LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 février 2021
Cassation partielle
M. ECHAPPÉ, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 160 F-D
Pourvoi n° U 19-17.757
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 FÉVRIER 2021
La société Sta-Ive Production, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° U 19-17.757 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 2 , chambre 2), dans le litige l'opposant à Mme L... G..., domiciliée chez M. Q..., [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jariel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Sta-Ive Production, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme G..., après débats en l'audience publique du 5 janvier 2021 où étaient présents M. Echappé, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Jariel, conseiller référendaire rapporteur, M. Parneix, conseiller, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 janvier 2019), Mme G... était locataire d'une maison d'habitation avec un jardin, dans laquelle se trouvent des locaux loués par la société No Time Records et accessibles par un passage au travers du jardin, le compteur d'eau étant situé dans la maison.
2. Après avoir entrepris des travaux de rénovation intérieure, la société No Time Records a sous-loué ces locaux à la société Sta-Ive Production.
3. Reprochant à Mme G... d'avoir systématiquement fermé à clé l'unique portail d'accès à l'immeuble, tenu des propos véhéments à l'encontre des employés et coupé l'alimentation en eau pendant plusieurs semaines, retardant ainsi la fin des travaux, la société Sta-Ive Production l'a assignée en réparation de son préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Sta-Ive Production fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors « que le juge ne doit pas dénaturer les pièces de la cause ; qu'en l'espèce, le procès-verbal de constat dressé par Me F... le 19 juin 2014 indiquait « Intérieur du local commercial : À droite de la porte principale, il existe un local technique et les locaux à usage de toilettes. Je peux constater qu'il n'existe absolument aucune arrivée d'eau au niveau du lavabo et au niveau du WC. Dans l'espace cuisine, je relève la présence d'une gaine masquant la tuyauterie, le compteur d'eau et le robinet d'alimentation général. Le robinet d'alimentation général est en position ‘‘ouverte''. [
] J'ai pu tester tous les points d'eau au niveau du local commercial. Je constate l'absence totale d'arrivée d'eau. En conséquence, je peux constater l'absence totale d'alimentation en eau du local commercial. » ; qu'en retenant néanmoins, pour en déduire que l'arrivée d'eau alimentant le local commercial devait se trouver au niveau du compteur secondaire situé dans celui-ci, si bien que son alimentation en eau était régulée à cet endroit, et non en un point situé en amont dans la maison occupée par Mme G..., qui était dès lors étrangère à la coupure, que l'huissier avait « constat[é] l'absence d'alimentation en eau d'un robinet extérieur alimentant un tuyau d'arrosage, et d'arrivée d'eau aux niveaux du lavabo et des WC » mais que « l'absence d'arrivée d'eau n'a pas été constatée au niveau du compteur secondaire » situé dans le local de la société Sta-Ive Production, quand l'huissier avait expressément constaté que le robinet d'alimentation situé au niveau de ce compteur était ouvert et que l'ensemble des points d'eau du local n'étaient pourtant pas alimentés en eau, la cour d'appel a violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour rejeter la demande d'indemnisation du préjudice de la société Sta-Ive Production, l'arrêt retient que, s'agissant de la coupure unilatérale de l'alimentation en eau, l'absence d'arrivée d'eau n'a pas été constatée par l'huissier de justice au niveau du compteur des locaux loués.
6. En statuant ainsi, alors que le constat relevait l'absence totale d'alimentation en eau des locaux loués tandis que le robinet d'alimentation situé au niveau de ce compteur était ouvert, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ce document, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute Mme G... de sa demande reconventionnelle, l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme G... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme G... et la condamne à payer à société Sta-Ive Production la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Sta-Ive Production
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société Sta-Ive Production de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE, sur les actes d'obstruction aux travaux, ni la jouissance du jardin, ni un droit de passage à travers cet espace ne figurent aux baux consentis à la société No Time Records le 21octobre 2011, à Mme G... le 3 novembre 2012 et à la société Sta-Ive Production le 30 mai 2014 ; que la société Bâti concept a indiqué par courrier du 16 mai 2014 à la société No Time Records être dans l'incapacité de terminer le chantier dans les délais convenus en raison de la perte de temps occasionnée par la fermeture systématique du portail pendant les allées et venues de ses employés ; qu'en tout état de cause, le droit ou la servitude de passage n'impose pas à celui qui le doit d'assurer le rôle de portier, en ouvrant le portail aux visiteurs de son bénéficiaire et ne comprend pas l'obligation de laisser ouverts les accès à l'ensemble immobilier, dès lors que le bénéficiaire en possède la clé ; qu'il revenait ainsi à la société No Time Records ou la société Sta-Ive Production d'assurer la circulation des ouvriers du bâtiment réalisant les travaux, d'ouvrir le portail à leurs clients et prestataires et de le refermer après leur passage ; qu'une interdiction de passage ne peut être reprochée à Mme G... ; qu'aucun élément n'est versé aux débats par la société Sta-Ive Production en faveur d'actes de dénigrement à l'endroit de ses clients ; que, sur la coupure unilatérale de l'alimentation en eau, le constat effectué à la demande de la société No Time Records par huissier de justice le 19 juin 2014 relate les déclarations de M. C... et constate l'absence d'alimentation en eau d'un robinet extérieur alimentant un tuyau d'arrosage, et d'arrivée d'eau aux niveaux du lavabo et des WC ; que cependant l'arrivée d'eau, dans les locaux loués par la société No Time Records et sous-loués par la société Sta-Ive Production, doit être située au niveau du compteur qui leur est propre, dont l'existence résulte du courrier du cabinet de gestion immobilière ; que la coupure d'eau constatée ne peut être attribuée à Mme G..., chez laquelle se trouverait le compteur général d'arrivée d'eau sur la propriété alors que l'absence d'arrivée d'eau n'a pas été constatée au niveau du compteur secondaire ;
1) ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer les pièces de la cause ; qu'en l'espèce, le procès-verbal de constat dressé par Me F... le 19 juin 2014 indiquait « Intérieur du local commercial : À droite de la porte principale, il existe un local technique et les locaux à usage de toilettes. Je peux constater qu'il n'existe absolument aucune arrivée d'eau au niveau du lavabo et au niveau du WC. Dans l'espace cuisine, je relève la présence d'une gaine masquant la tuyauterie, le compteur d'eau et le robinet d'alimentation général. Le robinet d'alimentation général est en position ‘‘ouverte''. [
] J'ai pu tester tous les points d'eau au niveau du local commercial. Je constate l'absence totale d'arrivée d'eau. En conséquence, je peux constater l'absence totale d'alimentation en eau du local commercial. » ; qu'en retenant néanmoins, pour en déduire que l'arrivée d'eau alimentant le local commercial devait se trouver au niveau du compteur secondaire situé dans celui-ci, si bien que son alimentation en eau était régulée à cet endroit, et non en un point situé en amont dans la maison occupée par Mme G..., qui était dès lors étrangère à la coupure, que l'huissier avait « constat[é] l'absence d'alimentation en eau d'un robinet extérieur alimentant un tuyau d'arrosage, et d'arrivée d'eau aux niveaux du lavabo et des WC » mais que « l'absence d'arrivée d'eau n'a pas été constatée au niveau du compteur secondaire » situé dans le local de la société Sta-Ive Production, quand l'huissier avait expressément constaté que le robinet d'alimentation situé au niveau de ce compteur était ouvert et que l'ensemble des points d'eau du local n'étaient pourtant pas alimentés en eau, la cour d'appel a violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;
2) ALORS QUE constitue un abus de droit, tout acte réalisé dans le but de nuire à autrui ; qu'en l'espèce, la société Sta-Ive Production soutenait que Mme G... s'était évertuée à refermer systématiquement la porte d'accès à l'ensemble immobilier derrière les ouvriers dans le but d'entraver les travaux ; qu'en se fondant, pour écarter tout abus de Mme G... à ce titre, sur le motif inopérant que celle-ci n'était pas tenue d'assurer le rôle de portier ni de laisser ouvert les accès à l'ensemble immobilier, quand elle devait rechercher si la fermeture systématique du portail derrière les ouvriers n'avait pas d'autre but que d'empêcher le bon déroulement du chantier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil ;
3) ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en laissant sans réponse les conclusions de la société Sta-Ive Production, en ce qu'elle soutenait que Mme G... n'avait eu de cesse d'avoir des propos véhéments à l'encontre des ouvriers en charge du chantier, ce qui avait occasionné un retard dans l'achèvement de celui-ci (v. notamment : concl. Sta-Ive Production, p. 3, §§ 2 et 5, et p. 4, § 4), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.