LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 19-86.624 F-D
N° 00040
SM12
13 JANVIER 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 JANVIER 2021
Mme C... J..., partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 25 juin 2019, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée, du chef de viol, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme C... J..., les observations de Me Bouthors, avocat de M. B... M..., et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, les avocats des parties ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 18 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. Moreau, conseiller de la chambre, Mme Zientara-Logeay, avocat général, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Les services de police ont été saisis courant mars 2013, par le président d'une université, de faits de viol imputés à M. B... M..., maître de conférence, dénoncés par Mme C... J... pour avoir été commis au cours de la nuit du 13 au 14 juin 2012.
3. Après une rencontre à Lyon puis plusieurs échanges de SMS, Mme C... J..., qui a convenu que M. M... était dans un rapport de séduction avec elle, avait accepté l'invitation faite de se rendre à Paris afin d'évoquer la possibilité qu'elle obtienne un poste à l'université. Après le repas, elle avait accepté de se rendre au domicile de M. M... pour y prendre un thé.
4. Après avoir enlevé la lanière de ses chaussures pour ne pas faire, selon elle, de bruit dans l'appartement, elle a indiqué que M. M... l'avait soulevée et emmenée dans sa chambre où, après lui avoir indiqué son refus d'une relation sexuelle, elle avait menacé de le frapper, puis, tétanisée, s'était déshabillée et avait accepté d'enfiler des bas et de mettre des escarpins avant de subir une relation sexuelle par voie vaginale alors qu'elle lui avait réitéré son refus en disant "non, j'ai un mari".
5. M. M... n'a pas contesté avoir eu une telle relation sexuelle et a soutenu que la plaignante n'avait pas formulé de refus, quoiqu'elle ait prononcé un "non" durant leur relation.
6. Après qu'une information a été ouverte, contre personne non dénommée, et que M. M... a été placé sous le statut de témoin assisté, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu le 22 mai 2018.
7. Mme J... a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction disant n'y avoir lieu à suivre en l'état, alors :
« 1°/ que les obligations positives qui pèsent sur les États membres en vertu des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme commandent la répression effective de tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsque l'agent ne recourt pas à la violence, contrainte, menace ou surprise ; que pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, la chambre de l'instruction relève notamment « qu'aucun élément de la procédure ne permet de corroborer le contexte de violence dans lequel les faits se seraient déroulés », et que les éléments de contexte ne permettent pas de déduire une « agression par menace, contrainte ou surprise » ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que le mis en cause reconnaissait lui-même que la plaignante avait dit « non », la chambre de l'instruction a violé les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
2°/ que tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ; qu'ayant constaté que la plaignante avait « repoussé les avances de M. M... avant les faits » et l'avait « menacé de le frapper au moment du passage à l'acte », la chambre de l'instruction ne pouvait exclure que le rapport sexuel ait été obtenu par violence, menace, contrainte ou surprise ; qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 222-23 du code pénal.
3°/ que la circonstance que la plaignante se soit opposée à l'acte sexuel empêche le mis en cause de prétendre qu'il croyait qu'il y avait consentement ; que dès lors, la chambre de l'instruction ne pouvait pas davantage retenir qu'« il n'est pas établi que M. M... ait pu percevoir que Mme J... n'était pas consentante pour avoir lui une relation sexuelle » ; qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a violé les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et l'article 222-23 du code pénal.
4°/ que les juridictions d'instruction doivent se prononcer, non sur la preuve de la culpabilité, mais sur l'existence ou l'absence de charges suffisantes ; qu'en disant n'y avoir lieu à suivre en l'état, aux motifs que « la preuve d'un viol n'est pas suffisamment rapportée » et qu'« il n'est pas établi que M. M... ait pu percevoir que Mme J... n'était pas consentante pour avoir lui une relation sexuelle », la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs en violation des article 176, 184, 204, 211 et 214 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
9. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu prise par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce que certes, la plaignante a expliqué sa passivité par un instinct de survie, mais que la cour se doit de relever que dans le même temps, elle s'est montrée capable de repousser les avances de M. M... avant les faits et de le menacer de le frapper au moment du passage à l'acte.
11. Les juges relèvent qu'aucun élément de la procédure ne permet de corroborer le contexte de violence dans lequel les faits se seraient déroulés alors que le certificat médical du 14 juin 2012 ne décrit aucune trace de coup ou de violence, la douleur rapportée par le médecin ayant pour origine les doléances de la plaignante.
12. Ils ajoutent que s'il n'est pas contesté que Mme J... ait dit "non" à M. M... à un certain moment de leurs ébats, les éléments de contexte tels que retenus par le juge d'instruction ne permettent pas d'en déduire que la plaignante a ainsi marqué son refus face à une agression par menace, contrainte ou surprise, d'autant que dans le même temps, elle tenait des propos ambigus et exclusifs de toute sidération ("la nudité ne me gêne pas").
13. Ils concluent qu'il ressort de l'information que si la relation sexuelle a été mal vécue par Mme J..., la preuve d'un viol n'est pas suffisamment rapportée.
14. En se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer, alors qu'elle avait relevé que Mme J... avait repoussé les avances de la personne mise en cause, menacé de la frapper, et lui avait dit "non" pendant la relation sexuelle, sur l'absence d'une contrainte physique ou morale caractérisant le défaut de consentement de la plaignante, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris susvisé, en date du 25 juin 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize janvier deux mille vingt et un.