LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 avril 2021
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 422 FS-P+R
Pourvoi n° C 19-18.616
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 AVRIL 2021
Mme [H] [I], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 19-18.616 contre l'arrêt rendu le 8 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [I], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mars 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Daubigney, M. Ponsot, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Comte, Lefeuvre, Tostain, Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 avril 2019), l'administration fiscale, à laquelle un procureur de la République avait transmis, en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, des informations laissant supposer que M. et Mme [I] étaient, par l'intermédiaire d'une société, titulaires d'un compte bancaire ouvert dans les livres d'une banque établie en Suisse a, le 17 décembre 2010, déposé plainte contre eux du chef de fraude fiscale.
2. Parallèlement, l'administration fiscale a, après le décès d'[O] [I], notifié à Mme [I], le 19 janvier 2015, une proposition de rectification portant sur la réintégration à l'actif taxable à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), acquitté par elle au titre des années 2006 à 2011, les sommes détenues sur un compte ouvert auprès de cette banque .
3. Le 15 juin 2015, l'administration fiscale a émis un avis de mise en recouvrement et, après rejet de sa contestation, Mme [I] l'a assignée aux fins d'annulation de la décision de rejet de sa réclamation ainsi que de décharge des sommes réclamées.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [I] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à l'annulation de la décision de rejet du 22 janvier 2016, ainsi qu'à la décharge des impositions supplémentaires d'ISF auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2011, tant en droits simples qu'en pénalités, alors « que si l'administration peut utiliser, dans le cadre d'une procédure de contrôle autre que les visites domiciliaires, les renseignements d'origine illicite, c'est à la condition qu'ils aient été régulièrement portés à sa connaissance en application, notamment, de son droit de communication ; qu'en vertu des textes applicables à l'époque des faits, le ministère public ne pouvait communiquer les dossiers à l'administration fiscale qu'à l'occasion d'une instance devant les juridictions civiles ou criminelles ; qu'en outre, l'autorité judiciaire ne devait communiquer à l'administration des finances toute indication de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale que si elle l'avait recueillie dans le cadre d'une instance civile ou commerciale, ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ; qu'en l'espèce, les données informatiques dont l'origine frauduleuse est constante, versées au soutien de la plainte de l'administration fiscale contre Mme [I], ont été obtenues par le parquet grâce à la perquisition à laquelle il a été procédé au domicile de M. [Q] à [Localité 1], le 20 janvier 2009, dans le cadre d'une enquête préliminaire ; que ces renseignements qui ne provenaient ni d'une instance civile, commerciale ou pénale, ni d'une information judiciaire, ont donc été irrégulièrement communiquées à l'administration fiscale le 9 juillet 2009 ; qu'en jugeant le contraire, pour dire que celle-ci était en droit de les utiliser, la cour d'appel a violé les articles L. 10-0 AA, L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales dans leur rédaction applicable à l'époque des faits. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable, l'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle, même terminée par un non-lieu.
6. Il ne résulte pas de l'énumération des situations dans lesquelles l'autorité judiciaire est susceptible de transmettre de telles informations que le législateur ait entendu exclure du champ d'application de ce texte les éléments recueillis et transmis par un procureur de la République dans le cadre d'une enquête pénale.
7. En effet, il ressort des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926 portant création de nouvelles ressources fiscales, dont les dispositions de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales sont issues, que l'objectif du législateur était de permettre à l'administration fiscale d'être informée, autant que possible, de présomptions de dissimulations ou d'évasions fiscales, quelle que fût la procédure en cause. À la lumière de l'évolution des règles de procédure pénale existant à la date des transmissions en cause, une interprétation contraire méconnaîtrait cet objectif.
8. En application de l'article L. 10-0 AA du même livre, en matière de procédures de contrôle de l'impôt, à l'exception de celles relatives aux visites en tous lieux, même privés, les pièces issues de la commission d'un délit ne peuvent être écartées au seul motif de leur origine dès lors qu'elles ont été régulièrement portées à la connaissance de l'administration fiscale par application, notamment, de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales et que les conditions dans lesquelles elles lui ont été communiquées n'ont pas été ultérieurement déclarées illégales par un juge.
9. Après avoir constaté que les données informatiques versées au soutien de la plainte de l'administration fiscale contre Mme [I], dont des extraits ont été transmis à l'appui des propositions de rectification, avaient été dérobées par un ancien salarié de la banque suisse dans les livres de laquelle elle avait ouvert un compte, et relevé que ces pièces ont été obtenues à l'occasion de la perquisition légalement effectuée au domicile de ce dernier le 20 janvier 2009, en exécution d'une commission rogatoire internationale délivrée par les autorités judiciaires hélvétiques, l'arrêt retient que les documents ont fait l'objet d'une communication régulière à l'administration fiscale les 9 juillet 2009, 2 septembre 2009 et 12 janvier 2010, conformément aux dispositions de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales. Il relève encore qu'il n'est pas établi que l'administration fiscale aurait confectionné les pièces litigieuses ni participé directement ou indirectement à leur production, le regroupement et le décryptage des données informatiques ne pouvant s'analyser comme une confection d'éléments de preuve par une autorité publique. Il en déduit que ces données ne peuvent pas constituer des preuves illicites.
10. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les pièces, obtenues à l'occasion de l'exécution d'une commission rogatoire internationale, dans des conditions qui n'ont pas ultérieurement été déclarées irrégulières par un juge et dont elle a elle-même examiné la régularité, avaient fait l'objet d'une communication régulière par le procureur de la République à l'administration fiscale en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [I] et la condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de- France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme [I].
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [I] de ses demandes tendant à l'annulation de la décision de rejet du 22 janvier 2016, ainsi qu'à la décharge des impositions supplémentaires d'impôt de solidarité sur la fortune auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2011, tant en droits simples qu'en pénalités ;
AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que les données informatiques versées au soutien de la plainte de l'administration fiscale contre Mme [I] le 10 décembre 2010 dont des extraits ont été transmis à l'appui des propositions de rectification avaient été dérobées par M. [Q], ancien informaticien salarié de la filiale suisse de la banque HSBC. Ces pièces ont été obtenues par la perquisition légalement effectuée au domicile de M. [Q] à [Localité 1] le 20 janvier 2009 dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire internationale délivrée à l'initiative des autorités judiciaires helvétiques et ont fait l'objet d'une communication régulière à l'administration fiscale les 9 juillet 2009, 02 septembre 2009 et 12 janvier 2010, conformément aux dispositions des articles L 101 et L 135 du livre des procédures fiscales. Dès lors peu importe que l'administration admette avoir été destinataire de fichiers qui lui auraient été antérieurement communiqués par M. [Q] dès lors que les données à partir desquelles l'administration fiscale a établi les synthèses individuelles code BUP qu'elle rattache à Mme [I] proviennent bien de la communication par l'autorité judiciaire des éléments saisis régulièrement. Il n'est d'ailleurs pas établi que l'administration fiscale aurait confectionné les pièces litigieuses ni participé directement ou indirectement à leur production, le rapprochement et le décryptage des données informatiques ne pouvant s'analyser comme une confection d'éléments de preuve par une autorité publique. Ces données ne peuvent donc pas constituer des preuves illicites ;
ALORS QUE si l'administration peut utiliser, dans le cadre d'une procédure de contrôle autre que les visites domiciliaires, les renseignements d'origine illicite, c'est à la condition qu'ils aient été régulièrement portés à sa connaissance en application, notamment, de son droit de communication ; qu'en vertu des textes applicables à l'époque des faits, le ministère public ne pouvait communiquer les dossiers à l'administration fiscale qu'à l'occasion d'une instance devant les juridictions civiles ou criminelles ; qu'en outre, l'autorité judiciaire ne devait communiquer à l'administration des finances toute indication de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale que si elle l'avait recueillie dans le cadre d'une instance civile ou commerciale, ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ; qu'en l'espèce, les données informatiques dont l'origine frauduleuse est constante, versées au soutien de la plainte de l'administration fiscale contre Mme [I], ont été obtenues par le parquet grâce à la perquisition à laquelle il a été procédé au domicile de M. [Q] à [Localité 1], le 20 janvier 2009, dans le cadre d'une enquête préliminaire ; que ces renseignements qui ne provenaient ni d'une instance civile, commerciale ou pénale, ni d'une information judiciaire, ont donc été irrégulièrement communiquées à l'administration fiscale le 9 juillet 2009 ; qu'en jugeant le contraire, pour dire que celle-ci était en droit de les utiliser, la cour d'appel a violé les articles L.10-0 AA, L.82 C et L.101 du livre des procédures fiscales dans leur rédaction applicable à l'époque des faits.