LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 avril 2021
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 348 F-D
Pourvoi n° B 20-15.192
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021
1°/ Mme M... H..., domiciliée [...] , placée sous le régime de la curatelle renforcée, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de K... H...,
2°/ M. S... H..., domicilié [...] , agissant en qualité de curateur de Mme M... H...,
3°/ M. S... H..., domicilié [...] , agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritier de K... H...
ont formé le pourvoi n° B 20-15.192 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :
1°/ à M. V... B...,
2°/ à Mme J... U...,
3°/ à M. P... N...,
4°/ à Mme C... R...,
5°/ à M. L... X...,
6°/ à Mme M... Q..., épouse X...,
tous six domiciliés [...] ,
7°/ à M. Y... W...,
8°/ à Mme A... D..., épouse W...,
tous deux domiciliés [...] ,
9°/ à Mme O... T..., épouse G..., domiciliée [...] ,
10°/ à M. PZ... E..., domicilié [...] ,
11°/ à la société Otra Construct, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
12°/ à l'Association syndicale libre [...], dont le siège est [...] ,
13°/ à M. I... F...,
14°/ à Mme QE... LK...,
tous deux domiciliés [...] ,
15°/ à M. MT... HJ...,
16°/ à Mme QB... TU..., épouse HJ...,
tous deux domiciliés [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des consorts H..., de Me Balat, avocat de M. et Mme HJ..., de Me Le Prado, avocat de Mme LK..., après débats en l'audience publique du 9 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme M... H... et M. S... H... (les consorts H...) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. et Mme W... et Mme G....
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 janvier 2020), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 29 novembre 2018, pourvoi n° 17-22.508), K... WB..., Mme M... H... et M. S... H..., propriétaires d'une parcelle desservie par un chemin d'exploitation, se plaignant de ce que la société Otra Construct et les consorts LK... F... prétendaient faire usage de ce chemin sans en être riverains et de ce que Mme G..., propriétaire d'une parcelle riveraine, avait autorisé le passage à des propriétaires d'arrière-fonds, les ont assignés en interdiction d'accès au chemin par les non-riverains.
3. La société Otra Construct ayant vendu ses parcelles, les consorts B... U..., les consorts N... R..., M. et Mme X..., M. et Mme W... et l'association syndicale libre [...] ont été assignés en intervention forcée, ainsi que M. et Mme HJ..., ayant droit de Mme G.... M. E..., propriétaire d'un lot du lotissement [...], est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Les consorts H... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que les chemins d'exploitation sont des voies privées qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds ou à leur exploitation ; qu'en conséquence chaque propriétaire riverain dispose du droit d'en interdire l'accès aux non-riverains ; qu'en retenant, pour débouter les consorts H... de leurs demandes tendant, notamment, à voir l'usage du chemin d'exploitation interdit aux non-riverains, qu'il leur appartenait d'établir que l'usage que fait chacun des intimés du [...] leur cause un dommage direct et de caractériser ce dommage et que les propriétaires d'autres parcelles pourtant riveraines du chemin n'ont pas estimé devoir participer au présent procès ce qui induirait que l'usage du chemin par les propriétaires de fonds non contigus ne leur occasionnerait aucun tracas, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, en violation de l'article L. 62-1 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. Mme LK... soutient que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit, et, partant, irrecevable.
7. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime :
8. En l'absence de titre, les chemins d'exploitation sont présumés appartenir aux propriétaires riverains. Leur usage est commun à ceux-ci et peut être interdit au public.
9. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que les consorts H... ne prouvent pas que l'usage du chemin par les propriétaires d'arrière-fonds leur cause un dommage.
10. En statuant ainsi, alors que le droit dont dispose chaque propriétaire riverain d'interdire l'accès d'un chemin d'exploitation aux non-riverains n'est pas subordonné à l'existence d'un préjudice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que les demandes des consorts H... à l'égard de Mme G... et la société Otra Construct sont devenues sans objet, et en ce qu'il dit qu'elles sont irrecevables à l'égard des consorts W..., l'arrêt rendu le 23 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne in solidum les consorts B... U..., les consorts N... R..., M. et Mme X..., M. E..., l'ASL [...], M. F..., Mme LK..., et M. et Mme HJ... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme HJ... et condamne in solidum les consorts B... U..., les consorts N... R..., M. et Mme X..., M. E..., l'ASL [...], M. F..., Mme LK..., et M. et Mme HJ... à payer à Mme M... H... et M. S... H... la somme globale de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour les consorts H...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les demandes des appelants à l'égard de la société Otra Construct sont devenues sans objet ;
AUX MOTIFS QUE
« La 3ème chambre civile de la cour de cassation en son arrêt du 29 novembre 2018 a dit que chaque propriétaire riverain disposait du droit d'interdire l'accès du chemin d'exploitation aux non-riverains, cassant ainsi l'arrêt précédent rendu par la cour d'appel de céans, mais uniquement en ses dispositions ayant déclaré l'action des consorts H... irrecevable.
A ce stade de la procédure, et au regard de l'arrêt de la cour de cassation qui n'a donc censuré que partiellement l'arrêt qui lui était déféré, il est dorénavant acquis que,
- le [...] entre dans le champ d'application de l'article L. 162-1 du code rural qui dispose que les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage peut être interdit au public.
- sauf à l'égard des consorts W..., l'action des consorts H... tendant à interdire sous astreinte l'usage du [...], d'établissement d'obstacle condamnant l'accès audit chemin et d'interdiction d'accès de ce chemin sous astreinte, est recevable car non-prescrite et parce que, en leur qualité de propriétaire riverain, ils disposent du droit individuel d'en interdire l'accès aux non-riverains.
Cependant, les demandeurs à l'interdiction doivent rapporter la preuve du bien-fondé de leur action à l'égard de chaque partie intimée.
Or,
- les consorts H... ne formulent plus de demande contre Mme G... qui a vendu sa parcelle [...] aux consorts MT... HJ... par acte du 20 juin 2018 et qui, dès lors, ne pourrait pas être condamnée à établir un obstacle sur une parcelle ne lui appartenant plus.
- A l'égard de la société Otra Construct qui a vendu tous les lots à des particuliers, les consorts H... présentent encore des prétentions mais il est manifeste que la société ne pourrait être condamnée à interdire l'accès au [...] , par des terrains sur lesquels elle n'a plus de droits.
Les demandes présentées par les appelants à l'égard de Mme G... et la société Otra Construct sont donc devenues sans objet.
- En son arrêt du 1er juin 2017, la cour de céans a définitivement jugé que son action est irrecevable à l'égard des consorts W....
L'action des consorts H... demeure recevable à l'égard des autres parties. »
ALORS QUE l'intérêt à agir doit être apprécié au moment de l'introduction de la demande en justice et que l'existence du droit invoqué par le demandeur ou par le défendeur n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès ; qu'en retenant, pour déclarer sans objet les demandes des consorts H... à l'égard de la société Otra Construct, qu'elles sont irrecevables dès lors que la société Otra Construct, qui a vendu tous les lots à des particuliers, ne pourrait être condamnée à interdire l'accès au [...], par des terrains sur lesquels elle n'a plus de droits, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé par motifs propres le jugement entrepris en ce qu'il a débouté XM... H... aujourd'hui substitué par les consorts H... de ses prétentions à l'égard des consorts LK... F... et, y ajoutant, de les avoir déboutés de leurs demandes concernant l'Asl [...], les consorts RX... R... B... U... X... E... ;
AUX MOTIFS QUE
« La 3ème chambre civile de la cour de cassation en son arrêt du 29 novembre 2018 a dit que chaque propriétaire riverain disposait du droit d'interdire l'accès du chemin d'exploitation aux non-riverains, cassant ainsi l'arrêt précédent rendu par la cour d'appel de céans, mais uniquement en ses dispositions ayant déclaré l'action des consorts H... irrecevable.
A ce stade de la procédure, et au regard de l'arrêt de la cour de cassation qui n'a donc censuré que partiellement l'arrêt qui lui était déféré, il est dorénavant acquis que,
- le [...] entre dans le champ d'application de l'article L. 162-1 du code rural qui dispose que les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage peut être interdit au public.
- sauf à l'égard des consorts W..., l'action des consorts H... tendant à interdire sous astreinte l'usage du [...], d'établissement d'obstacle condamnant l'accès audit chemin et d'interdiction d'accès de ce chemin sous astreinte, est recevable car non-prescrite et parce que, en leur qualité de propriétaire riverain, ils disposent du droit individuel d'en interdire l'accès aux non-riverains.
Cependant, les demandeurs à l'interdiction doivent rapporter la preuve du bien-fondé de leur action à l'égard de chaque partie intimée.
(
)
- S'agissant des époux HJ..., acquéreurs de la parcelle [...] ayant appartenu à Mme G..., la propriété borde le chemin d'exploitation de [...] qui leur permet d'accéder à la voie publique la plus proche.
Leur propriété est le fonds servant de plusieurs servitudes de passage en faveur des parcelles actuellement cadastrées [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...], [...] (aujourd'hui [...]), [...], [...], l'ensemble de ces terres n'étant pas riveraines du chemin d'exploitation et ne disposant pas d'autre accès à une voie publique.
Les époux HJ... font valoir que ces servitudes de passage ont été consenties depuis le mois d'août 1979 pour permettre aux fonds dominants d'avoir un accès à la voie publique la plus proche par le [...] et ce, en conformité avec l'article 682 du Code civil car ces terrains bénéficiaires sont enclavés.
Les autres parties intimées sont les propriétaires de fonds non riverains du [...], dont les parcelles bénéficient d'une servitude de passage sur la parcelle [...] permettant d'accéder audit chemin pour accéder à la voie publique.
Il s'agit des consorts LK... F... (parcelles section [...] , [...] et [...]), X... ([...] ), B... U... ([...] , anciennement [...]), N...-R... ([...] ), E... ([...] et [...]), et l'Asl [...] ([...]).
Comme les consorts HJ..., ces intimés s'opposent aux demandes des consorts H... en ce qu'ils entendent réserver l'usage du chemin d'exploitation aux seuls riverains et en faisant valoir que leurs parcelles ne sont désenclavées que par l'usage de la servitude de passage consentie sur le fonds [...] (ayant appartenu à Mme G... avant les consorts HJ...).
Ils soutiennent que le chemin d'exploitation de [...] a toujours été ouvert à la circulation publique comme en atteste le cahier des charges du lotissement établi par voie notariée le 15 juillet 2013.
Ils affirment que l'usage qu'ils font dudit chemin est notoire et que la propriété des consorts H... est le fonds "terminus" du [...], et ceux-ci ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'ils prétendaient subir.
Force est de constater que les consorts H... ne produisent strictement aucun élément matériel et considèrent manifestement que le fait que leur action ait été déclarée recevable suffit à fonder leurs prétentions, alors qu'il leur appartenait d'établir devant la cour, que l'usage que fait chacun des intimés du [...] leur cause un dommage direct et de caractériser ce dommage.
En outre, il apparaît que les requis empruntent le chemin litigieux à partir de la parcelle [...], qui n'est pas contigüe de la parcelle [...] appartenant aux appelants et qui en est donc séparée par d'autres parcelles dont les propriétaires pourtant riverains du chemin n'ont pas estimé devoir participer au présent procès, ce qui induit que l'usage du chemin par les propriétaires de fonds non contigus ne leur occasionne aucun tracas.
En conséquence, statuant par motifs propres se substituant à ceux du premier juge, la cour déboutera les consorts H... intervenant en qualité d'héritiers de XM... H..., de l'ensemble de leurs fins et prétentions tant à l'égard des parties présentes en première instance que de celles qui sont intervenues en cause d'appel.
Les dispositions de l'arrêt du 1er juin 2017 relatives à la condamnation des consorts H... aux dépens et au titre des frais irrépétibles sont définitives. » ;
ALORS QUE les chemins d'exploitation sont des voies privées qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds ou à leur exploitation ; qu'en conséquence chaque propriétaire riverain dispose du droit d'en interdire l'accès aux non-riverains ; qu'en retenant, pour débouter les consorts H... de leurs demandes tendant, notamment, à voir l'usage du chemin d'exploitation interdit aux non-riverains, qu'il leur appartenait d'établir que l'usage que fait chacun des intimés du [...] leur cause un dommage direct et de caractériser ce dommage et que les propriétaires d'autres parcelles pourtant riveraines du chemin n'ont pas estimé devoir participer au présent procès ce qui induirait que l'usage du chemin par les propriétaires de fonds non contigus ne leur occasionnerait aucun tracas, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, en violation de l'article L.162-1 du code rural et de la pêche maritime.