LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mars 2021
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 218 F-D
Pourvoi n° X 18-23.943
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 10 MARS 2021
M. T... D..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° X 18-23.943 contre l'arrêt rendu le 23 octobre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [...] ,
2°/ à M. X... N..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Teiller, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. D..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD et de M. N..., après débats en l'audience publique du 19 janvier 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Teiller, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 octobre 2018), M. N..., avocat (l'avocat), assuré auprès de la société Allianz IARD (l'assureur), a assisté J... I..., aux droits de laquelle vient M. D..., au cours d'une procédure en fixation de loyer commercial contre les sociétés Marionnaud parfumerie et Marionnaud Lafayette. La demande formée par J... I... a été déclarée irrecevable car prescrite par un jugement du 14 mai 2007, confirmé par un arrêt du 4 juin 2009, devenu irrévocable après un rejet du pourvoi en cassation formé contre cette décision (3e Civ., 24 novembre 2010, pourvoi n° 09-16.104).
2. Le 3 juin 2014, M. D..., estimant que l'avocat avait commis une faute en agissant tardivement contre la société Marionnaud Lafayette, a assigné l'assureur afin d'obtenir le paiement de dommages-intérêts. L'avocat est intervenu volontairement à l'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. M. D... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action contre l'avocat et l'assureur, alors « que l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ; que la cour d'appel a relevé que l'avocat était investi d'un mandat d'assistance devant la cour d'appel ; qu'il en résultait que la mission de l'avocat s'était poursuivie au cours de l'instance d'appel et n'avait pu, en aucun cas, prendre fin avant l'arrêt d'appel, soit avant le 4 juin 2009 ; que la prescription quinquennale de l'article 2225 du code civil avait donc commencé à courir, au plus tôt, le 4 juin 2009 ; que dès lors, l'action directe introduite par M. D... le 3 juin 2014 contre l'assureur n'était pas prescrite ; qu'en déclarant néanmoins cette action irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 2225 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2225 du code civil :
4. L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant assisté ou représenté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
5. Pour déclarer irrecevable l'action intentée par M. D..., l'arrêt retient qu'il disposait avec sa mère dès le jugement du 14 mai 2007 des éléments leur permettant d'exercer une action contre l'avocat, qu'il n'existait pas d'empêchement d'agir ensuite même si celui-ci avait encore un mandat d'assistance devant la cour d'appel et qu'en raison de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ayant réduit à cinq ans le délai de prescription, l'action est prescrite depuis le 19 juin 2013.
6. En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que la mission de l'avocat s'était poursuivie au cours de l'instance d'appel ayant pris fin le 4 juin 2009, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. N... et la société Allianz IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent , avocat aux Conseils, pour M. D....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable l'action de M. D... contre la société Allianz Iard et Me N... ;
AUX MOTIFS QUE « l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission de saisir une juridiction d'une action déterminée se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de cette action ; que le tribunal de Grasse a, par jugement du 14 mai 2007, déclaré prescrite l'action en fixation des loyers que Me N... avait introduite à la demande de sa cliente, Mme I... ; que M. D..., venant aux droits de Mme I..., décédée le 1er avril 2012, n'a exercé l'action en responsabilité contre la société Allianz, assureur couvrant la responsabilité de Me N..., que le 3 juin 2014, les demandes contre Me N... n'ayant été formulées que plus tard, par conclusions du 14 janvier 2015 ; qu'à la date du 14 mai 2007, Mme I..., puis son fils, qui s'occupait de ses affaires et disposait d'ailleurs déjà d'une consultation d'un avocat lui présentant cette option, ont disposé avec le jugement du tribunal de Grasse des éléments leur permettant de diligenter une action contre Me N..., quitte à solliciter un sursis à statuer jusqu'à l'issue d'un éventuel recours pour l'exercice duquel cet avocat n'a plus représenté sa cliente ; qu'il n'existait aucune impossibilité pour Mme I... d'agir contre Me N... même si celui-ci avait encore un mandat d'assistance devant la cour ; qu'en tout état de cause, tout empêchement aurait disparu après l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 4 juin 2009 confirmant le jugement, de sorte que Mme I..., puis son fils, disposaient encore, jusqu'au 19 juin 2013, très largement du temps nécessaire pour diligenter une procédure contre son ancien conseil ; qu'en conséquence de la loi du 17 juin 2008 ayant réduit à 5 années depuis la date de son entrée en vigueur, soit le 19 juin 2008, le délai auparavant décennal de prescription, l'action de M. D... est prescrite depuis cette date du 19 juin 2013 ; qu'ayant été introduite postérieurement, elle doit être déclarée irrecevable » ;
1°/ ALORS QUE l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ; qu'en affirmant que « l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission de saisir une juridiction d'une action déterminée se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de cette décision » (cf. arrêt p. 4, avant-dernier §), la cour d'appel a violé l'article 2225 du code civil ;
2°/ ALORS QUE l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ; qu'en s'abstenant de rechercher la date à laquelle Me N... avait terminé sa mission, laquelle constituait le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité engagée à son encontre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2225 du code civil ;
3°/ ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHESE, l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ; que la cour d'appel a relevé que Me N... était investi d'un mandat d'assistance devant la cour d'appel (cf. arrêt p. 5, § 3) ; qu'il en résultait que la mission de l'avocat s'était poursuivie au cours de l'instance d'appel et n'avait pu, en aucun cas, prendre fin avant l'arrêt d'appel, soit avant le 4 juin 2009 ; que la prescription quinquennale de l'article 2225 du code civil avait donc commencé à courir, au plus tôt, le 4 juin 2009 ; que dès lors, l'action directe introduite par Monsieur D... le 3 juin 2014 contre la société Allianz Iard n'était pas prescrite ; qu'en déclarant néanmoins cette action irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 2225 du code civil.