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16/12/2020 | FRANCE | N°19-22101

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 16 décembre 2020, 19-22101


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 décembre 2020

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 813 F-P

Pourvoi n° R 19-22.101

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2020

Mme T... P..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° R 19

-22.101 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général pr...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 décembre 2020

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 813 F-P

Pourvoi n° R 19-22.101

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2020

Mme T... P..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° R 19-22.101 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, 4 boulevard du Palais, 75001 Paris, défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de Mme P..., et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2018), Mme P... a saisi le tribunal régional hors classe de Dakar (Sénégal) d'une demande d'adoption plénière des enfants K... D... P..., né le [...] à Guédiawaye (Sénégal), I... P..., née le [...] à Ndiamére, et D... P..., né le [...] à Dakar, ses neveux et nièce, fils et fille de son frère W... P..., décédé le [...].

2. Le tribunal a accueilli sa demande par un jugement du 19 mai 2014, dont elle a sollicité l'exequatur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme P... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'exequatur du jugement n° 968 rendu le 19 mai 2014 par le tribunal régional hors classe de Dakar, prononçant l'adoption plénière par elle des enfants K... D..., I... et D... P..., alors « que le droit interne français admettant l'adoption, par une tante, de ses neveux et nièces, dès lors qu'il ne s'agit pas d'enfants nés d'un inceste, une telle adoption est conforme à l'ordre public international français ; qu'en considérant, pour rejeter la demande d'exequatur du jugement du tribunal régional hors classe de Dakar au Sénégal du 19 mai 2014 prononçant l'adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère K... D..., I... et D..., que ce jugement aurait méconnu la conception française de l'ordre public international, après avoir constaté que ces enfants étaient nés de Mme V... E..., les juges du fond ont violé l'article 47 de la convention de coopération en matière judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République sénégalaise signée le 29 mars 1974. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 47, e), de la Convention de coopération en matière judiciaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal signée le 29 mars 1974 et les articles 310-2 et 162 du code civil :

4. Selon le premier de ces textes, en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire du Sénégal, sont reconnues de plein droit et ont l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat, sous réserve que la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée.

5. Aux termes du deuxième, s'il existe entre les père et mère de l'enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 du code civil pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l'égard de l'un, il est interdit d'établir la filiation à l'égard de l'autre par quelque moyen que ce soit.

6. Aux termes du troisième, en ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la soeur, entre frères et entre soeurs.

7. Ces textes interdisent l'établissement, par l'adoption, du double lien de filiation de l'enfant né d'un inceste absolu lorsque l'empêchement à mariage a pour cause la parenté. Ils n'ont pas pour effet d'interdire l'adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle, dès lors que les adoptés ne sont pas nés d'un inceste.

8. Il se déduit, en effet, de l'article 348-5 du code civil que l'adoption intra-familiale est possible en droit français.

9. Il en résulte que l'adoption des neveux et nièces par leur tante n'est pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international.

10. Pour rejeter la demande d'exequatur, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que l'adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère, qui conduirait à l'établissement d'un acte de naissance d'enfants nés d'une relation incestueuse, comme nés de l'union d'un frère et d'une soeur, est contraire aux articles 162 et 310-2 du code civil et méconnaît par conséquent la conception française de l'ordre public international.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour Mme P....

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté Mme T... P... de sa demande d'exequatur du jugement n° 968 rendu le 19 mai 2014 par le tribunal régional hors classe de Dakar, République du Sénégal, prononçant l'adoption plénière par elle des enfants K... D... P..., I... P... et D... P... ;

aux motifs propres que « c'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte, que le premier juge a refusé l'exequatur au motif que adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère était contraire aux articles 162 et 310-2 du code civil et méconnaissait par conséquent la conception française de l'ordre public international ; sur la demande d'adoption simple, celle-ci a pour but de créer un lien de filiation; il n'est pas démontré que le soutien matériel et moral que Mme P... envisage de procurer aux enfants de son frère révèle d'autres liens que ceux existant entre une tante et ses neveux et nièce ; au demeurant, l'un des enfants ayant plus de 13 ans, et un autre étant majeur, l'adoption est subordonnée à leur consentement personnel dont il n'est pas justifié ; il convient, par conséquent, de rejeter la demande d'adoption simple » ;

aux motifs adoptés que « Aux termes des articles 47 à 49 de la convention de coopération en matière judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal signée le 29 mars 1974, en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par toutes les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire du Sénégal, sont reconnues de plein droit et ont l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat. A cet effet, elles doivent réunir les conditions suivantes : - la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'Etat où la décision est exécutée ; - la décision a fait application de la loi applicable au litige en vertu des règles de solution des conflits de loi admises dans l'Etat où la décision est exécutée ; - la décision ne peut plus, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, faire l'objet d'un recours ordinaire ou d'un pourvoi en cassation ;
- les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ; - la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ; - un litige entre les mêmes parties fondé sur les mêmes faits et ayant le même objet n'est pas pendant devant une juridiction de l'Etat requis, première saisie, n'a pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée rendue dans l'Etat requis, ou n'a pas donné lieu à une décision rendue dans un autre Etat et qui, dans l'Etat requis, réunit les conditions nécessaires pour être reconnue de plein droit et revêtue de l'autorité de la chose jugée. Les décisions visées à l'alinéa 1 de l'article 47 ne peuvent donner lieu à aucune exécution forcée par les autorités de l'autre Etat ni faire l'objet, de la part de ces autorités, d'aucune formalité publique telle que l'inscription, la transcription ou la rectification sur les registres publics qu'après y avoir été déclarées exécutoires. L'exequatur est accordé, quelle que soit la valeur du litige, par le président du tribunal de grande instance ou par le président de la juridiction correspondante du lieu où l'exécution doit être poursuivie. Le président est saisi et statue suivant la forme prévue pour les référés. La décision peut faire l'objet d'un appel ou d'un pourvoi en cassation. En l'espèce, par jugement rendu le 19 mai 2014, le tribunal régional hors classe de Dakar, République du Sénégal, a prononcé l'adoption plénière des enfants K... D... P... né le [...] à Guédiawaye, I... P..., née le [...] à Ndiareme Limamoulaye et D... P..., né le [...] à Dakar, par Mme T... P.... Les trois adoptés sont issus de W... P..., décédé le [...] et de V... (ou V...) E..., et sont ainsi les neveux de l'adoptante, leur père étant le frère de celle-ci, qui est de nationalité française. S'agissant d'une adoption plénière, qui produit en droit français tous les effets d'une filiation, la situation des trois adoptés serait, dans l'hypothèse où le jugement serait déclaré exécutoire sur le territoire français, ce qui les ferait bénéficier de plein droit de la nationalité française et conduirait à l'établissement à leur profit d'un acte de naissance, celle d'enfants nés d'une relation incestueuse comme nés de l'union d'un frère et d'une soeur. Cette situation prohibée par la loi française heurte l'ordre public international français et fait obstacle à l'exequatur du jugement d'adoption plénière. Il y a lieu dès lors de débouter Mme P... de sa demande d'exequatur » ;

alors que le droit interne français admettant l'adoption, par une tante, de ses neveux et nièces, dès lors qu'il ne s'agit pas d'enfants nés d'un inceste, une telle adoption est conforme à l'ordre public international français ; qu'en considérant, pour rejeter la demande d'exequatur du jugement du tribunal régional hors classe de Dakar au Sénégal du 19 mai 2014 prononçant l'adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère K... D..., I... et D..., que ce jugement aurait méconnu la conception française de l'ordre public international, après avoir constaté que ces enfants étaient nés de Mme V... E..., les juges du fond ont violé l'article 47 de la convention de coopération en matière judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République sénégalaise signée le 29 mars 1974.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-22101
Date de la décision : 16/12/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Reconnaissance ou exequatur - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Applications diverses - Adoption de neveux et nièces par leur tante ou oncle

FILIATION - Filiation adoptive - Procédure - Jugement - Décision étrangère - Exequatur - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international français - Cas - Adoption de neveux et nièces par leur tante ou oncle

Si l'article 310-2 du code civil interdit l'établissement, par l'adoption, du double lien de filiation de l'enfant né de frère et soeur, il n'a pas pour effet d'interdire l'adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle, dès lors que les adoptés ne sont pas nés d'un inceste. L'adoption des neveux et nièces par leur tante n'est donc pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international


Références :

article 310-2 du code civil.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 23 janvier 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 16 déc. 2020, pourvoi n°19-22101, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.22101
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