LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
COUR DE CASSATION
MF
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QUESTIONS PRIORITAIRES
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 1er avril 2021
RENVOI
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 403 FS-P
Pourvois n° M 20-17.133
N 20-17.134 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER AVRIL 2021
Par mémoire spécial présenté le 7 janvier 2021, la SCP [...] a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion des pourvois n° 20-17.133 et 20-17.134 formés contre les arrêts rendus le 26 mai 2020 par la cour d'appel de Lyon dans l'instance mettant en cause respectivement :
D'une part,
1°/ M. P... I..., domicilié [...] ),
2°/ Mme H... I..., domiciliée [...] ),
3°/ M. N... I..., domicilié [...] ),
4°/ M. C... I..., domicilié [...] ),
5°/ Mme A... O..., épouse D...,
6°/ M. V... D...,
domiciliés tous deux [...]),
D'autre part,
1°/ la Société publique locale territoire d'innovation, dont le siège est [...] ,
2°/ la direction départementale des finances publiques de l'Ain, dont le siège est [...] ,
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations orales de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des consorts I... et de M. et Mme D..., de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois avocat de la Société publique locale territoire d'innovation, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 30 mars 2021, où étaient présents, M. Chauvin, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Georget, Renard, M. Zedda, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, Mme Besse, greffier de chambre ;
la troisième chambre de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des présidents et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les questions prioritaires de constitutionnalité n° 20-17.133 et 20-17.134 sont jointes.
Faits et procédure
2. La société publique locale (SPL) Territoire d'innovation a saisi le juge de l'expropriation d'une demande de fixation des indemnités revenant à MM. P..., N... et C... I... et Mme H... I... (les consorts I...), d'une part, et à M. et Mme D..., d'autre part, à la suite de l'expropriation de différentes parcelles leur appartenant.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. A l'occasion des pourvois qu'ils ont formés contre les arrêts rendus le 26 mai 2020 par la cour d'appel de Lyon, les consorts I... et D... ont, par mémoires distincts et motivés, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article L. 322-2, alinéas 2 et 4, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique relatives aux modalités d'évaluation des indemnités d'expropriation, imposant d'apprécier la nature et l'usage effectif de l'immeuble à une date de référence très antérieure à la date de l'expropriation et interdisant de tenir compte des changements de valeur depuis cette date, sont-elles conformes à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en tant qu'elles ne distinguent pas selon que le bien exproprié a vocation à demeurer dans le patrimoine de l'autorité publique expropriante, ou qu'il est déjà avéré que ce bien exproprié sera revendu par l'expropriant au prix du marché, dans des conditions déjà connues lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine au détriment des expropriés ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. Les dispositions contestées sont applicables au litige, qui porte sur l'évaluation de l'indemnité de dépossession revenant aux propriétaires de biens ayant fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique.
5. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. La question posée présente un caractère sérieux.
7. En effet, la règle d'évaluation des biens expropriés selon leur usage effectif à la date de référence et sans prise en compte des changements de valeur intervenus depuis cette date, lorsqu'elle est appliquée à l'évaluation d'un bien destiné à être revendu par l'expropriant dans des conditions déjà déterminées et lui permettant de bénéficier d'une plus-value certaine, est de nature à créer un déséquilibre entre les intérêts de l'exproprié et ceux de l'expropriant, celui-ci étant protégé de la spéculation foncière qui aurait pu bénéficier à l'exproprié, tout en étant assuré d'en tirer lui-même profit.
8. Ces dispositions sont donc susceptibles, dans une telle hypothèse, de porter atteinte à l'exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité.
9. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier avril deux mille vingt et un.