LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 novembre 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 688 F-P+B
Pourvoi n° H 19-14.250
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 NOVEMBRE 2020
M. B... I..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° H 19-14.250 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Papeete (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ au payeur de la Polynésie française, domicilié [...] ,
2°/ à M. A... H..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire judiciaire représentant des créanciers de M. B... I...,
3°/ à M. S... N..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. I..., de la SCP Foussard et Froger, avocat du payeur de la Polynésie française, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 6 décembre 2018), par une requête du 12 avril 2017, la paierie de la Polynésie française a saisi le tribunal mixte de commerce de Papeete d'une demande d'ouverture du redressement judiciaire de M. I..., entrepreneur, à la suite de l'échec de tentatives de recouvrement de la somme de 27 317 032 FCP due au titre de diverses impositions. La requête a été déposée au nom de M. F..., payeur de la Polynésie française, et signée « par procuration » par M. V..., inspecteur des finances publiques. Par un jugement du 26 mars 2018, le tribunal a ouvert le redressement judiciaire de M. I... et désigné M. H... représentant des créanciers.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
3. M. I... fait grief à l'arrêt de constater son état de cessation des paiements et d'ouvrir son redressement judiciaire, alors :
« 2°/ que le payeur de la Polynésie Française n'est pas habilité à engager, de sa propre initiative, une action en redressement judiciaire contre un contribuable, action qui n'est pas directement liée à sa fonction de recouvrement de l'impôt et à son obligation de conservation des créances de la Polynésie française ; que l'action en redressement judiciaire à l'encontre du redevable d'impôts, qui ne remet pas en cause le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics, ne peut être engagée par le payeur de la Polynésie française sans une autorisation du conseil des ministres de la Polynésie française, seul habilité à décider d'intenter des actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie française ; qu'en considérant que le payeur de la Polynésie française était régulièrement investi en sa qualité de comptable public, responsable de la paierie de la Polynésie française, des pouvoirs d'agir pour assurer la conservation des créances de la Polynésie française, que ses pouvoirs ne pouvaient pas être subordonnés à une autorisation du conseil des ministres, et que le tribunal avait exactement jugé que l'action en redressement judiciaire engagée par le payeur de la Polynésie française visait bien à garantir la conservation de la créance fiscale de celle-ci, bien que les pouvoirs de conservation des créances fiscales dudit payeur ne lui confèrent nullement celui d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'encontre d'un contribuable, la cour d'appel a violé les articles LP 711-1 et LP 716-1 du code des impôts de la Polynésie française, 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995 et 91-25° de la loi organique du 27 février 2004 ;
3°/ que le payeur de la Polynésie française n'ayant pas le pouvoir d'agir en redressement judiciaire contre un contribuable, ne peut déléguer ce pouvoir ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que M. V... a signé par procuration du payeur de la Polynésie française la requête en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire contre M. I... ; qu'en considérant que les trois arrêtés n° 2-2013 PPF du 1er septembre 2013, n° 1-2015 PPF du 1er août 2015 et n° 1-2017 PPF du 1er avril 2017, par lesquels M. F..., payeur de la Polynésie française, avait donné délégation générale et permanente notamment à M. V... pour "agir en justice en lieu et place du payeur", suffisaient à établir la qualité pour agir du requérant et la recevabilité de la requête, bien que M. F... n'ait pas eu lui-même le pouvoir d'agir en redressement judiciaire contre l'exposant et par suite celui de déléguer ce pouvoir à M. V..., de sorte que ni l'action engagée ni la requête devant le tribunal mixte de commerce signée par procuration du payeur n'étaient recevables, la cour d'appel a violé les articles LP 711-1 et LP 716-1 du code des impôts de la Polynésie française, 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 1995 et 91-25° de la loi organique du 27 février 2004. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt énonce exactement que l'article 76 de la délibération n° 95-205 AT du 23 novembre 2005 relative à la réglementation budgétaire, comptable et financière de la Polynésie française et de ses établissements publics n'est pas contraire à l'article 91 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie, qui prévoit que, dans la limite des compétences de cette collectivité, le conseil des ministres décide d'intenter des actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie française, le principe de la séparation entre ordonnateur et comptable trouvant à s'y appliquer, et les pouvoirs du payeur ne pouvant être subordonnés à une autorisation du conseil des ministres, et que cette délibération confère au comptable public le pouvoir de saisir le tribunal à l'effet de préserver les droits de la Polynésie française en matière d'impôts. L'arrêt en déduit à bon droit que l'action engagée par le payeur de la Polynésie française visait bien à garantir la créance de cette collectivité, et qu'il avait qualité pour demander l'ouverture du redressement judiciaire de M. I... et donner procuration à M. V..., inspecteur des finances publiques, pour signer la requête.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. I... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. I....
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté l'état de cessation de paiement de M. B... I... et d'avoir en conséquence déclaré ouverte la procédure de redressement judiciaire selon le régime simplifié à l'égard de M. I...,
AUX MOTIFS QU'« en application de l'article 16 du décret n°62-1587 du 29 décembre 1962, « les comptables publics sont nommés par le ministre des finances ou avec son agrément » ; que par arrêté du 3 décembre 2012 du ministre délégué chargé du budget, M. D... F... a été nommé payeur de Polynésie française ; qu'il n'avait donc pas à recevoir délégation de pouvoir du directeur des finances publiques en Polynésie française puisqu'en application de la délibération n°95-205 AT du 23 novembre 1995 portant adoption de la règlementation budgétaire, comptable et financière du territoire et de ses établissements publics, le payeur de la Polynésie est comptable principal pour la collectivité ;
qu'en application de l'article 70 de la délibération n°95-205 AT précitée, les comptables publics sont seuls chargés, notamment, de la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui lui sont remis par les ordonnateurs des créances, ainsi que de l'encaissement des droits et des recettes de toute nature que le territoire et ses établissements publics sont habilités à recevoir ;
que cette disposition n'est pas contraire à l'article 91 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie qui dispose que, dans la limite des compétences de la Polynésie Française, le conseil des ministres décide d'intenter des actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie Française ; qu'en effet, le principe de la séparation entre ordonnateur et comptable s'applique en Polynésie française, et les pouvoirs du payeur ne peuvent être subordonnés à une autorisation du conseil des ministres ; que le tribunal a exactement jugé que l'action en redressement judiciaire engagée par le payeur de la Polynésie française visait bien à garantir la conservation de la créance fiscale de celle-ci ;
(
) que la requête en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire déposée le 12 avril 2017 par M. D... F... agissant en qualité de Payeur de la Polynésie française est signée, « par procuration », par M. J... V..., inspecteur des finances publiques ; qu'il est versé aux débats trois arrêtés (n°2-2013 PPF du 1er septembre 2013, n°1-2015 PPF en date du 1er août 2015 et n°1-2017 PPF du 1er avril 2017) par lesquels M. D... F... donne délégation général et permanente notamment à M. J... V... pour « exercer toute poursuite », « agir en justice en lieu et place du payeur » et « effectuer les déclarations de créances en matière de procédure collective d'apurement du passif » ; que ces trois textes, identiques sur ce point, suffisent à établir la qualité pour agir du requérant et la recevabilité de la requête ;
que M. I... se contredit en invoquant la procuration spéciale en matière de procédure de redressement et de liquidation judiciaire des entreprises donnée notamment à M. Q... E... par l'arrêté précité du 1er août 2015, qui aurait pour effet d'écarter la compétence de M. J... V..., alors qu'il résulte du jugement du 24 avril 2017 qu'il verse aux débats, qu'il a soutenu la position exactement inverse à l'occasion d'une précédente requête devant le tribunal mixte de commerce ; que par ce jugement non frappé d'appel, cette juridiction avait précisément écarté la qualité pour agir de M. Q... E..., au motif que cette délégation spéciale ne lui permettait pas d'agir en lieu et place du payeur de la Polynésie Française ;
qu'enfin, l'irrecevabilité de la requête tirée d'une instance déjà pendante devant la même juridiction, ayant les mêmes parties, le même objet et les mêmes causes, instance clôturée par le jugement du 24 avril 2017 est rejetée en ce qu'il résulte de la lecture comparée de ce jugement et de la requête du 12 avril 2016, qu'elles ne portent pas sur des sommes identiques et qu'en toute hypothèse, le jugement du 24 avril 2017 a statué sur la validité de la requête du 12 août 2016 qui a introduit l'action de la paierie, et non sur le fond » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES DU JUGEMENT « qu'en droit, l'article 76 de la délibération 95-205 du 23 novembre 2005 portant adoption de la réglementation budgétaire, comptable et financière de la Polynésie Française et de ses établissements publics dispose que « Les comptables publics sont seuls chargés de la prise en charge et du recouvrement des ordres de recettes qui leur sont remis par les ordonnateurs des créances, constatées par un contrat, un titre de propriété ou autre titre dont ils assurent la conservation ainsi que de l'encaissement des droits au comptant et des recettes de toute nature que sont habilités à recevoir la Polynésie française et ses établissements publics » ; que cette disposition confère le droit au Payeur d'actionner le tribunal mixte de commerce à l'effet de préserver les droits de la Polynésie française en matière d'impôts ; qu'en l'espèce, l'action en redressement judiciaire à l'égard de Monsieur B... I... vise bien à garantir la créance de la Polynésie française ; que sur la qualité et la capacité pour agir de Monsieur D... F..., il a été nommé comptable de la Paierie de la Polynésie française par arrêté du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget le 3 décembre 2012, après avis du conseil des ministres de la Polynésie française conformément à l'article 97 de la loi organique du 27 février 2014 précité, que cet arrêté a été publié dans le bulletin officiel du 24 octobre 2014 ; que régulièrement nommé, M. D... F... est également régulièrement investi en sa qualité de comptable public, responsable de la Paierie de la Polynésie Française, des pouvoirs d'agir pour assurer la conservation des créances de la Polynésie française ; qu'il n'a nul besoin de délégation de pouvoir ou de signature autre, ni d'autorisation du conseil des ministres spéciale pour engager une action à l'égard de M. B... I... ;
1°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, M. I... a contesté la légalité des arrêtés n° 1-2017 du 1er avril 2017 et n° 2-2017 du 1er septembre 2017 portant l'un et l'autre désignation de mandataires et délégation de signatures à la paierie de la Polynésie Française, et a sollicité un renvoi préjudiciel à la juridiction administrative afin qu'il soit statué sur la légalité de ces arrêtés ; qu'en considérant que les arrêtés n°2-2013 PPF du 1er septembre 2013, n°1-2015 PPF du 1er août 2015 et n°1-2017 du 1er avril 2017 suffisaient à établir la qualité pour agir du payeur de la Polynésie Française et la recevabilité de sa requête, sans répondre au moyen de l'exposant qui contestait la légalité de ce dernier arrêté, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de Polynésie Française ;
2°) ALORS QUE le payeur de la Polynésie Française n'est pas habilité à engager, de sa propre initiative, une action en redressement judiciaire contre un contribuable, action qui n'est pas directement liée à sa fonction de recouvrement de l'impôt et à son obligation de conservation des créances de la Polynésie française ; que l'action en redressement judiciaire à l'encontre du redevable d'impôts, qui ne remet pas en cause le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables publics, ne peut être engagée par le payeur de la Polynésie française sans une autorisation du conseil des ministres de la Polynésie française, seul habilité à décider d'intenter des actions ou de défendre devant les juridictions au nom de la Polynésie Française ; qu'en considérant que le payeur de la Polynésie Française était régulièrement investi en sa qualité de comptable public, responsable de la Paierie de la Polynésie Française, des pouvoirs d'agir pour assurer la conservation des créances de la Polynésie Française, que ses pouvoirs ne pouvaient pas être subordonnés à une autorisation du conseil des ministres, et que le tribunal avait exactement jugé que l'action en redressement judiciaire engagée par le payeur de la Polynésie française visait bien à garantir la conservation de la créance fiscale de celle-ci, bien que les pouvoirs de conservation des créances fiscales dudit payeur ne lui confèrent nullement celui d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'encontre d'un contribuable, la cour d'appel a violé les articles LP 711-1 et LP 716-1 du code des impôts de Polynésie Française, 76 de la délibération n°95-205 AT du 23 novembre 1995 et 91-25° de la loi organique du 27 février 2004 ;
3°) ALORS QUE le payeur de Polynésie française n'ayant pas le pouvoir d'agir en redressement judiciaire contre un contribuable, ne peut déléguer ce pouvoir ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que M. J... V... a signé par procuration du payeur de Polynésie française la requête en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire contre l'exposant ; qu'en considérant que les trois arrêtés n°2-2013 PPF du 1er septembre 2013, n°1-2015 PPF du 1er août 2015 et n°1-2017 PPF du 1er avril 2017, par lesquels M. D... F..., payeur de Polynésie française, avait donné délégation générale et permanente notamment à M. J... V... pour « agir en justice en lieu et place du payeur », suffisaient à établir la qualité pour agir du requérant et la recevabilité de la requête, bien que M. F... n'ait pas eu lui-même le pouvoir d'agir en redressement judiciaire contre l'exposant et par suite celui de déléguer ce pouvoir à M. V..., de sorte que ni l'action engagée ni la requête devant le tribunal mixte de commerce signée par procuration du payeur n'étaient recevables, la cour d'appel a violé les articles LP 711-1 et LP 716-1 du code des impôts de Polynésie Française, 76 de la délibération n°95-205 AT du 23 novembre 1995 et 91-25° de la loi organique du 27 février 2004.