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09/12/2020 | FRANCE | N°19-10881;19-10882;19-11227;19-11228;19-11229;19-11230;19-11231;19-11232

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 09 décembre 2020, 19-10881 et suivants


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 décembre 2020

Rejet

Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1157 F-D

Pourvois n°
V 19-10.881
W 19-10.882
et W 19-11.227
à B 19-11.232 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU

9 DÉCEMBRE 2020

La société [...] , société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , anciennement société [...] , a formé les pourvois n° V 1...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 décembre 2020

Rejet

Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1157 F-D

Pourvois n°
V 19-10.881
W 19-10.882
et W 19-11.227
à B 19-11.232 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 DÉCEMBRE 2020

La société [...] , société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , anciennement société [...] , a formé les pourvois n° V 19-10.881, W 19-10.882, W 19-11.227, X 19-11.228, Y 19-11.229, Z 19-11.230, A 19-11.231 et B 19-11.232 contre huit arrêts rendus le 29 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans les litiges l'opposant respectivement :

1°/ à M. C... U..., domicilié [...] ,

2°/ à M. H... B..., domicilié [...] ,

3°/ à M. A... S..., domicilié [...] ,

4°/ à M. V... I..., domicilié [...] ,

5°/ à M. O... M..., domicilié [...] ,

6°/ à M. H... K..., domicilié [...] ,

7°/ à M. D... F..., domicilié [...] ,

8°/ à Mme L... G..., domiciliée [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, les deux moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Capitaine, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [...] , de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. U... et des sept autres défendeurs, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2020 où étaient présentes Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Capitaine, conseiller rapporteur, Mme Pecqueur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 19-10.881, W 19-10.882 et W 19-11.227 à B 19-11.232 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 29 novembre 2018), la société DBA Bendix, puis la société Bendix France, devenue en 1993 la société Allied Signal systèmes de freinage, ont exploité un établissement situé à Drancy, dont l'activité était l'usinage et le montage des systèmes de freinage.

3. Par un traité d'apport du 29 février 1996, Allied Signal Inc. et toutes ses filiales concernées ont cédé à la société [...] l'essentiel de leur activité de freinage avec effet au 1er avril 1996, chaque société française, filiale du groupe Allied Signal, ayant conclu un traité d'apport partiel d'actifs au bénéfice de la société [...] , devenue R... P..., comprenant expressément l'activité de la société Allied Signal systèmes de freinage.

4. La société Allied Signal systèmes de freinage, hors activité cédée à la société [...] , a fusionné avec le groupe Honeywell en 1999, pour prendre la dénomination en juin 2002 de Honeywell systèmes de freinage.

5. L'établissement de Drancy a été inscrit par arrêté du 3 juillet 2000, modifié par celui du 19 mars 2001, sur la liste des établissements de fabrication, de flocage et de calorifugeage à l'amiante ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), pour la période allant de 1951 à 1996.

6. M. U... et sept autres salariés, ayant travaillé dans l'établissement et dont les contrats de travail ont pris fin avant la réalisation de l'apport, ont saisi la juridiction prud'homale en réparation d'un préjudice d'anxiété, en demandant la condamnation de la société [...] .

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. La société fait grief aux arrêts de déclarer la demande de chacun des défendeurs aux pourvois recevable et de la condamner à leur payer une somme de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété, alors « que si elles ne peuvent faire naître d'obligations qu'entre les parties, les conventions légalement formées sont opposables aux tiers ; qu'il en résulte que l'entreprise qui reprend un établissement industriel, est bien fondée à opposer aux anciens travailleurs de cet établissement, qui n'ont jamais été ses salariés, l'ensemble des conventions de cession de l'établissement conclues avec l'entreprise, qui gérait antérieurement l'établissement et qui avait seule la qualité juridique d'employeur à leur égard, excluant toute reprise du passif liée à l'exploitation de l'établissement antérieurement à sa cession, sans qu'il soit besoin que ces conventions aient fait l'objet d'une publicité particulière ; qu'au cas présent, la société exposante se prévalait du traité du 29 février 1996 organisant au niveau mondial la cession de l'activité freinage et conclu, au niveau mondial, entre les sociétés « vendeurs » du groupe AlliedSignal, notamment les sociétés françaises AlliedSignal Europe services techniques et Allied Signal systèmes de freinage, et les sociétés « acquéreurs » du groupe [...] , notamment la société [...] (France) SA, exposante, dont l'article 4 stipule que seules « certaines dettes et obligations [sont reprises] par les acquéreurs » et définit précisément le passif non repris par les acquéreurs ; qu'elle se prévalait notamment de l'article 4.2 du traité qui stipule que « nonobstant toute stipulation contraire du présent Traité, les Vendeurs s'engagent, sans autre responsabilité des, ou recours aux Acquéreurs [
] à prendre en charge et à être seuls responsables, inconditionnellement et irrévocablement, de toutes les dettes et obligations suivantes, des Vendeurs ou des Entités Cédées, prévues ou imprévues, connues ou inconnues, existant ou pouvant naître à l'avenir, fixes ou éventuelles, arrivées à échéance ou non (le « Passif Exclu ») : [...] toute dette ou obligation relative à ou découlant de l'utilisation de produits d'amiante dans l'Activité à tout moment au plus tard à la Date de Clôture [
] toute responsabilité, obligation ou recours relatif à ou découlant de l'emploi d'un salarié ou Ancien Salarié des Vendeurs qui n'est pas transféré aux acquéreurs en vertu de l'article 5 » ; qu'elle faisait, enfin, valoir que l'article 16.19 du traité d'apport du 29 février 1996 stipule que « les parties conviennent que dans les cas de conflit ou de contradiction entre les stipulations du présent Traité et l'un des contrats de cession Etrangers, les stipulations du présent Traité prévaudront » ; que la société [...] faisait donc valoir qu'il résultait de cette convention que les travailleurs, qui avaient quitté les établissements cédés avant qu'elle les reprennent et dont elle n'avait jamais été l'employeur, n'étaient pas recevables à demander sa condamnation en réparation du préjudice d'anxiété résultant d'une méconnaissance par leur employeur de son obligation de sécurité liée à l'utilisation d'amiante ; que, dès lors que sa validité n'était pas contesté, cette convention était bien opposable aux tiers et donc aux défendeurs aux pourvois ; qu'en jugeant que la société [...] ne pouvait se prévaloir de cette convention et en disant cette convention inopposable aux défendeurs aux pourvois, aux motifs qu'elle se place sous l'égide du droit américain et prévoit des clauses de compétence au profit des juridictions américaines et qu'elle n'a pas fait l'objet d'un dépôt ou d'une publicité auprès du tribunal de commerce compétent lors de l'opération d'apport réalisée entre les sociétés françaises, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter le principe d'opposabilité des conventions aux tiers, en violation de ce principe et des articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte des articles L. 236-3, L. 236-20 et L. 236-22 du code de commerce que, sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport.

9. Ayant relevé que selon l'article 9 des traités d'apport conclus le 27 juin 1996, l'apport partiel d'actif était placé sous le régime juridique des scissions, la cour d'appel, a exactement retenu qu'en l'absence de dérogation expresse, cet apport avait opéré une transmission universelle de tous les droits, biens et obligations concernant la branche d'activité de freinage cédée, dont l'obligation de sécurité de l'employeur, y compris pour les créances, résultant d'un manquement à cette obligation, nées d'un contrat de travail rompu avant le traité d'apport.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. La société fait grief aux arrêts de la condamner à verser à chacun des défendeurs au pourvoi une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, alors :

« 1°/ que la réparation du préjudice spécifique d'anxiété des salariés ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante repose sur les règles de la responsabilité civile et, plus précisément, sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; qu'il en résulte que le régime probatoire attaché à l'existence de ce préjudice ne peut être fondé que sur des présomptions simples que l'employeur peut renverser en établissant soit que, nonobstant le classement de l'établissement, le salarié n'a pas, compte tenu des fonctions qu'il exerçait, été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante au cours de son activité au sein de l'établissement, soit qu'il avait, au regard de son activité, de sa taille, des dispositions réglementaires en vigueur et des travaux effectués par le salarié, pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité du salarié, de sorte qu'il n'a commis à l'égard du salarié aucun manquement à son obligation de sécurité ; qu'au cas présent, la société [...] entendait démontrer que « la société ayant exploité le site à l'époque à laquelle y travaillai[ent les défendeurs aux pourvois] a respecté les dispositions réglementaires applicables, notamment la mise en oeuvre des mesures de contrôles d'atmosphère imposées par la législation qui ont toujours été satisfaisantes comme la mise en place des dispositifs d'aspiration exigés » ; qu'en énonçant, pour refuser d'examiner les éléments qui étaient présentés que « l'employeur ne rapporte pas la preuve d'une cause d'exonération de sa responsabilité laquelle ne peut consister dans le fait d'avoir respecté la réglementation, moyen inopérant en l'espèce », la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, L. 4121-1 du code du travail et 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;

2°/ que le salarié qui recherche la responsabilité de son employeur doit justifier des préjudices qu'il invoque en faisant état d'éléments personnels et circonstanciés pertinents ; que la circonstance qu'il ait travaillé dans un établissement susceptible d'ouvrir droit à l'ACAATA ne dispense pas l'intéressé, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir qu'aucun des défendeurs aux pourvois n'établissait la réalité du préjudice d'anxiété dont il demandait la réparation ; que la cour d'appel s'est bornée à relever, de manière strictement identique pour chacun des défendeurs aux pourvois qu' « au regard du caractère subjectif du niveau d'anxiété, de l'absence de corrélation démontrée entre la durée d'exposition à ce produit et le risque de développer une maladie qui y est liée, le préjudice [
] sera réparé par l'allocation à la charge de la société [...] de la somme de 8 000 € de dommages et intérêts » ; qu'en dispensant ainsi les défendeurs aux pourvois de justifier de leur situation par des éléments personnels et circonstanciés, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi par chacun des défendeurs aux pourvois et a donc privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

12. La cour d'appel, qui a constaté que les salariés, qui avaient travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient, par le fait de l'employeur, lequel n'était pas parvenu à démontrer l'existence d'une cause d'exonération de responsabilité, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, a ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice d'anxiété dont elle a souverainement apprécié le montant.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société [...] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la condamne à payer aux défendeurs la somme globale de 1 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [...] (France), demanderesse aux pourvois n° V 19-10.881, W 19-10.882 et W 19-11.227 à B 19-11.232

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir , déclaré la demande de chacun des défendeurs aux pourvois recevable et d'avoir condamné la société [...] à payer à chacun des défendeurs aux pourvois une somme de 8 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;

AUX MOTIFS QUE « sur la recevabilité de la demande de M. U... C... : Il n'est pas discuté que M. U... C... n'a jamais travaillé sur le site de DRANCY en tant que salarié de la société [...] , ayant quitté ce lieu de travail avant la reprise par cette dernière de l'activité freinage exploitée par la société ALLIED SIGNAL SYSTEMES DE FREINAGE. En l'absence de transfert du contrat de travail de l'appelant à la société [...], lors de cette opération, cette dernière ne peut donc être tenue des obligations de l'employeur précédent qu'à raison des termes des conventions conclues entre les parties à cette opération de cession. Les conventions produites aux débats sur ce point par l'intimée, établissent que l'opération a été réalisée par le biais d'un traité d'apport du 29 février 1996 rédigé en anglais entre les cédants ALLIED SIGNAL Inc société de droit du Delaware et l'ensemble de ses filiales concernées dans le monde par l'opération, dont quatre sociétés de droit français ALLIED SIGNAL AUTOMATIVE EUROPE SA, ALLIED SIGNAL AFTERMARKET EUROPE SA, ALLIED SIGNAL EUROPE SERVICES TECHNIQUES SA et ALLIED SIGNAL SYSTEMES DE FREINAGE SA et la société [...] société de droit allemand. Ont ensuite été conclus le 27 juin 1996 entre les quatre sociétés françaises et la société [...] , société de droit français, quatre traités d'apport concernant les actifs et passifs liés à l'activité cédée, respectivement détenus par ces sociétés. Ainsi que le relève justement M. U... C... le traité d'apport signé en Février 1996, entre les deux groupes et les exclusions éventuelles d'obligations et de passif qu'il contient ne peuvent lui être utilement opposés. Il apparaît que cette convention qui au demeurant se place sous l'égide du droit américain et prévoit des clauses attributives de compétence au profit des juridictions également américaines, n'a fait l'objet d'aucun dépôt ni d'aucune publicité au greffe du tribunal de commerce compétent lors de l'opération d'apport réalisée entre les sociétés françaises, qu'elle demeure totalement inconnue des tiers au nombre desquels se trouvent les anciens salariés des sociétés cédantes et ne leur est pas opposable. La convention litigieuse ne peut dès lors avoir d'effets et engendrer d'obligations qu'entre ses signataires dans le respect du cadre juridique et juridictionnel qu'elle a défini. Il s'en déduit que la société [...] ne peut se prévaloir de ce que cette convention laisse à la charge des sociétés ALLIED SIGNAL au titre du passif exclu, toute dette ou obligation relative à/ou découlant de l'utilisation de produits d'amiante dans l'activité au plus tard à la date de clôture de l'opération de cession, ainsi que toute responsabilité, obligation ou recours relatif à l'emploi de salariés ou d'anciens salariés, non transférés aux acquéreurs. Le traité conclu le 29 juin 1996 entre les sociétés françaises ALLIED SIGNAL SYSTEMES DE FREINAGE et la société [...] , qui ne fait d'ailleurs aucune référence au traité d'apport global rappelé ci-dessus, prévoit en son article 9 que l'apport partiel réalisé est placé sous le régime juridique des scissions prévu par les articles 371 et suivants et les articles 382 à 386 de la loi du 24 juillet 1966 et emporte donc transmission universelle du patrimoine lié à l'activité cédée en ses composantes actives et passives à la société bénéficiaire. La société [...] observe à juste titre que ce régime d'apport partiel permet aux parties dans leur convention de déroger expressément à la transmission universelle de certains biens droits et obligations. Toutefois l'examen du traité d'apport rappelé ci-dessus ne contient aucune disposition expresse prévoyant que la société ALLIED SIGNAL SYSTEMES DE FREINAGE devait conserver à sa charge toute dette et obligation en relation avec l'utilisation d'amiante ou de produits en contenant. L'intimée ne peut sur ce point invoquer (Page 3) l'exclusion des actifs apportés, des droits et avantages particuliers des salariés, qui concerne des avantages de nature pécuniaire attribués sans contrepartie, existant à la date de la clôture de l'opération, qui sont sans lien avec une créance indemnitaire réparant un préjudice invoqué par un salarié, laquelle prend naissance à la date de sa reconnaissance. De la même façon, elle ne peut se prévaloir de l'article 2 de la convention concernant la désignation et l'évaluation du passif pris en charge par [...] , qui renvoie à une annexe 5 qui n'est pas produite aux débats et se rapporte au passif liquidé à la date de transfert. Par ailleurs, il ne peut être sérieusement contesté que les obligations en cause contractées par le précédent employeur en lien avec l'exposition de salariés à de l'amiante ou des matériaux amiantés ne sont pas étrangères à la branche d'activité cédée. Elles ne présentent pas non plus un caractère strictement personnel au cédant en excluant la transmission. Il s'en déduit qu'en l'absence de dérogation expresse, cet apport partiel sous le régime des scissions a opéré une transmission universelle de tous les droits, biens et obligations concernant la branche d'activité de freinage cédée, dont l'obligation de sécurité de l'employeur, y compris pour les créances, résultant d'un manquement à cette obligation nées d'un contrat de travail rompu avant le traité d'apport. Il en résulte que la demande de M. U... C... à l'égard de la société [...] est recevable. Le jugement sera réformé sur ce point » ;

ALORS QUE si elles ne peuvent faire naître d'obligations qu'entre les parties, les conventions légalement formées sont opposables aux tiers ; qu'il en résulte que l'entreprise qui reprend un établissement industriel, est bien fondée à opposer aux anciens travailleurs de cet établissement, qui n'ont jamais été ses salariés, l'ensemble des conventions de cession de l'établissement conclues avec l'entreprise, qui gérait antérieurement l'établissement et qui avait seule la qualité juridique d'employeur à leur égard, excluant toute reprise du passif liée à l'exploitation de l'établissement antérieurement à sa cession, sans qu'il soit besoin que ces conventions aient fait l'objet d'une publicité particulière ; qu'au cas présent, la société exposante se prévalait du traité du 29 février 1996 organisant au niveau mondial la cession de l'activité freinage et conclu, au niveau mondial, entre les sociétés « vendeurs » du groupe AlliedSignal, notamment les sociétés françaises AlliedSignal Europe Services Techniques et AlliedSignal Systèmes de Freinage, et les sociétés « acquéreurs » du groupe [...] , notamment la société [...] (France) SA, exposante, dont l'article 4 stipule que seules « certaines dettes et obligations [sont reprises] par les acquéreurs » Et définit précisément le passif non repris par les acquéreurs ; qu'elle se prévalait notamment de l'article 4.2 du traité qui stipule que « nonobstant toute stipulation contraire du présent Traité, les Vendeurs s'engagent, sans autre responsabilité des, ou recours aux Acquéreurs [
] à prendre en charge et à être seuls responsables, inconditionnellement et irrévocablement, de toutes les dettes et obligations suivantes, des Vendeurs ou des Entités Cédées, prévues ou imprévues, connues ou inconnues, existant ou pouvant naître à l'avenir, fixes ou éventuelles, arrivées à échéance ou non (le « Passif Exclu ») : [...] toute dette ou obligation relative à ou découlant de l'utilisation de produits d'amiante dans l'Activité à tout moment au plus tard à la Date de Clôture [
] toute responsabilité, obligation ou recours relatif à ou découlant de l'emploi d'un salarié ou Ancien Salarié des Vendeurs qui n'est pas transféré aux acquéreurs en vertu de l'article 5 » ; qu'elle faisait, enfin, valoir que l'article 16.19 du traité d'apport du 29 février 1996 stipule que « les parties conviennent que dans les cas de conflit ou de contradiction entre les stipulations du présent Traité et l'un des contrats de cession Etrangers, les stipulations du présent Traité prévaudront » ; que la société [...] faisait donc valoir qu'il résultait de cette convention que les travailleurs, qui avaient quitté les établissements cédés avant qu'elle les reprennent et dont elle n'avait jamais été l'employeur, n'étaient pas recevables à demander sa condamnation en réparation du préjudice d'anxiété résultant d'une méconnaissance par leur employeur de son obligation de sécurité liée à l'utilisation d'amiante ; que, dès lors que sa validité n'était pas contesté, cette convention était bien opposable aux tiers et donc aux défendeurs aux pourvois ; qu'en jugeant que la société [...] ne pouvait se prévaloir de cette convention et en disant cette convention inopposable aux défendeurs aux pourvois, aux motifs qu'elle se place sous l'égide du droit américain et prévoit des clauses de compétence au profit des juridictions américaines et qu'elle n'a pas fait l'objet d'un dépôt ou d'une publicité auprès du tribunal de commerce compétent lors de l'opération d'apport réalisée entre les sociétés françaises, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter le principe d'opposabilité des conventions aux tiers, en violation de ce principe et des articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
SUBSIDIAIRE

Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir condamné la société [...] à payer à chacun des défendeurs aux pourvois une somme de 8 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;

AUX MOTIFS QUE « sur le préjudice d'anxiété : L'employeur est tenu d'une obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés, par application des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail, dont il doit garantir l'effectivité et assumer la charge contractuelle. L'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a en outre créé un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante. Il prévoit une allocation de cessation anticipée d'activité, dite ACAATA, versée aux salariés et anciens salariés âgés d'au moins 50 ans des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, inscrits sur une liste établie par arrêté ministériel, sous réserve que ceux-ci cessent toute activité professionnelle. Le salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à cet article et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités de l'amiante ou des matériaux en contenant, se trouve ainsi par le fait de son employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'utilisation de ce produit ; maladie dont la gravité n'est pas discutée par l'intimée, ni le fait qu'elle peut se déclarer plusieurs années après la fin de l'exposition à la fibre d'amiante. Cette situation existe que le salarié se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, qu'il ait été exposé fonctionnellement directement ou de façon environnementale à l'inhalation des poussières d'amiante présentes sur le site. Il subit en conséquence un préjudice spécifique d'anxiété dont l'employeur lui doit réparation. En l'espèce, il est établi que M. U... C... a travaillé sur le site de DRANCY jusqu'en 1995. La société [...] ne peut lui opposer que l'usinage de matériaux contenant de l'amiante y avait cessé depuis 1986. En effet, cette affirmation n'est pas corroborée par les pièces produites qui attestent seulement d'une volonté d'orienter ce site vers la fabrication de système de freins ABS qui n'utilisent pas ce produit. Elle est au contraire contredite par les témoignages des salariés et en outre inopérante à défaut de recours contre les arrêtés ministériels qui ont fixé la période d'utilisation de ce produit jusqu'au 31 décembre 1996. Il est établi en conséquence, que l'appelant a travaillé dans les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, dans l'établissement inscrit sur l'arrêté ministériel du 3 juillet 2000, à une époque où y étaient traités des matériaux contenant de l'amiante. Les attestations produites, dont les irrégularités au regard des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile n'affectent pas la valeur probante en l'absence de grief subi de leur fait par la société [...], témoignent en effet du passage régulier des ingénieurs et cadres dans les différents ateliers lors de l'exécution de leurs tâches, d'une absence de confinement des différentes zones de travail et spécialement de celle où étaient traités ces matériaux, ainsi que du partage de locaux communs par l'ensemble des salariés dans leurs tenues de travail respectives, situations générant une exposition aux poussières d'amiante, par nature volatiles. Dans ces conditions la demande de l'appelant de se voir reconnaître un préjudice d'anxiété est justifiée, l'employeur ne rapportant pas la preuve d'une cause d'exonération de sa responsabilité laquelle ne peut consister dans le fait d'avoir respecté la réglementation, moyen inopérant en l'espèce. L'indemnisation accordée répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence. Au regard du caractère subjectif du niveau d'anxiété, de l'absence de corrélation démontrée scientifiquement entre la durée d'exposition à ce produit et le risque de développer une maladie qui y est liée, le préjudice de M. U... C... sera réparé par l'allocation à la charge de la société [...] d'une somme de 8.000 € de dommages et intérêts. Le jugement sera réformé en ce sens. La situation des parties commande que M. U... C... ne conserve pas à sa charge les frais irrépétibles qu'il a engagés devant la cour, la société [...] sera condamnée à lui verser une indemnité de 300 €, la société [...] qui succombe devant la cour sera condamnée aux dépens d'appel » ;

ALORS QUE la réparation du préjudice spécifique d'anxiété des salariés ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante repose sur les règles de la responsabilité civile et, plus précisément, sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; qu'il en résulte que le régime probatoire attaché à l'existence de ce préjudice ne peut être fondé que sur des présomptions simples que l'employeur peut renverser en établissant soit que, nonobstant le classement de l'établissement, le salarié n'a pas, compte tenu des fonctions qu'il exerçait, été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante au cours de son activité au sein de l'établissement, soit qu'il avait, au regard de son activité, de sa taille, des dispositions réglementaires en vigueur et des travaux effectués par le salarié, pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité du salarié, de sorte qu'il n'a commis à l'égard du salarié aucun manquement à son obligation de sécurité ; qu'au cas présent, la société [...] entendait démontrer que « la société ayant exploité le site à l'époque à laquelle y travaillai[ent les défendeurs aux pourvois] a respecté les dispositions réglementaires applicables, notamment la mise en oeuvre des mesures de contrôles d'atmosphère imposées par la législation qui ont toujours été satisfaisantes comme la mise en place des dispositifs d'aspiration exigés » (arrêt pilote p. 5 al. 2) ; qu'en énonçant, pour refuser d'examiner les éléments qui étaient présentés que « l'employeur ne rapporte pas la preuve d'une cause d'exonération de sa responsabilité laquelle ne peut consister dans le fait d'avoir respecté la réglementation, moyen inopérant en l'espèce » (arrêt pilote p. 7 al. 7), la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, L. 4121-1 du code du travail et 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;

2. ALORS QUE le salarié qui recherche la responsabilité de son employeur doit justifier des préjudices qu'il invoque en faisant état d'éléments personnels et circonstanciés pertinents ; que la circonstance qu'il ait travaillé dans un établissement susceptible d'ouvrir droit à l'ACAATA ne dispense pas l'intéressé, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir qu'aucun des défendeurs aux pourvois n'établissait la réalité du préjudice d'anxiété dont il demandait la réparation ; que la cour d'appel s'est bornée à relever, de manière strictement identique pour chacun des défendeurs aux pourvois qu' « au regard du caractère subjectif du niveau d'anxiété, de l'absence de corrélation démontrée entre la durée d'exposition à ce produit et le risque de développer une maladie qui y est liée, le préjudice [
] sera réparé par l'allocation à la charge de la société [...] de la somme de 8 000 € de dommages et intérêts » ; qu'en dispensant ainsi les défendeurs aux pourvois de justifier de leur situation par des éléments personnels et circonstanciés, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi par chacun des défendeurs aux pourvois et a donc privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-10881;19-10882;19-11227;19-11228;19-11229;19-11230;19-11231;19-11232
Date de la décision : 09/12/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 29 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 09 déc. 2020, pourvoi n°19-10881;19-10882;19-11227;19-11228;19-11229;19-11230;19-11231;19-11232


Composition du Tribunal
Président : Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.10881
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