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17/03/2021 | FRANCE | N°19-11767

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 mars 2021, 19-11767


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 239 F-D

Pourvoi n° G 19-11.767

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 MARS 2021

M. P... E..., domicilié [...] , a formé l

e pourvoi n° G 19-11.767 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à M...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Cassation partielle

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 239 F-D

Pourvoi n° G 19-11.767

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 MARS 2021

M. P... E..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° G 19-11.767 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à M. A... U..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. E..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. U..., après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 décembre 2018), après avoir constaté une minoration du chiffre d'affaires de la société Valbrilau Taxis (la société) pour les exercices 2012/2013, l'administration fiscale lui a, le 16 janvier 2017, adressé un avis de mise en recouvrement des impositions dues.

2. M. U..., associé de la société, a assigné en responsabilité civile M. E... en sa qualité de gérant de la société, sur le fondement des dispositions de l'article L. 223-22 du code de commerce, afin d'obtenir réparation du préjudice subi du fait du redressement fiscal de la société.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. E... fait grief à l'arrêt de dire qu'il a commis une faute de gestion engageant directement sa responsabilité par la tenue d'une comptabilité considérée comme irrégulière et non sincère par l'administration fiscale et ayant entraîné un redressement fiscal conséquent, et de le condamner à payer à M. U... la somme de 63 381 euros au titre du préjudice subi du fait du redressement fiscal de la société, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant d'office le caractère définitif de l'avis de mise en recouvrement, faute par M. E... d'avoir allégué et démontré que la société avait saisi le juge administratif d'un recours, passé le délai de six mois à compter de sa réclamation, sans avoir, au préalable, mis les parties en mesure de débattre de ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

5. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

6. Pour dire que M. E... a commis une faute de gestion engageant directement sa responsabilité par la tenue d'une comptabilité considérée comme irrégulière et non sincère par l'administration fiscale et ayant entraîné un redressement fiscal conséquent, et le condamner à payer à M. U... une certaine somme en réparation du préjudice résultant de cette faute, l'arrêt, après avoir constaté que la société avait introduit une réclamation le 10 février 2017 sollicitant la décharge des impositions ainsi qu'un sursis à paiement, retient que soit la réclamation a été rejetée et la société aurait dû saisir le tribunal administratif, ce qu'elle n'établit pas, soit l'administration n'a pas répondu dans le délai de six mois et la société aurait également dû saisir le juge administratif. Il en déduit que la société ne justifie pas d'une procédure en cours susceptible de remettre en question le redressement opéré par l'administration fiscale.

7. En statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d'office, tiré de l'application de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales, dont elle déduisait le caractère définitif de l'avis de mise en recouvrement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande formée par M. U... au titre du préjudice résultant de l'imposition sur le revenu, l'arrêt rendu le 6 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne M. U... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. U... et le condamne à payer à M. E... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. E....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que M. P... E..., gérant de la société VALBRILAU TAXIS durant les exercices 2012 et 2013, a commis une faute de gestion engageant directement sa responsabilité par la tenue d'une comptabilité considérée comme irrégulière et non sincère par l'Administration fiscale et ayant entraîné un redressement fiscal conséquent ; et d'avoir, infirmant le jugement entrepris sur le montant du préjudice subi par M. U... du fait du redressement fiscal de la société VALBRILAU TAXIS et statuant à nouveau, condamné M. E... à payer à M. U... la somme de 63 381 euros au titre du redressement fiscal de la société VALBRILAU TAXIS,

Aux motifs propres que « Aux termes des dispositions de l'article L. 223-22 du Code de commerce, "Les gérants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, doit des fautes commises dans leur gestion".

Sur le préjudice résultant du redressement fiscal de la société Valbrilau :

Monsieur E... conteste en premier lieu toute faute de gestion de sa part et justifie le chiffre d'affaires qui ressort de la comptabilité de la société au regard de celui retenu par l'administration.

La Cour n'est cependant pas juge de l'impôt en question et ne se prononcera pas sur le différent opposant la société Valbrilau Taxis et Monsieur E... à l'administration.

La Cour rappelle que la société Valbrilau a fait l'objet d'un redressement fiscal à la suite d'une vérification de comptabilité dont il est ressorti que ses recettes avaient été minorées.

La société a contesté ces redressements par lettre du 12 juin 2015 et l'administration les a confirmé par lettre du 19 juin 2015. L'administration a transmis le dossier à la commission départementale qui dans sa séance du 11 mai 2016 a confirmé les redressements. Les rappels d'imposition ont été mis en recouvrement par avis de mise en recouvrement du 16 janvier 2017. La société Valbrilau a introduit une réclamation le 10 février 2017 sollicitant la décharge des impositions ainsi qu'un sursis à paiement. La procédure serait toujours en cours bien qu'aucune pièce n'ait été produite à ce sujet. Cependant, soit la réclamation a été rejetée et la société Valbrilau aurait dû saisir le tribunal administratif, ce qu'elle n'établit pas, soit l'administration n'a pas répondu dans le délai de six mois et ici encore la société Valbrilau aurait dû saisir le juge administratif.

La Cour considère au regard de ces éléments que la société Valbrilau ne justifie pas d'une procédure en cours susceptible de remettre en question le redressement opéré par l'administration fiscale.

Sur les éléments ayant donné lieu au redressement fiscal, la Cour note que dans son avis du 11 mai 2016, la commission départementale des impôts directs a maintenu la proposition de l'administration sur l'existence d'une comptabilité irrégulière et sur l'existence d'une insuffisance de chiffre d'affaires déclaré. Elle a notamment relevé que la société ne présentait aucune contre-proposition fondée sur une méthode alternative prenant en considération le kilométrage parcouru par chaque taxi et la consommation de carburant par véhicule.

L'administration fiscale reproche à la société Valbrilau d'avoir dissimulé une partie de son chiffre d'affaires, rendant ainsi la comptabilité irrégulière et non sincère et d'avoir ainsi minoré volontairement les déclarations de T.V.A. et d'impôts sur les sociétés.

Monsieur E..., gérant de la société Valbrilau pendant ces deux exercices a donc bien commis une faute de gestion telle que décrite par l'administration fiscale, qui a donné lieu à redressement de la société.

Cette faute, qui est qualifiée de volontaire par l'administration fiscale, a donné lieu à un avis de mise en recouvrement pour une somme de 253 525 euros.

La Cour rappelle que selon les dispositions de l'article L. 223-22 du Code de commerce, l'action individuelle d'un associé à l'encontre d'un dirigeant social pour faute de gestion répare le préjudice subi personnellement par l'associé.

En l'espèce, la société subit un préjudice égal au redressement fiscal. Le chiffre d'affaires dissimulé par la société Valbrilau et son gérant n'a pas profité à Monsieur U... puisqu'il n'est pas soutenu qu'il aurait perçu un dividende quelconque au titre des exercices 2012 et 2013. En revanche, Monsieur U... subit un préjudice direct du fait de ce redressement qui affecte la société alors que les sommes dissimulées n'ont profité qu'aux autres associés.

Dès lors, la Cour confirmera le jugement attaqué sur le principe.

Sur le montant, la Cour relève qu'il résulte de l'AMR que le montant du redressement est de 253 525 euros, soit un préjudice de 63 381 euros subi par Monsieur U... au regard de sa participation au capital de 25 % » ;

Et par motifs réputés adoptés du jugement entrepris que «« Attendu que M. U... détient 25 % du capital de la S.A.R.L. VALBRILAU TAXIS, société d'exploitation de taxis, au capital de 8 000 euros, immatriculée depuis le 17 août 1988, dont M. E... est le gérant.

Attendu que la société VALBRILAU TAXIS a fait l'objet d'une procédure contradictoire de vérification de comptabilité au titre des exercices clos les 31 décembre 2012 et 31 décembre 2013, par la Direction Régionale des Finances Publiques Ile de France.

Attendu que les recours exercés par la société VALBRILAU TAXIS auprès de l'Administration fiscale se sont conclus par un avis de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires en date du 11 mai 2016, communiqué à la société VALBRILAU TAXIS le 17 juin 2016.

Attendu que M. U... nous demande de dire que M. E... a commis une faute dans sa gestion de nature à engager sa responsabilité et de le condamner à lui payer 67 914,00 euros au titre du préjudice fiscal indûment subi au titre de l'imposition sur le revenu, 53 320,00 euros au titre de sa quote-part dans la perte du bénéfice consécutif à la fraude fiscale du gérant.

Sur la faute de gestion de M. E..., gérant de la société VALBRILAU TAXIS :

Attendu que l'article L. 223-22 du Code de commerce précise : "Les gérants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, doit des fautes commises dans leur gestion".

Attendu que la faute de gestion peut représenter une action ou une omission, volontaire ou non, contraire aux intérêts de l'entreprise.

Attendu qu'il n'est pas contesté que M. E... était le gérant de la société VALBRILAU TAXIS du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, période sur laquelle la vérification a portée.

Attendu que l'avis de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires en date du 11 mai 2016 précise :

- que l'examen de la comptabilité relative à la période soumise à vérification a révélé de graves irrégularités par des omissions de recettes et l'absence de comptabilisation de charges,
- que l'ensemble de ces anomalies a conduit le service de vérification à qualifier la comptabilité d'irrégulière,
- que la Commission observe que les anomalies affectant la comptabilisation des recettes suffisent à ôter à la comptabilité tout caractère sincère et probant.

Attendu que la vérification a identifié une minoration du chiffre d'affaires d'un montant de 242 677,00 euros H.T. au titre de l'exercice 2012 et de 230 069,00 euros au titre de l'exercice 2013.

Attendu que les arguments invoqués par la société VALBRILAU TAXIS durant la procédure de recours n'ont été retenus ni par les services de l'administration fiscale, ni par la Commission départementale.

Attendu alors que le Tribunal ne saurait les retenir à la décharge de M. E....

Que le Tribunal dira que le constat fait par l'Administration fiscale sur la tenue de la comptabilité de la société VALBRILAU TAXIS pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, période durant laquelle M. E... était le gérant, suffit à engager directement la responsabilité de M. E..., la faute de gestion étant caractérisée par la tenue d'une comptabilité considérée comme irrégulière et non sincère, rappelant ici que la négligence suffit à constituer une faute.

Sur la demande en principal de M. U... de la somme de 53 320,00 euros au titre de sa quote part dans la perte du bénéfice consécutif à la fraude fiscale du gérant.

Attendu que dans le cadre d'une action individuelle, celle-ci doit être réalisée par un associé dans le cas où le préjudice est personnel et indépendant de la société.

Attendu que suite à l'avis de la Commission de confirmer les recettes résultant de la vérification fiscale, la société VALBRILAU TAXIS s'est vu imposer un redressement fiscal aux titres de l'impôt sur les sociétés et des intérêts, majorations et amendes de 113 285,00 euros pour l'exercice 2012 et 99 997,00 euros pour 2013.

Attendu alors que M. U..., actionnaire à 25 % de la société VALBRILAU TAXIS, estime son préjudice à 25 % du montant total du redressement fiscal et en demande réparation à M. E....

Attendu d'une part que le Tribunal dira la faute de gestion de M. E... avérée.

Attendu d'autre part que M. U... déclare, sans être valablement contredit, qu'il n'a jamais été bénéficiaire des recettes non comptabilisées alors qu'il sera directement pénalisé par le redressement fiscal dont la faute est imputable à M. E....

Attendu que M. E... ne justifie pas avoir engagé de nouveau recours à l'encontre de la décision de l'administration fiscale, permettant au Tribunal d'en conclure qu'elle est définitive.

Attendu que le lien entre la faute et le préjudice subi par M. U... est parfaitement établi

Qu'en conséquence, le Tribunal condamnera M. E... à payer à M. U..., au titre de son action individuelle et pour le préjudice qu'il subit en tant qu'associé du fait du règlement, par la société VALBRILAU TAXIS, du redressement fiscal au titre des exercices 2012 et 2013, la somme de (...) » ;

Alors que l'action individuelle en responsabilité dont disposent les associés à l'encontre des dirigeants de la société ne peut tendre qu'à la réparation d'un préjudice personnel distinct de celui causé à la personne morale ; que pour accueillir la demande de M. U... tendant à la condamnation de M. E..., en sa qualité de dirigeant social, à lui verser des dommages-intérêts, la Cour d'appel a retenu que la société VALBRILAU subit un préjudice égal au redressement fiscal, d'un montant de 253 525 euros, et que M. U... subit un préjudice direct du fait de ce redressement qui affecte la société, préjudice d'un montant de 63 381 euros au regard de sa participation au capital de 25 % ; qu'il résulte ainsi des propres constatations de la Cour que le préjudice subi par M. U..., n'étant que le corollaire du dommage causé à la société, n'avait aucun caractère personnel ; qu'en accueillant néanmoins la demande de M. U..., la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard de l'article L. 223-22, al. 1 et 3, du Code de commerce, ensemble des articles 1382 et suivants anciens du Code civil, devenus les articles 1240 et suivants du même Code.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que M. P... E..., gérant de la société VALBRILAU TAXIS durant les exercices 2012 et 2013, a commis une faute de gestion engageant directement sa responsabilité par la tenue d'une comptabilité considérée comme irrégulière et non sincère par l'Administration fiscale et ayant entraîné un redressement fiscal conséquent ; et d'avoir, infirmant le jugement entrepris sur le montant du préjudice subi par M. U... du fait du redressement fiscal de la société VALBRILAU TAXIS et statuant à nouveau, condamné M. E... à payer à M. U... la somme de 63 381 euros au titre du redressement fiscal de la société VALBRILAU TAXIS,

Aux motifs propres que « Aux termes des dispositions de l'article L. 223-22 du Code de commerce, "Les gérants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, doit des fautes commises dans leur gestion".

Sur le préjudice résultant du redressement fiscal de la société Valbrilau :

Monsieur E... conteste en premier lieu toute faute de gestion de sa part et justifie le chiffre d'affaires qui ressort de la comptabilité de la société au regard de celui retenu par l'administration.

La Cour n'est cependant pas juge de l'impôt en question et ne se prononcera pas sur le différent opposant la société Valbrilau Taxis et Monsieur E... à l'administration.

La Cour rappelle que la société Valbrilau a fait l'objet d'un redressement fiscal à la suite d'une vérification de comptabilité dont il est ressorti que ses recettes avaient été minorées.

La société a contesté ces redressements par lettre du 12 juin 2015 et l'administration les a confirmé par lettre du 19 juin 2015. L'administration a transmis le dossier à la commission départementale qui dans sa séance du 11 mai 2016 a confirmé les redressements. Les rappels d'imposition ont été mis en recouvrement par avis de mise en recouvrement du 16 janvier 2017. La société Valbrilau a introduit une réclamation le 10 février 2017 sollicitant la décharge des impositions ainsi qu'un sursis à paiement. La procédure serait toujours en cours bien qu'aucune pièce n'ait été produite à ce sujet. Cependant, soit la réclamation a été rejetée et la société Valbrilau aurait dû saisir le tribunal administratif, ce qu'elle n'établit pas, soit l'administration n'a pas répondu dans le délai de six mois et ici encore la société Valbrilau aurait dû saisir le juge administratif.

La Cour considère au regard de ces éléments que la société Valbrilau ne justifie pas d'une procédure en cours susceptible de remettre en question le redressement opéré par l'administration fiscale.

Sur les éléments ayant donné lieu au redressement fiscal, la Cour note que dans son avis du 11 mai 2016, la commission départementale des impôts directs a maintenu la proposition de l'administration sur l'existence d'une comptabilité irrégulière et sur l'existence d'une insuffisance de chiffre d'affaires déclaré. Elle a notamment relevé que la société ne présentait aucune contre-proposition fondée sur une méthode alternative prenant en considération le kilométrage parcouru par chaque taxi et la consommation de carburant par véhicule.

L'administration fiscale reproche à la société Valbrilau d'avoir dissimulé une partie de son chiffre d'affaires, rendant ainsi la comptabilité irrégulière et non sincère et d'avoir ainsi minoré volontairement les déclarations de T.V.A. et d'impôts sur les sociétés.

Monsieur E..., gérant de la société Valbrilau pendant ces deux exercices a donc bien commis une faute de gestion telle que décrite par l'administration fiscale, qui a donné lieu à redressement de la société.

Cette faute, qui est qualifiée de volontaire par l'administration fiscale, a donné lieu à un avis de mise en recouvrement pour une somme de 253 525 euros.

La Cour rappelle que selon les dispositions de l'article L. 223-22 du Code de commerce, l'action individuelle d'un associé à l'encontre d'un dirigeant social pour faute de gestion répare le préjudice subi personnellement par l'associé.

En l'espèce, la société subit un préjudice égal au redressement fiscal. Le chiffre d'affaires dissimulé par la société Valbrilau et son gérant n'a pas profité à Monsieur U... puisqu'il n'est pas soutenu qu'il aurait perçu un dividende quelconque au titre des exercices 2012 et 2013. En revanche, Monsieur U... subit un préjudice direct du fait de ce redressement qui affecte la société alors que les sommes dissimulées n'ont profité qu'aux autres associés.

Dès lors, la Cour confirmera le jugement attaqué sur le principe.

Sur le montant, la Cour relève qu'il résulte de l'AMR que le montant du redressement est de 253 525 euros, soit un préjudice de 63 381 euros subi par Monsieur U... au regard de sa participation au capital de 25 % » ;

Et par motifs réputés adoptés du jugement entrepris que «« Attendu que M. U... détient 25 % du capital de la S.A.R.L. VALBRILAU TAXIS, société d'exploitation de taxis, au capital de 8 000 euros, immatriculée depuis le 17 août 1988, dont M. E... est le gérant.

Attendu que la société VALBRILAU TAXIS a fait l'objet d'une procédure contradictoire de vérification de comptabilité au titre des exercices clos les 31 décembre 2012 et 31 décembre 2013, par la Direction Régionale des Finances Publiques Ile de France.

Attendu que les recours exercés par la société VALBRILAU TAXIS auprès de l'Administration fiscale se sont conclus par un avis de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires en date du 11 mai 2016, communiqué à la société VALBRILAU TAXIS le 17 juin 2016.

Attendu que M. U... nous demande de dire que M. E... a commis une faute dans sa gestion de nature à engager sa responsabilité et de le condamner à lui payer 67 914,00 euros au titre du préjudice fiscal indûment subi au titre de l'imposition sur le revenu, 53 320,00 euros au titre de sa quote-part dans la perte du bénéfice consécutif à la fraude fiscale du gérant.

Sur la faute de gestion de M. E..., gérant de la société VALBRILAU TAXIS :

Attendu que l'article L. 223-22 du Code de commerce précise : "Les gérants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, doit des fautes commises dans leur gestion".

Attendu que la faute de gestion peut représenter une action ou une omission, volontaire ou non, contraire aux intérêts de l'entreprise.

Attendu qu'il n'est pas contesté que M. E... était le gérant de la société VALBRILAU TAXIS du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, période sur laquelle la vérification a portée.

Attendu que l'avis de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires en date du 11 mai 2016 précise :

- que l'examen de la comptabilité relative à la période soumise à vérification a révélé de graves irrégularités par des omissions de recettes et l'absence de comptabilisation de charges,
- que l'ensemble de ces anomalies a conduit le service de vérification à qualifier la comptabilité d'irrégulière,
- que la Commission observe que les anomalies affectant la comptabilisation des recettes suffisent à ôter à la comptabilité tout caractère sincère et probant.

Attendu que la vérification a identifié une minoration du chiffre d'affaires d'un montant de 242 677,00 euros H.T. au titre de l'exercice 2012 et de 230 069,00 euros au titre de l'exercice 2013.

Attendu que les arguments invoqués par la société VALBRILAU TAXIS durant la procédure de recours n'ont été retenus ni par les services de l'administration fiscale, ni par la Commission départementale.

Attendu alors que le Tribunal ne saurait les retenir à la décharge de M. E....

Que le Tribunal dira que le constat fait par l'Administration fiscale sur la tenue de la comptabilité de la société VALBRILAU TAXIS pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, période durant laquelle M. E... était le gérant, suffit à engager directement la responsabilité de M. E..., la faute de gestion étant caractérisée par la tenue d'une comptabilité considérée comme irrégulière et non sincère, rappelant ici que la négligence suffit à constituer une faute.

Sur la demande en principal de M. U... de la somme de 53 320,00 euros au titre de sa quote part dans la perte du bénéfice consécutif à la fraude fiscale du gérant.

Attendu que dans le cadre d'une action individuelle, celle-ci doit être réalisée par un associé dans le cas où le préjudice est personnel et indépendant de la société.

Attendu que suite à l'avis de la Commission de confirmer les recettes résultant de la vérification fiscale, la société VALBRILAU TAXIS s'est vu imposer un redressement fiscal aux titres de l'impôt sur les sociétés et des intérêts, majorations et amendes de 113 285,00 euros pour l'exercice 2012 et 99 997,00 euros pour 2013.

Attendu alors que M. U..., actionnaire à 25 % de la société VALBRILAU TAXIS, estime son préjudice à 25 % du montant total du redressement fiscal et en demande réparation à M. E....

Attendu d'une part que le Tribunal dira la faute de gestion de M. E... avérée.

Attendu d'autre part que M. U... déclare, sans être valablement contredit, qu'il n'a jamais été bénéficiaire des recettes non comptabilisées alors qu'il sera directement pénalisé par le redressement fiscal dont la faute est imputable à M. E....

Attendu que M. E... ne justifie pas avoir engagé de nouveau recours à l'encontre de la décision de l'administration fiscale, permettant au Tribunal d'en conclure qu'elle est définitive.

Attendu que le lien entre la faute et le préjudice subi par M. U... est parfaitement établi

Qu'en conséquence, le Tribunal condamnera M. E... à payer à M. U..., au titre de son action individuelle et pour le préjudice qu'il subit en tant qu'associé du fait du règlement, par la société VALBRILAU TAXIS, du redressement fiscal au titre des exercices 2012 et 2013, la somme de (...) » ;

Alors que si, en cas de silence gardé par l'administration fiscale sur la réclamation pendant six mois, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif, le délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation, laquelle doit être motivée et, conformément aux prévisions de l'article R 421-5 du code de justice administrative, comporter la mention des voies et délais de recours, ne lui a pas été régulièrement notifiée ; que la Cour d'appel, devant qui il n'était pas soutenu que l'administration fiscale aurait procédé à une telle notification à la société VALBRILAU et qui n'a pas retenu l'existence d'une telle notification, a néanmoins retenu le caractère définitif de l'avis de mise en recouvrement faute par M. E... d'avoir allégué et démontré que la société avait saisi le juge administratif d'un recours, passé le délai de six mois à compter de sa réclamation ; qu'en statuant ainsi, elle a donc violé l'article R. 199-1 du Livre des procédures fiscales.

Et alors que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant d'office le caractère définitif de l'avis de mise en recouvrement, faute par M. E... d'avoir allégué et démontré que la société avait saisi le juge administratif d'un recours, passé le délai de six mois à compter de sa réclamation, sans avoir, au préalable, mis les parties en mesure de débattre de ce moyen, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 19-11767
Date de la décision : 17/03/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 06 décembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 17 mar. 2021, pourvoi n°19-11767


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.11767
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