LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 février 2021
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 151 F-D
Pourvoi n° N 19-15.589
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 FÉVRIER 2021
La société Caisse de Crédit mutuel Annecy Bonlieu, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° N 19-15.589 contre l'arrêt rendu le 21 février 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. U... V..., domicilié, [...] , pris en qualité de mandataire judiciaire de la société Outilac,
2°/ à la société Outilac, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , représentée par son mandataire ad hoc, M. E... R...,
3°/ à M. E... R..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire ad' hoc de la société Outiliac,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Caisse de Crédit mutuel Annecy Bonlieu, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Outilac, de M. R..., ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 21 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 15 novembre 2017, pourvoi n° 15-26.897) et les productions, la société Outillac a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 16 juillet 2002 et 16 décembre 2003. La société Caisse de crédit mutuel Annecy Bonlieu-Les-Fins (la banque) a déclaré deux créances, l'une au titre du solde restant dû sur un prêt professionnel, qui a été définitivement admise au passif pour le montant de 76 180,71 euros, l'autre au titre du solde débiteur d'un compte courant. Cette seconde créance a été déclarée pour le montant de 76 196,33 euros. Un arrêt rendu le 18 janvier 2005 par la cour d'appel de Chambéry « rejette en l'état la déclaration de créance relative à la convention de compte courant et invite le CM [la banque] à présenter, pour le découvert bancaire, un compte avec des intérêts au taux légal ». Cet arrêt est devenu irrévocable, par suite de la déchéance du pourvoi formé contre lui et de l'irrecevabilité, définitivement jugée, du recours en révision dont il avait été également l'objet.
2. En exécution de l'arrêt du 18 janvier 2005, la banque a établi, le 11 février 2005, un décompte rectificatif ramenant le montant de sa créance, au titre du solde débiteur du compte courant, à la somme de 56 759,79 euros. Le liquidateur ayant proposé le rejet de la créance au titre du solde débiteur du compte courant, le juge-commissaire a, par une ordonnance du 10 juin 2009, dit que la banque ne pouvait plus contester cette proposition, faute d'avoir répondu au liquidateur dans les trente jours. Cette ordonnance a été annulée dans toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 15 juin 2011 (pourvoi n°10-19.716), l'ordonnance, qui conduisait au rejet de la créance, étant jugée inconciliable avec l'arrêt du 18 janvier 2005. Par une nouvelle ordonnance du 3 octobre 2014, le juge-commissaire a alors constaté que la créance de la banque avait été définitivement fixée à la somme de 76 180,71 euros mentionnée ci-dessus au titre du prêt. Par un arrêt du 15 septembre 2015, la cour d'appel de Chambéry a confirmé cette ordonnance et, y ajoutant, a, d'abord, constaté que « la créance [...] déclarée [...] à hauteur de 76 196,33 euros [au titre du solde débiteur du compte courant] a été définitivement rejetée par l'arrêt [...] du 18 janvier 2005 » et a, ensuite, déclaré « admise [...] la créance [...] d'un montant de 56 759,79 euros [...] » correspondant au nouveau décompte du 11 février 2005. Cet arrêt a été cassé, en ces deux dernières dispositions par l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 15 novembre 2017.
3. C'est en cet état que la cour d'appel de Grenoble, statuant comme cour de renvoi, s'est, par l'arrêt attaqué, prononcée sur la demande de la banque.
Examen du moyen, pris en sa deuxième branche
Énoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'admission au titre du solde débiteur du compte courant, alors « que la caisse exposante faisait valoir que l'arrêt du 18 janvier 2005 de la cour d'appel de Chambéry avait rejeté en l'état la déclaration de créance relative au compte courant en l'invitant à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal, ce qu'elle avait fait entre les mains du mandataire judiciaire dès le 11 février 2005 pour un montant de 56 759,79 euros, qu'elle ajoutait que cette déclaration de créance qui ne pouvait être contestée que devant la cour d'appel de Chambéry dans les deux ans du prononcé de sa décision ne l'ayant pas été, avait été de ce fait définitivement admise ; qu'en retenant que par arrêt en date du 18 janvier 2005 de la cour d'appel de Chambéry, définitif et irrévocable, le pourvoi à l'encontre de cette décision ayant fait l'objet d'une ordonnance de déchéance, il a déjà été statué sur cette demande d'admission de créance dans le dispositif de cette décision qui énonce "rejette en l'état la déclaration de créance relative à la convention de compte courant et invite le Crédit Mutuel à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal", qu'il convient dès lors de constater qu'il a déjà été statué par cet arrêt sur la demande d'admission de la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant, que la demande d'admission de cette créance par la nouvelle requête du 14 janvier 2014 alors qu'il a déjà été statué sur cette demande d'admission se heurte par conséquent à l'autorité de la chose jugée et sera déclarée irrecevable, quand l'exposante avait produit un décompte de sa créance "avec les intérêts au taux légal" pour un montant de 56 759,79 euros conformément au dispositif de l'arrêt du 18 janvier 2005, lequel est définitif y compris en ce qu'il a invité la Caisse exposante à produire un décompte conforme au dispositif de l'arrêt, et partant la cour d'appel a violé les articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil dans sa rédaction alors applicable ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile :
5. Il résulte de ces textes que le juge doit tirer les conséquences de la chose jugée.
6. Pour déclarer irrecevable la demande d'admission de la créance de la banque au titre du solde débiteur du compte courant, l'arrêt retient qu'il a déjà été statué sur cette demande par l'arrêt du 18 janvier 2005.
7. En statuant ainsi, alors que si, de la combinaison de l'arrêt irrévocable de la cour d'appel de Chambéry du 18 janvier 2005 ayant invité la banque à établir un décompte de sa créance expurgé des intérêts au taux conventionnel et de celui de la Cour de cassation du 15 juin 2011 déclarant inconciliable avec cet arrêt l'ordonnance ayant jugé que le rejet de la créance litigieuse ne pouvait plus être contesté, il résultait nécessairement que la créance de la banque au titre du solde débiteur du compte courant devait être admise au passif en son principe, comme elle l'a exactement retenu, la cour d'appel n'en a pas tiré les conséquences en s'abstenant de fixer, au regard du décompte rectifié le 11 février 2005, le montant de cette créance, sur lequel aucune décision ne s'est encore prononcée, et a ainsi violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. V..., en qualité de liquidateur de la société Outilac, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour la société Caisse de Crédit mutuel Annecy Bonlieu.
LE POURVOI REPROCHE A L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR déclaré irrecevable la demande d'admission de la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant ;
AUX MOTIFS QUE l'arrêt de la Cour de cassation en date du 15 novembre 2017 casse l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 15 septembre 2015 seulement en ce qu'il constate que la créance chirographaire du Crédit Mutuel d'Annecy Bonlieu les Fins déclarée le 6 septembre 2002 à hauteur de la somme de 76. 196,33 euros a été définitivement rejetée par l'arrêt du 18 janvier 2005 et déclare non admise au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Outilac la créance chirographaire du Crédit Mutuel d'Annecy Bonlieu les Fins d'un montant de 56.759,79 euros déclarée le 11 février 2005 ; que l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry du 15 septembre 2015 est dès lors définitif en ce qu'il confirme l'ordonnance du juge commissaire du 3 octobre 2014 et par laquelle le juge commissaire constate que la créance du Crédit Mutuel a été définitivement fixée par l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 18 janvier 2005 à la somme de 76.180,71 euros à titre privilégié ; que par courrier en date du 14 janvier 2014, le liquidateur judiciaire de la SARL Outilac demande au juge commissaire de statuer sur l'admission de la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant ; que par arrêt en date du 18 janvier 2005 de la cour d'appel de Chambéry définitif et irrévocable, le pourvoi à l'encontre de cette décision ayant fait l'objet d'une ordonnance de déchéance, il a déjà été statué sur cette demande d'admission de créance dans le dispositif de cette décision qui énonce "rejette en l'état la déclaration de créance relative à la convention de compte courant et invite le Crédit Mutuel à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal" ; que les parties à la présente procédure ont été invitées par l'arrêt avant dire droit de cette cour du 25 octobre 2018 à présenter à la cour saisie disposant des pouvoirs du juge commissaire leurs observations quant à la possibilité de statuer à nouveau sur la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant ; qu'il convient dès lors de constater qu'il a déjà été statué par l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 18 janvier 2005 sur la demande d'admission de la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant ; que la demande d'admission de cette créance par la nouvelle requête du 14 janvier 2014 alors qu'il a déjà été statué sur cette demande d'admission se heurte par conséquent à l'autorité de la chose jugée et sera déclarée irrecevable ;
ALORS D'UNE PART QUE la Caisse exposante faisait valoir que l'arrêt du 18 janvier 2005 de la cour d'appel de Chambéry avait rejeté en l'état la déclaration de créance relative au compte courant en l'invitant à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal, ce qu'elle avait fait entre les mains du mandataire judiciaire, dès le 11 février 2005, pour un montant de 56.759,79 euros, qu'elle ajoutait que cette déclaration de créance qui ne pouvait être contestée que devant la cour d'appel de Chambéry dans les deux ans du prononcé de sa décision ne l'ayant pas été, avait été de ce fait définitivement admise ; qu'ayant relevé que l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry du 15 septembre 2015 est définitif en ce qu'il confirme l'ordonnance du juge commissaire du 3 octobre 2014, par laquelle il constate que la créance du Crédit Mutuel a été définitivement fixée par l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 18 janvier 2005 à la somme de 76.180,71euros à titre privilégié, que par courrier en date du 14 janvier 2014, le liquidateur judiciaire de la SARL Outilac demande au juge commissaire de statuer sur l'admission de la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant, puis décidé que par arrêt en date du 18 janvier 2005 de la cour d'appel de Chambéry, définitif et irrévocable, le pourvoi à l'encontre de cette décision ayant fait l'objet d'une ordonnance de déchéance, il a déjà été statué sur cette demande d'admission de créance dans le dispositif de cette décision qui énonce "rejette en l'état la déclaration de créance relative à la convention de compte courant et invite le Crédit Mutuel à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal", qu'il convient dès lors de constater qu'il a déjà été statué par l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry du 18 janvier 2005 sur la demande d'admission de la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant, que la demande d'admission de cette créance par la nouvelle requête du 14 janvier 2014, alors qu'il a déjà été statué sur cette demande d'admission, se heurte par conséquent à l'autorité de la chose jugée et sera déclarée irrecevable, sans s'expliquer sur le décompte de sa créance fait par la Caisse exposante conformément au dispositif de l'arrêt du 18 janvier 2005 et remis le 11 février 2005 à Me V..., la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
ALORS D'AUTRE PART QUE la Caisse exposante faisait valoir que l'arrêt du 18 janvier 2005 de la cour d'appel de Chambéry avait rejeté en l'état la déclaration de créance relative au compte courant en l'invitant à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal, ce qu'elle avait fait entre les mains du mandataire judiciaire dès le 11 février 2005 pour un montant de 56.759,79 euros, qu'elle ajoutait que cette déclaration de créance qui ne pouvait être contestée que devant la cour d'appel de Chambéry dans les deux ans du prononcé de sa décision ne l'ayant pas été, avait été de ce fait définitivement admise ; qu'en retenant que par arrêt en date du 18 janvier 2005 de la cour d'appel de Chambéry, définitif et irrévocable, le pourvoi à l'encontre de cette décision ayant fait l'objet d'une ordonnance de déchéance, il a déjà été statué sur cette demande d'admission de créance dans le dispositif de cette décision qui énonce "rejette en l'état la déclaration de créance relative à la convention de compte courant et invite le Crédit Mutuel à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal", qu'il convient dès lors de constater qu'il a déjà été statué par cet arrêt sur la demande d'admission de la créance chirographaire du Crédit Mutuel au titre du solde débiteur du compte courant, que la demande d'admission de cette créance par la nouvelle requête du 14 janvier 2014 alors qu'il a déjà été statué sur cette demande d'admission se heurte par conséquent à l'autorité de la chose jugée et sera déclarée irrecevable, quand l'exposante avait produit un décompte de sa créance « avec les intérêts au taux légal » pour un montant de 56.759,79 euros conformément au dispositif de l'arrêt du 18 janvier 2005, lequel est définitif y compris en ce qu'il a invité la Caisse exposante à produire un décompte conforme au dispositif de l'arrêt, et partant la cour d'appel a violé les articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;
ALORS DE TROISIEME PART QUE l'autorité de la chose jugée s'attache à ce qui a été tranché dans le dispositif ; qu'il ressort de l'arrêt du 18 janvier 2005 que la cour d'appel de Chambéry a décidé «rejette en l'état la déclaration de créance relative à la convention de compte courant et invite le Crédit Mutuel à présenter pour le découvert bancaire un compte avec les intérêts au taux légal" en précisant dans les motifs de son arrêt que cette invitation était faite « conformément à la demande de la partie adverse » ; que la Caisse exposante faisait valoir qu'elle avait produit entre les mains du mandataire un nouveau décompte conforme à cet arrêt du 18 janvier 2005, lequel n'a pas été contesté régulièrement et était dès lors définitif pour avoir acquis autorité de chose jugée ; qu'en ne se prononçant pas sur ce moyen la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;