion des conditions légales, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail que lorsque la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel et qu'elle est motivée par la cession du journal ou du périodique au service duquel il exerce sa profession, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables.

5. L'article L. 7112-5 du code du travail n'imposant aucun délai aux journalistes pour mettre en oeuvre la clause de cession, il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances qu'il énumère.

6. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation que la cour d'appel, qui a constaté que la lettre de la salariée du 9 octobre 2015 précisait en objet la « clause de cession » et rappelait en partie l'historique de la cession du Nouvel Observateur en mars 2014, a retenu que l'intéressée avait, sans ambiguïté, entendu faire application de cette clause.

7. Puis elle a relevé, à bon droit, la possibilité pour la journaliste de demander l'application de la clause de cession sans qu'aucun délai fût prévu.

8. Elle a, ainsi, sans être tenue, en l'absence de contestation par l'employeur de la réalisation de la cession survenue en mars 2014, de procéder à une recherche quant à l'effectivité, à la date de la lettre susvisée, de la cession de ses parts par le cofondateur du journal, ni de répondre à des conclusions inopérantes qui s'y référaient, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Le Nouvel Observateur du monde aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Nouvel Observateur du monde et la condamne à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux juin deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Le Nouvel Observateur du monde

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la rupture du contrat de travail devait produire les effets prévus par l'article L. 7112-3 du code du travail et d'avoir en conséquence condamné la société Le Nouvel Observateur à verser à Mme [X]-[I] les sommes de 57 555 ? à titre d'indemnité et de 2 000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « sur l'application des dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail : cet article dispose que : "Si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par l'une des circonstances suivantes :
1° Cession du journal ou du périodique ;
2° Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;
3° Changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux. Dans ces cas, le salarié qui rompt le contrat n'est pas tenu d'observer la durée du préavis prévue à l'article L. 7112-2" ;
Qu'en l'espèce, la lettre du 9 octobre 2015 (pièce n° 6) précise en objet "clause de cession" et rappelle en partie l'historique de la cession du Nouvel Observateur en mars 2014 ;
Que la salariée indique qu'à cette époque, elle a hésité à faire valoir cette clause ;
Qu'elle ajoute : "J'apprends aujourd'hui que le dernier lien qui me rattachait au journal pour lequel j'ai une grande affection, a été rompu début septembre. En effet, [E] [Q], le fondateur du Nouvel observateur, qui détenait une minorité de blocage qui était à nos yeux une forme de protection, a cédé tous ses titres au Monde, ce qui aboutit à concentrer l'ensemble du capital entre les mains des mêmes actionnaires.
Ce mouvement qui modifie substantiellement la situation capitalistique du Nouvel Observateur, devenu l'Obs, m'a décidé à faire jouer ma clause de cession" ;
Que la salariée a, sans ambiguïté, entendu faire application de la clause précitée ;
Que selon l'employeur, les conditions d'exercice de cette clause ne sont pas réunies en raison de l'évolution du contexte économique et industriel et l'article précité ne saurait faire naître un droit imprescriptible, injustifié et contraire aux exigences de sécurité juridique ;
Qu'enfin, il est soutenu qu'un droit absolu et illimité dans le temps au bénéfice des journalistes serait exorbitant du droit commun de façon déraisonnable et sans justification objective ;
Que cependant, les dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail, exorbitantes du droit commun, trouvent leur origine dans un texte ancien, une loi de 1935, ayant pour but légitime d'assurer l'indépendance des journalistes et la liberté de la presse, élément indispensable dans une société démocratique, et sont connues des entreprises de journal ou de périodique et donc intégrées dans le contexte économique et industriel de ce secteur d'activité ;
Que par ailleurs, l'exercice de cette clause dite de cession ne porte pas atteinte à la sécurité juridique dès lors que le statut des journalistes ne peut être ignoré par les employeurs ;
Qu'enfin, il n'instaure pas un droit imprescriptible mais seulement la possibilité pour le journaliste d'en demander l'application, sans qu'aucun délai soit prévu, ce qui intervient nécessairement dans un laps de temps proche et donc déterminable, de la cession ou du changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ;
Qu'au surplus, il ne résulte pas du document du 9 octobre susvisé une volonté expresse et non équivoque de démissionner ;
Qu'il en résulte que la rupture du contrat de travail produit les effets prévus à l'article L. 7112-3 du code du travail ;
Que le jugement sera donc infirmé ;
Que l'article L. 7112-3 du code du travail prévoit une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements et dans la limite de 15 mensualités ;
Que si l'ancienneté est supérieure à 15 ans, il convient de renvoyer sa détermination à une commission arbitrale ;
Qu'en l'espèce, la salariée demande une indemnité de huit mois de salaire soit 57 555 ?, somme qui lui sera accordée ».

1/ ALORS QUE les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail ne sont applicables que si la rupture à l'initiative du journaliste est motivée par le cession effective du journal ou du périodique qui l'emploie de sorte que le journaliste ne peut se prévaloir de ce texte dans l'hypothèse d'un simple projet de cession ; qu'en retenant, pour accorder à Mme [X]-[I] la somme de 57 555 ? à titre d'indemnité de licenciement, qu'elle aurait, par sa lettre du 9 octobre 2015, entendu faire application de la clause de cession au motif que M. [Q], fondateur du Nouvel Observateur, qui détenait une minorité de blocage, aurait cédé en septembre 2015 tous ses titres au Monde, ce qui aurait abouti à concentrer l'ensemble du capital entre les mains des mêmes actionnaires, sans rechercher si la cession alléguée était effective au jour où la journaliste avait notifié sa décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;

2/ ALORS QUE la société Nouvel Observateur avait souligné (conclusions en appel, p. 5 et s., et sp. p. 7) qu'au 9 octobre 2015, date à laquelle Madame [X]-[I] lui avait notifié son intention de mettre fin à son contrat de travail, la cession par M. [Q] de ses parts n'était qu'un projet qui avait de surcroît été abandonné dès le mois suivant, le bureau de la société des rédacteurs du journal ayant informé le personnel le 19 novembre de ce qu'il souhaitait en réalité demeurer actionnaire ; qu'elle en concluait que, la cession ne s'étant pas réalisée, ni au jour de la notification de la salariée, ni au terme prévu de son préavis, il ne pouvait être conclu à l'application des dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail pour une cession qui n'était alors que simplement envisagée ; qu'en ne répondant pas à ce moyen des écritures de l'employeur, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3/ ALORS QU'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs et les juges d'appel sont dès lors tenus de s'expliquer sur les motifs du jugement entrepris ; qu'en l'espèce, le conseil de prud'hommes avait constaté que si Mme [X]-[I] justifiait sa décision de faire jouer sa clause de cession par la cession de 36,6 % des parts sociales détenus par le fondateur du journal le Nouvel Observateur au profit du Monde, cette cession n'avait en réalité pas eu lieu, de sorte que, le motif allégué n'étant pas réalisé, la journaliste ne pouvait se prévaloir des dispositions des articles L. 7112-3 et L .7112-5 du code du travail ; qu'en se contentant de retenir que la salariée avait sans ambiguïté entendu faire application de la clause de cession, de sorte que la rupture du contrat de travail lui ouvrait droit à l'indemnité réclamée, sans s'expliquer sur ce qui lui permettait de réfuter les motifs déterminants des premiers juges ayant constaté l'absence de réunion des conditions légales, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 954 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-20588
Date de la décision : 02/06/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 03 juillet 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 02 jui. 2021, pourvoi n°19-20588


Composition du Tribunal
Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.20588
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