LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 20-84.117 F-P+I
N° 00304
CK
10 MARS 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MARS 2021
REJET du pourvoi formé par la Société de gestion immobilière Nalpas contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 25 juin 2020, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre la société Pronal et M. P... D..., des chefs d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, faux, complicité de ce délit et recel, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la Société de gestion immobilière Nalpas (SGIN), et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 février 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société Simtech, candidate à des marchés publics organisés par le ministère de la défense, a dénoncé auprès du procureur de la République des faits susceptibles de constituer le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics qui auraient été commis dans le cadre de l'attribution de neuf marchés à la société Pronal, alors que le matériau présenté par celle-ci comme échantillon s'est révélé non conforme à la spécification imposée par le règlement de la consultation des marchés.
3. Il résulte des investigations entreprises que des personnels du ministère de la défense auraient avantagé la société Pronal en lui attribuant une note technique excessive au regard de la qualité de son échantillon, en lui fournissant des informations privilégiées sur les termes des marchés, et en demandant à la direction centrale du service des essences des armées (DCSEA) d'homologuer le tissu de la société Pronal pour une durée de dix ans, garantissant ainsi un niveau de qualité du matériau qu'en réalité il n'avait pas.
4. L'enquête a par ailleurs mis en évidence les liens privilégiés entretenus par la société Pronal et son dirigeant, M. P... D..., avec les agents des services concernés.
5. En juillet 2019, la société Pronal et M. D... ont été convoqués devant le tribunal correctionnel du chef de recel d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics.
6. Auparavant, dans le cadre de l'enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie d'un immeuble, d'une valeur de 2 380 000 euros, propriété de la Société de gestion immobilière Nalpas (SGIN), détenue par la société Pronal qui en est l'associé unique, et dirigée par M. D..., par décision du 23 juillet 2018 à l'encontre de laquelle la société SGIN a interjeté appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la saisie en valeur de l'ensemble immobilier litigieux appartenant à l'exposante en la cantonnant à la valeur de 523 157 euros, alors :
« 1°/ que, d'une part, il résulte de l'article 706-141-1 du code de procédure pénale que le montant d'une saisie pénale en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation ; que, selon les dispositions de l'article 706-151, alinéa 2, du même code, jusqu'à la mainlevée de la saisie pénale de l'immeuble ou la confiscation de celui-ci, la saisie porte sur la valeur totale de l'immeuble ; qu'il s'ensuit qu'un bien immobilier dont la valeur excède celle du bien susceptible de confiscation ne peut être saisi ; qu'en l'espèce, pour confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a autorisé la saisie pénale en valeur de l'immeuble appartenant à la société exposante, tiers à la procédure, et l'infirmer en ce qu'elle a dit que cette saisie portait sur la valeur totale de l'immeuble saisi pour la cantonner à la somme de 523 157 euros, la chambre de l'instruction retient que le produit de l'infraction reprochée à la société poursuivie devait s'analyser comme la marge nette comptable sur les neuf marchés publics suspects, c'est-à-dire 523 157 euros HT, de sorte que la saisie de l'immeuble litigieux, dont la valeur est estimée à 3 millions d'euros, devait être cantonnée à cette somme ; qu'en prononçant ainsi, lorsque, par l'application des dispositions légales qui régissent les effets des saisies pénales immobilières, et en dépit du cantonnement prononcé, la saisie ainsi ordonnée porte nécessairement sur la valeur totale de l'immeuble, qui devient indisponible pour le tout, et que cette valeur excède celle du produit de l'infraction poursuivie, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;
2°/ que d'autre part les biens appartenant à un tiers de bonne foi ne peuvent faire l'objet d'une mesure de saisie pénale immobilière ; que, dès lors, en confirmant l'ordonnance entreprise en son principe en ce qu'elle a autorisé la saisie en valeur de l'ensemble immobilier appartenant à la société exposante, tiers à la procédure, motif pris que la société poursuivie en avait la libre disposition, sans répondre à l'articulation essentielle du mémoire régulièrement déposé devant elle qui soutenait que la société exposante était de bonne foi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 du code pénal, 706-141, 706-141-1, 706-150, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'enfin, le juge qui autorise la saisie en valeur d'un bien appartenant à une personne à l'encontre de laquelle il n'existe pas de raisons plausibles de soupçonner qu'elle a participé à l'infraction poursuivie ou qu'elle a bénéficié du produit de celle-ci doit apprécier, lorsque cette garantie est invoquée, le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, y compris lorsque la saisie a porté sur la valeur du produit direct ou indirect de l'infraction ; que, dès lors, en s'abstenant de répondre à l'articulation essentielle du mémoire qui invoquait le caractère disproportionné de la saisie en valeur de l'immeuble appartenant à l'exposante, lorsqu'il ne ressort pas de ses constatations que celle-ci aurait participé aux infractions poursuivies ou qu'elle en aurait tiré profit, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 706-150 du code de procédure pénale et 131-21 du code pénal. »
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer l'ordonnance de saisie immobilière rendue par le juge des libertés et de la détention en son principe et la cantonner à hauteur de la somme de 523 157 euros correspondant à la marge nette comptable dégagée par la société Pronal dans le cadre des neuf marchés litigieux, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des éléments précis et circonstanciés de la procédure qu'il existe des raisons rendant plausible l'implication de la société Pronal dans les faits de recel d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics.
9. Les juges ajoutent qu'en tout état de cause, la société Pronal et son dirigeant sont convoqués devant le tribunal correctionnel de ce chef et qu'en application des articles 433-17,3° et 131-21 alinéa 9 du code pénal, la société susnommée encourt la peine complémentaire de confiscation en valeur de biens lui appartenant ou dont elle a la libre disposition.
10. Ils relèvent ensuite que la société Pronal est l'unique associée de la société SGIN, seule propriétaire de l'immeuble à usage industriel et de bureaux, objet de la saisie pénale contestée, que ces deux sociétés ont le même dirigeant en la personne de M. D... et en déduisent que la première a la libre disposition dudit bien.
11. La chambre de l'instruction énonce que la saisie pénale en valeur du bien immobilier est possible sous réserve du respect du principe de proportionnalité et que le produit de l'infraction reprochée à la société Pronal ne saurait se confondre avec le chiffre d'affaires TTC d'un montant de 2 891 400,08 euros généré par les neuf marchés suspects et visé tant dans la requête du procureur de la République que dans l'ordonnance déférée.
12. Elle constate qu'il résulte du rapport d'audit réalisé par KPMG le 28 juin 2019 et produit par la société appelante que le seul profit qu'a pu percevoir la société Pronal résulte de la marge nette HT sur les ventes de ses produits qui a été chiffrée par ce rapport à la somme de 523 157 euros.
13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
14. En effet, d'une part, en application de l'article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale, la saisie immobilière, qui est une mesure temporaire et à caractère provisoire, n'entraînant aucun transfert de propriété, les biens immobiliers appartenant à un tiers ne peuvent être saisis que dans leur totalité, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.
15. D'autre part, il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que la direction de la société SGIN par M. D..., lui-même mis en cause tout comme la société Pronal qu'il dirige également et qui est l'associée unique de la demanderesse, exclut la bonne foi de celle-ci.
16. Enfin, le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité est irrecevable, la société SGIN étant sans qualité à invoquer les conséquences de la saisie pour la société Pronal qui n'est pas la propriétaire du bien saisi.
17. D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mars deux mille vingt et un.