LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2021
Cassation
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 528 F-D
Pourvoi n° K 19-18.600
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MAI 2021
M. [N] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 19-18.600 contre l'arrêt rendu le 30 avril 2019 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société [Personne physico-morale 1], société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [T], de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la société [Personne physico-morale 1], après débats en l'audience publique du 16 mars 2021 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 30 avril 2019), M. [T] a été engagé le 1er juillet 1981 en qualité de directeur technico-commercial par la société [Personne physico-morale 1] (la société). En dernier lieu, il exerçait les fonctions sociales de directeur général délégué. Après avoir été révoqué de ses fonctions, il a été licencié pour faute grave le 16 décembre 2005.
2. Le 30 mars 2006, contestant son licenciement, l'intéressé a saisi la juridiction prud'homale.
3. Par jugement du 20 octobre 2006, le conseil de prud'hommes, constatant l'existence d'un contrat de travail, s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une action pénale introduite par la société à l'encontre de l'intéressé. M. [T] a déposé le 3 décembre 2014 devant le conseil de prud'hommes des conclusions de reprise d'instance. L'affaire a été radiée par décision du 5 février 2016 pour défaut de diligence des parties.
4. Du 14 avril 2015 au 10 janvier 2017, le salarié a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.
5. Par conclusions de reprise d'instance du 2 octobre 2017, il a sollicité le rétablissement de l'affaire. Constatant l'existence de la procédure de liquidation judiciaire à l'égard du salarié pour la période allant du 14 avril 2015 au 10 janvier 2017 et estimant que les actes de procédure accomplis par celui-ci au cours de cette période étaient nuls et n'avaient pas eu d'effet interruptif sur le délai de péremption, le conseil de prud'hommes a, par jugement du 23 mars 2018, déclaré périmée l'instance introduite par le salarié le 30 mars 2006 à défaut de diligence de la part des parties dans un délai de deux ans à compter des conclusions de reprise d'instance du 3 décembre 2014.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger irrecevables et donc nuls et de nul effet tous les actes réalisés par et au nom du salarié pendant la période du 14 avril 2015 au 10 janvier 2017 et de juger périmée l'instance introduite par lui le 30 mars 2006 devant la juridiction prud'homale, alors :
« 2°/ que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire n'emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur que de l'administration et de la disposition de ses biens et de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée ; que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ; que, toutefois, le débiteur accomplit les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur tels que les droits et actions qui inhérents à sa personne ; que l'instance introduite par le salarié devant la juridiction prud'homale à l'encontre de son employeur ou de ses représentants à l'occasion de son contrat de travail est exclusivement attachée à la personne de l'intéressé, même s'il est en liquidation judiciaire et ne peut être exercée ni par ses créanciers ni par ses représentants légaux ; qu'en estimant qu'en l'absence de l'intervention du liquidateur, les conclusions récapitulatives de M. [T] du 1er février 2016 reprises à l'audience du 5 février 2016 n'avaient pas interrompu le délai de péremption d'instance, cependant que l'instance introduite par M. [T] était exclusivement attachée à sa personne, la cour d'appel a violé l'article 1166 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article L. 1411-1 du code du travail et L. 641-9 du code de commerce ;
3°/ que l'action en réparation d'un préjudice moral subi par le débiteur constitue l'exercice d'un droit propre qui échappe à la règle du dessaisissement ; qu'en décidant, tant par motifs propres que par motifs adoptés, qu'en l'absence de l'intervention du liquidateur, les conclusions récapitulatives de M. [T] du 1er février 2016 reprises à l'audience du 5 février 2016 n'avaient pas interrompu le délai de péremption d'instance qui avait régulièrement expiré le 3 décembre 2016, quand M. [T] revendiquait le paiement d'une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que le salarié ait fait valoir que l'action engagée devant la juridiction prud'homale était exclusivement attachée à sa personne même s'il était en liquidation judiciaire.
8. Cependant, le moyen est de pur droit.
9. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 1166, devenu 1341-1 du code civil, L. 1411-1 du code du travail et L. 641-9 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 :
10. Il résulte de la combinaison des textes susvisés que l'instance introduite par le salarié devant la juridiction prud'homale à l'encontre de son employeur à l'occasion de son contrat de travail est exclusivement attachée à la personne de l'intéressé, même s'il est en liquidation judiciaire, et ne peut être exercée par les organes de la procédure collective.
11. Pour déclarer périmée l'instance introduite par le salarié, l'arrêt retient qu'il avait été mis à titre personnel en liquidation judiciaire le 14 avril 2015 jusqu'à la clôture de cette procédure intervenue le 10 janvier 2017 et qu'en l'absence de l'intervention du liquidateur, les conclusions récapitulatives du salarié du 1er février 2016 reprises à l'audience du 5 février 2016 n'ont pas interrompu le délai de péremption d'instance qui a expiré le 3 décembre 2016.
12. En statuant ainsi, alors que seul le salarié pouvait accomplir des actes de procédure dans l'instance prud'homale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société [Personne physico-morale 1] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [Personne physico-morale 1] et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. [T]
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit et jugé irrecevables et donc nuls et de nul effet tous les actes réalisés par et au nom de M. [N] [T] pendant la période du 14 avril 2015 au 10 janvier 2017 et d'avoir, par conséquent, dit et jugé périmée l'instance introduite par M. [N] [T] le 30 mars 2006 devant le conseil de prud'hommes de Vesoul,
AUX MOTIFS PROPRES QU'
Aux termes de l'article 369 du code civil et de l'article R. 1452-8 du code du travail alors applicable au litige, l'instance est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir pendant deux ans les diligences expressément mises à leur charge par la juridiction,
En l'espèce, il est constant que par jugement du 20 octobre 2006, le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour connaître de la demande présentée par M. [N] [T] et qu'il a sursis à statuer dans l'attente de l'action pénale engagée par la société [Personne physico-morale 1] ; le conseil de prud'hommes a dit que la partie la plus diligente devra dès le prononcé de la décision pénale en aviser le greffe,
Il s'agit de la seule diligence expressément mise à la charge des parties par la juridiction,
Il est constant que l'action pénale s'est conclue par un arrêt de la Cour de cassation rendu le 16 octobre 2013,
Les parties avaient en conséquence un délai de deux ans à compter de cette date pour aviser le greffe du conseil de prud'hommes de cet arrêt,
Il résulte du jugement déféré, non contesté sur ce point, que M. [N] [T] a déposé des conclusions de reprise d'instance le 3 décembre 2014, ouvrant ainsi un nouveau délai de péremption de deux ans, jusqu'au 3 décembre 2016,
Entre le 3 décembre 2014 et le 3 décembre 2016, M. [N] [T] n'a accompli qu'un seul acte, celui de reprendre oralement devant le conseil de prud'hommes à l'audience du 5 février 2016 ses conclusions récapitulatives du 1er février 2016,
Pour sa part, la société [Personne physico-morale 1] avait sollicité un nouveau renvoi à l'audience du 5 février 2016, refusé par la juridiction,
Le conseil de M. [N] [T] ayant refusé de plaider pour des raisons déontologiques, l'affaire a été radiée le même jour pour défaut de diligence des parties,
Or, il est constant que M. [N] [T] avait été placé à titre personnel en liquidation judiciaire le 14 avril 2015, jusqu'à la clôture de la liquidation intervenue le 10 janvier 2017,
Il y a lieu de rappeler que les instances en cours devant la juridiction prud'homale, à la date du jugement d'ouverture, doivent être poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l'administrateur, ou de ceux-ci dûment appelés. Les dispositions des articles 369 et 372 du code de procédure civile ne sont pas applicables à l'instance prud'homale qui n'est ni suspendue, ni interrompue,
Il découle de ces observations qu'en l'absence de l'intervention du liquidateur, les conclusions récapitulatives de M. [N] [T] du 1er février 2016 reprises à l'audience du 5 février 2016 n'ont pas interrompu le délai de péremption d'instance qui a régulièrement expiré le 3 décembre 2016,
M. [N] [T] n'ayant demandé la reprise de l'instance que par requête du 28 septembre 2017, c'est donc à juste titre que le jugement déféré a déclaré périmée l'instance introduite le 30 mars 2006 devant le conseil de prud'hommes de Vesoul,
Il convient en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 23 mars 2018,
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE
Attendu qu'au 16 octobre 2013, la Cour de cassation a rendu son arrêt qui tenait la procédure prud'hommes en l'état,
Attendu qu'à compter de cette date, le délai de 2 ans, suivant l'article L. 1452-8 du code du travail, est ouvert et permet à [N] [V] d'effectuer des diligences de reprise d'instance,
Attendu que le 3 décembre 2014, [N] [T] dépose des conclusions de reprise d'instance,
Que cette démarche ouvre le délai de péremption d'instance de 2 ans,
Attendu que le 14 avril 2015, au vu de l'article L. 641-9 du code de commerce qui dispose : "Le jugement qui ouvre et prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur", une procédure de liquidation personnelle a été ouverte à l'encontre de M. [N] [T],
Attendu que la clôture de la liquidation est intervenue le 10 janvier 2017,
Que M. [N] [T] a attendu la clôture de sa liquidation pour demander sa reprise d'instance le 2 octobre 2017,
Que sachant que toute somme qui lui aurait été allouée précédemment aurait été affectée au comblement du passif de sa liquidation personnelle, M. [N] [T] a attendu la clôture de sa liquidation personnelle pour demander la reprise de son instance le 2 octobre 2017,
Attendu que toutes les diligences et les actes effectués pendant la période de liquidation de M. [N] [T], à titre personnel, sont irréguliers et donc frappés de nullité, au vu de l'article 117 du code de procédure civile,
Que par conséquent, ils n'ont pas d'effet interruptif pour le délai de péremption,
Attendu qu'aucune diligence recevable n'a été effectuée par l'une ou l'autre des parties pendant la période de 2 ans, ainsi que mentionné à l'article 386 du code de procédure civile,
1° ALORS QUE l'effet interruptif d'une diligence, lorsqu'elle consiste en un acte de la procédure, est sans lien avec la validité de cet acte ; qu'en décidant, tant par motifs propres que par motifs adoptés, qu'en l'absence de l'intervention du liquidateur, les conclusions récapitulatives de M. [N] [T] du 1er février 2016 reprises oralement à l'audience du 5 février 2016 n'avaient pas interrompu le délai de péremption d'instance qui avait régulièrement expiré le 3 décembre 2016, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile et l'article R. 1452-8 du code du travail dans sa rédaction antérieure au 1er août 2016,
2° ALORS QUE le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire n'emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur que de l'administration et de la disposition de ses biens et de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée ; que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ; que, toutefois, le débiteur accomplit les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur tels que les droits et actions qui inhérents à sa personne ; que l'instance introduite par le salarié devant la juridiction prud'homale à l'encontre de son employeur ou de ses représentants à l'occasion de son contrat de travail est exclusivement attachée à la personne de l'intéressé, même s'il est en liquidation judiciaire et ne peut être exercée ni par ses créanciers ni par ses représentants légaux ; qu'en estimant qu'en l'absence de l'intervention du liquidateur, les conclusions récapitulatives de M. [N] [T] du 1er février 2016 reprises à l'audience du 5 février 2016 n'avaient pas interrompu le délai de péremption d'instance, cependant que l'instance introduite par M. [T] était exclusivement attachée à sa personne, la cour d'appel a violé l'article 1166 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article L. 1411-1 du code du travail et L. 641-9 du code de commerce,
3° ALORS QUE l'action en réparation d'un préjudice moral subi par le débiteur constitue l'exercice d'un droit propre qui échappe à la règle du dessaisissement ; qu'en décidant, tant par motifs propres que par motifs adoptés, qu'en l'absence de l'intervention du liquidateur, les conclusions récapitulatives de M. [N] [T] du 1er février 2016 reprises à l'audience du 5 février 2016 n'avaient pas interrompu le délai de péremption d'instance qui avait régulièrement expiré le 3 décembre 2016, quand M. [T] revendiquait le paiement d'une somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce.