LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 avril 2021
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 303 FS-P-R
Pourvoi n° H 20-11.126
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Champagne Ardenne, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° H 20-11.126 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2019 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à la société Dupont, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF Champagne Ardenne, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Dupont, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 3 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mmes Taillandier-Thomas, Coutou, Renault-Malignac, Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mme Le Fischer, M. Gauthier, Mmes Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre.
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 novembre 2019), l'URSSAF de Champagne Ardenne (l'URSSAF) a établi le 18 décembre 2014, à l'encontre de la société Dupont (la société), une lettre d'observations l'avisant de la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par l'article L. 8222-2 du code du travail et du montant des cotisations estimées dues, en suite d'un procès-verbal de travail dissimulé établi à l'encontre de l'un de ses cocontractants, la société Construction rémoise du bâtiment.
2. Une mise en demeure lui ayant été délivrée le 30 novembre 2015, la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé le redressement notifié à la société par lettre d'observations du 18 décembre 2014, la mise en demeure du 30 novembre 2015 et la décision rendue par la commission de recours amiable le 29 juin 2019, alors « que la mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenu le donneur d'ordre en application du second de ces textes est subordonnée à la seule existence d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre du cocontractant et non à la production de ce dernier par l'URSSAF dans la procédure de redressement dirigée contre le donneur d'ordre ; qu'en l'espèce, l'URSSAF a notifié à la société par lettre d'observations du 18 décembre 2014 la mise en oeuvre de sa solidarité financière en sa qualité de donneur d'ordre de la société Construction rémoise du bâtiment suite à l'établissement à l'encontre de cette dernière d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé le 9 octobre 2014 ; qu'en annulant le redressement notifié à la société pour absence de production du procès-verbal pour délit de travail dissimulé établi à l'encontre de la société Construction rémoise du bâtiment, la cour d'appel a violé les articles R. 243-59 du code de la sécurité sociale et L. 8222-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
5. Selon le deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées à l'article L. 8222-1 du même code, est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.
6. Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.
7. Il en résulte que si la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l'encontre du cocontractant, l'organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de ce document.
8. L'arrêt relève essentiellement qu'à l'instar de ce qui a été constaté par les premiers juges, l'URSSAF ne produit aucun procès-verbal de constat d'une infraction de travail dissimulé concernant la société Construction rémoise du bâtiment, cocontractante de la société en cause.
9. De ces constatations, la cour d'appel a exactement déduit que, faute pour l'URSSAF d'avoir produit devant la juridiction de sécurité sociale le procès-verbal de constat de travail dissimulé à l'encontre du sous-traitant, elle n'était pas fondée à mettre en oeuvre la solidarité financière.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne l'URSSAF Champagne Ardenne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'URSSAF Champagne Ardenne
Il est fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait annulé le redressement notifié par l'Urssaf Champagne Ardenne à la société Dupont par lettre d'observations du 18 décembre 2014, la mise en demeure du 30 novembre 2015 et la décision rendue par la commission de recours amiable le 29 juin 2019.
AUX MOTIFS PROPRES QUE « la mise en oeuvre de la solidarité financière à laquelle est tenue le donneur d'ordre est subordonnée à l'établissement d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre du co-contractant (Civ 2e, 21 décembre 2017, pourvoi n°16-23672 ; Civ 2e, 26 mai 2016, pourvoi n°15-17556). Qu'au cas présent, l'Urssaf a le 18 décembre 2014 adressé à la société une lettre d'observations faisant état de ce que cette dernière avait confié pour la période du 1er janvier 2010 au 31 août 2012 une partie de son activité à la société Construction Rémoise du Bâtiment au moyen de contrats d'un montant supérieur à 3.000 euros hors taxes et ce alors même que cette société avait assuré ces prestations en violation des articles L.8221-1 et L.8221-2 du code du travail. Que cette même lettre d'observations comprenait un énoncé des sommes correspondant aux cotisations éludées par la société Construction Rémoise du Bâtiment, années par années et par type de cotisations et qui étaient mises à la charge de la société en cause au titre de la solidarité financière prévue à l'article L.8222-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Qu'à hauteur d'appel, l'Urssaf a produit un procès-verbal de constatation de travail dissimulé établi le 5 janvier 2015 par l'agent de la lettre d'observations. Que l'Urssaf fait valoir qu'aucune disposition légale ne lui fait obligation de communiquer à l'entreprise donneuse d'ordre que ce soit au moment de l'envoi de la lettre d'observations ou de la mise en demeure le procès-verbal d'enquête pénale pour travail dissimulé ; que tant l'article R.165 du code de procédure pénale que la jurisprudence de la chambre criminelle de la cour de cassation permettent l'obtention gratuite des copies de la procédure à la partie représentée par un avocat ; que l'enquête pénale ne concerne que la société Construction Rémoise du Bâtiment et seule la partie représentée par un avocat peut obtenir une copie gratuite ; que la société en cause est en mesure de se rapprocher du parquet de Reims afin d'accéder à sa demande ; que le code de procédure pénale ne s'applique pas à la procédure civile en sorte qu'il ne saurait être reconnu à l'Urssaf la charge de communiquer des pièces relatives à l'enquête pénale ; que si la juridiction du premier degré a annulé le redressement comme ne disposant pas du procès-verbal ni de la lettre d'observations concernant la société Construction Rémoise du Bâtiment, il reste qu'une procédure pour travail dissimulé a bien été diligentée à l'encontre de cette société comme en atteste la lettre d'observations et le procès-verbal de contrôle, établis à l'encontre de cette société ; que les conditions de forme et de fond justifiant le redressement sont réunies. Que l'absence de production par l'organisme de recouvrement du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, qui sert de fondement à la mise en oeuvre de la solidarité du donneur d'ordre et constitue selon l'Urssaf elle-même le fait générateur de celle-ci, en tant que cette absence ne met pas ce dernier en mesure de discuter tant la régularité de la procédure que le bien-fondé de l'exigibilité des taxes et cotisations obligatoires au paiement solidaire desquels il est susceptible d'être tenu en raison du manquement de son co-contractant, fait obstacle à l'application des dispositions de l'article L.8222-2 du code du travail. Qu'à l'instar de ce qui a été constaté par les premiers juges, l'Urssaf ne produit aucun procès-verbal de constat d'une infraction de travail dissimulé concernant la société Construction Rémoise du Bâtiment, cocontractante de la société en cause. Que le procès-verbal de contrôle établi le 5 janvier 2015 par l'agent de recouvrement de l'Urssaf, qui a par ailleurs procédé à l'envoi de la lettre d'observations au titre de la présente procédure, ne peut d'autant moins constituer le procès-verbal pour travail dissimulé (cf. Civ 2e, 21 décembre 2017, pourvoi n°16-23672) qu'il a été établi postérieurement à la lettre d'observation du 18 décembre 2014, qui constitue l'acte qui met en oeuvre à l'encontre de la société en cause la procédure de recouvrement des sommes au titre de la solidarité financière du donneur d'ordre. En conséquence de ce qui précède, lors qu'il n'est pas justifié d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre de la société Construction Rémoise du Bâtiment, l'Urssaf ne saurait être fondée en ses demandes, en sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris. »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « il est généralement admis, au visa des articles L.8222-1 et L.8222-2 du code du travail, que la mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenue le donneur d'ordre en application de ces textes est subordonnée à l'établissement d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre du co-contractant (Civ 2e, 26 novembre 2015, pourvoi n° 14-23851). Force est de constater en l'espèce qu'un tel procès-verbal n'est pas produit, pas plus que la lettre d'observations. Il convient en conséquence, au visa des dispositions précitées et de l'article 1315 ancien du code civil, d'annuler le redressement notifié à la société par la lettre d'observations du 18 décembre 2014, ainsi que la mise en demeure subséquente, qui se trouve dès lors sans cause. »
ALORS QUE la mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenu le donneur d'ordre en application du second de ces textes est subordonnée à la seule existence d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre du co-contractant et non à la production de ce dernier par l'Urssaf dans la procédure de redressement dirigée contre le donneur d'ordre ; qu'en l'espèce, l'Urssaf a notifié à la société Dupont par lettre d'observations du 18 décembre 2014 la mise en oeuvre de sa solidarité financière en sa qualité de donneur d'ordre de la société Construction Rémoise du Bâtiment suite à l'établissement à l'encontre de cette dernière d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé le 9 octobre 2014 ; qu'en annulant le redressement notifié à la société Dupont pour absence de production du procès-verbal pour délit de travail dissimulé établi à l'encontre de la société Construction Rémoise du Bâtiment, la cour d'appel a violé les articles R.243-59 du code de la sécurité sociale et L.8222-2 du code du travail.