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02/12/2020 | FRANCE | N°19-15396

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 02 décembre 2020, 19-15396


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 décembre 2020

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 748 FS-P+I

Pourvoi n° C 19-15.396

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 DÉCEMBRE 2020

1°/ La société Schooner Capital LLC,

2°/ la sociét

é Atlantic Investment Partners LLC,

ayant toutes deux leur siège [...] ),

3°/ M. T... S..., domicilié chez la société Schooner Capital LLC, [...] ), agis...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 décembre 2020

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 748 FS-P+I

Pourvoi n° C 19-15.396

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 DÉCEMBRE 2020

1°/ La société Schooner Capital LLC,

2°/ la société Atlantic Investment Partners LLC,

ayant toutes deux leur siège [...] ),

3°/ M. T... S..., domicilié chez la société Schooner Capital LLC, [...] ), agissant en qualité de fondateur et président de la société Schooner Capital LLC,

ont formé le pourvoi n° C 19-15.396 contre l'arrêt rendu le 2 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige les opposant à la République de Pologne, prise en la personne du Prokuratoria Generalna Rzeczypolitej Polskiej, domicilié [...] ), défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat des sociétés Schooner Capital LLC et Atlantic Investment Partners LLC, et de M. S..., de la SCP Foussard et Froger, avocat de la République de Pologne, et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, M. Vigneau, Mmes Bozzi, Poinseaux, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 2019), M. T... S..., de nationalité américaine, et les sociétés Schooner Capital LLC et Atlantic Investment Partners LLC, enregistrées dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis) (les investisseurs) ont, par l'intermédiaire de la société américaine White Eagle Industries (WEI), constituée à cet effet, pris des participations dans trois sociétés polonaises, Nadodrzanskie Zaklady Przemyslu Thuszczowego w Brzegu S.A. (Kama), entreprise étatique de production et transformation de graisse végétale, Bolmar S.A., intervenant dans le même secteur, et Wielkopolskie Fabrykii Mebli S.A. (WFM), fabricant de meubles. Les investisseurs ont constitué une société polonaise White Eagle Industries Poland (WEIP), à l'effet de percevoir pour le compte de WEI, les commissions versées par les trois sociétés polonaises pour des services de gestion. Kama, WFM et Bolmar ont déclaré ces commissions comme des charges déductibles au titre de l'impôt sur les sociétés et au titre de la taxe sur la valeur ajoutée pour les exercices fiscaux 1994 à 1997. Contestant la réalité des services de gestion, les services fiscaux polonais ont, à la suite de différents contrôles, notifié un redressement à la société Kama laquelle devait être ultérieurement déclarée en faillite.

2. Soutenant que la République de Pologne les avait illégalement expropriés de leur investissement dans Kama, les investisseurs ont, le 31 mars 2011, introduit une requête d'arbitrage auprès du secrétariat du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) en application du règlement du CIRDI (Mécanisme supplémentaire) sur le fondement du Traité relatif aux relations commerciales et économiques entre les Etats-Unis et la Pologne (le Traité bilatéral d'investissement ou TBI).

3. Par une sentence rendue à Paris le 17 novembre 2015, le tribunal arbitral, considérant que le litige concernait des questions de fiscalité au sens de l'article VI (2) du TBI et non une obligation relative au respect et à l'exécution d'un contrat d'investissement au sens de l'article VI (2), c), n'a retenu sa compétence que sur les seules demandes fondées sur l'expropriation (article VII) et sur les transferts de fonds (article V) en vertu des exceptions prévues par le a) et le b) de l'article VI (2).

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Les investisseurs font grief à l'arrêt de rejeter leur recours en annulation de la sentence, alors « que la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ; que le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; qu'ainsi, lorsqu'une partie s'est prévalue devant les arbitres de la compétence du tribunal arbitral sur le fondement de dispositions d'un traité bilatéral de protection des investissements comprenant la convention d'arbitrage, celle-ci est recevable à invoquer d'autres dispositions de ce traité et d'autres éléments de fait devant le juge de l'annulation pour solliciter l'annulation de la sentence arbitrale au motif que les arbitres se sont, à tort, déclarés incompétents ; qu'en déclarant irrecevables les moyens d'annulation de la sentence, tirés de que c'est à tort que le tribunal arbitral s'était déclaré incompétent dès lors, d'une part, qu'il ne pouvait appliquer une clause d'exclusion de la fiscalité dans l'hypothèse où les actions de l'Etat n'étaient pas menées de bonne foi et, d'autre part, qu'il aurait dû se déclarer compétent sur le fondement de la clause de la nation la plus favorisée, motifs pris que si les investisseurs avaient soutenu que le tribunal arbitral était compétent, ils n'avaient « plaidé dans l'instance arbitrale ni l'usage abusif de cette exclusion, ni le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée », et que « la renonciation présumée par l'article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens », la cour d'appel a violé les articles 1466 et 1520, 1°, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile :

5. Selon le premier de ces textes, le recours en annulation est ouvert si le tribunal s'est déclaré à tort compétent ou incompétent. Aux termes du second, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

6. Il en résulte que lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve.

7. Pour déclarer irrecevables les moyens fondant la compétence du tribunal arbitral tirés, d'une part, de l'usage abusif par la République de Pologne de l'exclusion des questions fiscales par l'article VI du Traité, d'autre part, du bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée stipulée à l'article I du Traité, l'arrêt retient que, ceux-ci n'ayant pas été plaidés devant le tribunal arbitral, les investisseurs ne sont pas recevables à développer devant le juge de l'annulation un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu'ils avaient soumis aux arbitres, auquel ils sont présumés avoir renoncé.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la République de Pologne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la République de Pologne et la condamne à payer à M. T... S... et aux sociétés Schooner Capital LLC et Atlantic Investment Partners LLC la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour les sociétés Schooner Capital LLC et Atlantic Investment Partners LLC et M. T... S....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le recours en annulation de la sentence rendue entre les parties le 17 novembre 2015 et condamné les sociétés Schooner Capital LLC, Atlantic Investment Partners LLC et M. S... aux dépens et à payer à la République de Pologne une somme de 200.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE sur le moyen pris en ses troisième et quatrième branches. Aux termes de l'article 1466 du code de procédure civile, applicable en matière internationale par renvoi de l'article 1506 du même code : "La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir." En premier lieu, contrairement à ce que prétendent les recourants, cette disposition ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d'ouverture du recours en annulation des sentences, à l'exception des moyens fondés sur l'article 1520, 5° du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l'ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d'office par le juge de l'annulation, et soulevés pour la première fois devant lui. En deuxième lieu, la renonciation présumée par l'article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens. En effet, le but poursuivi par cette disposition - qui est d'éviter qu'une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable -, ne serait pas atteint si, sous couvert d'un cas d'ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu'il avait soumis aux arbitres. Cette portée attribuée à l'article 1466 du code de procédure civile n'est pas incompatible avec la plénitude du contrôle exercé par le juge de l'annulation à l'égard des cas d'ouverture du recours, dès lors qu'en statuant sur des moyens identiques à ceux qui avaient été soumis aux arbitres, il n'est lié ni par leur interprétation des textes, ni par leur appréciation des faits. En l'espèce, il est constant que pour soutenir que le tribunal arbitral était compétent, nonobstant l'exclusion des questions de fiscalité du champ d'application du TBI, les investisseurs n'avaient plaidé dans l'instance arbitrale ni l'usage abusif de cette exclusion, ni le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée. Le moyen pris en ses troisième et quatrième branches est donc irrecevable ;

ALORS QUE la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ; que le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; qu'ainsi, lorsqu'une partie s'est prévalue devant les arbitres de la compétence du tribunal arbitral sur le fondement de dispositions d'un traité bilatéral de protection des investissements comprenant la convention d'arbitrage, celle-ci est recevable à invoquer d'autres dispositions de ce traité et d'autres éléments de fait devant le juge de l'annulation pour solliciter l'annulation de la sentence arbitrale au motif que les arbitres se sont, à tort, déclarés incompétents ; qu'en déclarant irrecevables les moyens d'annulation de la sentence, tirés de que c'est à tort que le tribunal arbitral s'était déclaré incompétent dès lors, d'une part, qu'il ne pouvait appliquer une clause d'exclusion de la fiscalité dans l'hypothèse où les actions de l'Etat n'étaient pas menées de bonne foi et, d'autre part, qu'il aurait dû se déclarer compétent sur le fondement de la clause de la nation la plus favorisée, motifs pris que si les investisseurs avaient soutenu que le tribunal arbitral était compétent, ils n'avaient « plaidé dans l'instance arbitrale ni l'usage abusif de cette exclusion, ni le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée », et que « la renonciation présumée par l'article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens », la cour d'appel a violé les articles 1466 et 1520.1° du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-15396
Date de la décision : 02/12/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

ARBITRAGE - Sentence - Recours en annulation - Cas - Compétence du tribunal arbitral - Moyens invoqués par les parties - Moyens tirés d'éléments de preuve nouveaux - Portée

Il résulte des articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile, que lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve


Références :

articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 02 avril 2019

A rapprocher : 1re Civ., 6 octobre 2010, pourvoi n° 08-20563, Bull. 2010, I, n° 185 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 02 déc. 2020, pourvoi n°19-15396, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Ortscheidt, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.15396
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