LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 janvier 2021
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 61 F-D
Pourvoi n° F 18-20.685
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 JANVIER 2021
1°/ la société Mercury, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ M. W... J... , domicilié [...] , agissant en qualité administrateur judicicaire de la société Mercury,
ont formé le pourvoi n° F 18-20.685 contre l'arrêt rendu le 30 mai 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige les opposant à la société MC2 diffusion, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Mercury et de M. J... , ès qualités, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société MC2 diffusion, après débats en l'audience publique du 24 novembre 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à M. J... de ce qu'il reprend l'instance en qualité d'administrateur judiciaire de la société Mercury.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mai 2018), rendu en référé, par un acte du 15 septembre 2003, la société Crystal Denim a consenti à la société MC2 diffusion un contrat d'agence commerciale. La société Crystal Denim a été mise en sauvegarde le 7 juillet 2014 et un plan de sauvegarde avec cession partielle de son fonds de commerce au profit de la société Mercury a été arrêté le 5 août 2015. La société Crystal Denim ayant été mise en liquidation judiciaire le 5 octobre 2017, la société MC2 diffusion a assigné la société Mercury en paiement d'une provision correspondant à des factures émises au titre du contrat d'agence commerciale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Mercury et M. J... , agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Mercury, font grief à l'arrêt de condamner cette dernière à verser à la société MC2 diffusion une certaine somme, à titre de provision, alors « que le juge des référés ne peut accorder une provision qu'à la condition que l'obligation ne soit pas sérieusement contestable ; que se heurte à une contestation sérieuse et excède les pouvoirs du juge des référés la demande dirigée contre une société en vertu d'un contrat auquel elle n'est pas partie, qui suppose que soient interprétés le contrat et les conditions de son éventuel transfert pour déterminer s'il a vocation à s'appliquer à la défenderesse ; qu'au cas de l'espèce, en considérant que le contrat d'agent commercial souscrit entre la société MC2 diffusion et la société Crystal Denim aurait été repris par la société Mercury, cessionnaire du fonds de commerce de la société Crystal Denim, dans le cadre d'un plan de sauvegarde ne prévoyant pas le transfert de ce contrat, que la société Mercury est débitrice des factures afférentes à ce contrat et que la demande de provision de la société MC2 diffusion ne se heurte à aucune contestation sérieuse, la cour d'appel a, en réalité, tranché une contestation sérieuse, violé l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile et excédé ses pouvoirs. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile :
4. Aux termes de ce texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier.
5. Pour condamner la société Mercury à payer une provision à la société MC2 diffusion, l'arrêt retient que ces dernières ont échangé de nombreux courriels faisant état de leur relation commerciale et évoquant la signature d'un avenant au contrat d'agence commerciale initialement signé par la société Crystal Denim. Il en déduit que la poursuite de ce contrat par la société Mercury, après la cession du fonds de commerce de la société Crystal Denim à son profit, est établie avec l'évidence requise en référé.
6. En statuant ainsi, alors que la portée de ces documents était contestée et ne pouvait être appréciée sans interprétation de la volonté des parties, la cour d'appel, qui a tranché une contestation sérieuse se rapportant à l'existence de l'obligation alléguée, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société MC2 diffusion aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MC2 diffusion et la condamne à payer à la société Mercury la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Mercury et M. J... , ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Mercury à verser à la société MC2 Diffusion la somme provisionnelle de 184.932,81 € au titre des factures échues du 20 septembre 2016 au 28 décembre 2017,
AUX MOTIFS QU' «en application de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile le président du tribunal de commerce peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ;
Qu'en application de l'article 1315 du code civil c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ;
Qu'en application de l'article L. 110-3 du code de commerce la preuve en matière commerciale peut se faire par tous moyens ;
que la société Mercury fait valoir à l'appui de ses prétentions tendant à l'infirmation de l'ordonnance entreprise que la société MC2 Diffusion était l'agent commercial de la société Crystal Denim mais qu'elle est étrangère à ce contrat n'ayant pas consenti à son transfert à son profit et qu'il appartenait à la société MC2 Diffusion de déclarer sa créance entre les mains du liquidateur judiciaire de la société Crystal Denim ; qu'elle ajoute cependant être liée à la société MC2 Diffusion par un contrat non écrit qu'elle qualifie de "mandat oral pour la représenter auprès de ses clients pour la distribution des produits sous marque "Atelier Notify" ( page 6 de ses conclusions)
que les pièces versées aux débats viennent manifestement contredire les affirmations de la société Mercury s'agissant du transfert du contrat d'agent commercial initialement souscrit entre la société MC 2 Diffusion et la société Crystal Denim ; qu'ainsi les parties ont échangé de nombreux courriels faisant état de cette relation commerciale et évoquant d'ailleurs la signature d'un avenant au contrat d'agent commercial initialement signé par la société Crystal Denim ; que par courriel du 20 septembre 2016 la société Mercury adressait à la société MC2 Diffusion les informations la concernant pour le règlement des factures en attente de règlement ; que par courriel du 3 avril 2017 la société Mercury adressait à la société MC2 Diffusion le tableau des commissions du 4ème trimestre 2016 lui demandant de lui adresser sa "facture afin de procéder au règlement de vos commissions dans les plus brefs délais" (pièce 26 de l'intimée) ; que le 17 juin 2016 (pièce 19 de l'intimée) le gérant de la société Mercury indiquait par courrier électronique à la société MC2 Diffusion que cette dernière serait l'agent "et ainsi nos relations financières seront plus détendues" ; que par courriel du 10 novembre 2016 la société Mercury indiquait à la société MC2 Diffusion en ces termes "je me permets de te contacter concernant la facture 2ème trimestre qui a été émise pour le compte de Crystal Denim. Il faudrait annuler cette facture et la remplacer par une facture au nom de la société Mercury", le mail précisant encore "ci-joint la copie du virement fait ce matin pour votre compte" (pièce 20 de l'intimée) ; que par courriel du 30 décembre 2016, elle écrivait à la société intimée "veuillez trouver ci-joint le tableau de commissions du 3ème trimestre 2016, dont le montant de vos commissions s'élève à 25.642,07 euros. Suite à une mise à jour de notre programme, le calcul des commissions était incorrect, mais le problème est résolu. Après vérification, veuillez nous adresser votre facture afin de procéder au règlement de vos commissions dans les plus brefs délais" (pièce 21 de l'intimée) ; que le 3 avril 2017 elle informait encore la société MC2 Diffusion du tableau de commissions du 4ème trimestre 2017 dont elle reconnaissait que le montant des commissions s'élevait à la somme de 32.442,31 euros et lui réclamant la facture correspondante ; que le 17 juillet 2017 elle reconnaissait devoir à la société intimée la somme de 31.918,01 euros au titre des commissions du 1er trimestre 2017 lui précisant que le tableau du 2ème trimestre serait transmis dès que possible ;
par ailleurs, que la société MC2 Diffusion justifie que la société Mercury lui a réglé plusieurs factures de commission, le premier versement intervenant le 24 août 2016 ainsi qu'il ressort de ses relevés de comptes ;
et qu'au vu de l'ensemble de ces éléments il est établi avec l'évidence requise en référé de la poursuite par la société Mercury du contrat d'agent commercial initialement souscrit entre la société MC 2 Diffusion et la société Crystal Denim après la cession du fonds de commerce de cette dernière à l'appelante ; que c'est dès lors à bon droit que le premier juge a fait droit à la demande de provision de la société MC2 Diffusion en raison du non-paiement des factures afférentes à ce contrat, cette demande ne se heurtant à aucune contestation sérieuse ; que la société Mercury ne peut utilement contester le montant des commissions qui lui sont réclamées par la société MC2 Diffusion dès lors qu'ainsi qu'il ressort des échanges de courriels entre les parties c'est la société Mercury qui établissait elle-même les tableaux de commissions sur les confirmations de commandes qu'elle avait également éditées ; qu'au vu des pièces produites et notamment du décompte de la créance de la société intimée, la société Mercury reste redevable de la somme de 184.932,81 euros déduction étant faite des versements intervenus à hauteur de la somme de 80.626,65 euros ; qu'au demeurant la société Mercury reconnaît dans ses écritures devoir la somme de 87.594,24 euros correspondant aux commissions des 3 premiers trimestres de l'année 2017 et invoque le paiement d'acomptes pour un montant de 80.626,65 euros (page 6 de ses conclusions) lesquels ont effectivement été déduits de sa dette par la société intimée ;
qu'au vu de l'ensemble de ces éléments l'ordonnance entreprise doit être confirmée sauf à actualiser la créance de la société MC2 Diffusion à hauteur de la somme provisionnelle de 184.932,81 euros » ;
1- ALORS QUE le juge des référés ne peut accorder une provision qu'à la condition que l'obligation ne soit pas sérieusement contestable ; que se heurte à une contestation sérieuse et excède les pouvoirs du juge des référés la demande dirigée contre une société en vertu d'un contrat auquel elle n'est pas partie, qui suppose que soient interprétés le contrat et les conditions de son éventuel transfert pour déterminer s'il a vocation à s'appliquer à la défenderesse ; qu'au cas de l'espèce, en considérant que le contrat d'agent commercial souscrit entre la société MC2 Diffusion et la société Crystal Denim aurait été repris par la société Mercury, cessionnaire du fonds de commerce de la société Crystal Denim, dans le cadre d'un plan de sauvegarde ne prévoyant pas le transfert de ce contrat, que la société Mercury est débitrice des factures afférentes à ce contrat et que la demande de provision de la société MC2 Diffusion ne se heurte à aucune contestation sérieuse, la cour d'appel a, en réalité, tranché une contestation sérieuse, violé l'article 873 al. 2 du code de procédure civile et excédé ses pouvoirs ;
2- ALORS QUE le juge des référés ne peut accorder une provision qu'à la condition que l'obligation ne soit pas sérieusement contestable ; que se heurte à une contestation sérieuse et excède les pouvoirs du juge des référés la demande supposant que soit établi le transfert d'un contrat d'agent commercial signé par la société demanderesse avec une société tierce, ayant cédé son fonds de commerce, et que ce transfert ait été formellement accepté par le cessionnaire du fonds de commerce, en l'occurrence la société Mercury ; qu'en considérant en l'espèce qu'il est établi avec l'évidence requise en référé la poursuite par la société Mercury du contrat d'agent commercial souscrit entre la société MC2 Diffusion et la société Crystal Denim, après cession du fonds de commerce de cette dernière, sans mieux s'expliquer sur le point de savoir si la société Mercury avait accepté un tel transfert qui ne découle pas de plein droit de la cession du fonds de commerce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 873 al. 2 du code de procédure civile ;
3- ALORS QUE la société Mercury faisait clairement valoir que le mandat liant Crystal Denim à MC2 Diffusion portait sur les produits vendus sous la marque « Notify » ; qu'elle-même était licenciée pour une autre marque « Atelier Notify » , qu'elle n'avait ponctuellement mandaté MC2 Diffusion que pour représenter cette deuxième marque, et que la société MC2 Diffusion créait une confusion entre ces deux marques et chacun des titulaires de ces marques pour faire payer par Mercury des commissions dues par Crystal Denim à raison des produits de la marque « Notify » auxquels Mercury était étrangère ; qu'en s'abstenant totalement de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4- ALORS QUE la circonstance que Mercury a payé les commissions qu'elle devait pour le mandat concédé pour les produits de marque « Atelier Notify » est radicalement insusceptible de la rendre redevable de commissions dues à raison de produits diffusés sous la marque « Notify » par Crystal Denim ; que la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil devenu 1103 du code civil
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Mercury à verser à la société MC2 Diffusion la somme provisionnelle de 184.932,81 € au titre des factures échues du 20 septembre 2016 au 28 décembre 2017 ;
AUX MOTIFS déjà cités an premier moyen
ALORS QUE comme le faisait valoir la société Mercury dans ses conclusions d'appelante, il résulte du jugement du 5 août 2015 prononçant le plan de sauvegarde avec cession partielle d'entreprise de la SCI Crystal Denim que la société Mercury a seulement acquis le fonds de commerce de vente de vêtements prêts à porter exploité sous l'enseigne « Notify » située [...] avec transfert des contrats des baux commerciaux portant sur les locaux situés à ladite adresse, tandis que la société Crystal Denim dont le siège était situé [...] a continué son activité de fabrication, vente en gros et au détail de vêtements, création sous la marque Notify jusqu'à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire le 5 octobre 2017 ; que l'ensemble des factures sur le fondement desquelles la société MC2 Diffusion demande le versement de commissions à la société Mercury ont été établies par Notify Crystal Denim [...], créateur et fabricant de vêtements de la marque Notify et non par la boutique « Notify » exploitée par la société Mercury, [...] ; qu'en considérant néanmoins que la société Mercury ne peut utilement contester le montant des commissions qui lui sont réclamées et en la condamnant à verser à la société MC2 Diffusion la somme provisionnelle de 184.932,81 €, sans s'expliquer sur ce point, au prix d'une confusion entre [...] et la boutique Notify, la Cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 873, alinéa 2 du code de procédure civile, qu'elle a violé.