LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 janvier 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 24 FS-D
Pourvoi n° T 19-24.886
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 JANVIER 2021
La société IFB France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° T 19-24.886 contre l'arrêt n° RG : 16/02035 rendu le 27 septembre 2019 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. E... X...,
2°/ à Mme J... D..., épouse X...,
domiciliés tous deux [...],
3°/ à la société Oceanis Outremer, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Le Jardin Colonial,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société IFB France, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. et Mme X..., et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Georget, Renard, Djikpa, M. Zedda, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société IFB France du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Oceanis outremer, venant aux droits de la société Le Jardin colonial.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 27 septembre 2019), le 28 novembre 2005, M. et Mme X..., après avoir été démarchés par la société IFB France, chargée de la commercialisation d'immeubles en l'état futur d'achèvement réalisés à la Réunion par la société civile de construction vente Le Jardin colonial, ont acquis, au prix de 94 500 euros et de 84 700 euros, deux appartements à titre d'investissement immobilier locatif bénéficiant d'un avantage fiscal.
3. Les biens, financés à l'aide de prêts, ont été livrés le 16 avril 2007, loués à plusieurs reprises et évalués à la fin de la période de défiscalisation à 47 400 euros et 46 944 euros.
4. M. et Mme X... ont assigné le vendeur et le démarcheur à titre principal en nullité de la vente pour dol et subsidiairement en paiement de dommages-intérêts pour manquement au devoir d'information.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La société IFB France fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des dommages-intérêts d'un montant de 35 840 euros, alors :
« 1°/ que le manquement à une obligation d'information et de conseil cause seulement un préjudice consistant en la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses ; qu'en considérant que le préjudice s'analysait « en la perte d'une chance de contracter à des conditions loyales », la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'existence d'une perte de chance de contracter ou de contracter à des conditions différentes, a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
2°/ que l'indemnisation de la perte d'une chance est subordonnée à la constatation de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en évaluant la perte d'une chance au cinquième du prix de vente, après avoir affirmé que le préjudice s'analysait en une perte de chance de contracter à des conditions loyales, au lieu de rechercher si, dans l'hypothèse d'une exécution satisfaisante de l'obligation d'information, M. et Mme X... auraient ou non acquis le bien, ou, dans l'affirmative, s'ils l'auraient acquis à des conditions différentes, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
3°/ que la détermination d'un préjudice suppose la prise en compte des avantages que le demandeur à l'action a pu retirer de la situation dommageable ; qu'en évaluant la perte d'une chance au cinquième du prix de vente, après avoir affirmé que le préjudice s'analysait en une perte de chance de contracter à des conditions loyales, sans rechercher si M. et Mme X..., en conservant dans leur patrimoine la propriété de l'immeuble, n'en avaient pas retiré un avantage de nature à venir en compensation avec l'allocation d'une indemnité compensant la perte d'une chance de contracter à des conditions loyales, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble le principe de la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a retenu que les projections financières fournies par la société IFB France, qui ne justifiait d'aucune étude sérieuse sur la réalité du marché immobilier de la zone du Tampon, n'envisageaient rien d'autre qu'une progression annuelle de 2 % du loyer comme de la valeur des biens et accréditaient l'idée d'une sécurisation du projet de bout en bout et d'une rentabilité certaine.
7. Elle a constaté que les biens acquis pour 94 500 euros et 84 700 euros le 28 novembre 2005 ne valaient plus, à la fin de la période de défiscalisation, que 47 400 euros et 46 944 euros.
8. Elle en a déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante ou qui n'était pas demandée, que M. et Mme X..., qui invoquaient une surestimation de la valeur du bien, justifiaient d'un préjudice s'analysant en une perte de chance qu'elle a souverainement évaluée à 20 % du prix de vente.
9. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société IFB France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société IFB France et la condamne à payer à M. et Mme X... la somme globale de 3 000 euros.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société IFB France.
Le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR condamné la société IFB France à payer aux époux X..., des dommages et intérêts d'un montant de 35 840 € pour manquement à son obligation d'information et de conseil ;
AUX MOTIFS QUE le professionnel qui commercialise des biens immobiliers, notamment dans une opération de défiscalisation, est tenu d'informer et de conseiller ses clients sur les caractéristiques de l'investissement et les choix à effectuer ; qu'il incombe au débiteur de cette obligation d'information de prouver que celle-ci a bien été exécutée ; qu'en l'espèce, les documents remis par la SAS IFB France aux époux X... (le book de présentation, les diverses projections financières de l'investissement, la grille des loyers escomptés), ne contenaient pas d'éléments pouvant être considérés comme mensongers ; que pour autant, ils n'informaient pas les clients sur le caractère purement hypothétique des projections envisagées et sur la subsistance d'aléas susceptibles d'amenuiser les potentialités envisagées du bien ; que c'est ainsi que la SAS IFB France a proposé la vente litigieuse aux époux X... sur la base d'une étude personnalisée indiquant les valeurs suivantes : / * montant de l'opération : 179 200 €, / * montant de l'emprunt : 161 280 €, / * mensualités du prêt : 1376 €, / * loyers : 556 € par mois, / * montant de la défiscalisation : 99 602 € ; que la projection financière n'envisageait rien d'autre qu'une progressivité annuelle de 2% du loyer et de la valeur des biens ; que ce résultat était totalement dépendant de la location effective du bien vendu ; que sans le préciser à ses clients et sans justifier d'aucune étude sérieuse sur le potentiel locatif de la commune du Tampon, la S.A.S. IFB France a au contraire, joint divers documents destinée à ôter de l'esprit de ses clients, tout doute sur les aléas liés aux possibilités de location et aux revenus potentiels ; que les projections financières n'engageaient ni le gestionnaire des biens ni l'assureur mais accréditaient l'idée d'une sécurisation du projet de bout en bout et d'une rentabilité certaine puisqu'après la vente, un professionnel déjà identifié prenait la suite de l'opération pour se charger de la gestion et du suivi des locations ; que la S.A.S. IFB France ne justifie donc pas, d'une façon ou d'une autre, avoir exercé son devoir de conseil auprès des époux X... et de les avoir alertés sur les risques et aléas liés à une opération de défiscalisation dans laquelle les revenus locatifs futurs constituent un élément important ; que d'ailleurs, sa "méthode de vente" encourage clairement son préposé à convaincre le client que "le seul risque est de gagner de l'argent" ; qu'en effet, si la promotion relative à la Résidence "Le Jardin Colonial" est décrite dans ses grands aspects dans le "book de présentation", la S.A.S. IFB France ne justifie d'aucune étude sérieuse de marché sur le potentiel locatif de la zone du TAMPON et sur la réalité de son marché immobilier ; que la communication d'une étude théorique ne considérant que l'hypothèse la plus optimiste et ne présentant pas la subsistance d'aléas pouvant entacher cet investissement ne permet pas de considérer que la S.A.S. IFB France a rempli son obligation d'information sincère et de conseil ; que manquement a causé aux époux X... un préjudice s'analysant en la perte d'une chance de contracter à des conditions loyales ; que ce préjudice sera évalué à 20 % du prix de vente, soit 20 % x 179 200 € = 35.840,00 € ; qu'il conviendra en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de condamner la S.A.S. IFB France à payer aux époux X... la somme de 35 840,00 € à titre de dommages et intérêts ;
1. ALORS QUE le manquement à une obligation d'information et de conseil cause seulement un préjudice consistant en la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses ; qu'en considérant que le préjudice s'analysait « en la perte d'une chance de contracter à des conditions loyales », la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'existence d'une perte de chance de contracter ou de contracter à des conditions différentes, a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
2. ALORS QUE l'indemnisation de la perte d'une chance est subordonnée à la constatation de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en évaluant la perte d'une chance au cinquième du prix de vente, après avoir affirmé que le préjudice s'analysait en une perte de chance de contracter à des conditions loyales, au lieu de rechercher si, dans l'hypothèse d'une exécution satisfaisante de l'obligation d'information, M. et Mme X... auraient ou non acquis le bien, ou, dans l'affirmative, s'ils l'auraient acquis à des conditions différentes, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
3. ALORS QUE la détermination d'un préjudice suppose la prise en compte des avantages que le demandeur à l'action a pu retirer de la situation dommageable ; qu'en évaluant la perte d'une chance au cinquième du prix de vente, après avoir affirmé que le préjudice s'analysait en une perte de chance de contracter à des conditions loyales, sans rechercher si M. et Mme X..., en conservant dans leur patrimoine la propriété de l'immeuble relevant d'un régime de défiscalisation, n'en avaient pas retiré un avantage de nature à venir en compensation avec l'allocation d'une indemnité compensant la perte d'une chance de contracter à des conditions loyales, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble le principe de la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit.