LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 20-81.471 F-D
N° 00238
ECF
16 MARS 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 MARS 2021
M. I... L... et M. J... E... ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 17 décembre 2019, qui, pour atteinte à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, les a notamment condamnés chacun à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, à une interdiction d'exercer la profession de policier municipal pendant deux ans et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ampliatifs ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de Me Haas et de la SCP Richard, avocats de M. I... L... et de M. J... E..., et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. MM. L... et E..., agents de police municipale, ont été poursuivis du chef d'atteinte à la liberté individuelle dans l'exercice de ses fonctions par personne dépositaire de l'autorité publique, à raison des circonstances dans lesquelles ils ont ensemble procédé, sur la voie publique, au contrôle d'un couple qui promenait un chien dangereux classé en deuxième catégorie.
3. Par jugement en date du 5 février 2019, le tribunal correctionnel les a condamnés chacun notamment à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis, à une interdiction d'exercice des fonctions de policier municipal pendant une durée de deux ans et a prononcé sur les intérêts civils.
4. MM. L... et E... ont chacun relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen proposé pour M. L..., et sur le premier moyen proposé pour M. E...
Enoncé des moyens
5. Le premier moyen proposé pour M. L... critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré ce dernier coupable du délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, alors :
« 1°/ que le délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique suppose une atteinte à la liberté d'aller et venir ; qu'en relevant, pour déclarer le prévenu coupable du délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, que ce dernier s'était livré à un contrôle tatillon et excessif, allant jusqu'à déranger en pleine nuit, sans aucun motif juridique ni même aucune raison impérieuse, l'éleveur canin par téléphone et filmer ses actes sans en informer les personnes concernées, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser une atteinte à la liberté d'aller et venir, a violé l'article 432-4 du code pénal ;
2°/ que le délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique suppose que la mesure privative de liberté soit imposée en dehors de tout fondement légal ; que l'article R. 215-2 du code rural et de la pêche maritime prévoit qu'est puni des peines pour les contraventions de la troisième classe le fait, pour un propriétaire d'un chien de deuxième catégorie, de ne pas présenter à toute réquisition des forces de police ou de gendarmerie le permis de détention ou, le cas échéant, le permis provisoire ; qu'en déclarant le prévenu coupable du délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, au prétexte que ce dernier s'est livré au contrôle des parties civiles qui promenaient leur chien dûment tenu en laisse et muselé de sorte qu'il n'y avait aucune raison de soupçonner qu'ils étaient en train de commettre une infraction, cependant que le contrôle opéré par le prévenu trouvait son fondement légal dans le texte susvisé, la cour d'appel a violé les articles 432-4 du code pénal, R. 215-2 du code rural et de la pêche maritime ;
3°/ qu'en relevant, pour déclarer le prévenu coupable du délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, qu'il est inexact de prétendre que Mme F... n'était pas détentrice du permis de détention provisoire de l'animal, sans s'expliquer sur la vidéo du contrôle filmé par le prévenu confirmant que Mme F... qui n'était pas en mesure de présenter le permis provisoire en début de contrôle, était retournée chez elle le chercher afin de ne pas être verbalisée, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
6. Le premier moyen proposé pour M. E... critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré ce dernier coupable d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l'autorité publique, alors :
« 1°/ que le délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l'autorité publique ne vise que la seule atteinte à la liberté d'aller et venir ; qu'en déclarant M. E... coupable de cette infraction, sans constater que Mme F... et M. Q... avaient fait l'objet d'une mesure d'arrestation, de détention ou de rétention qui les auraient privés de leur faculté de ne pas donner suite ou d'écourter le contrôle opéré par les agents de police municipale, de sorte qu'il aurait été porté atteinte à leur liberté d'aller et venir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 432-4 du code pénal ;
2°/ que le délit d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l'autorité publique ne vise que la seule atteinte à la liberté d'aller et de venir ; qu'en déclarant M. E... coupable de cette infraction, aux motifs inopérants qu'il s'était livré nuitamment à un contrôle pointilleux et excessif, allant jusqu'à déranger en pleine nuit l'éleveur canin sans aucun motif juridique ou raison impérieuse et en filmant ses actes sans en informer les personnes contrôlées, de telles constatations n'étant pas de nature à caractériser l'atteinte qui aurait été portée à la liberté d'aller et venir de Mme F... et de M. Q..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 432-4 du code pénal ;
3°/ que les agents de police municipale sont habilités à constater par procès-verbal la contravention de la deuxième classe tenant au fait, pour le propriétaire ou le détenteur d'un chien de la première ou deuxième catégorie, de ne pas présenter à toute réquisition des forces de police ou de gendarmerie le permis de détention ou, le cas échéant, le permis provisoire ; qu'en décidant néanmoins qu'en sa qualité d'agent de police municipale, M. E... ne pouvait intervenir qu'en cas d'infraction préalable, tandis qu'il s'était livré au contrôle de Mme F... et de M. Q..., qui promenaient leur chien dûment tenu en laisse et muselé, de sorte qu'il n'y avait aucune raison de soupçonner qu'ils étaient en train de commettre une infraction, bien que M. E..., en sa qualité d'agent de police municipale, ait été habilité à demander à Mme F... de lui présenter le permis de détention provisoire de l'animal, la cour d'appel a violé les articles L. 211-14, L. 215-3-1 et R. 215-2 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles 432-4 du code pénal et 78-6 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer M. E... coupable d'atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, qu'il avait manifestement outrepassé ses prérogatives et que son audition permettait de s'assurer qu'il en connaissait les limites, sans indiquer, fût-ce succinctement, de quelles déclarations il ressortait que M. E... aurait volontairement porté une atteinte arbitraire à la liberté d'aller et venir de Mme F... et de M. Q..., en outrepassant sciemment les prérogatives qui sont les siennes en sa qualité d'agent de police municipale, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser l'élément intentionnel de l'infraction dont elle l'a déclaré coupable, a privé sa décision de base légale au regard des articles 121-3, aliéna 1er, et 432-4 du Code pénal. »
Réponse de la Cour
7. Les moyens sont réunis.
Sur la deuxième branche du moyen présenté pour M. L... et la troisième branche du moyen présenté pour M. E...
Vu les articles 432-4 du code pénal, L. 211-14, L. 215-3 et R. 215-2 du code rural et de la pêche maritime :
8. Il se déduit du premier de ces textes que sont incriminés, au titre des atteintes à la liberté individuelle, les actes d'arrestation, de rétention ou de détention arbitraires ordonnés ou commis par les personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.
9. Il résulte du deuxième que tout propriétaire d'un chien classé en deuxième catégorie doit être titulaire d'un permis de détention délivré par le maire de sa commune et de pièces justifiant, d'une part, de la vaccination antirabique de l'animal en cours de validité, d'autre part, d'une assurance garantissant sa responsabilité civile pour les dommages causés aux tiers par cet animal.
10. Selon le troisième, les agents de police municipale constatent par procès-verbaux les infractions aux dispositions de l'article L. 211-14 précité.
11. Le dernier de ces textes punit des peines prévues pour les contraventions de la troisième classe le fait, pour le propriétaire d'un chien de la deuxième catégorie, de ne pas présenter à toute réquisition des forces de police ou de gendarmerie le permis de détention ainsi que les pièces attestant qu'il satisfait aux deux autres conditions ci-dessus spécifiées.
12. Pour déclarer coupables MM. L... et E... d'atteinte à la liberté individuelle, l'arrêt mentionne que les policiers municipaux ne sont pas habilités à effectuer des contrôles d'identité et qu'ils ne peuvent intervenir, dans le cadre strict qui leur est réservé, qu'en cas d'infraction préalable.
13. Les juges ajoutent que les prévenus ont procédé au contrôle de Mme F... et de M. Q... alors qu'ils promenaient leur chien dûment tenu en laisse et muselé de sorte qu'il n'y avait aucune raison de soupçonner qu'ils étaient en train de commettre une infraction.
14. La cour d'appel en déduit que les deux prévenus se sont donc livrés à un contrôle sans motif juridique ni raison impérieuse et qu'ils ont ainsi manifestement outrepassé leurs prérogatives.
15. En se déterminant de la sorte, alors que les agents de police municipale tiennent des articles L. 215-3 et R. 215-2 du code rural et de la pêche maritime la faculté d'exiger de tout possesseur d'un chien classé en deuxième catégorie, cet animal fût-il tenu en laisse et porteur d'une muselière, la présentation, outre du permis de détention de l'animal, d'un certificat de vaccination antirabique et d'une attestation d'assurance, en cours de validité, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
16. La cassation est de ce fait encourue.
Sur la première branche du moyen présenté pour M. L... et les première et deuxième branches du moyen présenté pour M. E...
Vu les articles 432-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
17. Il se déduit du premier de ces textes que sont incriminés, au titre des atteintes à la liberté individuelle, les actes d'arrestation, de rétention ou de détention arbitraires ordonnés ou commis par les personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public.
18. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
19. Pour déclarer MM. L... et E... coupables d'atteinte à la liberté individuelle, l'arrêt mentionne encore que ces derniers, auxquels avait été remis dès le début du contrôle par eux opéré un permis de détention en cours de validité, ont néanmoins demandé la production d'attestations de stage de dressage et ont vérifié les déclarations des deux personnes concernées, notamment en téléphonant, à 23 heures 30, au responsable du centre de dressage canin.
20. Les juges précisent qu'en agissant ainsi, MM. L... et E... ont sollicité des documents qu'ils n'avaient pas à contrôler.
21. Ils ajoutent que cette intervention, qui a été filmée par les deux policiers municipaux à l'insu du couple qui en était l'objet, a duré au total quarante minutes et a été suivie, non d'un procès-verbal, mais d'un rapport mettant en cause la sincérité des déclarations des détenteurs du chien et relevant que ces derniers n'avaient présenté aucun extrait de casier judiciaire.
22. La cour d'appel en déduit que le contrôle tatillon et excessif auquel les policiers se sont livrés dans ces conditions révèle qu'ils ont, le soir des faits, manifestement outrepassé leurs prérogatives en se livrant à une interpellation et à une rétention sans aucun motif des deux plaignants, portant ainsi une atteinte injuste à leur liberté d'aller et de venir.
23. La cour d'appel en conclut que l'infraction est bien caractérisée.
24. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est bornée à retenir que l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir des plaignants était injuste, sans décrire, ni les circonstances de la rétention dont ces derniers auraient été l'objet, ni le caractère arbitraire de celle-ci, a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés et n'a pas suffisamment justifié sa décision.
25. La cassation est en conséquence de nouveau encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence susvisé, en date du 17 décembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize mars deux mille vingt et un.