La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2021 | FRANCE | N°20-12200

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 12 mai 2021, 20-12200


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 mai 2021

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 414 F-D

Pourvoi n° Z 20-12.200

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2021

M. [F] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 20-12.200

contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2019 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à la société SNCF r...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 12 mai 2021

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 414 F-D

Pourvoi n° Z 20-12.200

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2021

M. [F] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 20-12.200 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2019 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à la société SNCF réseau, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [R], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société SNCF réseau, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 5 novembre 2019), la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF a décidé le 19 mai 2011 la prise en charge de la maladie de M. [R] (la victime), employé de la SNCF (l'employeur) depuis le 12 juillet 1982, au titre de la législation professionnelle sur la base du tableau n°42.

2. La victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Sur le moyen

Enoncé du moyen

3. La victime fait grief à la décision attaquée de dire que la maladie dont il est atteint n'est pas la conséquence de la faute inexcusable de son ancien employeur et de rejeter en conséquence sa demande de reconnaissance de faute inexcusable et ses demandes subséquentes alors :

« 1°/ que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en se bornant à considérer qu'il aurait été établi que l'employeur n'avait pas conscience du danger auquel était exposé l'employé, sans rechercher s'il n'aurait pas dû avoir conscience de ce danger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale ;

2°/ qu'en ne recherchant pas si un employeur comme celui dont s'agit ne devait pas avoir conscience que, même si l'utilisation de l'engin « [T] » en elle-même ne générait pas de bruit particulier, cette utilisation avait lieu à proximité de voies ferroviaires, que si la circulation était stoppée sur la voie sur laquelle il intervenait, elle ne l'était pas sur les autres voies, proches dudit salarié, et que des engins très bruyants y circulaient, de sorte qu'il se trouvait, nécessairement, exposé à un bruit lésionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale ;

3°/ qu'en considérant, pour exclure la faute inexcusable de l'employeur, qu'il avait été affecté sur un chantier non structurellement bruyant pour répondre aux préconisations du médecin du travail, après avoir constaté qu'il avait été affecté à un poste de vérification des rails à l'aide d'un engin non bruyant mais à proximité d'engins d'entretien des voies pour certains très bruyants, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour

Vu les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :

4. Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

5. Pour dire que l'employeur n'a pas commis de faute inexcusable, l'arrêt relève par motifs propres et adoptés que le salarié a été affecté à compter du 1er mars 2006 au service Infralog Lorraine en qualité d'agent technique pour l'entretien des voies, et était en charge de procéder à des vérifications de rails du réseau à l'aide d'un engin de mesure « [T] » ; que si cet engin ne générait pas de bruit, les opérations confiées au salarié s'effectuaient dans un cadre plus bruyant, l'utilisation de l'engin « [T] » n'excluant pas !a présence à proximité d'engins d'entretien des voies pour certains très bruyants ; que la pathologie développée par le salarié est en conséquence en lien avec son activité professionnelle ; qu'au regard des fiches d'aptitude établies à partir du 18 avril 2006 jusqu'au 20 décembre 2010, le salarié était apte au poste sur lequel il opérait ; que si le salarié reproche à l'employeur
de ne pas avoir respecté les préconisations du médecin du travail, celui-ci indiquant sur ces fiches qu'il ne devait pas être exposé au bruit, toutefois, interrogé sur la portée de cette mention, le docteur [V] [P] a indiqué que lorsqu'elle a précisé que le salarié ne devait pas être exposé aux bruits, « c'était dans le but qu'il ne soit pas affecté à un autre poste de travail qui aurait été bruyant de façon régulière (supérieur ou égal à 80 db) [souligné par l'intéressée] sans qu'une visite médicale soit déclenchée pour vérifier son aptitude ; le salarié avait été reclassé à ce poste "[T]" justement pour qu'il ne soit pas affecté à un poste bruyant. » ; qu'il ressort des fiches d'aptitudes que le salarié ne faisait plus l'objet d'un suivi médical au titre du bruit à compter de février 2008 ; que l'employeur n'avait pas ou ne pouvait avoir conscience du danger auquel le salarié, affecté sur un chantier non structurellement bruyant, était exposé.

6. En se déterminant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que l'avis du médecin du travail comportait des restrictions médicales, de sorte que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger particulier auquel était exposée la victime, la cour d'appel, en se bornant à considérer que l'employeur n'avait pas ou ne pouvait avoir conscience du danger auquel le salarié, affecté sur un chantier non structurellement bruyant, était exposé, sans rechercher si l'employeur n'aurait pas dû avoir conscience de ce danger, a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société SNCF Réseau aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SNCF Réseau et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [R]

Il est fait grief à la décision confirmative attaquée d'avoir dit que la maladie dont est atteint M. [R] n'est pas la conséquence de la faute inexcusable de son ancien employeur, la société SNCF Réseau, et d'avoir en conséquence rejeté la demande de reconnaissance de faute inexcusable déposée par M. [R] à l'encontre de la société SNCF Réseau et les demandes subséquentes ;

aux motifs propres que «L'article L 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L 452-2 à L 452-5 du même code. C'est en premier lieu par une exacte appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont relevé que : - M. [F] [R] a été affecté à compter du 1er mars 2006 au service Infralog Lorraine en qualité d'agent technique pour l'entretien des voies, et était en charge de procéder à des vérifications de rails du réseau à l'aide d'un engin de mesure [T] ; - si cet engin ne générait pas de bruit, les opérations confiées à M. [F] [R] s'effectuaient dans un cadre plus bruyant, l'utilisation de l'engin [T] n'excluant pas !a présence à proximité d'engins d'entretien des voies pour certains très bruyants ; - la pathologie développée par M. [F] [R] est en conséquence en lien avec son activité professionnelle. En second lieu, c'est également par une exacte appréciation des éléments du dossier que les premiers juges ont estimé, sur le fondement des fiches d'aptitude établies à partir du 18 avril 2006 jusqu'au 20 décembre 2010, que M. [F] [R] était apte au poste sur lequel il opérait. M. [F] [R] reproche à l'EPIC SNCF Réseaux de ne pas avoir respecté les préconisations du médecin du travail, celui-ci indiquant sur ces fiches qu'il ne devait pas être exposé au bruit ; Toutefois, interrogé sur la portée de cette mention, le Docteur [V] [P] a indiqué que lorsqu'elle a précisé que M. [F] [R] ne devait pas être exposé aux bruits, « c'était dans le but qu'il ne soit pas affecté à un autre poste de travail qui aurait été bruyant de façon régulière (supérieur ou égal à 80 db) [souligné par l'intéressée] sans qu'une visite médicale soit déclenchée pour vérifier son aptitude ; M. [R] avait été reclassé à ce poste "[T]" justement pour qu'il ne soit pas affecté à un poste bruyant". Enfin, il ressort des fiches d'aptitudes que M. [F] [R] ne faisait plus l'objet d'un suivi médical au titre du bruit à compter de février 2008. C'est donc par une exacte appréciation des éléments que les premiers juges ont estimé que l'employeur n'avait pas ou ne pouvait avoir conscience du danger auquel M. [F] [R], affecté sur un chantier non structurellement bruyant, était exposé, et que la faute inexcusable n'est donc pas établie. La décision entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions » ;
et aux motifs adoptés que « Sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. L'article L 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses avants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants. Il résulte des articles L. 461-1. L. 461-2 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale que si, en raison de l'indépendance des rapports entre la caisse et la victime ou ses avants droit et de ceux entre la caisse et l'employeur, le fait que le caractère professionnel de la maladie ne soit pas établi entre la caisse et l'employeur ne prive pas la victime ou ses ayants droit du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, il appartient toutefois à la juridiction saisie d'une telle demande, de rechercher, après débat contradictoire, si la maladie a un caractère professionnel et si l'assuré a été exposé au risque des conditions constitutives d'une faute inexcusable ;

.../... TABLEAU N°42 : ATTEINTE AUDITIVE PROVOQUEE PAR LES BRUITS LESIONNELS

Désignation des maladies
Délai de prise en charge
Liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies

Hypoacousie de perception par lésion cochléaire irréversible, accompagnée ou non d'acouphènes

Cette hypoaucousie est caractérisée par un déficit audiométrique bilatéral, le plus souvent symétrique et affectant préférentiellement les fréquences élevées. Le diagnostic de cette hypoacousie est établi : par une audiométrie tonale liminaire et une audiométrie vocale qui doivent être concordantes ; - en cas de non-concordance : par une impédancemétrie et recherche du réflexe strapédien ou, à défaut, par l'étude du suivi audiométrique professionnel. Ces examens doivent être réalisés en cabine, insonorisée, avec un audiomètre calibré.

Cette audiométrie diagnostique est réalisée après une cessation d'exposition au bruit lésionnel d'au moins 3 jours et doit faire apparaître sur la meilleure oreille un déficit d'au moins 35 Db. Ce déficit est la moyenne des déficits mesurés sur les fréquences 500, 1000, 2000 et 4000 Hertz.

Aucune aggravation de cette surdité professionnelle ne peut être pise en compte, sauf en cas de nouvelle exposition au bruit lésionnel.

1 an (sous réserve d'une durée d'exposition d'un an, réduite à 30 jours en ce qui concerne la mise au point des propulseurs, réacteurs et moteurs thermiques)
Exposition aux bruits lésionnels provoqués par : 1. Les travaux sur métaux par percussion, abrasion ou projection tels que : - le martelage, le burinage, le rivetage, le laminage, l'étirage, le tréfilage, le découpage, le sciage, le cisaillage, le tronçonnage ;- l'ébarbage, le grenaillage manuel, le sablage manuel, le meulage, le polissage, le gougeage et le découpage par procédé arc-air, la métallisation. 2. le câblage, le toronnage, le bobinage de fils d'acier. 3. L'utilisation de marteaux et perforateurs métalliques. 5. Les travaux de verrerie à proximité des fours, machines de fabrication, broyeurs et concasseurs ; l'embouteillage. 6. Le tissage sur métiers ou machines à tisseur, les travaux sur peigneuses, machines à filer incluant le passage sur bancs à broches, retordeuses, moulineuses, bobineuses de fibres textiles 7.La mise au point, les essais et l'utilisation des propulseurs, réacteurs, moteurs thermiques, groupes électrogènes, groupes hydroliques, installations de compressions ou de détente fonctionnant à des pressions différentes de la pression atmosphérique, ainsi que des moteurs électriques de puissance comprise entre 11 kW et 55 kW s'ils fonctionnent à plus de 2.360 tours par minute, de ceux dont la puissance est comprise entre 55 kW et 220kW s'ils fonctionnent à plus de 1 320 tours par minute, de ceux dont la puissance dépasse 220 kW. 8. L'emploi de destruction de munitions ou d'explosifs. 9. L'utilisation de pistolets de scellement. 10. Le broyage, le concassage, le criblage, le sablage manuel, le sciage, l'usinage de pierres et de produits minéraux. 11. Les procédés industriels de séchage de matières organiques par ventilation. 12. L'abattage, le tronçonnage, l'ébranchage mécaniques des arbres. 13. L'emploi des machines à bois en atelier : scies circulaires de tous types, scies à ruban, dégauchisseuses, raboteuses, toupies, machines à fraiser, tenonneuses, mortaiseuses, moulurières, plaqueuses de chant intégrant des fonctions d'usinage, défonceuses, ponceuses, clouteuses. 14. L'utilisation d'engins de chantier : bouteurs, décapeurs, chargeuses, moutons, pelles mécaniques, chariots de manutention tous terrains. 15. Le broyage, l'injection, l'usinage des matières plastiques et du caoutchouc. 16. Le travail sur les rotatives dans l'industrie graphique. 17. La fabrication et le conditionnement mécanisé du papier et du carton. 18. L'emploi du matériel vibrant pour l'élaboration de produits en béton et de produits réfractaires. 19. Les travaux de mesurage des niveaux sonores et d'essais ou de réparation des dispositifs d'émission sonore. 20. Les travaux de moulage sur machines à secousses et décochage sur grilles vibrantes. 21. La fusion en four industriel par arcs électriques. 22. Les travaux sur ou à proximité des aéronefs dont les moteurs sont en fonctionnement dans l'enceinte d'aérodromes et d'aéroports. 23.L'exposition à la composante audible dans les travaux de découpe, de soudage et d'usinage par ultrasons des matières plastiques. 24. Les travaux suivants dans l'industrie agroalimentaire : - l'abattage et l'eviscération des volailles, des porcs et des bovins ; - le plumage de volailles ;- l'emboîtage de conserves alimentaires ; - le malaxage, la coupe, le sciage, le broyage, la compression des produits alimentaires. 25. Moulage par presse à injection de pièces en alliages métalliques.

Sur la pathologie de monsieur [R] : Le certificat médical initial du Docteur [Y] fait état d'une « hypoacousie appareillée qui semble être d'origine professionnelle ». Le taux d'invalidité a été fixé à 20 %. Dans son recours devant la Commission de recours amiable en janvier 2011, monsieur [R] expose que les acouphènes sont devenus permanents à compter de 2008 et que cela provenait d'une exposition excessive au bruit. Le Docteur [Y], dans le certificat médical de juin 2011 mentionne une « hypoacousie appareillée d'origine professionnelle qui s'aggrave progressivement avec une atteinte désormais bilatérale, en raison de la poursuite de son exposition au bruit» Le diagnostic est conforté par les fiches d'aptitude médicale des années 2006 à 2010 indiquant « éviter l'exposition aux bruits» comme proposition d'aménagement. La pathologie de monsieur [R] rentre bien dans le champ d'application du tableau n° 42 des maladies professionnelles. Sur les conditions de travail et l'exposition aux risques : Il est établi en l'espèce que monsieur [R] a travaillé à compter du 1er mars 2006 au service Infralog Lorraine en qualité d'agent technique pour l'entretien des équipements dès avril 2007 comme opérateur maintenance voie. Il était en charge de procéder à des vérifications des rails du réseau avec l'aide d'un engin Eise (appareil de mesure destiné à la prise de mesure dimensionnelle des gabarits et détection d'obstacle). Selon les attestations versées par le requérant, qui ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et dont la valeur probante est moindre: les anciens collègues de monsieur [R] font état de contact avec des engins mécaniques bourreuses, dégarnisseuses ainsi que des chantiers de ballastage et mentionnent des poussières, des bruits supérieurs à 90 db , qu'il n'était pas facile de se prémunir des bruits . Monsieur [Z] indique aussi qu'en tant qu'opérateur [T], il travaille de plus en plus avec des engins ferroviaires sur les voies à proximité d'engins très bruyants et évoque les manoeuvres très désagréables dans les tunnels en raison du bruit et de la poussière. Il ressort aussi des éléments de la procédure que les opérations d'entretien des voies sont concentrées sur une même période dans un environnement plus bruyant. Quand même l'utilisation de l'[T] suppose un arrêt de la circulation ferroviaire celle-ci ne prévient cependant pas le passage d'engins ferroviaires sur les autres voies. Selon les pièces du dossier, les travaux de monsieur [R] dans les tunnels zones de bruit plus important, ont été d'une durée limitée à raison de 5 fois par an. La défenderesse verse à l'appui de ses prétentions une attestation du Directeur d'établissement Infralog Lorraine selon laquelle messieurs [Z], [A] et [T] ayant rédigé les attestations ne faisaient pas partie du collectif de travail quotidien de monsieur [R] et ils ont côtoyé l'intéressé de manière très exceptionnelle sur quelques chantiers. Quand bien même ses témoins n'auraient pas travaillé au quotidien avec monsieur [R], ils peuvent néanmoins attester des activités professionnelles d'agent ou opérateur de maintenance ainsi que de l'exposition des employés au bruit. L'ingénieur-conseil infrastructure en matière de prévention des risques professionnels de la SNCF précise qu'avant d'intégrer la SNCF, monsieur [R], qui était bûcheron, a été exposé aux bruits lésionnels provoqués par l'abattage, le tronçonnage, l'ébranchage mécanique des arbres. Le Tribunal ne peut raisonnablement envisager que les lésions de l'employé, caractérisées médicalement par une aggravation de la pathologie depuis sa prise en charge, seraient consécutives à une exposition à des bruits importants alors qu'il travaillait comme bûcheron 35 ans auparavant. Il est ainsi établi que la pathologie est en lien direct avec les activités du requérant en tant qu'agent technique d'entretien et que monsieur [R] a à nouveau été exposé de manière habituelle au bruit lésionnel alors qu'il exerçait ses fonctions d'opérateur Elise pour le compte de la SNCF Reseau au sens du tableau n°42 des maladies professionnelles. Sur la conscience du danger et les mesures prises Selon l'article R 4431-2 du code du travail, les valeurs limites d'exposition et les valeurs d'exposition déclenchant une action de prévention sont fixées dans le tableau suivant :

VALEUR D'EXPOSITION
NIVEAU D'EXPOSITION

1° Valeurs limites d'exposition
Niveau d'exposition quotidienne au bruit de 87 dB (A) ou niveau de pression acoustique de crête de 140 dB (C)

2° Valeurs d'exposition supérieures déclenchant l'action de prévention
Niveau d'exposition quotidienne au bruit de 85 dB (A) ou niveau de pression acoustique de crête de 137 dB (C)

3° Valeurs d'exposition inférieures déclenchant l'action de prévention prévue au 1° de l'article R 4434-7 et aux articles R 4435-2 et R 4436-1
Niveau d'exposition quotidienne au bruit de 80 dB (A) ou niveau de pression acoustique de crête de 135 dB (C)

Il est constant que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il est établi par l'ensemble des pièces du dossier que la SNCF n'avait pas conscience du danger auquel était exposé l'employé. En effet, monsieur [R] a été déclaré apte par le médecin du travail à exercer cet emploi. Il a justement été affecté à ce poste d'agent technique d'entretien équipement pour éviter qu'il ne soit exposé au bruit, et ce conformément aux préconisations du médecin du travail. Ce dernier n'a d'ailleurs plus effectué de surveillance médicale particulière concernant l'exposition au bruit lors des examens annuels du salarié à compter du 2008. La Direction Infrastructure de la SNCF a homologué l'appareil [T] utilisé par monsieur [R] comme conforme aux prescriptions réglementaires. L'engin est non bruyant et nécessite une interdiction de circulation obligatoire. La durée moyenne quotidienne d'utilisation est évaluée à 5 heures. Des tests sonores ont été réalisés dans le tunnel d'Arzwiller où a travaillé l'intéressé et les mesures sonores ne dépassaient pas les normes prescrites. Dès lors, il est établi que l'employeur de monsieur [R] n'avait pas conscience du danger auquel l'employé était exposé. En conséquence, l'existence d'une faute inexcusable ne sera pas retenue à l'encontre de l'employeur, la SNCF Reseau. Les demandes subséquentes du requérant seront rejetées, tout comme la demande subsidiaire de la défenderesse » ;

alors 1°/ que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en se bornant à considérer qu'il aurait été établi que la SNCF n'avait pas conscience du danger auquel était exposé l'employé, sans rechercher si la SNCF n'aurait pas dû avoir conscience de ce danger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale ;

alors 2°/ qu' en ne recherchant pas si un employeur comme la société SNCF Réseau ne devait pas avoir conscience que, même si l'utilisation de l'engin [T] en elle-même ne générait pas de bruit particulier, cette utilisation avait lieu à proximité de voies ferroviaires, que si la circulation était stoppée sur la voie sur laquelle M. [R] intervenait, elle ne l'était pas sur les autres voies, proches dudit salarié, et que des engins très bruyants y circulaient, de sorte que M. [R] se trouvait, nécessairement, exposé à un bruit lésionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale ;

alors 3°/ qu'en considérant, pour exclure la faute inexcusable de la société SNCF Réseau, que M. [R] avait été affecté sur un chantier non structurellement bruyant pour répondre aux préconisations du médecin du travail, après avoir constaté qu'il avait été affecté à un poste de vérification des rails à l'aide d'un engin non bruyant mais à proximité d'engins d'entretien des voies pour certains très bruyants, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 20-12200
Date de la décision : 12/05/2021
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy, 05 novembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 12 mai. 2021, pourvoi n°20-12200


Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre (président)
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.12200
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award