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18/02/2021 | FRANCE | N°19-25828

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 18 février 2021, 19-25828


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 18 février 2021

Rejet

M. ECHAPPÉ, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 150 F-D

Pourvoi n° S 19-25.828

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 FÉVRIER 2021

1°/ Mme S... O..., domici

liée [...] ,

2°/ Mme J... O..., domiciliée [...] ,

3°/ M. L... O..., domicilié [...] ,

ont formé le pourvoi n° S 19-25.828 contre l'arrêt rendu le...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 18 février 2021

Rejet

M. ECHAPPÉ, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 150 F-D

Pourvoi n° S 19-25.828

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 FÉVRIER 2021

1°/ Mme S... O..., domiciliée [...] ,

2°/ Mme J... O..., domiciliée [...] ,

3°/ M. L... O..., domicilié [...] ,

ont formé le pourvoi n° S 19-25.828 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2019 par la cour d'appel d'Amiens (chambre des baux ruraux), dans le litige les opposant à M. L... V..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barbieri, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des consorts O..., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. V..., après débats en l'audience publique du 5 janvier 2021 où étaient présents M. Echappé, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barbieri, conseiller rapporteur, M. Parneix, conseiller, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 17 septembre 2019), par acte du 9 février 1989, P... et R... D..., respectivement décédés les 7 juin 2004 et 14 décembre 2014, ont donné à bail à long terme à M. et Mme V... un domaine agricole comportant des bâtiments d'habitation et d'exploitation, ainsi que des terres.

2. Le bail, qui a commencé à courir le 15 mars 1988, a été cédé, en mai 2007, à M. L... V..., fils des preneurs.

3. Un renouvellement de neuf années est intervenu à deux reprises, les 15 février 2007 et 2016.

4. Par acte du 11 juillet 2016, les consorts O..., ayants droit de P... et R... D..., ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation de la clause déterminant le fermage globalement et en fonction de denrées, contrairement aux dispositions législatives intervenues depuis sa fixation initiale, et en régularisation rétroactive du loyer à compter de l'arrêté préfectoral en fixant les minima et maxima, paru en 2013.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les consorts O... font grief à l'arrêt de déclarer leur action irrecevable, alors « que l'action en régularisation du fermage illicite peut être engagée à tout moment, dans la limite de la prescription quinquennale ; que le bail renouvelé étant un nouveau bail, l'action peut être intentée dans les cinq ans du renouvellement du bail et concerner la clause illicite du bail expiré ; qu'ayant exactement énoncé que le fermage stipulé par le bail initial notarié de 1989 renouvelé une première fois en 2007, fixé en denrées et de façon globale pour les bâtiments d'habitation, d'exploitation et les terres louées était illicite, et constaté que ce bail avait été renouvelé au 15 février 2016 tandis que les consorts O..., bailleurs, avaient saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une action en régularisation du fermage illicite le 11 juillet 2016, la cour d'appel, qui a déclaré leur action prescrite, a violé l'article L 411-11 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Les consorts O..., qui ont soutenu en appel que délai de la prescription avait commencé à courir le jour du décès de leur auteur, ne sont pas recevables à soutenir devant la Cour de cassation une thèse contraire à celle qu'ils ont développée devant les juges du fond.

7. Le moyen est donc irrecevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les consorts O... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts O... et les condamne in solidum à payer à M. V... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour les consorts O....

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré les consorts O... irrecevables en leur action en régularisation du fermage illicite intentée à l'encontre de M. V...,

AUX MOTIFS QUE

« Le bail initial a été reçu par acte authentique le 9 février 1989 ; d'une durée de dix-huit ans et onze mois, il a pris effet rétroactivement le 15 mars 1988 et s'est achevé le 14 février 2007 ; le bail s'est renouvelé pour deux périodes successives de neuf ans les 15 février 2007 et 2016 ;

Les lieux loués portent sur un corps de ferme dénommé "ferme d'Avelon" ; ce corps de ferme est lui-même composé d'un immeuble d'habitation, de bâtiments d'exploitation divers, d'une cour et d'un jardin ; à ce corps de ferme s'ajoutent 54 hectares 92 ares et 46 centiares d'herbages, de terres et de bois de sorte que l'ensemble des biens loués développe une superficie de 55 hectares 37 ares 46 centiares ;

La clause du bail relative au fermage dispose que "le présent bail est consenti et accepté moyennant un fermage égal à la valeur en argent de 4,13 quintaux de blé et 14,53 kilogrammes de viande de boeuf France A Europe poids net, à l'hectare, soit pour l'ensemble des biens loués, un fermage annuel de 228,69 quintaux de blé et 804,59 kilogrammes de viande de boeuf France A Europe poids net" ;

Par ailleurs, au cours du bail initial, est entrée en vigueur la loi n°95-2 du 2 janvier 1995 qui a imposé de fixer de façon distincte le loyer des terres nues et des bâtiments d'exploitation en monnaie entre les maxima et les minima arrêtés par l'autorité administrative, étant rappelé que depuis la loi du 30 décembre 1988, le loyer des bâtiments d'habitation devait déjà être exprimé en monnaie ;

Il résulte du décompte de fermage pour l'année 2015 établi par Maître W..., notaire à la demande des bailleurs, s'agissant du seul avis produit que le fermage appelé d'un montant de 9 688,99 € a été calculé en fonction du montant du fermage appelé en 2009 à hauteur de 8 786 € ; il s'avère que l'année 2009 fut celle au cours de laquelle est paru l'indice de référence base 100 ; pour déterminer le montant du fermage de l'année 2015, il a été appliqué le nouvel indice de fermage de l'année 2015 d'un montant de 110,05 (8786 € x 110,05/100 = 9 668,99 €) ;

Il a été ajouté au résultat ainsi obtenu (9 688,99 €) la somme de 180,33 € montant de la part de taxe foncière pouvant être répercutée sur le preneur ;

L'action intentée par les consorts O... repose sur une prétendue illicéité du fermage tenant au fait que le fermage a été fixé globalement et non en fonction de ses différentes composantes que constituent le bâtiment d'habitation, les bâtiments d'exploitation et les terres agricoles pour chacune desquelles doit être prévu un loyer distinct et qu'il n'a pas été fixé en monnaie mais en fonction de denrées ;

L'application immédiate de la loi 95-2 du 2 janvier 1995 aux baux en cours fut tempérée par son article 4 qui prévoyait que le loyer des terres nues et des bâtiments d'exploitation du bail en cours demeurait évalué en une quantité déterminée de denrées, sauf accord des parties pour l'exprimer directement en monnaie ; pour autant, lors du premier renouvellement du bail intervenu le 15 février 2007, plus de douze mois après l'entrée en vigueur de cette loi, le montant du fermage devait être fixé conformément aux nouvelles dispositions de l'article L 411-11 du code rural issues de la loi susdite ; il incombait aux parties de prévoir un loyer distinct pour le bâtiment d'habitation, les bâtiments d'exploitation et les terres nues et d'exprimer en monnaie le loyer de chacune de ces différentes composantes entre les minima et maxima arrêtés par l'autorité administrative, la fixation en fonction d'une quantité de denrées étant prohibée en l'espèce ;

La régularité lors de la conclusion du bail du montant du fermage qu'invoque le preneur ne permet pas au fermage d'échapper à une illicéité résultant des modifications législatives intervenues depuis sa fixation initiale. De même si en pratique a été appelé auprès du preneur un fermage exprimé en monnaie, ce montant a été déterminé par conversion de la valeur des quantités de denrées sans s'assurer que le résultat obtenu était compris entre les maxima et minima fixés par l'autorités administrative et sans opérer une ventilation entre loyer de l'immeuble d'habitation, des bâtiments d'exploitation et des terres agricoles. En tout état de cause, cette pratique n'a pas eu pour effet de supprimer la clause du bail fixant le montant du fermage ou de la rendre licite ;

Le fait que l'appel des fermages par les bailleurs à compter du renouvellement du bail ait reposé sur des bases illicites ne vaut pas renonciation non équivoque à défaut d'une manifestation de volonté de leur part non équivoque à se prévaloir de l'illicéité du montant du fermage, étant de surcroît rappelé que l'article L 411-11 du code rural est d'ordre public ;

L'action pour illicéité du montant du fermage se distingue de l'action en révision du fermage pour un montant anormal prévue par l'article L 411-13 du code rural ; l'action en révision qui suppose que le fermage a été contracté à un prix supérieur ou inférieur d'au moins un dixième de la valeur locative de la catégorie du bien particulier donné à bail peut uniquement être intentée au cours de la troisième année du bail initial ou du bail renouvelé. Le succès de cette action résulte d'une erreur d'appréciation de la valeur locative sans pour autant que les critères ou le mode de fixation du fermage soient irréguliers ;

Contrairement à l'action en révision, l'action en illicéité du fermage n'est pas ouverte seulement pendant la troisième année du bail initial ou renouvelé ;

Pour autant l'action en illicéité du fermage qu'elle tende à la nullité de la clause du bail fixant le montant du fermage ou à voir déclarer cette clause réputée non écrite, présente un caractère personnel ; elle est en conséquence soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil qui en application des dispositions transitoires de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, a couru en l'espèce pendant un délai de cinq ans à compter de la publication de cette loi au journal officiel de sorte sur le 11 juillet 2016, date de l'introduction de l'action en illicéité du montant du fermage, ce délai était largement écoulé ;

Comme l'affirme à juste titre M. L... V..., le délai de prescription court à l'égard des parties à l'acte, lesquelles ne peuvent transmettre plus de droits que les leurs ; ainsi le décès d'R... X... ne pouvait faire revivre en faveur des consorts O..., le délai de prescription de cinq ans déjà expiré ;

Pour échapper à l'expiration du délai de prescription quinquennale, les consorts O... soutiennent que le délai de prescription n'a pu commencer à courir en application des dispositions de l'article 1304 ancien du code civil applicable à l'espèce et qui prévoit que le délai de prescription ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou curatelle que du jour du décès s'il n'a commencé à courir auparavant ;

Si l'intervention du curateur d'R... X... à l'acte authentique ayant reçu la cession du bail au profit de M. L... V... et l'indication par le notaire rédacteur que cette dernière était placée sous le régime de la curatelle par un jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance d'Alençon du 25 août 2005, s'agissant des vérifications auxquelles le notaire a dû procéder personnellement est de nature à établir qu'R... X... était effectivement placée sous le régime de la curatelle lors de la passation de cet acte, il n'apparait nullement des éléments du dossier qu'elle a été maintenue sous ce régime jusqu'à son décès survenu le 14 décembre 2014 ; il n'est donc pas établi que le délai de prescription quinquennale à l'égard d'R... X... ait été empêché de courir à compter de la publication de la loi du 17 juin 2008 ayant réformé la prescription ; de surcroît, à défaut d'autres éléments, il ne peut être déduit de la qualité de petits neveux des consorts X... qui est précisée à l'acte de donation qui leur a été consentie qu'ils sont les héritiers d'R... X... de sorte qu'ils ne peuvent utilement exciper du report du délai de prescription au décès de cette dernière que la loi réserve à ses seuls héritiers ;

Partant, il y a lieu pour les motifs qui précèdent et ceux non contraires des premiers juges de confirmer le jugement entrepris qui a déclaré l'action des consorts O... qui est fondée exclusivement sur l'illicéité du montant du fermage, irrecevable ; »

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE

« attendu qu'aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;

Attendu que l'action en nullité tirée de l'illicéité du fermage qui n'a pas été fixé en monnaie est soumise à cette prescription quinquennale de droit commun ;

Attendu que la règle de la fixation du fermage en monnaie éditée par l'article L 411-1 du code rural a été introduite par la loi n°88-1202 du 30 décembre 1988 pour les loyers d'habitation et par la loi n°95-2 du 2 janvier 1995 pour les terres et les bâtiments d'exploitation ;

Attendu qu'en l'espèce, le contrat de bail du 9 février 1989, établi par acte authentique, prévoit un fermage calculé en denrées ; que les bailleurs ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance de l'illicéité prétendue du fermage depuis l'entrée en vigueur des textes prévoyant la fixation du fermage en argent ;

Attendu que les consorts O... n'ont saisi le conseil de prud'hommes [sic] que le 11 juillet 2016, plus de 5 ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;

Attendu que le caractère successif de créances de loyer est sans incidence sur le cours de la prescription, s'agissant d'une action en nullité fondée sur l'illicéité d'une clause du bail qui a pour point de départ la connaissance de cette illicéité, et non sur un défaut de paiement des loyers ;

Attendu en conséquence l'action des demandeurs à l'encontre de L... V... est prescrite et droit être déclarée irrecevable ;»

ALORS QUE l'action en régularisation du fermage illicite peut être engagée à tout moment, dans la limite de la prescription quinquennale ; que le bail renouvelé étant un nouveau bail, l'action peut être intentée dans les cinq ans du renouvellement du bail et concerner la clause illicite du bail expiré ; qu'ayant exactement énoncé que le fermage stipulé par le bail initial notarié de 1989 renouvelé une première fois en 2007, fixé en denrées et de façon globale pour les bâtiments d'habitation, d'exploitation et les terres louées était illicite, et constaté que ce bail avait été renouvelé au 15 février 2016 tandis que les consorts O..., bailleurs, avaient saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une action en régularisation du fermage illicite le 11 juillet 2016, la cour d'appel, qui a déclaré leur action prescrite, a violé l'article L 411-11 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 19-25828
Date de la décision : 18/02/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 17 septembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 18 fév. 2021, pourvoi n°19-25828


Composition du Tribunal
Président : M. Echappé (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.25828
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