LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mai 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 386 F-D
Pourvoi n° K 20-10.899
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MAI 2021
Mme [I] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 20-10.899 contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 3), dans le litige l'opposant à la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (CARCDSF), dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Parneix, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [B], de Me Haas, avocat de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes, après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Parneix, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 septembre 2019), la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (la CARCDSF) est propriétaire d'un logement donné en location à Mme [B], selon bail du 3 octobre 1986.
2. Le 25 novembre 2014, la bailleresse a fait constater par huissier de justice que les lieux étaient inhabités depuis plusieurs années, puis elle a assigné la locataire en résiliation du bail et en expulsion.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [B] fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors :
« 1°/ que la résiliation judiciaire du bail aux torts du preneur suppose qu'il ait manqué aux obligations légales ou contractuelles qui lui incombent ; qu'en prononçant dès lors la résiliation du bail aux torts de Mme [B] car elle aurait manqué à son obligation de faire du logement loué son habitation principale, bien qu'elle ait constaté que « Mme [B] n'est soumise par le bail qui lui a été consenti à aucune obligation de durée d'occupation », sans préciser à quel titre Mme [B] aurait été tenue d'occuper les lieux loués à titre d'habitation principale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1741 du code civil ;
2°/ que la seule volonté des parties de se soumettre à une loi n'implique pas qu'elles estiment relever de son champ d'application, ni qu'elles s'imposent de respecter ses conditions d'application ; qu'en considérant que, dès lors que les parties avaient décidé de se soumettre à la loi du 22 juin 1982, Mme [B] aurait été tenue de faire en sorte que les conditions d'application de cette loi - la location d'un logement à usage d'habitation principale - soient remplies, tandis que précisément le choix de se soumettre à cette loi en dehors de son domaine d'application supposait que les conditions d'application ne soient pas remplies, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. La loi du 22 juin 1982 et la loi du 6 juillet 1989, qui lui a succédé, imposent au preneur d'occuper les lieux donnés à bail à titre d'habitation principale.
5. La cour d'appel a relevé que, selon le constat du 25 novembre 2014, l'appartement présentait l'aspect d'un débarras et non d'un lieu d'habitation, qu'il était impossible d'y circuler en raison de son encombrement, que la salle de bains était entièrement inaccessible, que les courriers les plus récents trouvés sur place remontaient à l'année 2008, que ces constatations étaient corroborées par une consommation d'eau insignifiante et par le témoignage de la gardienne affirmant que, depuis 2008, elle n'avait jamais vu personne entrer ou sortir de l'appartement.
6. Elle a souverainement déduit, de ces seuls motifs, que Mme [B] n'occupait plus les lieux à titre de résidence principale depuis plusieurs années et que cette infraction était suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Mme [B] fait encore grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que l'obligation principale du bailleur est de délivrer au preneur la chose louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la bailleresse avait manqué à cette obligation en changeant les serrures du local loué, de sorte que Mme [B] n'avait pu y pénétrer quand elle l'a souhaité ; qu'en déboutant cependant Mme [B] de ses demandes tendant à la condamnation de la CARCDSF à l'indemniser de ses préjudices moral et de jouissance et au remboursement des loyers payés entre décembre 2015 et juin 2016 et des deux nuits passées à l'hôtel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1719 du code civil ;
2°/ que commet une faute le bailleur qui reprend possession du bien loué, sans l'accord du preneur, ni décision de justice l'y autorisant ; qu'en déboutant Mme [B] de ses demandes d'indemnisation de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de pénétrer dans son logement du fait du changement de serrure réalisé par la bailleresse au motif inopérant qu'elle aurait méconnu son obligation d'affecter le local à son habitation principale, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil ;
3°/ que l'indemnisation du preneur pour les troubles de jouissance subis du fait du manquement du bailleur à son obligation de délivrance n'est pas soumise à une mise en demeure du bailleur ; qu'en déboutant Mme [B] de ses demandes indemnitaires liées à l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de pénétrer dans son logement du fait du changement de serrure réalisé par la bailleresse au motif inopérant que la preneuse prétendument informée de ce changement de serrure, n'avait pas sollicité une nouvelle clé, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a relevé que la pénétration de la bailleresse dans les lieux en l'absence de la locataire avait été autorisée par une ordonnance du juge du tribunal d'instance rendue sur requête, que la locataire avait par la suite refusé de communiquer sa nouvelle adresse et que la bailleresse, qui avait dû changer la serrure pour refermer le logement, lui avait remis les nouvelles clés à sa première demande.
10. Elle en a exactement déduit que la bailleresse n'avait pas manqué à son obligation d'assurer la délivrance et la jouissance paisible des lieux, de sorte que les demandes d'indemnisation de la locataire devaient être rejetées.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [B] et la condamne à payer à la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [B]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé la résiliation du bail, d'AVOIR autorisé l'expulsion des occupants à défaut de départ volontaire, d'AVOIR dispensé la CARCDSF de respecter le délai de deux mois suivant la délivrance du commandement de quitter les lieux et d'AVOIR condamné Mme [B] à payer à la CARCDSF une indemnité mensuelle d'occupation de 754 euros à compter de la date du jugement et jusqu'à la libération effective des lieux ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « le bail consenti à Mme [B] est soumis à la loi n°82-526 du 22 juin 1982 relative aux locaux à usage d'habitation à laquelle il fait référence.
Dès lors, et comme le souligne à bon droit Mme [B], les dispositions de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989, dans leur rédaction issue de la loi du 24 mars 2014, indiquant que la loi s'applique aux locations de locaux à usage d'habitation qui constituent la résidence principale du preneur ne sont pas applicables en l'espèce.
Pour autant, les dispositions de la loi du 22 juin 1982 ne s'appliquent qu'aux locaux affectés à l'habitation principale du preneur, les résidences secondaires n'entrant pas dans le champ d'application de cette loi en raison du fait que le droit fondamental à l'habitat affirmé par l'article 1er de la loi ne concernent pas les résidences secondaires (Cass. 3eme civ.29 novembre 1983 ; cass. 3eme civ. 6 novembre 1991, n°90-15.923).
Il s'ensuit que, même si Mme [B] n'est soumise par le bail qui lui a été consenti à aucune obligation de durée d'occupation, elle était tenue d'affecter le local qui lui a été donné à bail à son habitation principale, ce qui suppose une occupation des lieux, sinon permanente, du moins effective et continue, une utilisation du logement comme simple pied-à-terre ne satisfaisant pas à la condition d'occupation effective du logement (Cass.3eme civ. 14 janvier 2016, n°14-23.621).
En l'espèce, la bailleresse verse aux débats un constat d'huissier de justice, établi le 25 novembre 2014, faisant apparaître que l'appartement présente l'aspect d'un débarras et non d'un lieu d'habitation, qu'il est impossible de circuler en raison du fort encombrement, que la salle de bains est entièrement inaccessible, que les courriers les plus récents trouvés sur les lieux et dont les locataires sont les destinataires remontent à l'année 2008 et que l'appartement n'est manifestement plus habité depuis longtemps.
Les constatations de l'huissier de justice sont corroborées par les consommations d'eau insignifiantes - 35 mètres cubes en neuf années - sur la période considérée et par le témoignage de la gardienne de l'immeuble, qui affirme que, depuis son arrivée en 2008, elle n'a jamais vu personne entrer ou sortir de l'appartement dont Mme [B] est locataire.
Mme [B] conteste le procès-verbal d'huissier de justice et le témoignage de la gardienne de l'immeuble, sans établir pour autant avoir occupé le logement qui lui a été donné à bail : le fait qu'elle ait fait procéder à la réexpédition de son courrier ne prouve pas une occupation effective des lieux loués ; elle ne justifie pas davantage que les ennuis de santé auxquels elle a pu être affrontés depuis 2014 seraient de nature à justifier une inoccupation du logement depuis 2008 ni même depuis 2014, la décision de résider dans la maison de ses parents, décédés en 2010, résultant d'un choix personnel de sa part.
Il résulte de ce qui précède qu'il est démontré par la bailleresse que le logement donné à bail à Mme [B] n'est pas affecté à l'habitation principale de cette dernière et que Mme [B] n'occupe pas effectivement les lieux.
Ces manquements sont, compte tenu de la durée non justifiée de l'inoccupation, suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail.
C'est pourquoi le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail, et consécutivement, ordonné l'expulsion de Mme [B] et de M. [Z], dispensé la bailleresse d'avoir à respecter le délai de deux mois suivant la délivrance du commandement de quitter les lieux, et condamné Mme [B] au paiement d'une indemnité d'occupation.
S'agissant du montant de l'indemnité d'occupation, fixée par le premier juge à la somme mensuelle de 754 euros, la bailleresse sollicite dans le corps de ses écritures qu'elle soit fixée à la somme de 903, 80 euros. Toutefois, cette demande n'a pas été reprise dans le dispositif des conclusions d'appel, dans lequel la bailleresse sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions. Il ne sera donc pas statué sur cette demande, la Cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif (Cass.3eme civ, 2 juin 2016) » ;
1°) ALORS QUE la résiliation judiciaire du bail aux torts du preneur suppose qu'il ait manqué aux obligations légales ou contractuelles qui lui incombent ; qu'en prononçant dès lors la résiliation du bail aux torts de Mme [B] car elle aurait manqué à son obligation de faire du logement loué son habitation principale, bien qu'elle ait constaté que « Mme [B] n'est soumise par le bail qui lui a été consenti à aucune obligation de durée d'occupation » (arrêt p. 4, al. 9), sans préciser à quel titre Mme [B] aurait été tenue d'occuper les lieux loués à titre d'habitation principale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1741 du code civil ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la seule volonté des parties de se soumettre à une loi n'implique pas qu'elles estiment relever de son champ d'application, ni qu'elles s'imposent de respecter ses conditions d'application ; qu'en considérant que dès lors que les parties avaient décidé de se soumettre à la loi du 22 juin 1982, Mme [B] aurait été tenue de faire en sorte que les conditions d'application de cette loi - la location d'un logement à usage d'habitation principale - soient remplies, tandis que précisément le choix de se soumettre à cette loi en dehors de son domaine d'application supposait que les conditions d'application ne soient pas remplies, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme [B] de ses demandes tendant à la condamnation de la CARCDSF à l'indemniser de ses préjudices moral et de jouissance et de l'AVOIR déboutée de sa demande de remboursement des loyers payés entre décembre 2015 et juin 2016 et des deux nuits passées à l'hôtel ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « le premier juge a relevé que Mme [B] avait refusé de communiquer à sa bailleresse, aux forces de l'ordre, même à l'audience de plaidoirie devant le premier juge, toute autre adresse que celle du bien loué, en sorte que le fait qu'elle n'ait pu accéder à son logement entre décembre 2015 et juin 2016, ne pouvait être imputé à faute à la bailleresse.
Mme [B], après avoir constaté, lors d'une visite inopinée effectuée un an après le procès-verbal de constat de l'huissier de justice, le changement de la serrure de la porte d'entrée suite à l'ouverture forcée à laquelle l'huissier de justice a procédé, ne justifie pas avoir sollicité de sa bailleresse la remise des nouvelles clés de sa porte d'entrée ni communiqué son adresse d'hébergement, comme elle le prétend.
Mme [B] ne peut prétendre qu'elle ignorait, lors de sa première visite inopinée au mois de novembre 2015, que la serrure de la porte d'entrée avait été changée, dès lors que le procès-verbal d'huissier de justice établi un an plus tôt mentionnait qu'il avait été procédé à l'ouverture forcée de l'appartement par le serrurier requis et réquisitionné.
L'intimée démontre, en revanche, avoir autorisé, dès le 18 janvier 2016, la gardienne de l'immeuble à remettre les clefs de l'appartement à Mme [B] (pièce n° 7).
Par suite, Mme [B] ne saurait utilement prétendre au remboursement des loyers acquittés entre les mois de décembre 2015 et juin 2016, ainsi que des deux nuits passées à l'hôtel ni être indemnisée du préjudice moral dont elle fait état.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts » ;
1°) ALORS QUE l'obligation principale du bailleur est de délivrer au preneur la chose louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la bailleresse avait manqué à cette obligation en changeant les serrures du local loué, de sorte que Mme [B] n'avait pu y pénétrer quand elle l'a souhaité (arrêt p. 5, al. 6 à p. 6, al. 1er) ; qu'en déboutant cependant Mme [B] de ses demandes tendant à la condamnation de la CARCDSF à l'indemniser de ses préjudices moral et de jouissance et au remboursement des loyers payés entre décembre 2015 et juin 2016 et des deux nuits passées à l'hôtel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1719 du code civil ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, commet une faute le bailleur qui reprend possession du bien loué, sans l'accord du preneur, ni décision de justice l'y autorisant ; qu'en déboutant Mme [B] de ses demandes d'indemnisation de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de pénétrer dans son logement du fait du changement de serrure réalisé par la bailleresse au motif inopérant qu'elle aurait méconnu son obligation d'affecter le local à son habitation principale, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, l'indemnisation du preneur pour les troubles de jouissance subis du fait du manquement du bailleur à son obligation de délivrance n'est pas soumise à une mise en demeure du bailleur ; qu'en déboutant Mme [B] de ses demandes indemnitaires liées à l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de pénétrer dans son logement du fait du changement de serrure réalisé par la bailleresse au motif inopérant que la preneuse prétendument informée de ce changement de serrure, n'avait pas sollicité une nouvelle clé, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil.