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16/03/2021 | FRANCE | N°20-81169

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 mars 2021, 20-81169


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° R 20-81.169 F-D

N° 00316

CK
16 MARS 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 MARS 2021

Mme S... M..., partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 16 janvier 2020, qui a confir

mé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur sa plainte du chef de harcèlement moral.

Un mémoire a été pr...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° R 20-81.169 F-D

N° 00316

CK
16 MARS 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 MARS 2021

Mme S... M..., partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 16 janvier 2020, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur sa plainte du chef de harcèlement moral.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme de Lamarzelle, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme S... M... , et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 février 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme de Lamarzelle, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. À la suite du suicide de son époux, E... Q..., militaire en opération extérieure au Liban, Mme M... a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef de harcèlement moral à l'encontre de Mme N... V..., lieutenant, et M. A... H..., adjudant.

3. Sur réquisitions de non informer du procureur de la République, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de refus d'informer au visa de l'article 698-2, alinéa 2, du code de procédure pénale.

4. Mme M... a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa quatrième branche

5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non informer du chef de harcèlement moral, alors :

« 1°/ qu'il résulte des dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial qui décidera, notamment, des contestations sur ses droits en matière civile ; qu'en l'espèce, les consorts Q... s'étaient constitués partie civile et sollicitaient l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits de harcèlement moral reprochés au lieutenant Mme V... et à l'adjudant M. H..., commis sur la personne de l'adjudant M. Q... et ayant conduit au suicide de ce dernier lors d'une opération militaire en temps de paix au Liban, et ce en raison de l'insuffisance de l'enquête menée par la prévôté et le parquet de Paris relative aux circonstances de son décès ; que pour confirmer l'ordonnance de refus d'informer entreprise, rendue au motif que « le ministère public n'estime pas opportun de mettre en mouvement l'action publique du chef de harcèlement moral à l'encontre du lieutenant Mme N... V... et de l'adjudant M. H..., conformément à sa décision de classement sans suite en date du 4 août 2016 », et en précisant qu'elle n'avait pas à « analyser la qualité de l'enquête menée, ou à caractériser plus avant les infractions imputées aux militaires nommément désignés par les consorts Q... », la chambre de l'instruction a retenu que l'article 6, § 1, de la Convention ne s'appliquait pas à une procédure non contentieuse et unilatérale réservée uniquement à des cas d'absence de litiges sur des droits donc sans intérêts contradictoires en jeu, ni à des rapports d'une mission d'enquête visant à établir et consigner des faits qui pourraient par la suite servir de base à l'action d'autres autorités compétentes de poursuite, réglementaires, disciplinaires voire législatives, que ces dispositions visent à préserver les droits des parties, pour assurer que le procès civil se déroule de manière équitable, notion différente de celle d'égalité, et que le procès pénal assure à la personne accusée des garanties procédurales, respectant les droits de la défense, et est applicable à une plainte avec constitution de partie civile, sauf dans le cas d'une action civile engagée uniquement à des fins punitives ou de vengeance privée, mais non le droit de faire punir ou condamner pénalement des tiers, pour en déduire qu'en l'espèce, une possibilité d'indemnisation du préjudice des consorts Q... était prévue en dehors de la plainte avec constitution de partie civile qu'ils entendaient mettre en œuvre, sans que l'issue de la procédure pénale soit directement déterminante pour un tel droit ; qu'en statuant ainsi, quand la constitution de partie civile de Mme S... M..., veuve Q..., était déterminante pour son droit à participer à la manifestation de la vérité ainsi qu'à son droit d'agir en réparation et tendait à faire décider d'une contestation sur ses droits de caractère civil, au sens de l'article 6, § 1, précité, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé ;

2°/ qu'il résulte des dispositions de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'est garanti le droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale à toute personne dont les droits et libertés reconnus par la Convention ont été violés ; qu'en retenant, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu prononcée au seul motif que le ministère public n'avait pas estimé opportun de mettre en œuvre l'action publique, et en précisant ne pas avoir à analyser la qualité de l'enquête menée, ou à caractériser plus avant les infractions imputées aux militaires nommément désignés par les consorts Q..., dès lors que le fait que les dispositions de l'article 698-2 du code de procédure pénale, qui réservent au ministère public la mise en œuvre de l'action publique, ne privent pas la partie lésée de la possibilité d'obtenir réparation, la chambre de l'instruction, en privant la partie civile d'un recours effectif pour solliciter l'ouverture d'une information judiciaire lui permettant de participer à la manifestation de la vérité ainsi qu'à son droit d'agir en réparation et tendant à faire décider d'une contestation sur ses droits de caractère civil, a méconnu le principe conventionnel susvisé, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention susvisée ;

3°/ que l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables ; qu'en retenant qu'en adoptant les dispositions de l'article 698-2 du code de procédure pénale, le législateur avait, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice de leur missions par les forces armées, entendu limiter le risque de poursuites pénales abusives, de nature à déstabiliser l'action militaire de la France à l'étranger, qu'à cette fin, il avait confié au procureur de la République un monopole de poursuites circonscrit aux faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, que ce faisant, le législateur avait tenu compte de la spécificité de ces opérations et n'avait pas instauré de discrimination injustifiée entre, d'une part, les victimes d'infractions commises par un militaire dans l'accomplissement de sa mission lors de telles opérations et, d'autre part, les victimes des mêmes infractions commises en France par un militaire ou commises à l'étranger par un civil et qu'en outre, les victimes des infractions visées par les dispositions contestées pouvaient obtenir réparation du dommage causé par ces infractions et qu'elles pouvaient également, dans le cas où l'action publique avait été mise en mouvement par le procureur de la République, se constituer partie civile au cours de l'instruction ou à l'audience devant la juridiction de jugement, pour en déduire que leur étaient assurées des garanties équivalentes pour la protection de leurs intérêts, cependant que l'infraction pour laquelle les parties civiles sollicitaient l'ouverture d'une information judiciaire lui permettant de participer à la manifestation de la vérité ainsi qu'à son droit d'agir en réparation et tendant à faire décider d'une contestation sur ses droits de caractère civil, était une infraction de droit commun, à savoir le harcèlement moral, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

5°/ encore plus subsidiairement qu'il résulte des dispositions combinées des articles 698-2 alinéa 2 et 201 du code de procédure pénale que les juridictions d'instruction peuvent exercer les pouvoirs qui leurs sont dévolus lorsque les faits dénoncés par voie de plainte avec constitution de partie civile ne relèvent pas de faits militaires survenus dans le cadre d'une opération militaire extérieure, mobilisant des capacités militaires mais relèvent d'infractions de droit commun ; qu'en confirmant purement et simplement l'ordonnance de refus d'informer entreprise dont le seul motif était que le ministère public n'avait pas estimé opportun de mettre en mouvement l'action publique engagée par la veuve et les parents de M. E... Q..., décédé par autolyse au cours d'opérations militaires déployées en temps de paix au Liban, du chef de harcèlement moral à rencontre du lieutenant Mme N... V... et de l'adjudant M. A... H..., conformément à sa décision de classement sans suite en date du 4 août 2016, la chambre de l'instruction, qui a refusé d'exercer les pouvoirs qui lui étaient dévolus, a méconnu les textes susvisés, ensemble les articles 6, § 1, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches

7. L'article 698-2, alinéa 2, du code de procédure pénale réserve au ministère public la mise en oeuvre de l'action publique en cas de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l'extérieur du territoire français.

8. Pour écarter le grief tiré de la non conformité de ce texte aux articles 6, § 1, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt attaqué retient notamment que si le premier de ces articles est en principe applicable à une plainte avec constitution de partie civile, la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers et que la demanderesse bénéficie de la possibilité d'obtenir réparation sans que l'issue de la procédure pénale souhaitée soit directement déterminante pour un tel droit.

9. Les juges ajoutent que le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter le risque de poursuites pénales abusives de nature à déstabiliser l'action militaire de la France à l'étranger et que le monopole des poursuites confié au procureur de la République est circonscrit aux faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises.

10. Ils en concluent que l'article 698-2, alinéa 2, ne porte pas atteinte au droit d'accès à un tribunal ni au droit au recours prévus par les articles 6, § 1, et 13 susvisés et que le législateur n'a pas instauré de discrimination injustifiée au sens de l'article 14 de la Convention entre, d'une part, les victimes d'infractions commises par un militaire dans l'accomplissement de sa mission lors de telles opérations et, d'autre part, les victimes des mêmes infractions commises en France par un militaire ou commises à l'étranger par un civil.

11. En l'état de ces énonciations la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

12. En effet, la personne estimant subir un préjudice en raison de faits commis par un militaire dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 698-2, alinéa 2, susvisé, peut en demander réparation devant les juridictions de droit commun, le monopole des poursuites réservé en pareil cas au ministère public n'entraînant aucune différence de traitement injustifiée entre des personnes se trouvant dans des situations analogues.

13. Dès lors, les griefs doivent être écartés.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

14. Il résulte de l'article 698-2, alinéa 2, du code de procédure pénale que lorsque les juridictions d'instruction non saisies de réquisitions d'informer constatent que les faits dénoncés par un plaignant sont imputés à des militaires dans le cadre de leur mission au cours d'une opération menée à l'étranger, elles n'ont d'autre possibilité que de constater l'irrecevabilité de la constitution de partie civile et de rendre une décision de refus d'informer.

15. En l'espèce, pour déclarer la constitution de partie civile irrecevable et confirmer l'ordonnance de refus d'informer, l'arrêt énonce que E... Q... se trouvait, au moment de son décès, engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, de même que Mme V..., lieutenant, et M. H..., adjudant, et que c'est à l'occasion des actions de commandement, entrant dans le champ de leur mission militaire, que les faits reprochés sont susceptibles d'avoir été éventuellement commis, même si, du fait du cadre très particulier des militaires en opérations extérieures, certains faits ont pu avoir lieu durant des temps de repos.

16. En statuant par ces motifs, dont il résulte que l'ensemble des faits visés dans la plainte, peu important que ceux-ci soient susceptibles de constituer une infraction militaire ou qu'ils relèvent d'une qualification de droit commun, s'inscrivent dans une mission militaire de commandement à l'occasion d'une opération se déroulant à l'extérieur du territoire français au sens de l'article 698-2 précité, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les textes invoqués.

17. Ainsi le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize mars deux mille vingt et un.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 20-81169
Date de la décision : 16/03/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 16 janvier 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 mar. 2021, pourvoi n°20-81169


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.81169
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