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03/03/2021 | FRANCE | N°19-18317

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 03 mars 2021, 19-18317


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 3 mars 2021

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 194 F-D

Pourvoi n° C 19-18.317

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 3 MARS 2021

Mme W... T..., épouse Q..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° C

19-18.317 contre l'arrêt rendu le 23 avril 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant à l'Agent judiciair...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 3 mars 2021

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 194 F-D

Pourvoi n° C 19-18.317

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 3 MARS 2021

Mme W... T..., épouse Q..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° C 19-18.317 contre l'arrêt rendu le 23 avril 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant à l'Agent judiciaire de l'Etat, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme T..., de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 avril 2019), quatre-vingt-quatre salariés de la société Elior Services Propreté et santé, dont Mme Q..., ont, entre le 13 septembre et le 19 décembre 2012, saisi le conseil de prud'hommes aux fins d'obtenir le règlement d'une prime de treizième mois. Un jugement du 31 mars 2015 a accueilli leurs demandes.

2. Invoquant un délai anormalement long entre la saisine de la juridiction et la date du jugement, ils ont assigné l'Etat, sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, en réparation du préjudice causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme Q... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et ne peut être modifié par le juge ; que, dans ses conclusions récapitulatives d'appel signifiées le 21 janvier 2019, l'Agent judiciaire du Trésor faisait valoir que « (
) contrairement à ce qu'a retenu le jugement attaqué, seul le délai de 7 mois sera considéré comme déraisonnable au cours de l'ensemble de la procédure devant le conseil de prud'hommes et susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat » et concluait « infirmer le jugement du 4 mai 2017 du tribunal de grande instance de Marseille, sauf en ce qu'il a débouté les intervenants volontaires à la procédure de leurs demandes et, statuant à nouveau, limiter les demandes indemnitaires des requérants à une somme qui ne saurait excéder 1 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral » ; qu'en déboutant Mme Q... et les salariés de leurs demandes de dommages-intérêts quand l'Agent judiciaire du Trésor, reconnaissant la responsabilité de l'Etat dans le fonctionnement défectueux du service public de la justice, ne concluait pas à leur rejet mais demandait à ce qu'elles soient limitées dans leur quantum, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. L'Agent judiciaire de l'Etat conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est incompatible avec la position soutenue par Mme Q... devant les juges du fond.

5. Cependant, le moyen, pris d'un grief de dénaturation des termes du litige, étant un moyen né de la décision attaquée, il ne peut, par nature, être argué de contrariété avec la thèse défendue en appel.

6. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

8. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par Mme Q..., l'arrêt retient que le délai total de jugement de l'affaire n'est pas excessif et qu'aucun des délais dans l'intervalle ne l'est davantage, compte tenu de l'oralité de la procédure prud'homale ainsi que du nombre élevé de requérants, qui a entraîné un important travail de greffe.

9. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, l'Agent judiciaire de l'Etat, qui se bornait à demander de limiter les demandes indemnitaires à un certain montant, admettait pour partie la responsabilité de l'Etat dans le fonctionnement défectueux du service public de la justice, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 avril 2019 entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme T....

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme Q... de ses demandes dirigées contre M. l'Agent judiciaire du Trésor ;

Aux motifs que, en application de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, « L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf disposition particulière, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice » ; qu'en application de ce texte, constitue une faute lourde de l'Etat toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que le déni de justice s'entend de tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur sa cause dans un délai raisonnable ; qu'il s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce, notamment de la nature de l'affaire, de son degré de complexité, du comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et des mesures mises en oeuvre par les autorités compétentes ; qu'au cas d'espèce, il ressort de la procédure que suite aux renvois et réouverture des débats, il s'est écoulé au total 2 ans et 3 mois, soit 27 mois entre le dernier acte de saisine du conseil de prud'hommes le 19 décembre 2012 et le jugement qui a été rendu le 31 mars 2015 donnant gain de cause aux salariés ; que le délai entre la saisine et l'audience du bureau de conciliation n'est pas excessif dans la mesure où les actes de saisine s'étaient étalés entre septembre et décembre 2012 et que l'audience a eu lieu le 15 janvier 2013, la procédure de conciliation en toute hypothèse étant obligatoire ; que le calendrier de procédure fixé le 15 janvier 2013 prévoyait un délai au 15 avril 2013 pour les notes et pièces des demandeurs et un délai au 15 juillet 2013 pour les notes et pièces de la défenderesse ; que si 10 mois se sont écoulés entre l'audience du bureau de conciliation le 15 janvier 2013 et l'audience du bureau de jugement du 20 novembre 2013, ce délai a donc permis l'échange des pièces entre les parties jusqu'au 15 juillet 2013, durant les vacations judiciaires ; que 4 mois se sont ajoutés entre le délibéré du 19 février 2014 et la réouverture des débats à l'audience du bureau de jugement du 30 juin 2014 ; que la réouverture des débats était motivée par la nécessité pour les demandeurs de s'expliquer sur les différences apparaissant sur certains bulletins de salaire versés aux débats en ce qui concerne le montant par rapport au salaire de base ; que le délai a été demandé par la société Elior et qu'il est fondé sur une carence des demandeurs à l'action ; qu'en toute hypothèse, il n'est pas imputable aux services judiciaires de l'Etat ; qu'il s'y est ajouté un nouveau délai d'ajournement de 5 mois jusqu'aux plaidoiries le 1er décembre 2014 ; que l'affaire a ensuite été mise en délibéré au 31 mars 2015, à 4 mois, pour conduire au délai total de jugement de 2 ans et 3 mois entre le dernier acte de saisine et le jugement, que le délai total de jugement de l'affaire n'est pas excessif et qu'aucun des délais dans l'intervalle ne l'est davantage, compte tenu de l'oralité de la procédure prud'homale et du nombre particulièrement élevé des requérants, 84, ce qui a entraîné un important travail de secrétariat-greffe et d'audiencement et qui a nécessité un examen individuel de la situation de chacun d'eux ; que la conduite de l'affaire ne traduit pas une inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; qu'aucun déni de justice ni faute lourde de l'Etat ouvrant droit à l'octroi de dommages et intérêts ne pouvaient être retenus, qu'il s'ensuit la réformation du jugement déféré ;

Alors 1°) que, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et ne peut être modifié par le juge ; que, dans ses conclusions récapitulatives d'appel signifiées le 21 janvier 2019, l'Agent judiciaire du Trésor faisait valoir que « (
) contrairement à ce qu'a retenu le jugement attaqué, seul le délai de 7 mois sera considéré comme déraisonnable au cours de l'ensemble de la procédure devant le Conseil de Prud'hommes et susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat » (conclusions, p. 10) et concluait « INFIRMER le jugement du 4 mai 2017 du tribunal de grande instance de Marseille, sauf en ce qu'il a débouté les intervenants volontaires à la procédure de leurs demandes et, statuant à nouveau, LIMITER les demandes indemnitaires des requérants à un somme qui ne saurait excéder 1 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral » ; qu'en déboutant Mme Q... et les salariés de leurs demandes de dommages-intérêts quand l'Agent judiciaire du Trésor, reconnaissant la responsabilité de l'Etat dans le fonctionnement défectueux du service public de la justice, ne concluait pas à leur rejet mais demandait à ce qu'elles soient limitées dans leur quantum, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Alors 2°) que, en énonçant que par conclusions du 21 janvier 2019, l'Agent judiciaire du Trésor demandait à la cour de rejeter les demandes indemnitaires qui ne sauraient en tout état de cause excéder 1 000 euros (arrêt, p.10, 2ème paragraphe), quand l'appelant ne concluait pas au rejet des demandes indemnitaires des salariés mais seulement à les limiter à 1 000 euros par intimé, la cour d'appel, qui a dénaturé ces écritures, a derechef violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Alors 3°) que, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'affaire avait été plaidée une première fois le 20 novembre 2013 et mise en délibéré au 19 février 2014, puis, après réouverture des débats, que l'affaire avait été plaidée à l'audience du 30 juin 2014 et, une troisième fois, le 1er décembre 2014 ; qu'en retenant, pour écarter toute faute de l'Etat, que le délai total de jugement n'était pas excessif et qu'aucun délai dans l'intervalle ne l'était davantage, compte tenu de l'oralité de la procédure prud'homale et du nombre particulièrement élevé des requérants, sans rechercher si, s'agissant d'une affaire très simple portant sur le paiement d'une prime de treizième mois, le fait que les conseillers prud'homaux, après une première audience, aient attendu le jour du délibéré pour se rendre compte de ce qu'ils avaient besoin d'explications supplémentaires sur les bulletins de salaires, et avaient ensuite renvoyé encore deux fois l'affaire pour être plaidée, n'était pas de nature à engager la responsabilité étatique, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Alors 4°) que, la cour d'appel a retenu qu'un nouveau délai « d'ajournement » de 5 mois avait été ajouté entre l'audience de jugement du 30 juin 2014 et celle du 1er décembre 2014 ; qu'en faisant échec à la mise en cause de la responsabilité de l'Etat du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice sans rechercher la cause de cet ajournement, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Alors 5°) que, la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s'en approprier les motifs ; que, demandant la confirmation du jugement, Mme Q... faisait valoir que « devant une juridiction où sont en jeu des sommes d'argent dont le montant est important en regard du niveau de vie et de rémunération des requérants et dont la perception impacte nécessairement les conditions de vie quotidiennes des salariés, la succession des renvois accordés à l'employeur à plusieurs mois d'intervalle, aboutit à des délais à caractère excessif pour les salariés qui n'ont pas les mêmes moyens matériels pour attendre l'issue du procès » (jugement, p. 17, avant dernier attendu) ; qu'en infirmant le jugement sans réfuter ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-18317
Date de la décision : 03/03/2021
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 23 avril 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 03 mar. 2021, pourvoi n°19-18317


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.18317
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