LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 mars 2021
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 238 FS-P
Pourvoi n° Q 19-25.964
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
La société CITC, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Q 19-25.964 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Hector Berlioz, société civile immobilière, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société CITC, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Hector Berlioz, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, M. Jobert, conseillers, Mme Georget, Mme Renard, Mme Djikpa, M. Zedda, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 octobre 2019), un arrêt du 7 septembre 2017, rendu en référé, a condamné, sous astreinte, la société civile immobilière Hector Berlioz (la SCI) à remettre à la société CITC, avec laquelle elle avait conclu un marché relatif à des travaux de chauffage, un cautionnement solidaire, tel que prévu à l'article 1799-1 du code civil, pour un montant correspondant à la différence entre le montant total du marché et celui des règlements effectués par la SCI.
2. La SCI a remis à la société CITC un acte de cautionnement que celle-ci n'a pas jugé satisfaisant.
3. La société CITC a assigné la SCI en liquidation de l'astreinte.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. La société CITC fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu'indépendamment du fait que le cautionnement était assorti d'une condition, de toute façon, cette condition, postulant la notification du décompte final, excluait de la garantie les sommes dues au cours de l'exécution du marché et avant notification de ce décompte ; qu'en décidant néanmoins, quand le cautionnement devait être général et porter sur toutes les sommes dues en vertu du marché conformément à l'article 1799-1 du code civil, que le cautionnement du 19 octobre 2017 répondait à l'injonction adressée à la SCI Hector Berlioz, les juges du fond ont violé les articles L. 131-3 et L. 131-4 du code de procédure civile d'exécution, ensemble l'article 1799-1 et l'article 2292 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1799-1 du code civil :
5. Selon ce texte, le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l'article 1779 doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent le montant de 12 000 euros. Lorsque le maître de l'ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique pour financer les travaux ou lorsqu'il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d'une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire.
6. Il ressort de ces dispositions d'ordre public que le cautionnement, qui garantit le paiement des sommes dues en exécution du marché, ne doit être assorti d'aucune condition ayant pour effet d'en limiter la mise en œuvre.
7. Pour rejeter les demandes de la société CITC aux fins de liquidation d'astreinte, l'arrêt retient que la SCI a pleinement exécuté l'injonction formulée par l'arrêt ordonnant l'astreinte.
8. En statuant ainsi, après avoir constaté que le cautionnement remis par la SCI était assorti d'une condition subordonnant l'engagement de la caution à la notification du décompte final par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur, ce qui excluait de la garantie les sommes dues au cours de l'exécution du contrat d'entreprise ou avant notification de ce décompte, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Hector Berlioz aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société CITC.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté les demandes de la Société CITC dirigées contre la SCI HECTOR BERLIOZ et tendant à l'obtention d'un cautionnement conforme à l'injonction de l'arrêt du 7 septembre 2017 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « comme le soutient l'intimé, le premier juge a relevé à juste titre que le cautionnement bancaire transmis le 19 octobre 2017 par la SCI HECTOR BERLIOZ faisait expressément référence à l'arrêt du 7 septembre 2017 de la Cour d'appel de Paris et au contentieux opposant les parties tranché par cette décision, a observé qu'à la réception de ce cautionnement la Société CITC avait estimé à tort que celui-ci n'était pas conforme à la décision précitée en ce qu'il mentionnait uniquement le montant du marché initial et non le montant total des travaux réalisés ; que le premier juge a exactement retenu que l'ajout de cette précision n'était pas nécessaire à l'efficacité, à la portée et au quantum du cautionnement bancaire, dès lors que celui-ci indiquait que la garantie était donnée pour un montant de 114.365.67 € conformément à l'arrêt du 7 septembre 2017 ; que le premier juge a considéré, à bon droit, que la garantie ainsi souscrite n'apparaissait pas illusoire du seul fait qu'elle stipulait que la caution ne pourra être mise en jeu si celle-ci n'a pas été informée dans un délai de 8 jours ouvrés de la mise en demeure de payer demeurée infructueuse, alors que cette clause ne peut s'appliquer qu'à une mise en demeure postérieure à l'acte de cautionnement, étant observé qu'il résulte de celui-ci que la caution avait une parfaite connaissance du contentieux entre les parties et du contenu de la réclamation de la Société CITC » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « la demanderesse, à la réception de ce cautionnement, a estimé (et estime encore), que celui-ci n'est pas conforme à l'arrêt du 7 septembre 2017, du fait qu'il mentionne uniquement le montant du marché initial, et non le montant total des travaux réalisés ; qu'il convient de considérer que l'ajout de cette précision (qui figure dans un deuxième acte de cautionnement adressé le 2 mai 2018 par la défenderesse à la demanderesse) n'était pas en tout état de cause strictement nécessaire pour l'efficacité, la portée et le quantum du cautionnement bancaire remis le 19 octobre 2017, dès lors que celui-ci indique que la garantie est donnée pour un montant de 114 365,67 euros en exécution de l'arrêt de 7 septembre 2017, qui par suite doit être regardé comme ayant été pleinement exécuté par la SCI HECTOR BERLIOZ dès la date du 19 octobre 2017 ; que de même, la garantie ainsi souscrite n'apparaît pas illusoire du fait qu'il stipule que la caution ne pourra être mise en jeu, si celle-ci n'a pas été informée dans un délai de huit jours ouvrés de la mise en demeure de payer restée infructueuse, alors qu'à l'évidence cette clause ne peut s'appliquer qu'à une mise en demeure postérieure à l'acte de cautionnement, étant au surplus observé qu'il résulte de celui-ci que la caution a une parfaire connaissance du contentieux entre les parties et du contenu de la réclamation de la société CITC » ;
ALORS QUE, premièrement l'arrêt du 7 septembre 2017 enjoignait au maitre d'ouvrage de fournir un cautionnement conforme à l'article 1799-1 du Code civil ; qu'en application de ce texte, le cautionnement devait couvrir toutes les sommes dues par le maitre d'ouvrage à l'entrepreneur en application du marché ; qu'étant rappelé que la caution n'est engagée que dans les limites de l'acte de cautionnement, le cautionnement du 19 octobre 2017 ne répondait pas à l'article 1799-1 du Code civil et donc aux termes de l'injonction dès lors qu'il était assorti d'une condition liée à la notification du décompte final par le maitre d'ouvrage ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles L.131-3 et L. 131-4 du Code de procédure civile d'exécution, ensemble l'article 1799-1 et l'article 2292 du Code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, indépendamment du fait que le cautionnement était assorti d'une condition, de toute façon, cette condition, postulant la notification du décompte final, excluait de la garantie les sommes dues au cours de l'exécution du marché et avant notification de ce décompte ; qu'en décidant néanmoins, quand le cautionnement devait être général et porter sur toutes les sommes dues en vertu du marché conformément à l'article 1799-1 du Code civil, que le cautionnement du 19 octobre 2017 répondait à l'injonction adressée à la SCI HECTOR BERLIOZ, les juges du fond ont violé les articles L.131-3 et L. 131-4 du Code de procédure civile d'exécution, ensemble l'article 1799-1 et l'article 2292 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté les demandes de la Société CITC dirigées contre la SCI HECTOR BERLIOZ et tendant à l'obtention d'un cautionnement conforme à l'injonction de l'arrêt du 7 septembre 2017 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « comme le soutient l'intimé, le premier juge a relevé à juste titre que le cautionnement bancaire transmis le 19 octobre 2017 par la SCI HECTOR BERLIOZ faisait expressément référence à l'arrêt du 7 septembre 2017 de la Cour d'appel de Paris et au contentieux opposant les parties tranché par cette décision, a observé qu'à la réception de ce cautionnement la Société CITC avait estimé à tort que celui-ci n'était pas conforme à la décision précitée en ce qu'il mentionnait uniquement le montant du marché initial et non le montant total des travaux réalisés ; que le premier juge a exactement retenu que l'ajout de cette précision n'était pas nécessaire à l'efficacité, à la portée et au quantum du cautionnement bancaire, dès lors que celui-ci indiquait que la garantie était donnée pour un montant de 114.365.67 € conformément à l'arrêt du 7 septembre 2017 ; que le premier juge a considéré, à bon droit, que la garantie ainsi souscrite n'apparaissait pas illusoire du seul fait qu'elle stipulait que la caution ne pourra être mise en jeu si celle-ci n'a pas été informée dans un délai de 8 jours ouvrés de la mise en demeure de payer demeurée infructueuse, alors que cette clause ne peut s'appliquer qu'à une mise en demeure postérieure à l'acte de cautionnement, étant observé qu'il résulte de celui-ci que la caution avait une parfaite connaissance du contentieux entre les parties et du contenu de la réclamation de la Société CITC » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « la demanderesse, à la réception de ce cautionnement, a estimé (et estime encore), que celui-ci n'est pas conforme à l'arrêt du 7 septembre 2017, du fait qu'il mentionne uniquement le montant du marché initial, et non le montant total des travaux réalisés ; qu'il convient de considérer que l'ajout de cette précision (qui figure dans un deuxième acte de cautionnement adressé le 2 mai 2018 par la défenderesse à la demanderesse) n'était pas en tout état de cause strictement nécessaire pour l'efficacité, la portée et le quantum du cautionnement bancaire remis le 19 octobre 2017, dès lors que celui-ci indique que la garantie est donnée pour un montant de 114 365,67 euros en exécution de l'arrêt de 7 septembre 2017, qui par suite doit être regardé comme ayant été pleinement exécuté par la SCI HECTOR BERLIOZ dès la date du 19 octobre 2017 ; que de même, la garantie ainsi souscrite n'apparaît pas illusoire du fait qu'il stipule que la caution ne pourra être mise en jeu, si celle-ci n'a pas été informée dans un délai de huit jours ouvrés de la mise en demeure de payer restée infructueuse, alors qu'à l'évidence cette clause ne peut s'appliquer qu'à une mise en demeure postérieure à l'acte de cautionnement, étant au surplus observé qu'il résulte de celui-ci que la caution a une parfaire connaissance du contentieux entre les parties et du contenu de la réclamation de la société CITC » ;
ALORS QUE, premièrement, en posant, sans réserve ni restriction, que le cautionnement ne pouvait être mis en oeuvre que pour autant que la caution ait été informée dans les 8 jours de la réclamation, l'arrêt a subordonné la mise en oeuvre du cautionnement à une condition quand le respect de l'article 1799-1 du Code civil auquel renvoyait l'arrêt du 7 septembre 2017, excluait ce type de condition ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont violé les articles L.131-3 et L. 131-4 du Code de procédure civile d'exécution, ensemble l'article 1799-1 et l'article 2292 du Code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, l'énoncé clair et précis du cautionnement spécifiait sans restriction ni réserve en fonction de la date de naissance de la créance de l'entrepreneur, que « la caution ne pourra être valablement mise en jeu si cette procédure n'a pas été respectée » ; qu'en décidant que cette formule devait être cantonnée aux seules sommes dues postérieurement à l'émission de la caution, les juges du fond ont dénaturé l'acte du 19 octobre 2017 ;
ALORS QUE, troisièmement, et en tout cas, le juge avait simplement à déterminer si le cautionnement émis était conforme ou non à l'article 1799-1 du Code civil, auquel renvoyait l'arrêt du 7 septembre 2017 et n'avait pas à se prononcer sur le point de savoir, cette question ne pouvant être examinée que dans le cadre d'un contentieux relatif à la mise en oeuvre de la caution, si la somme susceptible d'être réclamée par l'entrepreneur pouvait être exigée de la caution eu égard aux données de l'espèce ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles L.131-3 et L. 131-4 du Code de procédure civile d'exécution, ensemble l'article 1799-1 et l'article 2292 du Code civil.