LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 mars 2021
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 273 F-D
Pourvoi n° U 20-10.677
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 MARS 2021
M. C... I..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° U 20-10.677 contre l'arrêt rendu le 3 septembre 2019 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [...], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Stone,
2°/ au procureur général près la cour de d'appel de Chambéry, domicilié en son parquet général, [...],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. I..., de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société [...], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 février 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 3 septembre 2019), la société Stone, dont M. I... était le dirigeant du 1er janvier 2000 au 20 février 2014, a été mise en liquidation judiciaire le 7 juillet 2015, la date de cessation des paiements étant fixée au 7 janvier 2014 et la société [...] désignée liquidateur. Le liquidateur a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. I....
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. M. I... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 150 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société Stone, alors « qu'à l'égard d'un dirigeant démissionnaire, l'insuffisance d'actif doit être établie à la date de sa démission ; qu'en l'espèce, il était constant que M. I... avait démissionné de ses fonctions de dirigeant de la société Stone le 21 janvier 2014 ; qu'en s'étant fondée sur le passif définitif et l'absence d'actif significatif au 27 juin 2017, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :
4. Il résulte de ce texte que l'insuffisance d'actif doit exister à la date de la cessation des fonctions du dirigeant dont la responsabilité est recherchée.
5. Pour condamner M. I... à contribuer à l'insuffisance d'actif de la société Stone, l'arrêt constate que l'état des créances tel qu'arrêté par le juge-commissaire le 27 juin 2017 présente un passif définitif de 341 00,68 euros, dont 261 825 euros de créances de TVA, tandis que la société n'a aucun actif significatif, son bail ayant été résilié. Il retient encore que pendant sa gestion, M. I... n'a pas provisionné les sommes réclamées par l'administration fiscale à la suite d'avis de mise en recouvrement que le dirigeant n'avait contestés que sur la procédure et non sur le fond, bien qu'avisé dès le 12 juillet 2010 de la volonté de l'administration fiscale de reprendre la procédure, ce qui avait entraîné un passif significatif, qu'il n'a pas procédé à une déclaration de cessation des paiements dès le début 2012, ce qui aurait permis d'étudier un plan de redressement de la société et cependant qu'un plan de cession restait possible, qu'ainsi que le révélait le rappel important de TVA opéré, des recettes avaient été dissimulées ce qui avait appauvri la société puisqu'elles n'avaient pas été retrouvées dans l'actif tandis qu'à l'inverse le dirigeant se constituait un patrimoine immobilier important, que des cotisations URSSAF et de retraite n'avaient pas été réglées en 2011 et 2012, ainsi que les honoraires de l'expert comptable pour 25 350 euros et qu'il résultait des comptes de l'exercice 2010 que les capitaux propres étaient inférieurs de plus de moitié à l'actif net, sans que des mesures de redressement aient été opérées. Il retient enfin que ces fautes ont contribué à l'aggravation du passif de la société Stone, l'inaction du dirigeant ayant entraîné la perte des actifs et la dissimulation de ventes de marchandises éludant la TVA ayant généré une perte de recettes contribuant à la création d'un passif important relatif aux droits éludés et aux pénalités appliquées.
6. En se déterminant ainsi, sans rechercher si une insuffisance d'actif existait déjà au 20 février 2014, date à laquelle M. I... avait cessé ses fonctions, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré le jugement déféré régulier, l'arrêt rendu le 3 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. I... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. I... et le condamne à payer à la société [...], en qualité de liquidateur de la société Stone, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. I....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré régulier le jugement déféré ;
Aux motifs que le tribunal de commerce de Chambéry avait tenu une audience en chambre du conseil le 4 juin 2018 au cours de laquelle le conseil de M. I... était présent, ainsi que celui du mandataire-liquidateur ; qu'à cette occasion, un débat s'était noué autour des fautes de gestion qui auraient pu être commises par M. I..., à la suite de quoi le tribunal avait mis l'affaire en délibéré au 19 juillet 2018 ; que le 13 juin 2018, le juge-commissaire avait rédigé le rapport suivant : « vu les fautes de gestion graves commises par M. I..., émet un avis favorable à sa condamnation à la somme de 200 000 euros pour insuffisance d'actif » ; que le 14 juin 2018, le greffe du tribunal avait écrit par lettre recommandée à M. I... pour lui indiquer que la réouverture des débats était ordonnée à l'audience du 2 juillet 2018 afin que le rapport du juge-commissaire puisse être lu à l'audience, à la suite de quoi l'affaire avait été mise en délibéré au 31 octobre 2018 ; qu'il en résultait que ce rapport n'était pas régi par les dispositions de l'article L. 651-4 du code de commerce qui ne visait que le cas où la juridiction estimerait nécessaire de commettre le juge-commissaire pour dresser l'état du patrimoine du dirigeant poursuivi ; que dès lors, il n'avait pas à répondre aux exigences de l'article R. 651-5 du même code et n'avait pas à être déposé au greffe et communiqué aux parties un mois avant l'audience, le rapport en cause n'étant qu'un simple avis à destination de la juridiction de jugement ; que la procédure suivie était donc régulière, le rapport du juge-commissaire ayant été soumis à la discussion contradictoire des parties ;
Alors 1°) que le rapport du juge-commissaire, en cas de sanctions pour fautes de gestion commises par le dirigeant, doit être communiqué au défendeur par le greffe un mois au moins avant la date de l'audience ; qu'en ayant énoncé que le rapport du juge-commissaire n'était pas régi par les dispositions de l'article L. 651-4 du code de commerce qui ne viserait que le cas où il serait nécessaire de dresser l'état du patrimoine du dirigeant et en déclarant régulière une procédure dans laquelle le rapport du juge-commissaire, émettant un avis favorable à une condamnation du dirigeant à payer la somme de 200 000 euros, avait seulement été lu à l'audience des plaidoiries, mettant la partie poursuivie dans l'impossibilité de préparer utilement et préalablement sa défense, la cour d'appel a violé les articles L. 651-4 et R. 651-5 du code de commerce ;
Alors 2°) et en tout état de cause, que le juge-commissaire peut seulement être consulté pour donner son avis sur la situation patrimoniale des dirigeants et des représentants permanents des dirigeants personnes morales et non sur l'opportunité d'une condamnation à supporter l'insuffisance d'actif ; qu'en déclarant valable une procédure dans laquelle le juge-commissaire avait donné un avis favorable à la condamnation de M. I... à payer une somme de 200 000 euros pour insuffisance d'actif, faculté que n'offre aucun texte, la cour d'appel a violé l'article L. 651-4 du code de commerce et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Alors 3°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que cette exigence implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance de toute pièce présentée au juge en vue d'influencer sa décision, dans des conditions qui ne la désavantagent pas d'une manière appréciable par rapport à la partie adverse ; qu'en déclarant suffisante la lecture à l'audience du 2 juillet 2018 du rapport du juge-commissaire ayant émis un avis favorable à la condamnation de M. I... à hauteur de 200 000 euros, qui ne permettait pas à M. I... de bénéficier d'un délai raisonnable pour présenter utilement sa défense, la cour d'appel a violé article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. I... à payer la somme de 150 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société Stone ;
Aux motifs que l'état des créances arrêté par le juge-commissaire le 27 juin 2017 laissait apparaître un passif définitif de 341 080,68 euros, dont 261 825 euros de créances fiscales de TVA, tandis qu'elle n'avait aucun actif significatif, le bail commercial ayant été résilié par la SCI U... à la suite d'un commandement de payer du 17 février 2015, le bailleur ayant ensuite repris les lieux pour les louer à une société Ko Lanta le 25 août 2015 ; que la société Stone avait fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle lui avaient été notifiés notamment des droits supplémentaires de TVA au titre de 2005-2007 ainsi qu'un rappel d'impôts sur les sociétés ; que des avis de dégrèvement avaient certes été émis à plusieurs reprises par l'administration fiscale notamment le 30 novembre 2010 ; que pour autant, ces dégrèvements avaient été motivés, non par l'abandon de la procédure pour des motifs de fond, mais par des erreurs matérielles de procédure ; que l'administration fiscale avait ensuite émis deux nouveaux avis de mise en recouvrement annulant et remplaçant les précédents ; que la société Stone ayant contesté la régularité de ces avis, la justice avait été saisie et par jugement du 18 juillet 2014, le tribunal administratif avait rejeté la requête de la société Stone, jugement confirmé par arrêt du 31 mai 2016 ; que dès le 12 juillet 2010, la société Stone avait été informée de la volonté de l'administration fiscale de reprendre la procédure, la mise en recouvrement des impositions ayant eu lieu en novembre 2010 ; qu'il en résultait que dès cette date, il incombait au gérant en titre à ce moment-là de provisionner les sommes réclamées, sa réclamation n'ayant porté que sur la procédure et non sur le fond ; qu'à défaut de l'avoir fait, il avait commis une faute de gestion à l'origine de la création d'un passif significatif puisque la société Stone avait continué son exploitation dans des conditions telles qu'elle avait perdu son droit au bail et l'usage du local loué, ce qui constituait la valeur la plus importante de l'actif, les immobilisations corporelles ayant une valeur de 97 882 euros au bilan 2011 ; que si l'appelant avait procédé à une déclaration de cessation de paiements dès le début 2012, un plan de redressement aurait pu être étudié compte tenu des recettes réelles de la société et surtout un plan de cession restait possible, le fonds étant cédé alors qu'il avait déjà disparu lors de l'ouverture de la procédure ; que par ailleurs, le fait qu'un rappel très important de TVA ait été opéré montrait la dissimilation de recettes, ce qui constituait là encore une faute de gestion ayant appauvri la société puisque les recettes en cause n'avaient pas été retrouvées dans l'actif, étant observé que M. I... s'était constitué un patrimoine immobilier important dans le même temps, la propriété acquise en indivision avec M. U... ayant une valeur globale de 990 000 euros ; qu'en outre, les cotisations URSSAF et de retraite n'avaient pas été réglées en 2011 et en 2012, les honoraires de l'expert-comptable étaient impayés à hauteur de 25 euros et surtout, il résultait des comptes de l'exercice 2010 que les capitaux propres étaient inférieurs de plus de la moitié à l'actif net sans que des mesures de redressement aient été opérées ; que dans ces conditions, les fautes reprochées à l'appelant étaient établies et avaient contribué à l'aggravation du passif de la société Stone, l'inaction du gérant ayant entraîné la perte des actifs, de même que la dissimulation de ventes de marchandises éludant la TVA à hauteur de 42 775 euros avait généré une perte de recettes, contribuant aussi à la création d'un passif important ; qu'en effet, la créance de l'administration fiscale était non seulement constituée par des droits éludés (TVA pour 72 775 euros et impôts sur les sociétés pour 21 958 euros), mais d'importantes pénalités, de 188 417 euros ; que ces pénalités n'auraient pas été infligées si le dirigeant avait tenu sa comptabilité de façon correcte ;
Alors 1°) que la simple négligence du dirigeant de droit ou de fait ne suffit pas pour engager sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ; qu'en s'étant fondée sur la simple absence de provisionnement des sommes nécessaires à satisfaire une réclamation de l'administration fiscale dans l'hypothèse où la procédure de recouvrement ne serait pas annulée par la juridiction administrative et en dépit des dégrèvements consentis à plusieurs reprises avant la saisine de la juridiction administrative, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
Alors 2°) que la simple négligence du dirigeant de droit ou de fait ne suffit pas pour engager sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ; qu'en s'étant fondée sur le simple défaut de paiement des cotisations à l'URSSAF et à la caisse de retraite en 2011 et 2012, sur le non-paiement des honoraires de l'expert-comptable et sur l'insuffisance des capitaux propres sans caractériser la mauvaise foi du dirigeant, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
Alors 3°) qu'à l'égard d'un dirigeant démissionnaire, l'insuffisance d'actif doit être établie à la date de sa démission ; qu'en l'espèce, il était constant que M. I... avait démissionné de ses fonctions de dirigeant de la société Stone le 21 janvier 2014 ; qu'en s'étant fondée sur le passif définitif et l'absence d'actif significatif au 27 juin 2017 (arrêt p. 5), la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce.