LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 avril 2021
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 349 F-D
Pourvoi n° T 19-10.327
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 AVRIL 2021
1°/ la société Porcelaines Deshoulières, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Porcelaines Doralaine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° T 19-10.327 contre l'arrêt rendu le 25 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige les opposant :
1°/ au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, domicilié [Adresse 3],
2°/ à l'association pour l'Indication géographique « [Personne géo-morale 1] », dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de l'association pour l'Indication géographique « [Personne géo-morale 1] », de Me Bertrand, avocat du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, et l'avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 mars 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2018) et les productions, par décision n° 2017-168 du 14 novembre 2017, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a homologué, sous le numéro INPI-1702, le cahier des charges pour l'indication géographique « [Personne géo-morale 2]» et reconnu à l'association pour l'Indication géographique [Personne géo-morale 2](l'[Personne géo-morale 3]) la qualité d'organisme de défense et de gestion du produit bénéficiant de cette indication géographique.
2. Aux termes de ce cahier des charges, la zone géographique associée à l'indication géographique « [Personne géo-morale 2]» est le département de la [Localité 1].
3. Soutenant que les conditions d'homologation d'une indication géographique, prévues par l'article L. 721-3 du code de la propriété intellectuelle, n'étaient pas réunies faute, notamment, de lien entre les caractéristiques des produits bénéficiant de l'indication géographique et la zone géographique de la [Localité 1], les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine ont formé un recours contre cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine font grief à l'arrêt de rejeter leur recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI du 14 novembre 2017, alors « que, selon l'article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle constitue une indication géographique la dénomination d'une zone géographique ou d'un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu'agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique ; qu'en se bornant en l'espèce à affirmer l'existence d'un savoir-faire local particulier qui se serait développé dans le département de la [Localité 1], sans relever aucun élément particulier de ce savoir-faire notamment son caractère secret et sans relever [l]a persistance actuelle de ce savoir-faire tout en admettant que la même porcelaine pourrait être produite ailleurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'application combinée des articles L. 721-2 et L. 721-7, 4°, du code de la propriété intellectuelle qu'est une caractéristique d'un produit, au sens du premier de ces textes, le fait pour ce produit de résulter d'un savoir-faire traditionnel. La notion de « savoir-faire traditionnel », au sens du second de ces textes, n'implique ni exclusivité ni caractère secret des techniques mises en œuvre.
6. L'arrêt relève qu'il résulte du cahier des charges déposé par l'[Personne géo-morale 3] et homologué par le directeur général de l'INPI que, dès 1805, le nombre de fabricants de porcelaine installés dans le département de la [Localité 1] a connu un essor qui s'est accompagné de la formation d'ouvriers et de peintres, que l'activité de la porcelaine comptait plus de 11 000 ouvriers au début du XXème siècle, que ce savoir-faire a évolué avec le recours à l'électricité et au gaz et l'émergence de nouvelles entreprises pour les fours céramiques et la fabrication d'équipements industriels innovants, que sont présentes en [Localité 1] des structures scientifiques et techniques de référence, comme le pôle européen de la céramique et le centre de transfert de technologies céramiques, renforcées par des écoles spécifiques, qui, en collaboration avec les manufactures, préservent les gestes ancestraux toujours enseignés dans de nombreux centres de formation. Il en déduit que de tels éléments, non contestés par les pièces des sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine et propres au département de la [Localité 1], sont de nature à justifier l'existence d'un savoir-faire lié à la ville de [Localité 2] et à ce département, la synthèse de l'enquête publique et de la consultation réalisée par l'INPI relevant du reste expressément le développement d'un savoir-faire local particulier.
7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de rechercher si le savoir-faire traditionnel ainsi caractérisé était unique ou présentait un caractère secret, et qui a constaté sa persistance, a légalement justifié sa décision.
Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine font le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'en retenant la notoriété et la renommée de la [Personne géo-morale 2]sans la rattacher à l'une des caractéristiques du produit, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine faisaient valoir que la réputation d'un produit au sens de l'article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle devait être envisagée de manière objective, au regard des caractéristiques du produit et que la réputation ne pouvait être fondée sur la croyance que suscite le produit auprès du public, au risque d'induire le consommateur en erreur, ce qui serait contraire à la finalité de la loi ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Si, aux termes de l'article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle, le constat que la réputation d'un produit tient essentiellement à son origine géographique suffit pour que la dénomination de la zone géographique ou du lieu déterminé servant à désigner ce produit constitue une indication géographique, il résulte des articles L. 721-3, onzième alinéa, et L. 621-7, 4° et 5°, du même code que le cahier des charges doit notamment préciser les opérations de production ou de transformation qui garantissent cette réputation.
10. Après avoir constaté que le cahier des charges déposé par l'[Personne géo-morale 3] et homologué par le directeur général de l'INPI révèle l'existence d'un savoir-faire traditionnel né et développé dans le département de la [Localité 1], l'arrêt retient que, depuis le début du XIXème siècle, les producteurs locaux ont obtenu de nombreux prix et participé à des expositions universelles qui ont contribué à établir et assurer la notoriété de la [Personne géo-morale 2], que des artistes connus ont collaboré à des entreprises de production de [Personne géo-morale 2], que de nombreux ouvrages lui ont été consacrés et que les pièces versées par les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine sont impropres à contester la notoriété de la [Personne géo-morale 2] ainsi établie et le lien fortement identitaire entre la ville de [Localité 2], le département de la [Localité 1], et la porcelaine.
11. Par ces constatations et appréciations, dont il résulte que la porcelaine fabriquée à [Localité 2] et dans la [Localité 1] selon le savoir-faire traditionnel développé dans cette zone géographique, dont le respect est exigé par le cahier des charges, jouit d'une grande renommée, la cour d'appel, qui a répondu, en les rejetant, aux conclusions prétendument délaissées, invoquées par la troisième branche, a légalement justifié sa décision.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine et les condamne à payer à l'association pour l'[Personne géo-morale 2]la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaines.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le recours formé par les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine à l'encontre de la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle en date du 14 novembre 2017 homologuant le cahier des charges de l'indication géographique « [Personne géo-morale 2]» et reconnaissant l'association [Personne géo-morale 4] organisme de défense et de gestion du produit bénéficiant de cette indication géographique,
AUX MOTIFS QUE
« Les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine dénoncent ensuite aussi l'absence de lien entre les caractéristiques des produits et la zone géographique de la [Localité 1], en relevant qu'il n'y aurait plus de facteurs naturels du fait de l'épuisement des gisements de kaolins, qu'il n'existerait pas de savoir-faire spécifique sur la production de blanc spécifique à ce département, et qu'il ne serait pas démontré que la [Personne géo-morale 2] tirerait sa réputation de son origine géographique.
Comme indiqué précédemment, pour qu'un produit manufacturé puisse bénéficier d'une protection au titre des indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux, il doit présenter une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribués essentiellement à cette origine ou zone géographique.
En l'espèce, le cahier des charges explique la présence de l'activité porcelainière à [Localité 2] par la découverte en 1768, au sud-ouest de [Localité 2], d'un gisement de kaolin d'une admirable pureté.
S'il indique aussi que le kaolin n'est plus présent de manière significative sur le territoire, il ne justifie pas cette indication géographique par le facteur naturel qu'est la présence désormais ancienne de kaolin, mais énonce que la découverte de kaolin, ainsi que la présence de feldspath et de quartz en abondance dans le sous-sol de la [Localité 1], expliquent que ce département disposait des ingrédients nécessaires à la fabrication de la porcelaine.
Par ailleurs, il ne ressort pas des dispositions des articles L721-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle que, pour bénéficier de la protection qu'ils prévoient, les matières premières utilisées pour la confection des produits manufacturés doivent nécessairement provenir de la zone géographique concernée.
Les critères posés pour obtenir une protection au titre des indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux sont soit une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine ou zone géographique, et en l'espèce sont mis en avant le savoir-faire et la réputation de la [Personne géo-morale 2].
S'agissant du savoir-faire, le cahier des charges déposé par l'[Personne géo-morale 5]"[Personne géo-morale 2]" en vue obtenir l'homologation de l'indication géographique "[Personne géo-morale 2]" mentionne l'essor dès 1805 du nombre d'entreprises installées dans le département, développement qui s'accompagne de la formation d'ouvriers et de peintres, et le fait que l'activité de la porcelaine comptait plus de 11000 ouvriers au début du 20ème siècle. Il explique que ce savoir-faire a évolué avec le recours à l'électricité et au gaz, qui ont provoqué la fin des fours à bois et au charbon, et l'émergence de nouvelles entreprises pour les fours céramiques et la fabrication d'équipements industriels innovants. Il relève également la présence de structures scientifiques et techniques de référence, comme "le pôle européen de la céramique, le centre de transfert de technologies céramiques, renforcées par des écoles spécifiques, qui en collaboration avec les manufactures, préservent les gestes ancestraux toujours enseignés dans de nombreux centres de formation".
De tels éléments, non contestés par les pièces des sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine et propres au département de la [Localité 1], sont de nature à justifier l'existence d'un savoir-faire lié à la ville de [Localité 2] et à ce département, la synthèse de l'enquête publique et de la consultation réalisée par l'INPI relevant du reste expressément le développement d'un savoir-faire local particulier.
Le seul fait que la même porcelaine pourrait être produite ailleurs, comme le soutiennent les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine, n'est pas de nature à remettre en cause l'existence d'un tel savoir-faire né et développé dans ce département.
Le cahier des charges relève également qu'au 19ème siècle ont été créées la [Personne géo-morale 6] ainsi que l'union des fabricants de [Personne géo-morale 2], dont la forme actuelle date de 1919, et il n'est pas contesté sur ces points.
Il mentionne aussi l'obtention de nombreux prix depuis le début du 19ème siècle, ainsi que la participation à des expositions universelles, qui ont contribué à établir et assurer la notoriété de la [Personne géo-morale 2].
Ainsi, à l'exposition des arts décoratifs de 1925 un pavillon sur les arts du feu portait l'indication "[Localité 2] capitale porcelainière du monde", et une exposition au [Établissement 1] a été organisée en 1996 consacrée aux "chefs-d'oeuvre de la [Personne géo-morale 2]".
Enfin, le cahier des charges mentionne que des artistes connus ont collaboré à des entreprises de production de [Personne géo-morale 2], et liste de nombreux ouvrages qui lui ont été consacrés.
Les pièces versées par les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine sont impropres à contester la notoriété de la [Personne géo-morale 2] ainsi établie, et le lien fortement identitaire entre la ville de [Localité 2], le département de la [Localité 1], et la porcelaine.
Aussi, et alors que le cahier des charges déterminait l'origine géographique du produit et mettait en avant l'existence d'un savoir-faire traditionnel et la renommée des produits manufacturés en cause, les conditions posées par l'article L721-2 au code de la propriété intellectuelle étaient bien réunies, et il convient de rejeter le recours présenté par les sociétés Porcelaines Deshoulières et Porcelaines Doralaine à l'encontre de la décision d'homologation de ce cahier des charges et de reconnaissance de l'AIG "[Personne géo-morale 2]" comme organisme de défense et de gestion de ce produit. » (arrêt attaqué p. 7 et 8) ;
1° ALORS QUE selon l'article L.721-2 du code de la propriété intellectuelle constitue une indication géographique la dénomination d'une zone géographique ou d'un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu'agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique ; qu'en se bornant en l'espèce à affirmer l'existence d'un savoir-faire local particulier qui se serait développé dans le département de la [Localité 1], sans relever aucun élément particulier de ce savoir-faire notamment son caractère secret et sans relever sa persistance actuelle de ce savoir-faire tout en admettant que la même porcelaine pourrait être produite ailleurs, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
2° ALORS QU'en retenant la notoriété et la renommée de la [Personne géo-morale 2] sans la rattacher à l'une des caractéristiques du produit, la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L.721-2 du code de la propriété intellectuelle ;
3° ALORS QUE dans leurs conclusions d'appel (p.7) les sociétés exposantes faisaient valoir que la réputation d'un produit au sens de l'article L.721-2 du code de la propriété intellectuelle devait être envisagée de manière objective, au regard des caractéristiques du produit et que la réputation ne pouvait être fondée sur la croyance que suscite le produit auprès du public, au risque d'induire le consommateur en erreur, ce qui serait contraire à la finalité de la loi ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la Cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.