LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Q 19-84.982 F-D
N° 86
CK
20 JANVIER 2021
NON-ADMISSION
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 JANVIER 2021
MM. K... J... et S... M... ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 19 juin 2019, qui, a condamné le premier pour faux à 15 000 euros d'amende et le second pour faux, usage et escroquerie à trois ans d'emprisonnement avec sursis et 300 000 euros d'amende.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. K... J..., les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. S... M..., les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Manpower France Holding, et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société Manpower SAS a déposé plainte avec constitution de partie civile pour dénoncer des faits de faux, usage de faux et escroquerie commis à l'occasion de la cession par M. S... M... à la plaignante de son groupe Damilo, constitué de plusieurs sociétés spécialisées dans la réalisation de projets informatiques.
3. La société Manpower a déclaré avoir découvert que les résultats du groupe avaient été surévalués en raison de l'émission par plusieurs sociétés de factures ne correspondant à aucune prestation réelle.
4. Etaient notamment concernées vingt-deux factures émises par la société Techno 5 France au profit de la société ZC Cconseil, dirigée par M. K... J....
5. Il est apparu que ce dernier avait établi et signé neuf rapports d'activité mensuels à l'entête de ZC Conseil faisant état de l'exécution de prestations qui n'avaient en réalité jamais été réalisées, faits pour lesquels il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de faux.
6. M. M... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de faux et usage de faux pour avoir réalisé des fausses factures au nom des sociétés Damilo, Techno 5, Architect Information Systems correspondant à des prestations fictives payées et en avoir usé, ainsi que du chef d'escroquerie pour avoir, par la création de fausses factures et leur paiement, augmenté frauduleusement le résultat d'exploitation du groupe Damilo dont il était l'unique actionnaire, afin de déterminer la société Manpower à conclure un contrat de cession dont le prix était déterminé sur la base d'éléments faussés, et à verser ainsi à M. M... des sommes qui ne lui étaient pas dues.
7. Les juges du premier degré ont reconnu les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés.
8. MM. M... et J... ainsi que le procureur de la République ont formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen unique proposé pour M. J... et le second moyen proposé pour M. M...
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais, sur le premier moyen proposé pour M. M...
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré M. M... coupable de faux, usage de faux et escroquerie, alors « que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ; qu'en déclarant M. M... coupable de faux par réalisation de fausses factures au nom des sociétés Damilo It, Techn 05, Architect Information Systems, d'usage de ces faux par paiement et « entrée en comptabilité » de ces factures puis d'escroquerie par manoeuvres frauduleuses caractérisées par « la création de ces fausses factures, leur paiement et leur enregistrement en comptabilité », la cour d'appel a violé la règle Non bis in idem. »
Réponse de la Cour
Vu le principe ne bis in idem et l'article 593 du code de procédure pénale :
11. Des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes.
12. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. En l'espèce, pour déclarer M. M... coupable de faux et d'usage, l'arrêt attaqué retient qu'il a établi des factures correspondant à des prestations fictives qui n'ont jamais été exécutées par les sociétés du groupe Damilo, les a payées et fait entrer en comptabilité.
14. Les juges relèvent, pour caractériser l'escroquerie, que la création de fausses factures, leur paiement et leur enregistrement en comptabilité pour un montant de l'ordre de 1 400 000 euros au profit des sociétés du groupe Damilo ont constitué des manoeuvres frauduleuses ayant permis d'en augmenter artificiellement les résultats comptables, et notamment le résultat d'exploitation du groupe, élément déterminant du rachat par la partie civile du groupe appartenant à M. M... au prix fixé.
15. En retenant ainsi les mêmes faits pour déclarer le prévenu coupable des chefs d'escroquerie, faux et usage de faux, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés.
16. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. J... :
LE déclare NON ADMIS ;
Sur le pourvoi formé par M. M... :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 19 juin 2019, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. M... coupable des chef de faux, usage de faux et escroquerie et relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille vingt et un.