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13/01/2021 | FRANCE | N°19-15594

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 13 janvier 2021, 19-15594


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

IK

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 13 janvier 2021

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 66 F-D

Pourvoi n° T 19-15.594

Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme V....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 JANVIER 2021

La société Hôteli...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

IK

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 13 janvier 2021

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 66 F-D

Pourvoi n° T 19-15.594

Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme V....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 JANVIER 2021

La société Hôtelière du Chablais, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° T 19-15.594 contre l'arrêt rendu le 18 février 2019 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme Y... V..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

Mme V... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Hôtelière du Chablais, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme V..., après débats en l'audience publique du 18 novembre 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 18 février 2019, statuant sur renvoi de Soc., 6 avril 2016, pourvois n° 14-27.042, 14-26.331, 14-26.334, 14-20.861, 14-12.724, 14-20.866), Mme V... a été engagée par la société Hôtelière du Chablais (la société) selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel modulé à compter du 14 avril 2006 en qualité d'employée de restauration bar. Par lettre du 19 août 2009, l'employeur a proposé à l'ensemble des salariés une modification de leur contrat de travail pour motif économique, que la salariée a refusée le 14 septembre 2009.

2. Par lettre du 5 décembre 2009, l'employeur a licencié la salariée pour motif économique.

3. Se prévalant du statut protecteur accordé aux candidats aux élections professionnelles, la salariée, élue au comité d'entreprise lors des élections professionnelles s'étant déroulées le 7 décembre 2009, a saisi la juridiction prud'homale le 1er octobre 2010 en nullité de son licenciement, réintégration sous astreinte et indemnisation.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident de la salariée

4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à voir prononcer sa réintégration de droit au sein de la société, alors : « que le juge est tenu de ne pas dénaturer les termes du litige ; qu'en l'espèce, pour infirmer le jugement attaqué en ce qu'il avait prononcé sa réintégration de droit au sein de la société Hôtelière du Chablais et l'avait déboutée de sa demande à ce titre, la cour d'appel a retenu que, dans ses dernières écritures, elle ne sollicitait plus sa réintégration mais seulement le paiement d'une indemnité ; qu'en statuant par de tels motifs alors que dans ses conclusions, elle demandait expressément à la cour d'appel de prononcer sa réintégration de droit, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions et, ce faisant, méconnu les termes du litige en violation des dispositions des articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour :

Vu l' article 4 du code de procédure civile :

5. La cour d'appel retient que, dans ses dernières écritures, la salariée ne sollicitait plus sa réintégration mais seulement le paiement d'une indemnité.

6. En statuant ainsi, alors que, dans ses dernières conclusions reprises oralement à l'audience, la salariée demandait à la cour d'appel de prononcer sa réintégration de droit, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet acte et a violé l'article susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

7. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à la salariée la somme de 160 822,30 euros à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur, alors :

« 2°/ que le juge a l'interdiction de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que, dans son courrier du 10 février 2017, la société SHC indiquait à Mme V... que « [sa] réintégration sur le poste d'employé(e) de restauration (statut employé) que vous occupiez antérieurement à votre licenciement pourrait intervenir aux conditions suivantes » et précisait les conditions de travail proposées ; qu'elle indiquait que cette réintégration pourrait être effective à compter du 1er mai 2017 et demandait à la salariée, en conséquence, de lui faire part de sa réponse avant le 15 mars 2017, en retournant le projet d'avenant au contrat, annexé à ce courrier, si elle l'acceptait ; qu'en affirmant, après avoir cité uniquement les premiers paragraphes de courrier, qu'il ne constitue pas une véritable proposition de réintégration, la cour d'appel a dénaturé par omission les termes clairs et précis de ce courrier, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;

3°/ que l'offre de réintégration de l'employeur n'est soumise à aucun formalisme ; que, dans son courrier du 10 février 2017, la société SHC indiquait à Mme V... que « [sa] réintégration sur le poste d'employé(e) de restauration (statut employé) que vous occupiez antérieurement à votre licenciement pourrait intervenir aux conditions suivantes » et précisait les conditions de travail proposées ; qu'elle indiquait que cette réintégration pourrait être effective à compter du 1er mai 2017 et demandait à la salariée, en conséquence, de lui faire part de sa réponse avant le 15 mars 2017, en retournant le projet d'avenant au contrat signé si elle l'acceptait ; qu'en affirmant péremptoirement que ce courrier ne constitue pas une véritable proposition de réintégration, sans expliquer ce qui lui permettait de l'affirmer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause :

8. Pour juger que l'employeur a refusé de réintégrer la salariée, la cour d'appel retient, après avoir reproduit une partie de la lettre du 10 février 2017
adressée par l'employeur à la salariée, qu'il convient de relever qu'elle ne constitue pas une véritable proposition de réintégration.

9. En statuant ainsi, alors que, dans la lettre du 10 février 2017, la société SHC indiquait à Mme V... que « sa réintégration sur le poste d'employé(e) de restauration (statut employé) que vous occupiez antérieurement à votre licenciement pourrait intervenir aux conditions suivantes » et précisait les conditions de travail proposées, qu'elle indiquait que cette réintégration pourrait être effective à compter du 1er mai 2017 et demandait à la salariée, en conséquence, de lui faire part de sa réponse avant le 15 mars 2017, en retournant le projet d'avenant au contrat signé si elle l'acceptait, la cour d'appel a dénaturé le document en cause et a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen et la première branche du second moyen de l'employeur, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il prononce la nullité du licenciement, l'arrêt rendu le 18 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;

Condamne Mme V... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize janvier deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits, au pourvoi principal, par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Hôtelière du Chablais

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la Société Hôtelière du Chablais à payer à Mme V... la somme de 160.822,30 euros à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur ;

AUX MOTIFS QUE « Mme V... sollicite le paiement de la somme de 10 200€ correspondant à une provision liée à l'application de l'accord Bino sur la période du 26 octobre 2009 au 30 avril 2018, soit 100€ X 102 mois. L'accord Bino s'applique depuis le 1er mars 2009 et prévoit le versement d'une prime de 200 euros aux salariés dont le salaire ne dépasse pas 1,4 SMIC, se décomposant comme suit dans le cas d'une entreprise employant plus de 100 salariés : versement mensuel à hauteur de 100 euros par les entreprises et 100 euros par l'Etat (RTSA), directement au salarié. L'accord Bino précise, en son article 2 : « les dispositions ci-dessus s'appliquent sur l'ensemble du territoire de la région Guadeloupe pour toutes les entreprises et tous les établissements du secteur privé employant des salariés sous contrat de droit privé ». Il s'avère donc que le champ d'application couvre l'ensemble du territoire de la Guadeloupe, et l'ensemble des secteurs d'activités relevant du privé. Cet accord prévoyait également en son article 5 qu'au terme des aides de l'Etat et des collectivités, l'augmentation de salaire de 200 euros serait intégrée dans la rémunération des salariés assurée par leur employeur signataire. Il convient de relever que l'accord Bino a été étendu partiellement par arrêté du 3 avril 2009 à tous les employeurs et salariés compris dans son champ d'application, à l'exception de la clause susvisée de convertibilité des primes en salaire, aussi seule la part employeur reste applicable aux employeurs entrant dans le champ d'application. La SAS SHC expose que dans le cas d'un accord interprofessionnel étendu, celui-ci s'applique obligatoirement à toutes les entreprises comprises dans son champ d'application professionnel et territorial, et que le champ d'application professionnel se détermine en fonction de l'activité économique, or le champ d'application de l'accord Bino étendu vise « les employeurs du secteur privé », sans aucune référence à une activité économique. L'employeur soutient que puisque le champ d'application de l'accord Bino n'est pas défini, il dépend des organisations patronales signataires de l'accord, or la SAS SHC n'est adhérente à aucune de ces organisations, l'accord ne lui étant dès lors applicable, précision étant faite qu'elle n'a pas plus conclu d'accord d'entreprise entérinant l'application volontaire dudit accord. L'accord étendu ne s'applique que si l'employeur relève d'une organisation patronale représentative du secteur d'activité signataire de l'accord régional interprofessionnel, ou est adhérent d'une organisation patronale signataire de ce même accord. Les organisations patronales signataires de l'accord sont les suivantes : - Union des moyennes et petites entreprises de Guadeloupe (UMPEG), - Union des chefs d'entreprise de Guadeloupe (UCEG), - Organisation patronale des gérants de stations-service (OPGSS), - Union nationale des professions libérales (UNAPL). Il appartient à l'employeur qui conteste être dans l'une des situations suscitées d'en apporter la preuve, or la SAS SHC ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'elle ne relève pas d'une des organisations patronales représentatives du secteur d'activité signataire de l'accord régional interprofessionnel, ni qu'elle n'est pas adhérente d'une organisation patronale signataire de ce même accord. Aussi, il convient de considérer que l'accord Bino, pour ses dispositions étendues, est applicable à la SAS SHC, et puisque le salaire de Mme V... ne dépassait pas 1,4 fois le SMIC, la part mise à la charge de l'employeur par l'accord Bino, soit la somme de 100€ par mois, lui est due, sans que l'employeur ne justifie de lui avoir versée. Il convient donc de dire que le salaire mensuel brut de Mme V..., fixé à 1 492,30€ au dernier état de la relation contractuelle, doit être augmenté de 100€, pour être porté à la somme de 1 592,30€ » ;

ET QUE « Puisqu'il a été dit ci avant que la prime Bino, d'un montant de 100€ par mois, était due par la SAS SHC, il convient de l'intégrer dans le salaire mensuel brut, le portant à la somme de 1 592,30€. Aussi, l'indemnité sera fixée comme suit : 101 mois X 1 592,30€ = 160 822,30€ » ;

1. ALORS QUE l'arrêté d'extension du ministre du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application professionnel et territorial dont les organisations patronales sont représentatives à la date de la signature de l'accord ; qu'en conséquence, en cas de litige sur l'applicabilité d'un accord étendu dans une entreprise, il appartient au juge de rechercher, au besoin en ordonnant les mesures d'instruction qu'il estime utile, si l'employeur est affilié à une organisation patronale signataire de cet accord ou si une des organisations patronales signataires est représentative dans le secteur d'activité dont relève l'entreprise ; qu'en retenant, en l'espèce, qu'il « convient de considérer que l'accord Bino est applicable à la société SHC » dès lors que « la société SHC ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'elle ne relève pas d'une des organisations patronales représentatives du secteur d'activité signataire de cet accord et qu'elle n'est pas adhérente d'une organisation patronale signataire de ce même accord », la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 2222-1, L. 2261-15, L. 2261-19 et L. 2261-27 du code du travail ;

2. ALORS QUE l'arrêté d'extension du ministre du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application professionnel et territorial dont les organisations patronales sont représentatives à la date de la signature de l'accord ; qu'en considérant que l'accord collectif Bino est applicable à la société SHC, sans constater qu'une organisation patronale représentative dans le secteur de l'hôtellerie dont relève la société SHC est signataire de cet accord ou adhérente de l'une des organisations patronales signataires de cet accord, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2222-1, L. 2261-15, L. 2261-19 et L. 2261-27 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la Société Hôtelière du Chablais à payer à Mme V... la somme de 160.822,30 euros à titre d'indemnisation pour violation de son statut protecteur ;

AUX MOTIFS QUE « Il est admis par les parties que Mme V... bénéficiait d'un statut protecteur lors de son licenciement, en sa qualité de candidate, puis d'élue au comité d'entreprise, et en vertu des dispositions des articles L2411-1 et suivants du code du travail, et que la SAS SHC n'a pas sollicité l'autorisation de la licencier auprès de l'inspecteur du travail, violant ainsi le statut protecteur. La nullité du licenciement n'est plus formellement contestée par la SAS SHC, le jugement sera donc confirmé sur ce point. Aussi, dans ses dernières écritures, Mme V... ne sollicitait plus sa réintégration, mais seulement le paiement d'une indemnité. Il convient de dire que tout licenciement d'un salarié protégé sans autorisation de l'inspection du travail, ou malgré un refus d'autorisation, est nul et sans effet, ainsi, le salarié a le droit de demander sa réintégration ou à défaut une indemnisation, sachant que la demande de réintégration formulée par le salarié s'impose à l'employeur, sauf impossibilité absolue. Lorsqu'un salarié sollicite sa réintégration pendant la période de protection, il peut prétendre à l'indemnisation des salaires perdus entre la date de la rupture et celle de sa réintégration. S'il ne demande pas sa réintégration, il a droit à une indemnité au titre de la méconnaissance du statut protecteur, qui s'ajoute à l'indemnisation pour nullité du licenciement. Mme V... sollicite le paiement de l'intégralité des salaires perdus entre le 26 octobre 2009 et la date de ses dernières conclusions, soit la somme de 152 214,60€, outre 15 221,46€ au titre des congés payés afférents. La SAS SHC admet avoir licencié la salariée en méconnaissance de son statut protecteur, mais elle soutient que Mme V... n'a jamais sollicité sa réintégration, de telle sorte que l'employeur ne lui est redevable que de la somme de 41 769€ à titre d'indemnisation, correspondant à 30 mois de salaires. La SAS SHC expose que Mme V... a évoqué pour la première fois sa réintégration lors de la saisine du conseil de prud'hommes, le 1er octobre 2010, alors qu'elle était licenciée dès le 5 décembre 2009, son contrat de travail ayant pris fin le 10 février 2010, au terme de son préavis. L'employeur fait valoir que la demande de réintégration a été formée devant le conseil de prud'hommes par un représentant syndical n'ayant jamais fait valoir de mandat exprès à cet effet, de telle sorte que Mme V... n'a en réalité jamais sollicité sa réintégration. La SAS SHC expose que c'est elle-même qui, suite à l'arrêt de la Cour de cassation, a proposé à Mme V... d'être réintégrée, par courrier du 10 février 2017, produit aux débats, ce que cette dernière a refusé. S'il existe un délai de deux mois applicable à une demande de réintégration, prévu par l'article L2422-1 du code du travail, celui-ci est applicable uniquement lorsque la demande intervient à la suite de l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié protégé, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il convient de dire que la demande de réintégration formulée par un salarié licencié en violation de son statut protecteur n'est soumise à aucun délai ni aucun formalisme, de telle sorte que la demande formée devant le conseil de prud'hommes le 1er octobre 2010, soit durant la période de protection de la salariée, était valable, sans que le représentant de Mme V... n'ait eu besoin de justifier d'un mandat spécifique pour cette demande particulière. Il s'avère que l'indemnisation couvrant la période allant du licenciement jusqu'à l'expiration du mandat du salarié, dans la limite de 2 ans de mandat et 6 mois de protection post mandat, ne s'applique que si le salarié n'a pas demandé sa réintégration, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La lettre adressée par la SAS SHC à Mme V... le 10 février 2017, produite aux débats, est ainsi rédigée : « Nous faisons suite à notre rendez-vous du 11 octobre 2016, au cours duquel nous avons évoqué avec vous les modalités de votre réintégration au sein de l'entreprise, dans le cadre du litige actuellement en cours relativement à l'annulation de votre licenciement. Suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 2016, vous avez saisi en août dernier la Cour d'appel de Basse-Terre qui doit de nouveau statuer sur votre dossier. Nous avons été informés que cet appel serait examiné le 19 juin prochain. Dans l'intervalle, le jugement du conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre, qui avait prononcé la nullité de votre licenciement, s'applique de nouveau. Toutefois, ce jugement n'est pas exécutoire tant que l'affaire n'a pas été définitivement tranchée en appel sur renvoi après cassation. Néanmoins, nous avons souhaité vous rencontrer pour évoquer les modalités de votre réintégration dans la perspective d'une prochaine décision de la Cour d'appel, sans préjuger de ce que celle-ci décidera. Vous nous avez confirmé lors de notre entretien maintenir votre souhait d'être réintégrée dans l'entreprise, pour le cas où la nullité de votre licenciement serait confirmée en appel ». Il convient de relever que ce courrier ne constitue pas une véritable proposition de réintégration. Ainsi, puisque Mme V... a valablement sollicité sa réintégration depuis le 1er octobre 2010, demande à laquelle la SAS SHC n'a toujours pas fait droit à ce jour, il convient de la condamner au paiement d'une indemnisation, dont le montant sera égal aux salaires que Mme V... aurait perçus depuis la date de son licenciement, le 5 décembre 2009, jusqu'à la date des dernières écritures de la salariée, dans lesquelles elle ne sollicite plus sa réintégration mais fixe le montant de ses demandes, soit le 5 mai 2018, ce qui correspond à une durée totale de 101 mois. Mme V... sollicite le paiement de la somme de 152 214,60€ pour 102 mois, et en prenant comme salaire de référence 1 492,30€. Elle sollicite en outre le paiement de la prime Bino, sur 102 mois également, soit la somme de 10 200€. Le total de ses demandes s'élève donc à la somme de 162 414,60€. Puis qu'il a été dit ci avant que la prime Bino, d'un montant de 100€ par mois, était due par la SAS SHC, il convient de l'intégrer dans le salaire mensuel brut, le portant à la somme de 1 592,30€. Aussi, l'indemnité sera fixée comme suit : 101 mois X 1 592,30€ = 160 822,30€ » ;

1. ALORS QUE le salarié protégé dont le licenciement est intervenu en méconnaissance du statut protecteur et qui, après avoir demandé sa réintégration, renonce à cette demande n'a pas droit au paiement d'une indemnité courant entre son licenciement et la date à laquelle il a renoncé à sa demande ; que le salarié qui ne demande pas sa réintégration à la date à laquelle le juge statue ne peut prétendre, au titre de la violation du statut protecteur, qu'au paiement d'une indemnité égale aux salaires qu'il aurait perçus jusqu'à la fin de la période de protection en cours à la date du licenciement, dans la limite de trente mois ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Mme V..., qui avait initialement demandé sa réintégration, ne formait plus une telle demande dans ses dernières écritures notifiées le 6 mai 2018 ; qu'en considérant néanmoins que Mme V... avait droit au paiement d'une indemnité égale aux salaires qu'elle aurait dû percevoir entre la date de son licenciement, le 5 décembre 2009, et la date à laquelle elle a renoncé à sa réintégration, le 5 mai 2018, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail ;

2. ALORS QUE le juge a l'interdiction de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que, dans son courrier du 10 février 2017, la société SHC indiquait à Mme V... que « [sa] réintégration sur le poste d'Employé(e) de Restauration (statut employé) que vous occupiez antérieurement à votre licenciement pourrait intervenir aux conditions suivantes » et précisait les conditions de travail proposées ; qu'elle indiquait que cette réintégration pourrait être effective à compter du 1er mai 2017 et demandait à la salariée, en conséquence, de lui faire part de sa réponse avant le 15 mars 2017, en retournant le projet d'avenant au contrat, annexé à ce courrier, si elle l'acceptait ; qu'en affirmant, après avoir cité uniquement les premiers paragraphes de courrier, qu'il ne constitue pas une véritable proposition de réintégration, la cour d'appel a dénaturé par omission les termes clairs et précis de ce courrier, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;

3. ALORS QUE l'offre de réintégration de l'employeur n'est soumise à aucun formalisme ; que, dans son courrier du 10 février 2017, la société SHC indiquait à Mme V... que « [sa] réintégration sur le poste d'Employé(e) de Restauration (statut employé) que vous occupiez antérieurement à votre licenciement pourrait intervenir aux conditions suivantes » et précisait les conditions de travail proposées ; qu'elle indiquait que cette réintégration pourrait être effective à compter du 1er mai 2017 et demandait à la salariée, en conséquence, de lui faire part de sa réponse avant le 15 mars 2017, en retournant le projet d'avenant au contrat signé si elle l'acceptait ; qu'en affirmant péremptoirement que ce courrier ne constitue pas une véritable proposition de réintégration, sans expliquer ce qui lui permettait de l'affirmer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail. Moyen produit, au pourvoi incident, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme V...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Madame V... de sa demander tendant à voir prononcer sa réintégration de droit au sein de la société hôtelière du CHABLAIS ;

AUX MOTIFS QUE « dans ses dernières écritures, Madame V... ne sollicitait plus sa réintégration, mais seulement le paiement d'une indemnité » ;

ALORS QUE le juge est tenu de ne pas dénaturer les termes du litige ; qu'en l'espèce, pour infirmer le jugement attaqué en ce qu'il avait prononcé la réintégration de droit de Madame V... au sein de la société hôtelière du CHABLAIS et débouter l'exposante de sa demande à ce titre, la Cour d'appel a retenu que, dans ses dernières écritures, Madame V... ne sollicitait plus sa réintégration mais seulement le paiement d'une indemnité ; qu'en statuant par de tels motifs alors que dans ses conclusions, Madame V... demandait expressément à la Cour d'appel de prononcer sa réintégration de droit, la Cour d'appel a dénaturé ces conclusions et, ce faisant, méconnu les termes du litige en violation des dispositions des articles 4 et 5 du Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-15594
Date de la décision : 13/01/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Basse-Terre, 18 février 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 13 jan. 2021, pourvoi n°19-15594


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.15594
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