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17/03/2021 | FRANCE | N°18-19774

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 mars 2021, 18-19774


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 228 F-D

Pourvoi n° R 18-19.774

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 MARS 2021

La société Technopharma Limited, dont le siège est [..

.] (Royaume-Uni), a formé le pourvoi n° R 18-19.774 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dan...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 228 F-D

Pourvoi n° R 18-19.774

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 MARS 2021

La société Technopharma Limited, dont le siège est [...] (Royaume-Uni), a formé le pourvoi n° R 18-19.774 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Unilever NV, dont le siège est [...] (Pays-Bas), société de droit néerlandais,

2°/ à la société Unilever PLC, dont le siège est [...] (Royaume-Uni), société de droit anglais,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Darbois, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Technopharma Limited, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat des sociétés Unilever NV et Unilever PLC, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme Darbois, conseiller rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2018), la société, de droit néerlandais, Unilever NV et la société, de droit anglais, Unilever PLC (les sociétés Unilever) font partie du groupe Unilever, qui dispose de nombreuses marques et commercialise une crème dermatologique sous la dénomination « Fair et Lovely ».

2. La société Unilever NV a déposé, le 24 septembre 2004, une demande de marque communautaire semi-figurative « Fair et Lovely » n° 004045092 en classe 3.

3. La société Technopharma Limited (la société Technopharma) est une société britannique enregistrée en 1977, appartenant au groupe américain Mitchell, qui s'est spécialisée dans la fabrication de préparations dermatologiques pour les peaux afro-américaines.

4. Elle est titulaire de la marque américaine « New York Fair et Lovely » n° 78188257 et de la marque française « New York Fair et Lovely » n° 11 3 846 047, respectivement déposées le 22 et le 28 novembre 2002, en classes 3 et 5.

5. Le 6 septembre 2005, la société Technopharma a fait opposition devant l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur à l'enregistrement de la demande de marque communautaire « Fair et Lovely » déposée par la société Unilever NV.

6. Le 30 juillet 2013, les sociétés Unilever ont assigné la société Technopharma en annulation, pour dépôt frauduleux, de la marque française « New York Fair et Lovely » n° 11 3 846 047 et de son renouvellement, et pour actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société Technopharma fait grief à l'arrêt de déclarer nul l'enregistrement de la marque verbale française « New York Fair et Lovely » n° 11 3 846 047 déposée le 28 novembre 2002 pour les produits des classes 3 et 5, et son renouvellement pour désigner de tels produits, de lui faire interdiction, sous astreinte, de vendre ou d'offrir à la vente, sous le signe « New York Fair et Lovely », des produits relevant des classes 3 et 5, et d'ordonner la publication par extrait de l'arrêt dans divers organes de presse, alors « que les motifs de nullité des marques sont énumérés de façon exhaustive aux articles 3 et 4 de la directive 89/104/CEE du 22 décembre 1988 ; que l'article 4, paragraphe 4, sous g) de cette directive dispose qu'un Etat membre peut prévoir qu'une marque est susceptible d'être déclarée nulle lorsque et dans la mesure où la marque peut être confondue avec une marque utilisée à l'étranger au moment du dépôt de la demande et qui continue d'être utilisée, si la demande a été faite de mauvaise foi par le demandeur ; qu'en l'absence de toute transposition de cette disposition facultative par le législateur français, le juge ne peut faire application du principe fraus omnia corrumpit pour annuler une marque au motif qu'elle serait constituée d'un signe identique ou similaire à une marque déjà utilisée à l'étranger et qu'elle aurait été déposée de mauvaise foi ou de manière frauduleuse ; qu'en décidant néanmoins d'annuler la marque "New Fair et Lovely" pour un tel motif, la cour d'appel a violé les articles L. 711-1, L. 711-4 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 3 et 4 de la directive 89/104/CEE du 22 décembre 1988. »

Réponse de la Cour

8. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, la transposition d'une directive n'exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle des dispositions de celle-ci dans une disposition légale ou réglementaire expresse et spécifique, et peut se satisfaire d'un contexte juridique général, dès lors que celui-ci en assure effectivement la pleine application d'une façon suffisamment claire et précise. En particulier, au cas où la disposition en cause vise à créer des droits pour les particuliers, la situation juridique doit être suffisamment précise et claire, et les bénéficiaires doivent être mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et, le cas échéant, de s'en prévaloir devant les juridictions nationales. La Cour de justice a précisé qu'il ne saurait être considéré que toute pratique jurisprudentielle revêt un caractère incertain et est, par nature, insusceptible de répondre à ces exigences (arrêt du 13 février 2014, Commission/Royaume-Uni, C-530/11, points 33 à 36).

9. L'article 3, paragraphe 2, sous d), de la directive 89/104/CEE du Parlement européen et du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, prévoit qu'une marque peut être annulée dans le cas où la demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi, et l'article 4, paragraphe 4, sous g), vise, dans les motifs de nullité concernant les conflits avec des droits antérieurs, le cas où la marque peut être confondue avec une marque utilisée à l'étranger au moment du dépôt de la demande et qui continue d'y être utilisée, si la demande a été faite de mauvaise foi par le demandeur. Leurs dispositions ont ensuite figuré dans les mêmes articles de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.

10. Toute marque déposée en fraude des droits d'autrui étant nécessairement déposée de mauvaise foi, la jurisprudence des juridictions françaises, antérieure et postérieure aux directives précitées, selon laquelle l'annulation d'une marque déposée en fraude des droits d'autrui peut être demandée, sur le fondement du principe « fraus omnia corrumpit » combiné, depuis la loi de transposition du 4 janvier 1991, avec l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, s'inscrit dans le cadre des motifs d'annulation prévus auxdits articles 3, paragraphe 2, sous d), et 4, paragraphe 4, sous g), de la directive 89/104 et de la directive 2008/95. Cette jurisprudence, ancienne et constante, satisfait aux exigences qui découlent de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de transposition des directives.

11. En annulant la marque litigieuse au motif qu'elle avait été déposée de mauvaise foi et en fraude des droits des sociétés Unilever, la cour d'appel n'a donc pas encouru le grief du moyen.
En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur la question soulevée par le moyen, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

13. La société Technopharma fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ que la mauvaise foi du déposant doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; qu'en vertu du principe de territorialité du droit des marques, tout personne est, en principe, libre de déposer à titre de marque un signe, qui n'est ni identique ni similaire à un signe déjà exploité ou déjà réservé à titre de marque sur le territoire français, sans avoir à justifier qu'un tel dépôt répondrait à une nécessité ou à un "besoin" particulier ; qu'en l'espèce, la société Technopharma faisait valoir que le dépôt de sa marque française "New York Fair et Lovely" poursuivait un objectif légitime car il s'inscrivait dans le prolongement du dépôt de sa marque américaine, qui est exploitée aux Etats-Unis depuis 2003 pour des produits et services des classes 3 et 5, et a été renouvelée en 2015 ; qu'en relevant qu'étant déjà titulaire d'une marque américaine "Paris Fair et White", la société Technopharma ne justifierait "d'aucun besoin de recourir au dépôt de la marque Fair et Lovely déjà présente sur le marché dans un secteur que son dirigeant a lui-même qualifié devant les autorités anglaises de "secteur de niche", la cour d'appel, qui n'a, par ailleurs, pas constaté que la marque "Fair et Lovely" aurait été déjà présente sur les marchés américain et français, a statué par un motif impropre à justifier en quoi le dépôt de la marque contestée "New York Fair et Lovely" ne s'inscrirait pas légitimement dans la continuité du dépôt, par la société Technopharma, de la marque américaine "New York Fair et Lovely" et a ainsi privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit et de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ que la circonstance qu'au jour du dépôt, le demandeur sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire ne suffit pas, à elle seule, pour établir la mauvaise foi de ce demandeur ; qu'il convient, en outre, de prendre en considération l'intention dudit demandeur au moment du dépôt de la demande d'enregistrement d'une marque, élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances de l'espèce ; qu'en retenant, après avoir relevé que la société Technopharma affirmait n'avoir jamais fait usage de la marque "New York Fair et Lovely", qu'il résulterait de cette affirmation qu'elle a procédé à ce dépôt sans avoir eu alors l'intention d'en faire usage pour ses propres produits, que dès lors, celui-ci n'a été fait que pour bloquer ou gêner l'entrée des produits Unilever sur le marché français et que la société Technopharma aurait eu "parfaitement conscience de reprendre la marque des sociétés Unilever en totalement méconnaissance des intérêts légitimes de ces dernières", et, par motifs adoptés, que la société Technopharma devait avoir "nécessairement" conscience de méconnaître les intérêts des sociétés Unilever, et qu'elle "ne pouvait ignorer que le dépôt et le renouvellement de sa marque constituaient un obstacle à l'utilisation ultérieure de ce signe en France par les sociétés Unilever pour commercialiser leurs produits", sans constater qu'au moment du dépôt de cette marque, les sociétés Unilever auraient eu le projet de commercialiser leurs produits "Fair et Lovely" sur le marché français et que la société Technopharma aurait eu connaissance d'un tel projet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit et de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ que la circonstance qu'au jour du dépôt, le demandeur sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire ne suffit pas, à elle seule, pour établir la mauvaise foi de ce demandeur ; qu'en retenant, par motifs adoptés, après avoir relevé que la société Technopharma avait connaissance de l'usage par les sociétés Unilever du signe "Fair et Lovely" pour des produits de même nature, qu'elle devait avoir "nécessairement conscience de méconnaître leurs intérêts" et qu'elle "ne pouvait ignorer que ces dépôts et renouvellement de sa marque constituaient un obstacle à l'exploitation ultérieure de ce signe en France par les sociétés Unilever pour commercialiser leurs produits" et qu'"au de ce qui précède, de la réputation du signe "fair et lovely" au moment de l'enregistrement de la marque "New-York fair et lovely" que ne pouvait ignorer la société Technopharma spécialisée dans des produits dermatologiques pour les peaux afro-américaines, cette société avait la connaissance des intérêts des sociétés Unilever sur le signe "fair et lovely", et de l'entrave qu'elle constituait", la cour d'appel, qui a ainsi déduit l'intention frauduleuse de la société Technopharma de la circonstance que cette société aurait eu connaissance de l'usage de la marque « Fair et Lovely », a violé le principe fraus omnia corrumpit et l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

14. En premier lieu, après avoir énoncé qu'un dépôt de marque est frauduleux lorsque le déposant l'effectue dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les sociétés Unilever justifient de la commercialisation, en 1978 en Inde, puis en 2001 au Royaume-Uni, d'une crème blanchissante dénommée « Fair et Lovely » et de l'immense succès rencontré par ce produit, notamment au Maroc et en Turquie, et « observé sur le marché indien et dans les pays du Golfe, où le groupe a écoulé des millions de tubes », ainsi que le relatait un article de presse du magazine marocain « L'économiste » du 15 novembre 2000, et en déduit que ces éléments démontrent une distribution de la crème « Fair et Lovely » en Inde, qui constitue à elle seule un marché important, puis sur de nouveaux secteurs géographiques, dont celui du Royaume-Uni, avant 2002, et qu'en raison de l'étendue de son secteur de distribution, cette dénomination était nécessairement connue des professionnels proposant un produit similaire destiné à une clientèle très ciblée. Il ajoute que si la société Technopharma prétend avoir ignoré l'extension par les sociétés Unilever de leur secteur de distribution, en raison de la commercialisation de leurs produits respectifs sur des marchés géographiques distincts, les Etats-Unis pour celle-ci et l'lnde pour celles-là, cette affirmation ne peut être retenue dans la mesure où, professionnelle spécialisée dans ce type de produit, elle est nécessairement à l'affût de l'existence de tout produit concurrent et que, société de droit anglais, elle est naturellement sensibilisée au marché anglais sur lequel le produit « Fair et Lovely » des sociétés Unilever était présent avant qu'elle eût effectué son dépôt de marque. Par ces seuls motifs, la cour d'appel a caractérisé, à la date du dépôt de la marque le 28 novembre 2002, à la fois, la politique de développement des sociétés Unilever pour la commercialisation de leur produit dans de nouveaux pays, y compris en Europe, dont fait partie le marché français, et la connaissance par la société Technopharma de cette volonté d'extension.

15. En deuxième lieu, ayant retenu que, dans les déclarations qu'il avait faites à l'occasion d'un litige ayant opposé les parties devant l'Office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni, le dirigeant de la société Technopharma n'avait pas contesté qu'il avait connaissance du produit des sociétés Unilever et du signe sous lequel il était commercialisé, quand bien même il n'avait ni donné de date précise ni fourni aucune explication plausible sur les circonstances du dépôt de la marque litigieuse, la cour d'appel a pu en déduire, peu important que le signe « Fair et Lovely » ne fût pas encore présent aux Etats-Unis et en France, que la société Technopharma, qui détenait la marque américaine « Paris Fair et White » enregistrée le 13 avril 2000, ne justifiait, pour assurer la protection de ses propres produits, d'aucun besoin de recourir au dépôt, les 22 et 28 novembre 2002 dans ces pays, à titre de marque, de ce signe, déjà utilisé dans le même domaine des crèmes dermatologiques éclaircissantes, et qu'ainsi, elle ne démontrait pas avoir inscrit ces dépôts de la marque « New York Fair et Lovely » dans le prolongement de la marque américaine « Paris Fair et White » et poursuivi un but légitime, exclusif de mauvaise foi.

16. Enfin, ayant retenu que si la société Technopharma prétend être fondée à assurer la protection de ses droits en France, où elle fait fabriquer ses produits, elle a toutefois reconnu n'avoir jamais fait usage de cette marque pour commercialiser des produits en France, la cour d'appel en a exactement déduit qu'en procédant au dépôt de la marque « New York Fair et Lovely », sans avoir eu l'intention d'en faire usage pour ses propres produits, tandis qu'elle avait connaissance de celui, par les sociétés Unilever, du signe « Fair et Lovely » pour des produits de même nature, la société Technopharma avait cherché à bloquer ou gêner l'entrée des produits des sociétés Unilever sur le marché français et, ainsi, sciemment méconnu les intérêts de ces sociétés.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

18. La société Technopharma fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis des actes de parasitisme, de lui faire interdiction, sous astreinte, de vendre ou d'offrir à la vente, sous le signe « New York Fair et Lovely », les produits précités désignés par un tel signe, dans ses conditionnements tels que ceux incriminés dans le présent acte ou présentant des caractéristiques semblables à de tels conditionnements et d'ordonner la publication par extrait de l'arrêt dans divers organes de presse, alors

« 1°/ que pour dire que la société Technopharma a commis des actes de parasitisme, la cour d'appel a retenu que "comme il a été vu, la société Technopharma a eu un comportement fautif en déposant puis en renouvelant une marque sur laquelle les sociétés Unilever étaient titulaires de droits et qu'elles exploitaient sur un marché qui s'était progressivement élargi pour atteindre une part importante dans le monde" ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, la censure des chefs de l'arrêt visés par le présent moyen et ce, par application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant, en outre, qu'en poursuivant l'exploitation du signe "New York Fair et Lovely" par des actes de promotion à travers un site internet accessible au consommateur français et en présentant les produits en cause sous un conditionnement reprenant les codes couleur du produit des sociétés Unilever, la société Technopharma aurait "cré[é] ainsi un risque de confusion avec les produits des sociétés Unilever dans l'esprit du public concerné", et qu'elle se serait "ainsi immiscée dans le sillage des sociétés Unilever, tirant profit de la valeur économique créée par celles-ci au fil d'une exploitation qui s'est poursuivie depuis au moins 2001 et faisant obstacle à sa progression commerciale en s'assurant une mainmise sur le territoire français, ce qui constitue du parasitisme", tout en constatant que les produits "Fair et Lovely" des sociétés Unilever n'étaient pas commercialisés sur le marché français, ce dont il résultait que, sauf à ce que ces derniers produits aient été connus du public français, ce que la cour d'appel n'a pas constaté, aucune faute de concurrence déloyale ou de parasitisme ne pouvait être reprochée à la société Technopharma, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

19. D'une part, le rejet du premier moyen rend le grief de la première branche sans portée.

20. D'autre part, l'arrêt retient que la société Technopharma a poursuivi l'exploitation du signe incriminé par des actes de promotion à travers un site internet accessible au consommateur français et présenté les produits en cause sous un conditionnement reprenant les codes couleur du produit des sociétés Unilever, et en déduit qu'elle a ainsi tiré profit de la valeur économique créée par celles-ci au fil d'une exploitation qui s'était poursuivie depuis au moins 2001 et fait obstacle à sa progression en s'assurant une mainmise sur le marché français. En cet état, et peu important que les sociétés Unilever n'eussent pas commercialisé les produits sur le marché français, la cour d'appel a exactement retenu que la société Technopharma s'était immiscée dans le sillage de ces sociétés, caractérisant son comportement parasitaire.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Technopharma Limited aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Technopharma Limited et la condamne à payer aux sociétés Unilever NV et Unilever PLC la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société Technopharma Limited.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nul l'enregistrement de la marque verbale française « New York Fair et Lovely » n° 11 3 846 047 déposée le 28 novembre 2002 pour les produits des classes 3 et 5, et son renouvellement pour désigner de tels produits, d'avoir fait interdiction, sous astreinte provisoire de 200 euros par infraction constatée à compter du 60ème jour après la signification du jugement, à la société Technopharma Limited, de vendre ou d'offrir à la vente, sous le signe « New York Fair et Lovely », des produits relevant des classes 3 et 5, et d'avoir ordonné la publication par extrait de l'arrêt, aux frais avancés de la société Technopharma Limited, dans cinq journaux spécialisés et/ou publications nationales ou internationales au choix des sociétés Unilever PLC et Unilever NV, dans la limite de 5 000 euros HT, augmentés de la TVA au taux en vigueur, par insertion ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « La société Technopharma Limited fait grief aux premier juges d'avoir conclu à l'existence d'une fraude en appréciant l'existence de celle-ci au regard des droits utilisés à l'étranger et fait valoir que la directive 89/104 du 21 décembre 1988 telle que codifiée par la directive n°2008/95 du 22 octobre 2008 qui prévoit deux cas de nullité pour fraude n'a pas été transposée en droit français.
La loi du 4 janvier 1991 transposant la directive du 21 décembre 1988 a introduit sous l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle une action spécifique en revendication qui permet « si un enregistrement a été demandé... en fraude des droits d'un tiers.... », celui-ci peut en revendiquer la propriété en justice.
Or les sociétés Unilever ne revendiquent pas la propriété de la marque mais invoquent le principe « fraus omnia corrumpit » et l'article 1382 du Code civil en ce qui concerne leurs demandes en concurrence déloyale et parasitaire.
Le principe « fraus omnia corrumpit » sur lequel les sociétés Unilever fondent leur action existait en droit français dès avant la directive de 1988 et constitue un cas de nullité absolue qui, appliqué au droit des marques, permet d'annuler un enregistrement ; dès lors les sociétés Unilever pouvaient opter pour une demande en annulation sans revendiquer la propriété de la marque.
Ce principe suppose que soit établie la mauvaise foi du déposant qui n'est pas définie que ce soit en droit français ou dans la législation de l'Union européenne.
Les sociétés Unilever invoquent les droits dont elles étaient titulaires [à] l'étranger où était commercialisée la crème en cause sous le signe « Fair et Lovely » et la parfaite connaissance qu'en avait la société Technopharma Limited qui par le dépôt du signe « Fair and Lovely » et le renouvellement de celui-ci a délibérément fait obstacle à l'utilisation en France du signe « Fair and Lovely » par les sociétés Unilever ce qui caractérise une intention de nuire.
Un dépôt de marque est frauduleux lorsque le déposant l'effectue dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire son activité.
Les sociétés Unilever font valoir que la crème blanchissante dénommée « Fair and Lovely », mise au point en 1975, a été commercialisée en Inde, puis en 2001 au Royaume Uni et qu'elle a connu un grand succès, de sorte que la société Technopharma Limited qui opère sur le même marché ne pouvait en ignorer l'existence.
A l'appui de cette affirmation elles fournissent un extrait d'un ouvrage paru en 2012 qui fait état de son succès « colossal » et qui précise que cette crème a été « lancée en 1978 par Hindustan Lever (aujourd'hui Hindustan Unilever Ltd) » et un article paru dans la version électronique d'un magazine marocain qui mentionne « l'immense succès » de cette crème notamment au Maroc et en Turquie.
Elles produisent également des factures entre deux sociétés anglaises, la société Beauty and Care, d'une part, la société Oasis Wholesales, d'autre part, lesquelles s'étalent de juin à décembre 2001 et qui mentionnent des ventes de produits sous le signe « Fair etLovely », caractérisant ainsi une commercialisation au Royaume Uni en 2001.
Elles ajoutent un extrait du site de commercialisation daté du 6 mars 2013 qui vise le Kenya, l'Ouganda, la Tanzanie, le Zimbabwe, le Mozambique et le Malawi et qui démontre qu'elles n'ont cessé d'étendre le secteur de distribution de cette crème.
En conséquence, ces éléments démontrent une distribution de la crème en cause dès 1978 en Inde puis sur de nouveaux secteurs géographiques dont celui du Royaume Uni avant 2002.
Il importe peu que la marque ait eu ou non le caractère de signe notoire dès lors qu'en raison de l'étendue de son secteur de distribution qui comptait avant 2002 au moins deux pays dont l'Inde, qui constitue à elle seule un marché important, et le Royaume Uni, elle était nécessairement connue de professionnels distribuant un produit similaire s'adressant à une clientèle très ciblée.
La société Technopharma Limited qui est une société de droit anglais est spécialisée dans des produits dermatologiques pour des peaux afro-américaines et fait partie du groupe Mitchell qu'elle présente comme « leader dans ce type de produits et licencié d'une marque leader des crèmes éclaircissantes des peaux afro-américaines aux Etats Unis et dans de nombreux pays africains ».
Son dirigeant, M. A... qui est de nationalité britannique a indiqué à l'occasion de son contre-interrogatoire devant le « Registrar's Principal Hearing Officer » dans le cadre d'un litige ayant opposé les parties devant l'Office de la propriété intellectuelle du Royaume Uni qu'il savait qu'il « existait un marché pour les produits éclaircissants au Royaume Uni et en France », indiquant « J'ai déclaré que j'avais peut être connaissance de la marque « Fair etLovely » ou que j'en avais peut être entendu parler mais je ne me souviens pas distinctement aujourd'hui si je la connaissais ou non » ; il a poursuivi en indiquant que détenant la marque Paris Fair et white, objet de contrefaçons, il aurait « vu une boutique vendant des produits en cuir dénommés New York Fair et Lovely » ce qui l'avait conduit à choisir un nouveau signe.
En cause d'appel, M. A... à nouveau interrogé, a évoqué à nouveau ce choix, de façon quelque peu différente, et a ajouté qu'étant en Inde en 2007, il avait alors constaté que la marque Fairet Lovely y était populaire.
En conséquence, il n'a pas contesté qu'il avait connaissance du produit et du signe sous lequel il était commercialisé, quand bien même il n'a pas donné de date précise ; il convient au demeurant de relever qu'il n'a fourni aucune explication plausible sur les circonstances qui auraient déterminé sa société à déposer la marque « Fair et Lovely ».
Si la société Technopharma Limited mentionne que les deux sociétés commercialisaient leurs produits sur des marchés géographiques distincts, les Etats-Unis pour Technopharma Limited, l'lnde pour la société Unilever et qu'elle ignorait l'extension par celle-ci de son secteur de distribution, cette affirmation ne saurait être retenue dès lors qu'elle est un professionnel spécialisé sur ce type de produit, nécessairement à l'affût de l'existence de tout produit concurrent, étant au demeurant observé qu'étant de droit anglais et son dirigeant de nationalité britannique, elle était naturellement sensibilisée à ce marché sur lequel le produit Unilever était présent avant qu'elle ait effectué son dépôt de marque.
La société Technopharma Limited prétend avoir poursuivi un but légitime qui exclut toute mauvaise foi, relatant que le dépôt en 2002 s'inscrit dans le prolongement de celui de sa marque américaine New York Fair [and] Lovely intervenu le 22 novembre 2002 qui a été renouvelée le 11 juillet 2015 et qui est exploitée depuis 2003 pour les produits des classes 3 et 5 et dans la continuité de la marque américaine « Paris Fair et White » enregistrée le 13 avril 2000 ; pour autant étant déjà titulaire de cette marque, elle ne justifie d'aucun besoin de recourir au dépôt de la marque Fair et Lovely déjà présente sur le marché dans un secteur que son dirigeant a lui-même qualifié devant les autorités anglaises de « secteur de niche ».
Si elle affirme, sans être contredite qu'elle fait fabriquer ses produits en France, et prétend qu'elle était fondée à y assurer la protection de ses droits, il convient de relever qu'elle était déjà titulaire d'une marque et qu'elle a d'abord procédé au dépôt d'une marque communautaire, ne faisant un dépôt en France et dans d'autres pays de l'Union qu'après le rejet de celle-ci et alors qu'elle affirme n'avoir jamais fait usage de cette marque pour commercialiser des produits en France ; il résulte de cette affirmation qu'elle a procédé à ce dépôt sans avoir eu alors l'intention d'en faire usage pour ses propres produits, dès lors celui-ci n'a été fait que pour bloquer ou gêner l'entrée des produits Unilever sur le marché français.
Par ailleurs le terme Fair ne sera pas compris du consommateur moyen en France comme signifiant clair ou éclaircissant dans la mesure où celui-ci associe à l'expression « Fair play » qui qualifie un comportement et non un effet dermatologique ; quant au terme Lovely, il sera compris comme issu du mot love ce qui n'a pas de caractère descriptif du produit ; dès lors le signe Fair et Lovely apparaît totalement arbitraire et l'adjonction du nom de la ville New York au signe Fair et Lovely que la société Technopharma Limited place indifféremment sur ses emballages avant ou après les termes Fair et Lovely apparaît comme accessoire et ne leur confère pas une distinctivité ; en conséquence il s'agit bien de l'utilisation volontaire d'un signe similaire à celui déposé par la société Technopharma Limited.
Ces éléments démontrent au plus fort que la société Technopharma Limited avait parfaitement conscience de reprendre la marque des sociétés Unilever en totale méconnaissance des intérêts légitimes de ces dernières.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré nul l'enregistrement de la marque verbale française New York fair et lovely n° 11 3 846 047 déposée le 28 novembre 2002 pour les produits des classes 3 et 5, et son renouvellement pour désigner de tels produits et fait interdiction, sous astreinte provisoire de 200 € par infraction constatée à compter du 60ème jour après la signification du jugement, à la société Technopharma limited, de vendre ou d'offrir à la vente, sous le signe New York faire et lovely, des produits relevant des classes 3 et 5. »

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Les sociétés Unilever soutiennent que le dépôt et le renouvellement par la société Technopharma de la marque française NEW YORK FAIR et LOVELY n° 11 3 846 047 sont entachés de fraude, car effectués afin de les priver d'un signe nécessaire à leur activité.
L'annulation d'un dépôt de marque pour fraude nécessite la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant, en l'espèce la société Technopharma.
La fraude peut notamment être retenue lorsque le dépôt tend à devancer le dépôt en France d'une marque notoirement connue exploitée hors de France par une entreprise étrangère.
Pour justifier du succès de ses produits « fair et lovely », les sociétés Unilever produisent notamment une pièce en anglais tirée de leur site internet, faisant notamment état du développement de la crème "fair et lovely" en 1975, et un article de presse du magazine marocain "l'économiste" du 15 novembre 2000. Cet article mentionne que "Fair et Lovely" serait une [...] "crème fétiche" ayant "un immense succès", ce phénomène ayant "déjà été observé sur le marché indien et dans les pays du Golfe, où le groupe a écoulé des millions de tubes".
La société TECHNOPHARMA ne peut utilement faire état du caractère confidentiel de cette revue pour mettre en doute le contenu de cet article, qui établit qu'au jour de sa parution le produit "fair et lovely" des sociétés UNILEVER avait connu un succès mondial.
L'importance de ce succès est au surplus aussi rapportée par l'extrait d'un ouvrage de monsieur P... cité par les demanderesses, faisant état du "succès colossal" de la crème Fair et Lovely, "la plus célèbre crème blanchissante au monde" ; si l'ouvrage en question n'est pas produit, la société TECHNOPHARMA ne conteste pas la réalité de l'extrait cité.
Il résulte de ce qui précède que le signe "Fair et Lovely" était, au moment du dépôt par la société TECHNOPHARMA de sa marque "New-York fair et lovely", notoirement connu.
Il ressort au surplus des déclarations de monsieur D..., conseil en marque de la société Unilever PLC devant l'office de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni que le produit "fair et lovely a été lancé en Inde en 1978, et qu'entre 2003 et 2005 le signe FAIR et LOVELY était considéré en Inde comme un « Supermarque ».
La société Technopharma indique dans ses conclusions faire partie du groupe MITCHELL, « leader dans l'industrie pharmaceutique et plus particulièrement dans les produits de soin des peaux noire et métissée » et être elle-même « spécialisée dans la fabrication de préparations dermatologiques de qualité pour les peaux afro-américaines »
Aussi, cette société devait avoir une particulière connaissance des produits existant dans le domaine des crèmes éclaircissant la peau, dont le commerce revêt par nature un caractère international, ce que du reste a reconnu monsieur A..., directeur de la société TECHNOPHARMA devant la juridiction anglaise.
Lors de son audition dans le cadre de la procédure au Royaume-Uni, le 10 octobre 2013, le directeur de la société TECHNOPHARMA a également indiqué au tribunal qu'il avait « probablement connaissance » de l'existence de la marque « fair et lovely » des demanderesses en 2002.
Même si ce dirigeant a ensuite indiqué « j'ai déclaré que j'avais peut-être connaissance de la marque FAIR et LOVELY vu que j'en avais peut-être entendu parler mais je ne me souviens pas distinctement aujourd'hui si je la connaissais ou non", il apparaît très vraisemblable que la société TECHNOPHARMA -acteur économique d'importance mondiale dans les produits dermatologiques visant à éclaircir la peau, dont le dirigeant connaissait manifestement le signe "fair et Iovely"- avait connaissance au moment du dépôt de sa marque "new York fair et lovely » des sociétés Unilever.
Il sera à titre surabondant relevé que la juridiction anglaise a relevé dans sa décision du 7 novembre 2013 que "Technopharma était informée de l'utilisation de la marque d'Hindustan en Inde [ ] et souhaitait tirer parti de la connaissance présumée de la marque au Royaume-Uni", et que, dans la décision d'appel rendue le 9 décembre 2014, le juge a estimé qu'il ne devait pas modifier la "conclusion selon laquelle M A... connaissait la marque FAIR et LOVELY lorsque la marque a été choisie", Cette juridiction a également considéré que. le signe "fair et lovely" des sociétés UNILEVER avait une réputation importante en Inde au moment du dépôt par la société TECHNOPHARMA du signe querellé au Royaume-Uni.
Au vu des éléments qui précèdent, le dépôt de la marque française « New-York fair et lovely » pour des produits dermatologiques ne peut résulter de circonstances fortuites, la société TECHNOPHARMA avait connaissance de l'usage par les sociétés UNILEVER du signe « fair et lovely » pour des produits de même nature, et devait avoir nécessairement conscience de méconnaître leurs intérêts.
L'absence d'exploitation par les sociétés UNILEVER du signe « fair et lovely » en France ne peut permettre à la société TECHNOPHARMA de démontrer son absence de fraude lors du dépôt de la marque querellée, dès lors qu'elle avait connaissance des intérêts des sociétés UNILEVER sur ce signe.
En effet, la société TECHNOPHARMA ne pouvait ignorer que ces dépôts et renouvellement de sa marque constituaient un obstacle à l'utilisation ultérieure de ce signe en France par les sociétés UNILEVER pour commercialiser leurs produits.
Par ailleurs, la société TECHNOPHARMA est malvenue à soutenir que le signe « fair et lovely » évoquant un teint clair et joli serait descriptif pour les produits concernant la peau, alors qu'elle-même a déposé la marque « New- York fair et lovely », l'ajout d'une référence à une ville apparaissant accessoire et n'étant pas de nature à conférer une particulière distinctivité à sa marque.
Au vu de ce qui précède, de la réputation du signe « fair et lovely » au moment de l'enregistrement de la marque "New-York fair et lovely" que ne pouvait ignorer la société TECHNOPHARMA spécialisée dans des produits dermatologiques pour les peaux afro-américaines, cette société avait la connaissance des intérêts des sociétés UNILEVER sur le signe « fair et lovely », et de l'entrave qu'elle constituait.
Aussi, l'enregistrement de cette marque apparaît porter atteinte aux intérêts des sociétés UNILEVER sur ce signe, sciemment méconnus par la société TECHNOPHARMA.
De tels agissements sont constitutifs de fraude, répréhensibles par application de l'article 1382 du code civil.
Par conséquent, le dépôt et le renouvellement de la marque « New-York fair et lovely » 11 3 846 047 déposée le 28 novembre 2002 par la société TECHNOPHARMA dans les classes 3 et 5 correspondant aux produits pour lesquels les sociétés demanderesses utilisaient déjà le signe "fair et lovely" seront déclarés nuls. » ;

1°) ALORS QUE les motifs de nullité des marques sont énumérés de façon exhaustive aux articles 3 et 4 de la directive 89/104/CEE du 22 décembre 1988 ; que l'article 4, paragraphe 4, sous g) de cette directive dispose qu'un Etat membre peut prévoir qu'une marque est susceptible d'être déclarée nulle lorsque et dans la mesure où la marque peut être confondue avec une marque utilisée à l'étranger au moment du dépôt de la demande et qui continue d'être utilisée, si la demande a été faite de mauvaise foi par le demandeur ; qu'en l'absence de toute transposition de cette disposition facultative par le législateur français, le juge ne peut faire application du principe fraus omnia corrumpit pour annuler une marque au motif qu'elle serait constituée d'un signe identique ou similaire à une marque déjà utilisée à l'étranger et qu'elle aurait été déposée de mauvaise foi ou de manière frauduleuse ; qu'en décidant néanmoins d'annuler la marque « New Fair et Lovely » pour un tel motif, la cour d'appel a violé les articles L. 711-1, L. 711-4 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 3 et 4 de la directive 89/104/CEE du 22 décembre 1988 ;

2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la mauvaise foi du déposant doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; qu'en vertu du principe de territorialité du droit des marques, tout personne est, en principe, libre de déposer à titre de marque un signe, qui n'est ni identique ni similaire à un signe déjà exploité ou déjà réservé à titre de marque sur le territoire français, sans avoir à justifier qu'un tel dépôt répondrait à une nécessité ou à un « besoin » particulier ; qu'en l'espèce, la société Technopharma faisait valoir que le dépôt de sa marque française « New York Fair et Lovely » poursuivait un objectif légitime car il s'inscrivait dans le prolongement du dépôt de sa marque américaine, qui est exploitée aux Etats-Unis depuis 2003 pour des produits et services des classes 3 et 5, et a été renouvelée en 2015 (conclusions d'appel, p. 16) ; qu'en relevant qu'étant déjà titulaire d'une marque américaine « Paris Fair et White », la société Technopharma ne justifierait « d'aucun besoin de recourir au dépôt de la marque Fair et Lovely déjà présente sur le marché dans un secteur que son dirigeant a lui-même qualifié devant les autorités anglaises de « secteur de niche » », la cour d'appel, qui n'a, par ailleurs, pas constaté que la marque « Fair et Lovely » aurait été déjà présente sur les marchés américain et français, a statué par un motif impropre à justifier en quoi le dépôt de la marque contestée « New York Fair et Lovely » ne s'inscrirait pas légitimement dans la continuité du dépôt, par la société Technopharma, de la marque américaine « New York Fair et Lovely » et a ainsi privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit et de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;

3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la circonstance qu'au jour du dépôt, le demandeur sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire ne suffit pas, à elle seule, pour établir la mauvaise foi de ce demandeur ; qu'il convient, en outre, de prendre en considération l'intention dudit demandeur au moment du dépôt de la demande d'enregistrement d'une marque, élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances de l'espèce ; qu'en retenant, après avoir relevé que la société Technopharma affirmait n'avoir jamais fait usage de la marque « New York Fair et Lovely », qu'il résulterait de cette affirmation qu'elle a procédé à ce dépôt sans avoir eu alors l'intention d'en faire usage pour ses propres produits, que dès lors, celui-ci n'a été fait que pour bloquer ou gêner l'entrée des produits Unilever sur le marché français et que la société Technopharma aurait eu « parfaitement conscience de reprendre la marque des sociétés Unilever en totalement méconnaissance des intérêts légitimes de ces dernières », et, par motifs adoptés, que la société Technopharma devait avoir « nécessairement » conscience de méconnaître les intérêts des sociétés Unilever, et qu'elle « ne pouvait ignorer que le dépôt et le renouvellement de sa marque constituaient un obstacle à l'utilisation ultérieure de ce signe en France par les sociétés Unilever pour commercialiser leurs produits », sans constater qu'au moment du dépôt de cette marque, les sociétés Unilever auraient eu le projet de commercialiser leurs produits « Fair et Lovely » sur le marché français et que la société Technopharma aurait eu connaissance d'un tel projet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit et de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la circonstance qu'au jour du dépôt, le demandeur sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire ne suffit pas, à elle seule, pour établir la mauvaise foi de ce demandeur ; qu'en retenant, par motifs adoptés, après avoir relevé que la société Technopharma avait connaissance de l'usage par les sociétés Unilever du signe « Fair et Lovely » pour des produits de même nature, qu'elle devait avoir « nécessairement conscience de méconnaître leurs intérêts » et qu'elle « ne pouvait ignorer que ces dépôts et renouvellement de sa marque constituaient un obstacle à l'exploitation ultérieure de ce signe en France par les sociétés Unilever pour commercialiser leurs produits » et qu'« au de ce qui précède, de la réputation du signe « fair et lovely » au moment de l'enregistrement de la marque "New-York fair et lovely" que ne pouvait ignorer la société TECHNOPHARMA spécialisée dans des produits dermatologiques pour les peaux afro-américaines, cette société avait la connaissance des intérêts des sociétés UNILEVER sur le signe « fair et lovely », et de l'entrave qu'elle constituait », la cour d'appel, qui a ainsi déduit l'intention frauduleuse de la société Technopharma de la circonstance que cette société aurait eu connaissance de l'usage de la marque « Fair et Lovely », a violé le principe fraus omnia corrumpit et l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Technopharma Limited a commis des actes de parasitisme, d'avoir fait interdiction, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à la société Technopharma Limited, de vendre ou d'offrir à la vente, sous le signe « New York Fair et Lovely », les produits précités désignés par un tel signe, dans ses conditionnements tels que ceux incriminés dans le présent acte ou présentant des caractéristiques semblables à de tels conditionnements et d'avoir ordonné la publication par extrait de l'arrêt, aux frais avancés de la société Technopharma Limited, dans cinq journaux spécialisés et/ou publications nationales ou internationales au choix des sociétés Unilever PLC et Unilever NV, dans la limite de 5 000 euros HT, augmentés de la TVA au taux en vigueur, par insertion ;

AUX MOTIFS QUE « Les sociétés Unilever font grief aux premiers juges de les avoir déboutées de leur demande au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.
La société Technopharma Limited soutient qu'il n'y a pas d'exploitation personnelle par les sociétés Unilever du signe Fair et Lovely en France, que les sociétés Unilever ne démontrent pas en quoi elle aurait tiré indûment profit de leur savoir-faire, de ses efforts humains et financiers et qu'il n'y a aucun risque de confusion dès lors que ses produits New York Fair et Lovely, fabriqués en France et exportés depuis la France, ne sont jamais commercialisés sur le territoire national, les normes européennes ne les y autorisant pas.
Or, la société Technopharma Limited a pénétré le marché français avec des produits identifiés sous cette marque à travers un site internet accessible en France ; elle a également adopté un conditionnement proche de celui utilisé par les sociétés Unilever pour les produits distribués sous cette marque à l'étranger.
Elle soutient que néanmoins ses produits ne pouvaient pas être vendus sur le marché français en ce que son site mentionnait « nous ne livrons pas en dehors des USA », outre que cette mention ne concerne qu'un seul produit, la pièce produite est postérieure aux extraits du site communiqués par les sociétés Unilever et enfin il est inopérant en ce que ce site constitue une offre visant le consommateur français et qu'il n'est au demeurant pas démontré l'effectivité dans le temps de la mention précitée.
Si les sociétés Unilever ne commercialisent pas encore en France leurs produits sous le signe [...] , il est avéré que ces produits ont été distribués progressivement dans de nombreuses parties du monde, l'Inde, le Royaume Uni, plusieurs pays d'Afrique, témoignent ainsi de son succès et de l'accroissement progressif de son secteur de distribution, démontrant un savoir-faire commercial de sorte qu'elles étaient à l'évidence en mesure de poursuivre cette progression notamment dans des pays comme la France concernés par une importante immigration, susceptible de s'intéresser à son produit.
En l'absence de mise sur le marché français de ses produits sous la marque « Fair etLovely », il n'y a pas eu de concurrence directe avec ceux de la société Technopharma Limited sur le marché français.
Comme il a été vu, la société Technopharma a eu un comportement fautif en déposant puis en renouvelant une marque sur laquelle les sociétés Unilever étaient titulaires de droits et qu'elles exploitaient sur un marché qui s'était progressivement élargi pour atteindre une part importante dans le monde ; elles ont poursuivi l'exploitation du signe en cause par des actes de promotion à travers un site internet accessible au consommateur français et en présentant les produits en cause sous un conditionnement reprenant les codes couleur du produit des sociétés Unilever, créant ainsi un risque de confusion avec les produits des sociétés Unilever dans l'esprit du public concerné.
La société Technopharma Limited s'est ainsi immiscée dans le sillage des sociétés Unilever, tirant profit de la valeur économique créée par celles-ci au fil d'une exploitation qui s'était poursuivie depuis au moins 2001 et faisant obstacle à sa progression commerciale en s'assurant une main mise sur le marché français, ce qui constitue du parasitisme.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Unilever de leur demande de ce chef.
Les sociétés Unilever ont chiffré leur préjudice à la somme de 100 000€ sans pour apporter le moindre élément pour caractériser ce montant.
Il ne peut néanmoins être contesté l'existence d'un préjudice résultant de comportement déloyal, la cour fera droit à la demande de réparation, d'une part, en interdisant, sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée, à la société Technopharma limited, de vendre ou d'offrir à la vente, sous le signe « New York Fair et Lovely », les produits précités désignés par un tel signe, dans des conditionnements tels que ceux incriminés dans le présent acte ou présentant des caractéristiques semblables à de tels conditionnements, d'autre part, en ordonnant la publication de l'arrêt à intervenir, dans cinq journaux spécialisés. » ;

1°) ALORS QUE pour dire que la société Technopharma Limited a commis des actes de parasitisme, la cour d'appel a retenu que « comme il a été vu, la société Technopharma a eu un comportement fautif en déposant puis en renouvelant une marque sur laquelle les sociétés Unilever étaient titulaires de droits et qu'elles exploitaient sur un marché qui s'était progressivement élargi pour atteindre une part importante dans le monde » ; qu'ainsi, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, la censure des chefs de l'arrêt visés par le présent moyen et ce, par application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU'en retenant, en outre, qu'en poursuivant l'exploitation du signe « New York Fair et Lovely » par des actes de promotion à travers un site internet accessible au consommateur français et en présentant les produits en cause sous un conditionnement reprenant les codes couleur du produit des sociétés Unilever, la société Technopharma Limited aurait « cré[é] ainsi un risque de confusion avec les produits des sociétés Unilever dans l'esprit du public concerné », et qu'elle se serait « ainsi immiscée dans le sillage des sociétés Unilever, tirant profit de la valeur économique créée par celles-ci au fil d'une exploitation qui s'est poursuivie depuis au moins 2001 et faisant obstacle à sa progression commerciale en s'assurant une mainmise sur le territoire français, ce qui constitue du parasitisme », tout en constatant que les produits « Fair et Lovely » des sociétés Unilever n'étaient pas commercialisés sur le marché français, ce dont il résultait que – sauf à ce que ces derniers produits aient été connus du public français, ce que la cour d'appel n'a pas constaté – aucune faute de concurrence déloyale ou de parasitisme ne pouvait être reprochée à la société Technopharma Limited, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-19774
Date de la décision : 17/03/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 janvier 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 17 mar. 2021, pourvoi n°18-19774


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Yves et Blaise Capron

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:18.19774
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