LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 mars 2021
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 182 FS-P
Pourvoi n° H 19-19.471
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 3 MARS 2021
M. B... V..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° H 19-19.471 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant à la société Jani-King Franchising Inc., dont le siège est [...] (États-Unis), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. V..., de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Jani-King Franchising Inc., et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Antoine, M. Vigneau, Mmes Bozzi, Poinseaux et Dard, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud et Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2019), la société américaine Jani-King Franchising Inc. (la société Jani-King), qui a pour activité le nettoyage de locaux, a, le 9 février 2004, signé avec M. V..., agissant pour le compte d'une société de droit belge à constituer, Falco Franchising (la société Falco), un contrat de franchise portant sur le territoire belge. Par jugement du 25 octobre 2016, le tribunal de district du comté de Dallas (Texas), saisi par la société Jani-King, a notamment condamné la société Falco et, solidairement, MM. V... et F... à payer à celle-ci diverses sommes, la première pour rupture du contrat, les seconds pour fraude par non-divulgation et collusion.
2. La société Jani-King a sollicité l'exequatur de ce jugement contre M. V... devant le tribunal de grande instance de Paris.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. V... fait grief à l'arrêt de déclarer exécutoire en France le jugement du tribunal du district de Dallas du 25 octobre 2016 opposant notamment la société Jani-King à la société Falco et à MM. V... et F..., alors « que l'accueil d'un jugement étranger dans l'ordre juridique français exige le contrôle de la compétence internationale indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, de sa conformité à l'ordre public international de fond et de procédure, ainsi que de l'absence de fraude ; qu'en tant qu'il est nécessaire pour assurer ce contrôle de la régularité du jugement étranger, le réexamen d'éléments déjà examinés par le tribunal étranger pour fonder sa décision est licite ; qu'en l'espèce, en énonçant, pour retenir la compétence indirecte du tribunal texan et déclarer le jugement du 25 octobre 2016 exécutoire en France, qu'il ne lui appartenait pas de remettre en cause la réalité des faits d'où ce tribunal avait déduit que le concert frauduleux reproché à M. V... était localisé sur le territoire américain, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif et violé l'article 509 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 509 du code de procédure civile :
5. Pour accorder l'exequatur à un jugement étranger, le juge français doit, en l'absence de convention internationale, s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude.
6. Pour retenir la compétence indirecte du juge américain, l'arrêt constate, d'abord, que le tribunal de district de Dallas a retenu, d'une part, que M. V... s'était rendu à neuf reprises dans cette ville entre 1997 et 2012 pour assister à l'assemblée annuelle de Jani-King, ce qui avait porté le franchiseur à croire que Falco avait l'intention d'honorer ses obligations contractuelles, d'autre part, que M. V... avait envoyé à Jani-King, au Texas, des lettres et communications assurant que Falco rencontrait des difficultés financières mais n'avait aucune intention de se soustraire à ses obligations contractuelles. L'arrêt souligne, ensuite, que ce tribunal a fait des constatations analogues concernant M. F..., ce dont il a déduit qu'il était compétent pour juger le concert frauduleux entre les personnes physiques défenderesses. Il relève, enfin, qu'il n'appartient pas au juge de l'exequatur de réviser au fond la décision étrangère en remettant en cause la réalité des faits dont la juridiction a déduit que ce concert frauduleux était localisé sur le territoire américain, ni de se prononcer sur la qualification délictuelle ou contractuelle de la responsabilité de M. V....
7. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de contrôler la compétence indirecte du juge étranger en vérifiant si, au regard des règles du droit international privé français, le litige se rattachait de manière caractérisée au juge américain, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Jani-King Franchising Inc. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Jani-King Franchising Inc. et la condamne à payer à M. V... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour M. V...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré exécutoire en France le jugement de la cour du district de Dallas du 25 octobre 2016 opposant la société Jani-King franchising Inc, d'une part, et la société Falco franchising et MM. V..., F..., T... et C..., d'autre part ;
AUX MOTIFS QUE les décisions rendues en matière d'exequatur n'ont d'effet que sur le territoire de l'Etat où elles ont été rendues ; que la circonstance que le 8 janvier 2018 le tribunal de première instance francophone de Bruxelles ait fait défense d'exécuter en Belgique le jugement de la district court de Dallas est sans portée dans la présente instance ; que pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, ce qui est le cas entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, tenant à la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, à la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et à l'absence de fraude à la loi ; que sur la compétence indirecte : le juge américain était saisi par la société texane Jani-King d'une demande dirigée contre la société belge Falco fondée sur la rupture du contrat conclu le 9 février 2004 au Texas qui prévoyait qu'en contrepartie du droit exclusif d'exploiter la franchise en Belgique, Falco devrait verser certains frais et redevances dont le calcul dépendait des rapports complets sur les ventes et les revenus de la franchise que le franchisé s'engageait à faire auprès des bureaux texans de Jani-King ; que celle-ci faisait grief à Falco d'avoir cessé de rendre compte de ses ventes à compter de novembre 2010 et d'avoir été défaillante dans le règlement des redevances ; qu'elle demandait la condamnation de Falco à payer l'arriéré ; que Jani-King demandait aussi la condamnation de plusieurs personnes physiques, de nationalité belge, M. F..., gérant et actionnaire de Falco, MM. V... et C..., co-fondateurs et actionnaires de cette même société et M. T..., directeur de succursale ; qu'elle demandait leur condamnation à lui payer des dommages-intérêts pour l'avoir induite en erreur en lui faisant croire que Falco avait l'intention de payer les redevances et d'avoir ainsi retardé l'adoption de mesures permettant de préserver ses intérêts, alors que Falco entreprenait à cette époque de transférer ses sous-franchisés à une autre société tierce GOS à l'insu de Jani-King ; que la cour d'appel du cinquième district de Dallas a retenu, d'une part, que M. V... s'était rendu à neuf reprises à Dallas entre 1997 et 2012 pour assister à l'assemblée annuelle de Jani-King et qu'à cette occasion il avait amené le franchiseur à croire que Falco avait l'intention d'honorer ses obligations contractuelles, d'autre part que M. V... avait envoyé à Jani-King au Texas des lettres et communications assurant que Falco rencontrait des difficultés financière mais n'avait aucune intention de se soustraire à ses obligations contractuelles ; que la cour a fait des constatations analogues en ce qui concernait M. F... et en a déduit qu'elle était compétente pour juger le concert frauduleux entre les personnes physiques ; qu'il n'appartient pas au juge de l'exequatur de réviser au fond le jugement étranger en remettant en cause la réalité des faits d'où le tribunal a déduit que ce concert frauduleux était localisé sur le territoire américain, ni de se prononcer sur la qualification délictuelle ou contractuelle de la responsabilité de M. V... ; qu'il apparaît, par conséquent, que le litige se rattachait de manière caractérisée aux Etats-Unis d'Amérique ; qu'il convient d'écarter le moyen tiré de l'incompétence indirecte de la juridiction américaine ; que sur la violation de l'ordre public international résultant de l'absence de motivation : est contraire à la conception française de l'ordre public international de procédure la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits les documents de nature à servir d'équivalents à la motivation défaillante ; qu'en l'espèce, la décision dont l'exequatur est sollicité est un jugement sommaire final (« final summary judgement ») aux termes duquel il est indiqué que les défendeurs « ont été avertis de l'audience mais n'ont pas assisté à l'audience ni déposé de réponse à la requête. Après avoir examiné la requête, les preuves contenues dans le dossier et les arguments du conseil, le tribunal donne une suite favorable à la requête » ; que si la décision qui contient la condamnation à paiement ne comporte pas d'autre motivation, il apparaît, d'une part, que l'arrêt sur la compétence rendu précédemment par la cour d'appel du cinquième district de Dallas énonçait de façon très circonstanciée les faits qui étaient reprochés à M. V... et qui permettaient de faire application des règles de droit relatives à la responsabilité personnelle des dirigeants d'une personne morale, d'autre part, que le mémoire joint à la requête en vue d'obtenir un jugement final précise que le montant des dommages-intérêts réclamé, soit 463 476,30 dollars, correspond au montant des redevances impayées par Falco entre août 2010, date de la première violation par M. V... de son obligation de divulgation et mars 2014, date de communication par Falco à Jani-King de son rapport final sur les redevances ; que ces éléments constituent des équivalents suffisants à la motivation défaillante ; que sur la fraude : la circonstance que Jani-King ait initialement saisi les juridictions belges avant de se désister et de porter son action devant le juge texan ne suffit pas à caractériser une fraude ; que si M. V... allègue que l'introduction de procédures judiciaires dans deux pays successivement était destinée à rendre ses adversaires exsangues et, ainsi porter atteinte aux droits de la défense, il ne démontre pas que la décision des défendeurs de renoncer à l'assistance d'un avocat après la décision sur la compétence ait résulté de leur impécuniosité et non d'un choix procédural ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait droit à la demande d'exequatur ;
1°) ALORS QUE l'accueil d'un jugement étranger dans l'ordre juridique français exige le contrôle de la compétence internationale indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, de sa conformité à l'ordre public international de fond et de procédure, ainsi que de l'absence de fraude ; qu'en tant qu'il est nécessaire pour assurer ce contrôle de la régularité du jugement étranger, le réexamen d'éléments déjà examinés par le tribunal étranger pour fonder sa décision est licite ; qu'en l'espèce, en énonçant, pour retenir la compétence indirecte du tribunal texan et déclarer le jugement du 25 octobre 2016 exécutoire en France, qu'il ne lui appartenait pas de remettre en cause la réalité des faits d'où ce tribunal avait déduit que le concert frauduleux reproché à M. V... était localisé sur le territoire américain, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif et violé l'article 509 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé que la cour d'appel du cinquième district de Dallas avait retenu, d'une part, que M. V... s'était rendu à neuf reprises à Dallas entre 1997 et 2012 et qu'à cette occasion il avait amené la société Jani-King à croire que la société Falco avait l'intention d'honorer ses obligations contractuelles, d'autre part, que M. V... avait envoyé à Jani-King au Texas des lettres et communications assurant que la société Falco rencontrait des difficultés financières mais n'avait aucune intention de se soustraire à ses obligations contractuelles, qu'elle avait fait des constatations analogues concernant M. F... et en avait déduit qu'elle était compétente pour juger le concert frauduleux entre les personnes physiques ; qu'en se déterminant ainsi, quand la décision de la cour d'appel du cinquième district de Dallas ne contenait pas de telles constatations, celle-ci s'étant explicitement bornée à évoquer les faits allégués par la société Jani-King sans se prononcer sur leur réalité, sans mentionner un nombre de voyages effectués M. V... au Texas, et en indiquant que les communications par téléphone et e-mail entre les plaignants du Texas et un défendeur étranger ne constituaient pas des contacts significatifs de nature à fonder sa compétence, la cour d'appel a dénaturé ce document, en violation du principe susvisé ;
3°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce, pour s'opposer à la demande d'exequatur du jugement du tribunal du 116e district de Dallas en date du 25 octobre 2016, M. V... faisait valoir dans ses conclusions d'appel (p. 26 § 2 à 6) que celui-ci était contraire à l'ordre public international en ce qu'il n'était pas motivé, aucune explication n'étant apporté pour justifier que M. C..., pourtant représentant légal de la société Falco, ne fasse pas partie des défendeurs condamnés ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, pour accueillir la demande d'exequatur présentée par la société Jani-King, la cour d'appel a retenu que si M. V... alléguait que l'introduction par la société Jani-King de procédures judiciaires dans deux pays successivement était destiné à rendre ses adversaires exsangues et ainsi porter atteinte aux droits de la défense, il ne démontrait pas que la décision des défendeurs de renoncer à l'assistance d'un avocat après la décision sur la compétence ait résulté de leur impécuniosité et non d'un choix procédural ; qu'en statuant ainsi, sans examiner la lettre que l'avocat des défendeurs avait adressée à ses clients le 13 mai 2016 et la requête de désistement que celui-ci avait adressée le même jour au tribunal, dont il résultait que le retrait de l'avocat des défendeurs procédait d'une décision de sa part motivée par une absence de règlement des frais et honoraires importants lui restant dus, la cour d'appel a encore méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.