LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 19-82.084 F-D
N° 00126
GM
16 FÉVRIER 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 FÉVRIER 2021
Mme P... A..., M. E... A... et Mme U... X..., parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, en date du 17 septembre 2018, qui après relaxe de M. V... H... du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produites.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme P... A..., M. E... A..., Mme U... X..., parties civiles, les observations de la SCP Spinosi et Sureau et de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocats de la société XL Catlin Services SE, M. V... H..., de la société Filia-Maif, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2021 où étaient présents M.Soulard, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. O... A..., qui faisait de la planche à voile le 4 octobre 2013 au large de la plage d'Almanarre à Hyères, est décédé des suites d'une collision avec M. V... H..., pratiquant le kitesurf.
3. Sa veuve, Mme U... X..., a porté plainte et s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction, lequel a, par ordonnance du 1er février 2016, renvoyé devant le tribunal correctionnel M. H... du chef d'homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en ne respectant pas le règlement international pour la prévention des abordages en mer et en exécutant une manoeuvre non maîtrisée de saut pour passer au-dessus du véliplanchiste.
4. Le 1er avril 2016, le tribunal correctionnel a relaxé M. H... de ce chef.
5. Le même jugement a reçu la constitution de partie civile de Mme U... X..., ainsi que celle des deux enfants du défunt, M. E... A... et de Mme P... A..., a donné acte à la Maif, assureur de M. H..., de son intervention volontaire, a constaté l'appel en cause par M. H... de la société XL Catlin Services SE, assureur de la fédération française de vol libre, et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure sur intérêts civils.
6. Le 6 décembre 2017, le tribunal correctionnel, statuant sur les intérêts civils, a débouté les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes.
7. Ces dernières ont interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen unique pris en toutes ses branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme, 1241 du code civil, 2, 4-1, 470-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale.
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la chambre correctionnelle de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement du tribunal correctionnel statuant sur les intérêts civils en date du 6 décembre 2017 ayant débouté les consorts A... de leurs demandes, alors :
« 1°/ qu'en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, le tribunal correctionnel qui relaxe le prévenu n'en est pas moins tenu de rechercher si les faits qui lui sont déférés constituent une faute civile d'imprudence pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ; d'où il suit qu'en estimant que, dans son jugement du 1er avril 2016, qui avait relaxé de manière définitive M. H... des fins de la poursuite, le tribunal avait de manière erronée renvoyé la cause sur les intérêts civils à une audience ultérieure, s'abstenant ainsi de tirer les conséquences de la relaxe prononcée, quand il appartenait pourtant au tribunal de rechercher si les faits qui lui étaient déférés constituaient une faute civile d'imprudence, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
2°/ que la décision de relaxe est dépourvue de l'autorité de la chose jugée sur les intérêts civils, de sorte qu'en affirmant que le jugement de relaxe de M. H... du 1er avril 2016 empêchait le juge pénal de retenir une faute civile et qu'ainsi le jugement du 6 décembre 2017 avait rectifié l'erreur commise sur les intérêts civils dans le jugement du 1er avril 2016, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
3°/ que l'appel d'un jugement de relaxe formé par la seule partie civile a pour effet de déférer à la juridiction du second degré l'action en réparation du dommage pouvant résulter de la faute civile du prévenu définitivement relaxé ; qu'en relevant, pour confirmer le jugement du 6 décembre 2017 statuant sur les intérêts civils, qu'elle ne peut rechercher, sur la base de ce jugement, l'existence d'une faute civile éventuellement commise par M. H..., aucun appel n'ayant été interjeté contre le jugement de relaxe en date du 1er avril 2016, lorsque le jugement qui renvoie l'affaire sur l'action civile à une date ultérieure après avoir statué sur l'action publique n'est pas un jugement distinct du jugement sur le fond et qu'il lui appartenait ainsi de rechercher, sur l'appel des parties civiles, l'existence d'une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen et excédé négativement ses pouvoirs ;
4°/ qu'en énonçant, pour débouter les parties civiles de leurs demandes, qu'elles n'ont pas relevé appel du jugement de relaxe du 1er avril 2016 qui renvoyait par erreur à une audience ultérieure sur les intérêts civils et qu'elle ne peut rechercher, sur la base de ce jugement, l'existence d'une faute civile éventuellement commise par M. H..., aucun appel n'ayant été interjeté contre le jugement de relaxe en date du 1er avril 2016, lorsque les parties civiles n'avaient aucun intérêt à relever appel d'un jugement se bornant à renvoyer l'examen de l'action civile à une audience ultérieure, la cour d'appel, qui a ainsi privé les exposants de toute possibilité de faire réexaminer leur affaire en cause d'appel, a porté une atteinte excessive au droit à l'exercice effectif d'une voie de recours. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 470-1 du code de procédure pénale :
10. Il résulte de ce texte que le tribunal saisi, à l'initiative du ministère public ou sur renvoi d'une juridiction d'instruction, de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle au sens des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 121-3 du code pénal, et qui prononce une relaxe, demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite.
11. Pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt attaqué énonce que la cour d'appel ne se trouve saisie que de l'appel du jugement du tribunal correctionnel en date du 6 décembre 2017 et que cette décision a fait suite à un premier jugement du même tribunal rendu le 1er avril 2016, qui a relaxé, de manière définitive, M. H... des fins de la poursuite et a, de manière erronée, renvoyé la cause sur les intérêts civils à une audience ultérieure, s'abstenant ainsi de tirer les conséquences de la relaxe prononcée.
12. Les juges ajoutent que la décision frappée d'appel n'a ainsi pu que constater l'autorité de la chose jugée faisant obstacle à toute possibilité pour le juge pénal de retenir une faute civile, rectifiant l'erreur commise sur les intérêts civils dans le jugement du 1er avril 2016.
13. Ils en concluent que la cour d'appel ne peut rechercher, sur la base du jugement déféré, l'existence d'une faute civile éventuellement commise par M. H..., à l'origine de l'accident, aucun appel n'ayant été interjeté sur le jugement en date du 1er avril 2016.
14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé.
15. En effet, et en premier lieu, il ressort expressément du jugement du 1er avril 2016 que les parties civiles ont régulièrement sollicité, conformément à l'article visé, l'application de l'article 470-1 du code de procédure pénale dans leurs conclusions.
16. En deuxième lieu, le renvoi à une audience ultérieure opéré par le tribunal, qui ne constitue pas une décision définitive ou mettant fin à l'instance, ne pouvait avoir pour effet de priver les parties civiles de leur droit de faire appel de la décision rendue sur le fond, par le tribunal correctionnel, s'agissant des intérêts civils.
17. Enfin, il appartenait à la cour d'appel, saisie après relaxe prononcée dans le cadre des poursuites exercées pour homicide involontaire, de statuer sur la demande des consorts A... pour, en application des règles du droit civil, statuer sur la réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite.
18. Ainsi, la cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 17 septembre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize février deux mille vingt et un.